Salut sescho,
J'ai le pressentiment que nous n'allons pas tarder à tourner en rond. Mais apparemment ce n'est pas encore le cas.
sescho a écrit :« Je veux toutefois noter en passant que les nouveaux péripatéticiens ont mal compris, à mon avis, la démonstration que donnaient les anciens disciples d’Aristote de l’existence de Dieu. La voici, en effet, telle que je la trouve dans un juif nommé Rab Ghasdaj : Si l’on suppose un progrès de causes à l’infini, toutes les choses qui existent seront des choses causées. Or nulle chose causée n’existe nécessairement par la force de sa nature. Il n’y a donc dans la nature aucun être à l’essence duquel il appartienne d’exister nécessairement. Mais cette conséquence est absurde. Donc le principe l’est aussi. - On voit que la force de cet argument n’est pas dans l’impossibilité d’un infini actuel ou d’un progrès de causes à l’infini. Elle consiste dans l’absurdité qu’il y a à supposer que les choses qui n’existent pas nécessairement de leur nature ne soient pas déterminées à l’existence par un être qui de sa nature existe nécessairement. »
Voilà qui ne prouve rien, puisqu'il n'y a pas moins d'absurdité à croire qu'une définition (peu importe comment on l'appelle) puisse impliquer une existence physique. Nul ne peut répondre à la question : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?", sauf à considérer que l'essence de Dieu soit la même chose que son existence, ce qui me paraît une aberration (mais j'y reviendrai) non moins grande que les autres réponses possibles. D'ailleurs toutes les preuves de l'existence de Dieu se ramènent à la preuve cosmologique, puisqu'elles prétendent toutes passer d'un concept à une existence. Je renvoie au texte "Dieu" d'André Comte-Sponville (in
Présentations de la philosophie) : "
Je ne connais guère de philosophes contemporains qui s'intéressent à ces preuves pour des raisons autres qu'historiques", "
Que cette preuve cosmologique ne prouve rien, c'est assez clair : nous serions autrement tous croyants, ce que l'expérience suffit à démentir, ou idiots, ce qu'elle ne suffit pas à attester."
« Nous doutons de l’existence de Dieu, et par conséquent de toutes choses, tant que nous n’avons qu’une idée confuse de Dieu, au lieu d’une idée claire et distincte. De même, en effet, que celui qui ne connaît pas bien la nature du triangle ne sait pas que la somme de ses angles égale deux droits, de même quiconque ne conçoit la nature divine que d’une manière confuse ne voit pas qu’exister appartient à la nature de Dieu. Or, pour concevoir la nature de Dieu d’une manière claire et distincte, il est nécessaire de se rendre attentif à un certain nombre de notions très-simples qu’on appelle notions communes, et d’enchaîner par leur secours les conceptions que nous nous formons des attributs de la nature divine. C’est alors que, pour la première fois, il nous devient évident que Dieu existe nécessairement, qu’il est partout, que tout ce que nous concevons enveloppe la nature de Dieu et est conçu par elle ; enfin que toutes nos idées adéquates sont vraies. On peut consulter sur ce point les Prolégomènes du livre qui a pour titre : Principes de la Philosophie de Descartes exposés selon l’ordre des géomètres. »
Ce paragraphe ne contient aucun argument mais seulement un commentaire. Je me contente de faire une précision importante :
Si la vallée appartient à la nature de la montagne (ou si la somme des angles d'un triangles est égale à deux angles droits) cela ne vient que du principe d'identité. La montagne est une bosse, et une bosse par définition est une différence de hauteur, et une différence de hauteur par définition implique qu'il existe des points plus bas que d'autres. L'affirmation : "la montagne suppose la vallée" n'est pas fondamentalement différente de l'affirmation : "la montagne suppose la montagne". Ce n'est que le principe d'identité apppliqué à la nature de la chose. Toute la logique est fondée là-dessus.
Donc l'exemple du triangle, ou celui de la montagne, ne sont qu'une formulation indirecte du principe d'identité.
