1) On est ici sur la partie "actualités" du forum, qui autorise donc des réflexions sur l'actualité. Autant que possible comme le dit à juste titre Enegoid en faisant le rapprochement avec la philosophie de Spinoza, de façon à s'en servir comment instrument d'analyse là où le jugement réfléchi cède bien souvent le pas au slogan.
2) C'est intéressant pour moi de savoir ce que pensent d'autres lecteurs de Spinoza de questions apparemment sans rapport direct avec cette philosophie, quoique la question du déterminisme génétique était quand même difficile à éviter sur ce coup là. J'ajouterai que la philosophie de Spinoza a une dimension politique bien connue et qu'il serait tout à fait contraire à son esprit qu'on n'en discute que dans l'abstrait, sans jamais en faire un instrument pratique de jugement, voire d'action politique (à commencer par l'acte de voter).
3) Je pars du principe qu'on peut ici avoir des débats politiques respectueux et approfondis, du fait que ce site n'attire pas trop naturellement ceux qui se contentent de slogans ou cherchent à faire de la propagande. Et j'irai même plus loin, je pense qu'on peut être lecteur de Spinoza et être foncièrement en désaccord sur certains points, politiques notamment, sans que cela remette en cause l'amitié philosophique que notre point commun permet. J'en appelle donc ici à la civilité, si ce n'est à la concorde, sans exclure le débat franc et les oppositions tranchées. Merci !
Venons en donc au débat de fond :
a) Je demande à nos amis sarkozystes comment on peut concilier les déclarations de votre candidat sur la génétique (dont j'ai expliqué
ici l'opposition avec une conception déterministe de type spinoziste) avec le principe de justice qu'exprime la devise républicaine "liberté, égalité, fraternité" ? (voir les arguments ci-dessous avant de répondre svp).
Spinoza définit classiquement la justice dans une société comme l'acte de rendre à chacun ce qui lui revient, ce qui implique une égalité formelle entre les membres de cette société du point de vue de cette justice, le critère pour déterminer ce qui revient à chacun étant avant tout l'établissement et le maintien de la concorde, c'est-à-dire l'unité des coeurs et des esprits dans une société, qui n'est pas la seule absence de violence mais la possibilité d'agir ensemble à des projets communs. On connaît par ailleurs la haute idée que Spinoza se fait de la liberté d'un point de vue politique. Ainsi, liberté, justice, concorde ou liberté, égalité, fraternité, c'est très proche.
Comment donc, si on naît pédophile, ou bien délinquant, ou bien suicidaire, comme "incline" pour sa part à le penser Sarkozy, l'Etat pourrait-il traiter équitablement ceux qu'il ne tardera pas à se donner
les moyens de dépister avec des méthodes "scientifiques" comme les régimes totalitaires n'ont pas hésité à le faire ? Fiché comme prédélinquant à 3 ans et demi parce que vous avez mordu votre dentiste, fiché comme pré-pédophile à 8 ans parce que vous avez soulevé la jupe d'une gamine de 2 ans de moins que vous dans la cour de récréation, où sont ici la liberté, l'égalité et surtout la fraternité ? Comment une société pourra-t-elle se comporter avec ceux qui seront dès leur plus jeune âge mis à l'écart à cause de crimes dont on suppute qu'ils les commettront dans un avenir certain ? Comment imaginer que seraient traités avec la même impartialités ceux qui seraient accusés de crimes de ce genre après avoir été "dépistés" dans leur jeunesse d'une façon ou d'une autre ?
b) Dans cet ordre d'idées, Sarkozy oppose systématiquement les Français les uns aux autres pour mieux régner : ceux qui se lèvent tôt et ceux qui glanderaient au lit au crochet de l'assistance publique, ceux qui exercent leur droit de grève et ceux qui seraient insupportablement empêchés de travailler à cause de ce scandale, ceux qui jugent inacceptable que des resquilleurs soient impunis et ceux qui soit-disant soutiendraient ces resquilleurs parce qu'ils se demandent si la police n'a pas abusé de son pouvoir etc. etc. Certes, en cette période de second tour, notre candidat met de l'eau dans son vin, mais Dieu sait qu'il a gouverné comme cela depuis des années en tant que ministre de l'intérieur, opposant les braves gens qui le soutiennent à ceux qui manifestant contre lui pour l'histoire du mot "karsher" étaient désignés comme les "racailles" qui empêchaient la brave dame de dormir. Il est clair que dans une vision spinoziste et par ailleurs républicaine de la société, l'art politique consiste à gouverner avec tous et pour tous en vue de la concorde et non diviser pour mieux régner, non exclure a priori ceux qui manifestent un désaccord quelconque (Ah il fallait voir encore ce soir comment la journaliste Arlette Chabot, qui osait poser quelques questions un peu gênantes pour le candidat, était systématiquement obligée de se justifier "non, c'est seulement une question ; non c'est l'argument de certains, qu'y répondez vous"...). Je renvoie ici bien sûr au
chapitre 20 du TTP.
