Salut Miam,
j'ai entre-temps pu lire ton dernier message, merci déjà de tes explications.
Comme déjà dit, je crois avoir compris que selon toi (et éventuellement selon Spinoza, mais pour pas mal de choses que tu écris le niveau 'méta' est tel que je ne suis pas encore capable de trouver un lien immédiat; chose qui évidemment n'est pas de ta faute mais s'explique entièrement par le fait que cela ne fait pas encore très longtemps que j'étudie L'Ethique) donc ... je crois avoir compris que selon toi, l'idée-mode, c'est l'idée conçue sous l'attribut de la Pensée, l'idée-être objectif, c'est l'idée telle qu'elle est contenue en l'idée de Dieu. Ce n'est que l'idée en tant qu'être objectif qui a un objet, l'autre non.
Alors voici que je suis donc en train de lire l'Ethique ayant maintenant ces distinctions en tête. Parfois cela fonctionne très bien, parfois pas trop. Il est évident que cela ne sert à rien de t'énumérer les endroits où cela fonctionne bien parce que d'abord je suppose que tu les connaisses, puis comme je pars de l'idée que vu que tu t'y connais mieux, tu auras probablement raison, alors commencer à dresser la liste ici de tous les passages qui confirment ton interprétation est totalement inutile, il faudrait quasiment écrire toute l'Ethique.
Je m'en tiens donc aux passages qui font problème pour moi, non pour te montrer que là, tu te trompes, mais simplement pour te demander comment tu fais pour maintenir ces distinctions tout en intégrant ce passage. Le problème signalé n'est donc pas un problème d'incohérence dans ta pensée à toi (que d'ailleurs je ne connais que par l'intermédiaire de signes, et donc inadéquatement), mais un problème CHEZ MOI, celui de supposer de ne pas avoir suffisamment tenu compte des implications de ta distinction pour pouvoir l'appliquer également au passage problématique. Si alors cela t'intéresse d'expliciter les pas logiques que moi-même je ne vois pas, tant mieux, mais si cela t'énerve plus qu'autre chose, il n'y a vraiment aucun problème, laissons tomber.
Le passage problématique ici est le II 21s. Tu en dis:
Miam a écrit :L’idée de l’idée ne peut être une essence formelle puisque celle-ci est contenue dans l’attribut et non dans l’idée de Dieu (cf. II 8 et 8s). Spinoza n’écrit pas que l’idée de l’idée est l’essence formelle de l’idée. Il écrit – ce qui est tout à fait différent - que l’idée de l’idée est la FORME de l’idée : autrement dit, précisément, que c’est par cet être OBJECTIF qu’est l’idée de l’idée que l’on peut penser OBJECTIVEMENT l’essence FORMELLE de l’idée.
« l’idée de l’idée n’est rien d’autre que la forme de l’idée en tant que celle-ci est considérée comme un mode du penser sans relation avec l’objet » (II 21s)
Ce n’est donc pas l’idée de l’idée qui est le mode du penser, c’est à dire l’essence formelle contenue dans l’attribut, mais justement au contraire l’idée-mode qui est l’objet de l’idée de l’idée.
Donc si je t'ai bien compris, tu dis: l'idée de l'idée n'est pas l'idée en tant que mode du penser, le seul mode dont on parle ici, c'est l'idée objet de l'idée de l'idée, donc l'Esprit et pas l'idée de l'Esprit. Or juste au-dessus, Spinoza dit
"et donc l'idée de l'Esprit et l'Esprit lui-même sont une seule et même chose, que l'on conçoit sous un seul et même attribut, à savoir sous l'attribut de la Pensée".
Mon problème: Spinoza semble dire ici que l'idée (l'Esprit) et l'idée de l'idée (l'idée de l'Esprit), il faut les concevoir tous les deux sous un seul et même attribut, celui de la Pensée. C'est-à-dire, il faut considérer les deux idées comme manière du penser, donc comme mode.
Or tu me dis: 'l'idée de l'idée, c'est un être objectif, et tu m'as déjà dit que l'être se distingue chez Spinoza de l'essence du fait de désigner quelque chose conçue dans tous les attributs, et pour nous au moins deux. De même, tu dis que l'idée de l'idée étant pour toi un être objectif, elle n'est pas une idée-mode.