"Dieu est parfait.
La propriété de perfection contient la propriété d'existence.
Donc par définition, Dieu est un être existant."Oui, et alors ? On ne fait, au fond, qu'appliquer le principe d'identité. J'attends toujours qu'on me montre l'existence de Dieu à partir de cela.
« En ce qui touche la première, je conviens qu’en effet de la définition d’une chose quelconque on ne peut inférer l’existence de la chose définie ; cela n’est légitime (comme je l’ai démontré dans le Scholie que j’ai joint aux trois propositions) que pour la définition ou l’idée d’un attribut, c’est-à-dire, suivant ce que j’ai clairement expliqué en définissant Dieu, pour une chose qui est conçue par soi et en soi. Si je ne me trompe, j’ai aussi, dans ce même Scholie, assez clairement expliqué, surtout pour un philosophe, la raison de cette différence. Je suppose, en effet, qu’on n’ignore pas la différence qui existe entre une fiction de l’esprit et un concept clair et distinct, non plus que la vérité de cet axiome : que toute définition ou toute idée claire et distincte est vraie. »
Idée claire et distincte, soit. J'ai une idée claire et distincte de la somme des angles d'un triangle, comme j'ai une idée claire et distincte du fait que A=A, et du fait que Dieu est par nature existant. Mais en quoi cela prouve-t-il l'existence de Dieu ?
« [...] l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre. [...] »
Spinoza postule que l'existence de Dieu ne diffère pas de son essence, alors forcément... On me répondra que Spinoza a défini la substance ainsi, et que c'est son droit. Mais alors il s'agit à nouveau d'une pétition de principe, comme je l'ai suffisamment expliqué.
« [...] si la nature de Dieu nous est connue, l’affirmation de l’existence de Dieu suit de notre nature avec tout autant de nécessité qu’il suit de la nature d’un triangle que la somme de ses angles égale deux droits [...] »
Absurde, mais je ne vais pas réexpliquer pourquoi... De plus Spinoza ne démontre pas que de la nature de Dieu suit son existence, mais l'affirme.
Remarque 1 : Une définition fait appel à des mots qui eux-mêmes appellent une définition, et ainsi de suite à l’infini. Par ailleurs, les mots ne sont que des articulations sonores ou des graphismes qui n’ont aucun sens en eux-mêmes. Dans ce seul cadre, une définition ne peut donc pas avoir le moindre sens, et il serait donc pour le moins difficile d’en faire la base de la rigueur sémantique…
En fait, le sens vient toujours de l’intuition, et ce sens est affirmé par le degré de clarté (vérité) de l’intuition, jusqu’au niveau supérieur de l’ « idée claire et distincte ». Quand on cherche la vérité, on ne peut donc commencer par mépriser le sens, autrement dit la qualité des idées que l’on manie – elle-même perçue intuitivement –, et mettre en parallèle une idée claire et distincte et n’importe quelle construction imaginaire.
On ne peut discourir qu'avec des mots, et imaginer qu'avec des images, ou des sons... La pensée pure n'existe pas. Mais qu'est-ce que cela vient faire là-dedans ? Il reste impossible d'articuler une démonstration de l'existence de Dieu qui ne parte que de principes évidents (c'est-à-dire qui n'utilise pas le principe de raison suffisante pour des choses qui ne sont pas à l'intérieur de la nature, et qui ne suppose pas
a priori que l'essence de Dieu démontre son existence, mais le démontre).
Remarque 2 : Une démonstration nécessite – outre des mots, déjà cités – la Logique, d’une part, et des prémisses (cohérentes) d’autre part. De la même façon, une construction purement démonstrative demanderait à ce que les prémisses soient elles-mêmes démontrées, et ainsi de suite à l’infini. Elle est donc, dans ce seul cadre, impossible. Seules des idées claires et distinctes, intuitives, peuvent servir de base à un tel édifice.
Entièrement d'accord, et c'est bien le problème.
