Pourquoipas a écrit :Chère Louisa,
J'ai passé l'âge de recevoir des leçons de morale. De plus, je ne suis pas un sage ni un homme libre, j'essaye seulement. Mais je sais que l'orgueil et la suffisance doivent être combattus, pour le bien même de celui qui y est sujet et celui des autres. Le côté "moi je sais, toi ta gueule !" m'a toujours été insupportable (et ce chez mes professeurs même).
S'y mêlait aussi un côté "imitation des affects" (je réagissais au mépris que semblait exprimer Faun - il y avait dans sa réflexion sur les "paresseux" un côté "sarkozyste sauce Spinoza" : "Travailler plus pour gagner plus de béatitude ?").
Mais il est vrai qu'avec l'un des membres de ce forum, peu présent actuellement, j'ai été à bonne école en orgueil, mépris, etc.
Je présenterais bien mes excuses à la part de Faun qui est vraiment en recherche de liberté, salut, etc., mais elle n'en a pas besoin parce que ce n'est pas à elle que je m'adressais.
Cher Pourquoipas,
si mon but n'était nullement de moraliser, je peux bien comprendre comment mon message peut donner cette impression, et c'était en fait précisément de ce genre de problème que je voulais parler.
Car que fait mon message? D'abord et avant tout (nobody's perfect ...

) exprimer une Tristesse: celle que je ressens quand je lis la partie méprisante de certains messages ici. Cela, Spinoza semble nous dire, est assez normale: j'aime bien le sujet en discussion, j'aime bien en discuter et entendre différentes opinions. Dès lors, j'aime bien aussi les messages de Faun, car ils me permettent d'essayer de mieux démontrer pourquoi je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit. Alors inévitablement, je m'imagine cette discussion comme étant la cause extérieure de mon bonheur. Si en revanche je lis des attaques ad hominem, je ne peux que constater que du mal est fait à ce que j'aime. Et donc du coup, je ressens de la Haine pour ce que je m'imagine être la cause de ce mal: les pseudos 'Pourquoipas' et 'Miam'. Rien de moins inévitable, nous dit Spinoza.
Or toute la question est: quoi faire, dans ce cas? C'est également la question que je voulais poser dans mon message précédent: si par exemple vous deux, vous avez l'impression que les messages de Faun provoquent chez vous davantage de Haine que d'Amour, quoi faire, autrement dit, que Spinoza conseille-t-il de faire? C'est là qu'éventuellement nous pensons différemment, je crois (c'est-à-dire: nous interprétons Spinoza différemment - raison pour laquelle je croyais que cela valait la peine d'aborder ici le problème).
Car si j'exprime ici ma Tristesse, comment vous deux pourriez-vous ne pas en déduire que je veux vous dire ce qu'il faut faire, et que je désapprouve vos comportements, bref comment ne pas avoir l'impression que je veux donner une leçon de morale? Or nous savons bien que la morale et Spinoza, cela ne va pas très bien ensemble. Du coup, il est certain qu'en exprimant ma Tristesse, je peux toujours réussir à moraliser, ce n'est pas comme ça que je vais obtenir de vous un autre comportement, bref ce n'est pas comme ça que je vais pouvoir augmenter ma puissance d'agir. Je peux éprouver au maximum une Joie triste, c'est-à-dire espérer qu'en moralisant, je vous ai fait un peu de mal, donc j'ai un peu diminué votre puissance d'agir, ce qui devrait vous rendre moins puissant donc moins apte à me causer du mal. Et n'est-ce pas le même 'remède' que vous appliquez à Faun? Essayons de le mépriser un peu, qu'il se sente un peu plus mal, dans l'espoir qu'il aura moins de puissance de nous embêter?
Or si tout cela, à mon sens, Spinoza explique très bien, et si c'est clair que moi-même je ne suis pas moins soumise à ce genre de mécanismes que vous, ne faut-il pas aussi se dire que pour Spinoza, tout cela ne relève que du premier genre de connaissance? Nous ressentons un mal, nous croyons en avoir une connaissance, nous essayons de diminuer la puissance de celui qui est cause extérieure du mal. Or pour Spinoza, toute connaissance du mal est une connaissance inadéquate. Tout ce mécanisme ... relève donc de la pure imagination.
