Louisa, permet moi de rebondir sur certaines parties de ton message. Je l'ai trouvé très intéressant et clair dans son ensemble mais je n'ai pas ton aisance ni tes connaissances pour exposer facilement mes idées, et mes explications deviennent vite laborieuses. Aussi je ne commente ici que ce sur quoi je me sens assez à l'aise (et encore...) J'espère qu'infernus te répondra de façon plus étendue et érudite.
Louisa a écrit :Et on sait que pour Spinoza, à l'intérieur d'un attribut il y a causalité d'un mode sur un autre (c'est même la seule causalité qu'il accepte, au niveau modale). Dès lors, la question devient: est-ce qu'une idée appartenant à l'Esprit de Paul peut, en tant que telle, causer une idée appartenant à l'Esprit de Pierre?
Je m'avance, mais ne peut-on pas imaginer que pour Spinoza la causalité entre idées (et pareillement entre corps), ne fait que figurer une causalité (la seule) sous-jacente, non manifeste mais réelle et propre à la substance et sur laquelle nous ne pourrions rien dire hors de ce que l'on déduit de ses affections sur différents attributs ? Autrement dit, la causalité se situe-t-elle vraiment au niveau des modes, les modes sont-ils concrètement les "moteurs" de la causalité, ou au contraire les modes ne font-ils que refléter sous certains aspects manifestes le véritable processus en cours dans la substance ? Je mentionne cependant que c'est par cette hypothèse que j'entrevois depuis le début de lourds problèmes métaphysiques, plus précisément concernant la nature de ce processus dans la substance, mais je ne m'expliquerai éventuellement que si j'ai un écho concernant cette idée que j'avance sans savoir s'il est peut cadrer avec la philosophie de Spinoza.
Louisa a écrit :j'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir, mais pour l'instant, même si j'y ai appris un tas de choses, je reste sceptique quant à l'idee principale. Car si le titre est bel et bien 'la conscience expliquée', simplement dire que la conscience n'est qu'une illusion ne me semble pas vraiment être une 'explication', c'est plutôt jeter le bébé avec l'eau du bain. Donc comme tu le dis: pour moi cette théorie ne résoud PAS le problème corps-esprit.
Oui c'est l'impression qu'il donne à plusieurs de ses détracteurs, de seulement feindre d'expliquer la conscience en ignorant la question essentielle qui nous intéresse, à savoir celle qui concerne la nature de l'expérience subjective. Pour ma part je ne suis pas aussi catégorique que toi, j'ai le sentiment qu'il tient là une part de la réponse. C'est aussi ce qu'il prétend. Je veux dire par là qu'il a conscience des critiques qu'on lui oppose et qu'il pense que sa théorie couvre bel et bien le champs de l'expérience intime, il faut peut-être lui "donner sa chance". Je vais tenter de m'expliquer mais je ne garantie pas que ce soit très intelligible. Mon impression, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'une certitude ni d'une compréhension, est que suivant son modèle, dès qu'il y a pertinence (dans un cadre compétitif) d'un processus vecteur de signaux (un processus neurologique), alors il devient légitime de parler d'
information, et que l'information
est la conscience. En effet, et j'ai le sentiment que Dennett n'est lui-même pas clair sur ce point, l'information n'a de sens que relativement à l'expérience subjective. Il n'y a pas, en soi, d'information dans l'univers. L'information est ce que le sujet "extrait" de l'univers et qui constitue sa nature (au sujet, qui est à entendre ici de façon non-dualiste et non comme un spectateur). Pour schématiser, conscience = information = sujet. Pour envisager la légitimité de l'hypothèse de Dennett et de mon interprétation très personnelle de celle-ci, il faut postuler que l'univers est ainsi fait qu'il y a conscience, c'est-à-dire information manifeste (et l'information est
toujours manifeste comme je viens de le suggérer), lorsque le processus physique à l'oeuvre s'inscrit dans une logique d'évaluation du signal, ou logique "computationnelle". OR à mon sens, TOUT dans l'univers s'inscrit dans une telle logique et plus globalement dans un cadre darwiniste, mais à des niveaux très différents. Dans le cerveau humain, la capacité de computation est si intense et si complexe qu'il se forme une sorte d'îlot de conscience duquel découle une trompeuse impression d'unité (qui n'est pas à confondre avec l'autre illusion d'unité, plus "grave" celle-là, constituée par le "moi" qui procède l'identification à l'ego). Vu sous cet angle, la conscience serait en quelque sorte un "plan" de la réalité qui serait déterminé par la matière, mais qui n'aurait aucun pouvoir de détermination sur sur celle-ci. Il faut comprendre ici que ce "plan" est contingent, il n'existe pas de manière absolument nécessaire, il n'existe que dans la mesure où il y a de la matière qui compute, mais puisque toute matière compute, il existe constamment.