Bref, comment considérer l'idée X de l'idée Y, ou la forme de l'idée Y en même temps comme mode, comme Spinoza semble le demander, et comme être objectif, comme tu sembles le proposer?
Ou le même problème formulé autrement: Spinoza dit dans ce scolie que l'Esprit (ou idée du Corps) et le Corps sont un seul et même Individu, que l'on conçoit tantôt sous l'attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l'Etendue, et donc l'idée de l'Esprit et l'Esprit lui-même sont une seule et même chose conçue sous un seul et même attribut (celui de la Pensée). Ne faudrait-il dès lors pas en conclure que donc les deux idées, ou plutôt les deux façons de concevoir la même chose (le Corps, l'Idée du Corps et l'idée de l'idée du Corps étant la même chose), sont des idées-modes? Or je vois bien que cela n'est pas compatible avec ta proposition de penser les modes par définition sans relation à leur objet, car justement, si on pense la forme de l'idée, c'est tout de même l'idée qui a une idée comme objet. Mais ne faudrait-il pas prendre au sérieux le 'que' du 'absque' qui sépare le 'modus cogitandi' de 'relatione ad objectum'? Ce qui donne: 'l'idée considérée comme une manière de pensée ET sans relation à l'objet'. Dans ce cas, on aurait deux idées-modes, l'une étant l'idée du Corps, c'est-à-dire l'idée ayant le Corps comme objet, et l'autre étant cette même idée du Corps mais considérée sans sa relation avec le Corps, et uniquement dans sa forme à elle. Or considérer quelque chose, c'est en former une idée. La forme de l'idée étant dès lors nécessairement, dès que conçue, l'objet d'une idée (c'est-à-dire l'objet de l'idée de l'idée).
Donc: je vois bien que ceci n'est pas compatible avec ce que tu viens d'écrire. Si je l'écris tout de même, c'est pour me permettre de poser deux questions: d'abord où se trouve selon toi la faute, dans ce raisonnement? Vois-tu quelque chose DANS LE RAISONNEMENT lui-même qui te donne l'impression que cela explique pourquoi ici j'arrive à des conclusions non compatibles avec ce que tu dis?
La deuxième question est une question purement informative: tu te bases uniquement sur ce passage-ci pour proposer de considérer tout mode de l'attribut Pensée par définition sans relation à l'objet, ou est-ce que tu as l'impression qu'il y ait un tas d'autres passages qui confirment que l'idée-mode (donc l'idée conçue sous l'attribut de la Pensée), c'est par définition l'idée sans objet (ce qui m'obligerait à trouver une solution pour le problème qui consiste dans le fait que néanmoins ici Spinoza dit qu'il faut considérer les deux idées, l'idée du Corps et la forme de cette idée ou l'idée de l'idée, sous l'attribut de la Pensée?
Dans l'espoir d'éviter tout malentendu, je répète que ceci n'est pas DU TOUT une demande de justification de ton interprétation, moi-même pensant avoir trouvé quelque chose qui la contredirait telle qu'elle deviendrait fausse. Je ne dispose pas DU TOUT de la connaissance nécessaire pour pouvoir faire ce genre de jugements, et d'ailleurs je suis tout à fait d'accord avec Spinoza quand il propose de remplacer le besoin de justification par la tentative de comprendre. Ce n'est donc que ceci qui m'intéresse: mieux comprendre Spinoza, mieux comprendre ce que tu veux dire. Il est tout à fait possible que tu aies déjà pensé à ce problème il y a longtemps, et que pour toi, il est résolu. Si c'est le cas et si cela ne te demande pas trop de temps pour l'expliquer, alors il va de soi que cela m'intéresse. Si ce n'est pas le cas, donc si tu n'y as pas encore pensé, je peux m'imaginer que ton désir de comprendre puisse éventuellement rendre la question intéressante pour toi. Mais peut-être - et je suppose que ce soit le plus probable - que je t'ai tout simplement mal compris, et que tu voulais dire autre chose par la citation ci-dessus que ce que j'y ai lu. Dans ce cas tu auras peut-être l'impression qu'avec ce que tu as déjà écrit à ce sujet, je devrais pouvoir mieux te comprendre, et alors il n'y a aucun problème, je continue de toute façon à travailler sur tes messages précédents.
Sur cette série de 'caute' ... ,
bonne nuit,
Louisa