Remarque 3 : La Logique elle-même est un ensemble d’opérations très simples dont la vérité est elle-aussi intuitivement perçue, et qui donc ne se démontrent pas. On peut voir une démonstration en vérité (selon la Logique) sans voir sa conclusion – quoique « juste » – en vérité.
Globalement : le sens vient exclusivement de l’intuition et la vérité de la qualité de clarté, elle-même intuitivement perçue, de l’idée. Ce que permettent les mots, définitions et démonstrations c’est d’orienter le regard intérieur.
Comme je l'ai dit plus haut, la logique n'est que le développement avec des mots du principe d'identité. Ce principe montre que A=A, pas que Dieu existe.
Remarque 4 : Je ne vois pas ce qui interdit a priori qu’une essence enveloppe l’existence. Mais pour que ce soit le cas, il n’y a qu’une solution : l’essence en question est l’existence même : l’Être. Elle inclut nécessairement tout ce qui existe, en tant qu’existant.
Je récuse cette histoire selon laquelle une essence (donc un concept) peut envelopper l'existence, mais j'admets que je ne suis pas vraiment certain de cette impossibilité. Néanmoins, rien ne prouve que ce soit seulement possible (donc la preuve ontologique s'écroule), et, même si c'était le cas, on n'aurait montré qu'une chose, à savoir que
quelque chose existe (ce que je ne nie pas !). Affirmer que cette chose est Dieu, c'est un tout autre problème.
Remarque 5 : Spinoza considère que l’existence de Dieu n’est pas évidente d’elle-même.
...mais il soutient que ses preuves sont valides, ce qui contredit l'avis de tout le monde (ou presque

) aujourd'hui.
Il ne saurait donc poser l’existence de Dieu dans sa définition (à l’encontre de quoi, il y aurait par ailleurs pétition de principe, puisqu’il prétend la démontrer.) S’il ne pose pas l’existence avec Dieu, c’est qu’il la pose avec autre chose : la certitude qu’il y a quelque chose et non pas rien, qui est universellement admise, et que l’on peut légitimement supposer venir de la perception (au travers des sensations) des choses singulières (comme le dit Shankara dans son commentaire de la Baghavad Gîta, il y a « connaissance d’existence »).
Que quelque chose existe, je ne pense pas qu'on puisse le démontrer, puisque toute démonstration le suppose. On ne peut que le constater. Mais ce n'est pas un problème, puisque je suis d'accord pour dire que quelque chose existe. Seulement, Spinoza utilise l'argument ontologique pour montrer que cette chose est un dieu.
Remarque 6 : Je nie fermement qu’on puisse avoir une idée claire et distincte du lien entre Matière et Pensée, la neurobiologie – qui appartient à la Pensée – étant intégralement dévolue à l’étude de la Matière. Il n’y a en particulier aucune idée claire et distincte que le cerveau est le siège des pensées (et c’est pourquoi les anciens, lorsqu’il voulaient lui donner un siège, la plaçaient souvent ailleurs) ; c’est une connaissance « rapportée ».
Je suis d'accord avec le début, mais quand tu dis que le cerveau n'est pas le siège de la pensée, je comprends mieux pourquoi tu crois aux preuves de Spinoza...
Au sujet de tes axiomes et de tes déductions :
J’extrapole donc en disant que les limites que je vois sont en fait les limites de « mon » esprit et que je ne peux inversement limiter a priori la Substance en quoi que ce soit. J’affirme donc a contrario a priori de la Substance unique une infinité de dimensions de l’Être, ou Attributs, bien que n’en percevant que deux.
Le problème est ici. Quand tu dis "je ne peux pas limiter a priori la substance", tu parles non seulement de l'espace mais de la nature des attributs et de leur nombre. Par conséquent, tu appliques le principe qui veut que "toute chose qui n'est pas empêchée d'exister par telle ou telle mode de la nature existe nécessairement". Principe que j'ai déjà largement dénoncé pour être douteux à souhait, en ce qui concerne la nature elle-même.