Tout cela nécessiterait d'être clarifié, bien entendu. D'ailleurs ce n'est peut-être qu'un délire personnel, car en fait je n'y connais pas grand chose, ni en philo, ni en sciences cognitives.
Tout comme toi je suis convaincu par les explications de Dennett concernant le théatre cartésien. Et merci d'avoir très bien synthétisé sa théorie ! Je ne savais pas par quel boût m'y prendre, j'ai donc préférer m'en tenir à la mentionner au passage.
Louisa a écrit :C'est le réseau lui-même qui contient la conscience. Du moins dans son aspect corporel. Et on pourrait effectivement se demander pourquoi, dans ce cas, il faudrait encore parler d'un 'esprit', puisqu'on n'a plus besoin d'un spectateur?
Oui, peut-être faut-il abandonner l'idée de plusieurs esprits séparés, comme je le suggère dans ma "théorie" ?

Enfin une chose est certaine pour moi, et je tiens cela de mon étude des spiritualités non-dualistes, les phénomènes de conscience (perceptions, pensée, ...) n'adviennent pas à "quelqu'un" ni à un spectateur d'aucune sorte, mais ils adviennent, "tout court". La pratique de la constatation de cette vérité est une porte d'accès à l'Eveil : quand je regarde, et que je constate qu'il n'y a personne qui regarde mais qu'il n'y a que la vision, non-duelle, je permet la dissolution de mes préjugés égoïques (inadéquats?) dans ma simple présence. Cela rejoint Spinoza lorsqu'il parle d'abandonner l'idée des causes extérieures, mais c'est un autre sujet.
Louisa a écrit :Seulement, il y a d'autres conceptions de l'esprit possibles, notamment celle de Spinoza. Et alors je ne vois pas ce que Dennett pourrait avoir montré qui irait à l'encontre de la conception spinozienne, il ne traite tout simplement pas de ce problème, il me semble.
Il me semble que tu réponds toi-même à cette question, ici :
Louisa a écrit :j'aurais tendance à dire que les implications métaphysique de Dennett, c'est qu'il faudrait abandonner toute possibilité de 'causalité spirituelle', de causalité d'idée à idée. Donc de toute interaction qui serait non corporelle.
Dennett s'inscrit dans un monisme matérialiste, malgré que nous soyons d'accord pour dire que sa théorie est comme tronquée de la part "spirituelle" et est par conscéquent incomplète.
Louisa a écrit :Moi-même pour l'instant j'ai préfère croire à l'existence d'un tel type de causalité (mais cela ce n'est que depuis que j'ai lu Spinoza, avant j'étais plutôt 'matérialiste'). Pourquoi? Parce que j'ai l'impression que pe l'idée de culpabilité, c'est une idée qui en tant que telle, si on l'apprend à un enfant pe, aura des effets sur sa personnalité et sa vie entière.