c) Ensuite, Sarkozy utilise beaucoup la peur pour gouverner : exemple bien connu, après avoir mis de l'huile sur le feu des banlieues par des provocations destinées à s'attacher les suffrages d'extrême droite, il provoque des émeutes comme jamais le pays n'en avait connu, parle de la situation catastrophique où le pays se trouve et se fait passer ensuite pour le pompier dont la France a besoin pour éteindre le feu des banlieues. Il suffit de lire ce que Spinoza dit de l'utilisation de la peur par les tyrans dans le TP pour se convaincre que Sarkozy est un danger pour la république.
d) Par ailleurs, l'histoire est riche d'intellectuels qui ont été fascinés par l'obscurité que dégageaient certains politiques. Mais Spinoza, le rationaliste absolu, contempteur des superstitions les plus inaperçues de nos consciences, ne peut être mis de ce côté. Il y a là une opposition claire avec Sarkozy, ministre des cultes
ami des sectes qui reçoit Tom Cruise le scientologue comme un chef d'Etat avec qui on négocie bon train, facilite le statut d'association cultuelle pour les Témoins de Jéhovah afin qu'ils paient moins d'impôts et puissent ainsi croître plus facilement dans le pays, sachant qu'il a bien expliqué dans un livre consacré aux religions qu'il voulait réformer la loi sur la laïcité de 1905, voyant dans ce qu'il appelle la "spiritualité" un moyen d'obtenir la paix sociale bien plus efficacement que n'importe quelle mesure de justice sociale ou même de répression policière (toujours plus coûteuse tout de même que des cultes puissants et financés par la contribution nationale). Un républicain, héritier des Lumières, peut-il se reconnaître dans cette volonté de redonner aux religions, quelles qu'elles soient, le statut d'opium officiel du peuple ?
e) Enfin, pour en finir aujourd'hui, mais il y aurait encore beaucoup à dire, Spinoza est le premier philosophe favorable à la démocratie en laquelle il a su voir le moyen le plus naturel et efficace d'établir une paix durable entre les hommes qui ne se réduise pas à la paix des cimetières qu'offrent les régimes autoritaires et dictatoriaux. Comment un démocrate authentique pourrait-il défaire ce que le peuple souverain a fait ? Le peuple français - le seul qui ait été véritablement consulté directement et qui ait eu le temps d'un véritable débat public - a demandé à l'Europe de revoir sa copie en matière de constitution. Défaire ce que le peuple a fait peut-il être démocratique ? Pour un démocrate authentique, seul le peuple directement consulté peut défaire ce que le peuple a fait (ou faire ce qu'il a défait). Sarkozy, comptant se faire élire sur la base de son charisme personnel, son programme anti-immigrés et ses nombreux soutiens médiatiques veut passer par dessus cette volonté directement exprimée en faisant voter la première partie du Traité refusé par le parlement, sous prétexte que tout le monde le trouverait très bien alors qu'il contient justement dès ses premières lignes l'affirmation des principes néo-libéraux qu'il prétend aujourd'hui remettre en cause en partie en remettant en cause l'indépendance de la BCE.
Certes, face à tout cela, Ségolène Royal ne représente pas le paradis sur terre et tout n'est pas horrible, loin s'en faut chez Sarkozy, mais Royal axe au contraire son programme sur le "donnant-donnant", ce qui est une autre façon de parler de concorde, vise à réconcilier salariés et employeurs, ne remet pas en cause la laïcité et s'engage à renégocier un traité européen acceptable par la France qui ne fera pas l'impasse d'un nouveau référendum. On peut trouver beaucoup de défauts à Royal, et j'en trouve, mais "entre deux maux, la raison nous fait choisir le moindre." (Ethique IV, 65)