Dans le deuxième genre de connaissance, nous devons comprendre - dit à mon sens Spinoza - qu'en faisant du mal à l'autre, en le rendant Triste, nous ne lui rendons EN RIEN plus capable d'avoir des idées adéquates, au contraire même. Car qui dit diminuer la puissance d'agir dit diminuer la puissance de penser, c'est-à-dire diminuer la chance d'avoir des idées adéquates. Or, ce qui nous dérange précisément chez l'autre, c'est le fait de constater qu'à nos yeux, il a une idée inadéquate (idée inadéquate par rapport à la théorie spinoziste, ou idée adéquate consistant simplement en de l'orgueil, du mépris etc). Alors comment espérer qu'il va cesser de l'avoir si nous diminuons activement (c'est-à-dire consciemment) sa puissance de penser .. ? Autrement dit, comment croire que la cause de notre propre Tristesse (lire ses idées) va cesser d'exister si nous rendons l'autre encore moins apte à penser la vérité .. ?
Bref, à mon sens si Spinoza a quelque chose contre le mépris, ce n'est pas parce que moralement, on ne pourrait pas accepter une telle 'valeur'. C'est tout simplement parce que le mépris est TOTALEMENT inefficace quand il s'agit d'augmenter et sa propre puissance d'agir, et celle de celui qui méprise. A mon sens, il démontre, de façon non moralisant mais simplement en essayant de comprendre, que la chose la plus contraproductive que l'on puisse faire par rapport à quelqu'un dont nous imaginons qu'il méprise, c'est le mépriser à notre tour. D'abord, en le méprisant, on nous rend déjà nous-même plus Triste. Puis on ne peut que rendre l'autre MOINS capable de comprendre. Bref, on ne peut que tourner en rond dans l'inadéquation.
Puis le repentir (les excuses), n'est-ce pas un affect du même genre: Tristesse, donc à éviter?
Enfin en ce qui concerne le sarkozysme: étant de gauche moi aussi j'ai parfois des difficultés à ne pas m'attrister quand je lis ce genre d'idées, et cela en effet précisément parce que j'ai l'impression qu'il y a au fond, dans ces idées, beaucoup de mépris pour l'autre et surtout pour le moins puissant. Or suffit-il d'être de gauche pour NE PAS mépriser les moins puissants? Je crains que non. De notre point de vue, les sarkozystes ont un tas d'idées inadéquates. Cela ne devrait-il pas nous faire conclure que dès lors, malgré les jogging matinaux et les gestes énergiques, ils s'agit de gens peu puissants? Et si oui, si l'on est contre l'idée de mépriser les peu puissants, ne faudrait-il pas plutôt essayer de les aider, ce qui veut dire essayer de leur faire comprendre ce que nous pensons être la vérité, ce qui veut dire tout simplement discuter avec eux sur pied d'égalité, au lieu de les mépriser?
Conclusion: si le fait de haïr celui qui nous méprise semble être totalement compréhensible, dans un spinozisme, Spinoza n'est-il pas aussi celui qui justement ne croît pas DU TOUT en la 'guérison' de celui qui méprise en le traitant de façon méprisante? Le repentir étant inefficace, le mépris ne l'est-il pas tout autant? Spinoza ne croît-il pas avoir trouvé un bien qui 'se communique', au lieu de croire en la 'répression' du mal comme remède contre la stupidité? N'est-ce pas d'ailleurs cela aussi, une des grandes différences entre les hypothèses de base de la gauche par rapport celles de la droite?
C'est en tout cas une des raisons pour lesquelles moi-même je crois que Spinoza était foncièrement de gauche, mais bon, il se fait qu'il y a des spinozistes ou des gens qui s'intéressent à Spinoza et qui sont de droite. Or Spinoza préconisant avant tout la connaissance et la compréhension, cela ne signifie-t-il pas qu'il est toujours intéressant/important de discuter de l'interprétation de Spinoza avec des gens de droite (ou que nous percevons comme étant de droite), et cela tout simplement pour mieux savoir si c'est nous qui avons raison ou s'il y a tout de même moyen de faire de Spinoza un crypto-sarkozyste (dans ce cas, ce serait très dommage pour les spinozistes de gauche, mais au moins ils auraient mieux compris Spinoza, ce qu'en tant que spinoziste on ne peut tout de même pas trouver un gain négligeable.. )?
Il ne s'agit guère de 'juger' vos comportements ici (il est clair qu'en général j'admire beaucoup l'érudition de vous deux - l'admiration étant hélas un affect inefficace aussi ...), mais simplement de poser la question quant à l'interprétation de la pensée spinoziste appliquée à ce genre de situations. C'est par rapport à cela seulement que cela m'intéresse de savoir ce que vous en pensez, et cela précisément parce que j'ai l'impression qu'en général, sur l'essentiel de l'interprétation de Spinoza nous sommes très souvent d'accord.
Amicalement,
Louisa