Bien sûr mais nous n'avons pas besoin de la 'causalité spirituelle' pour cela. Si l'idée en tant qu'expérience mentale ne fait qu'émerger de processus neurologiques, cela est autant valable pour la mère que pour l'enfant. Vu de "l'extérieur", une mère transmettra certaines idées à son fils, il y a aura des "effets negatifs" chez l'enfant qui lui apparaitront comme étant de la culpabilité, etc, même si fondamentalement tout n'aura été qu'échange physique. Les monistes matérialistes cherchent eux aussi à rendre compte de la réalité telle qu'elle est, et ne peuvent donc pas nier l'influence de l'éducation, seulement elle ne se passe pas forcément là où on le croit.
Louisa a écrit :Bien sûr, on pourra peut-être un jour trouver dans le cerveau de quelqu'un qui fonctionne avec l'idée de culpabilité quelque chose de différent de ce qui se passe dans le cerveau de quelqu'un qui vit dans une culture où cette idée est peu présente.
Cela me semble une certitude, peu importe le modèle philosophique auquel on adhère. Il doit toujours y avoir une forme de correspondance, au moins partielle, entre l'esprit et le corps, autrement on n'explique plus rien. Là où les différences se situent d'un modèle à l'autre, c'est principalement dans le "comment" de cette correspondance. Est-elle une "nécessité métaphysique" (ce que je crois comprendre de Spinoza), un effet de l'influence, totale ou partielle, du corps sur l'esprit (matérialime), ou un effet de l'influence de l'esprit sur le corps (idéalisme), ou un mélange des deux (Descartes), etc.
Louisa a écrit :Cela n'empêche qu'éventuellement, la manière de penser qu'implique la notion de culpabilité (la doctrine chrétienne pe), pourrait en tant que telle avoir d'autres effets qu'une autre manière de penser. Qu'éventuellement les idées se communiquent en tant qu'idées ou par le moyen du corps n'y change rien.
La manière de penser "pourrait" avoir un effet, oui, mais cela n'est pas encore une certitude, en ce qui me concerne. Et je ne pense pas que la manière dont se communique l'idée n'y change rien. Si on envisage que l'idée n'est que pur effet, causée par le corps, ce n'est pas l'idée de culpabilité qui sera à l'origine d'un mal-être, mais plutot un mal-être qui se traduira, par correspondance, par l'idée de culpabilité.
Louisa a écrit :Cela est important car cela implique que la philosophie, pe reste une activité 'cruciale' pour 'l'humanité', au sens où SI une manière de penser entraîne certaines choses et en empêche d'autre, ALORS travailler sur le niveau purement intelligible de l'existence humaine est très important
Peut-on seulement arrêter de réfléchir ? Si il n'y a pas de causalité spirituelle, le fait de le savoir ne pourra pas avoir comme effet que l'on cesse de réfléchir, puisque précisément on viendra de postuler que le savoir est inapte à produire un effet. Donc je ne m'inquiète pas trop à ce sujet !
Lousia a écrit :La question est de savoir si cela vaut la peine de travailler sur des 'idées pures', si on est fondamentalement matérialiste. Et de savoir si un travail purement 'idéelle' est seulement possible, quand on est matérialiste, a fortiori quand on est un philosophe matérialiste ... ?
Je me répète, mais si l'on est matérialiste radical, sans pour autant nier l'expérience subjective (ce qui serait ridicule), alors le "travaille sur les 'idées pures'" se produit en quelque sorte spontanément, il ne saurait être question de cesser de réfléchir. Pour cesser de réfléchir, selon le point de vue matérialiste, il faudrait stoper la matière, or nous n'avons pas un tel pouvoir. Le travail intellectuel n'est que le reflet d'un travail matériel, il doit donc perdurer.
Ceci dit, tes dernières remarques soulèvent la question du libre arbitre et de la place de la réflexion intellectuelle dans la conception du bonheur spinoziste, et je pense que c'est un sujet sur lequel on pourrait s'étendre longuement encore. J'ai le sentiment que Spinoza, en postulant un déterminisme implacable, nous incite à calmer nos prétentions à maîtriser le monde, il nous guide vers une écoute de soi, plus silencieuse. La réflexion n'est pas écartée, mais est-elle le moteur du bonheur ? J'en doute...