Bonjour à tous,
J'ai lu beaucoup de choses sur ce fil qui m'ont donné à penser. J'en remercie donc les participants. Comme le premier message de ce fil me visait directement, je me permets de le reprendre, d'autant qu'il me semble - mais je n'ai peut-être pas tout lu assez à fond - que certains points n'ont été discutés que partiellement. Je m’efforcerai de tenir compte des discussions qui ont succédé mais je ne puis promettre de le faire exhaustivement.
C’est encore bien long, mais l’importance de la question le justifie tout de même. Je ne demande pas qu’on réponde point par point à tout ce que je dis mais que l’on s’efforce de lire et de comprendre l’ensemble avant de se proposer de me critiquer sur tel ou tel point (il y aura souvent certains points qui en eux-mêmes pourront paraître discutables mais il faut autant que possible tenir compte du contexte).
zerioughfe a écrit :...Les preuves de l'existence de Dieu sont à mon avis le seul point faible de la philosophie de Spinoza (...) J'ai lu les arguments de Henrique, qui m'ont impressionné, mais pas convaincu

J'aimerais néanmoins mieux comprendre sa position.
Eh bien j'espère que tu es toujours dans cette disposition là.
I)
Critique de l'argument ontologiqueTout le piège est de croire qu'une définition peut suffire à impliquer l'existence de quoi que ce soit. Une définition, en effet, ne peut impliquer qu'une existence conditionnelle (conditionnée par l'existence de l'objet qu'elle définit), ce qui conduit à la pétition de principe de l'argument ontologique...
Il me semble que tu parles de la définition par genre et différence auquel cas, oui, aucune définition ne peut impliquer une existence. Car une telle définition ne pose qu'une abstraction. L'homme comme "animal raisonnable" n'existe nulle part et ce concept n'a de sens qu'a posteriori, si l'on rencontre des vivants capables de raisonner. Les définitions dont part Spinoza sont des définitions génétiques : elles expriment ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est et pas autre chose, autrement dit son type de nécessité propre, toute chose ne contenant bien évidemment pas sa nécessité dans son essence. Il y a celles dont la nécessité se comprend par l'existence d'autres choses
en raison même de leur essence parce qu’elle enveloppe quelque finitude, il n'est donc pas interdit a priori qu'il puisse y avoir également des choses dont la nécessité se comprend à partir de leur propre essence, mais nous verrons cela plus tard.
Un défaut de compréhension que tu manifestes de façon récurrente dans ton argumentation, c'est que tu pars du principe qu'une définition peut poser n'importe quoi pour peu que cela ne soit pas contradictoire, ce qui revient à dire qu'une définition ne pose qu'une chose possible, tu as alors beau jeu à la suite de Kant, d'en déduire que l'on ne peut tirer que l'existence possible de "quelque définition que ce soit".
Je m'explique. Revenons à l'exemple de la vallée :
Dans le monde des concepts, la vallée appartient à la montagne. Donc si une montagne existe, alors la vallée existe aussi. (existence conditionnelle).
Une fois admise en réalité l'existence de la montagne, alors celle de la vallée n'est pas du tout conditionnelle : elle est nécessaire. Je vois bien que tu dis que la vallée existe à condition que la montagne existe et j'en suis tout à fait d'accord, mais ce que tu ne sembles pas voir avec assez d'attention, c'est que je n'ai pas besoin de constater empiriquement l'existence de la vallée pour savoir a priori qu'elle existe nécessairement ; une fois la montagne admise, je sais même sans l'avoir constaté empiriquement qu'il y aura une vallée parce que celle-ci est une propriété nécessaire de la montagne.
La logique étant universelle, il en va de même pour la définition de Dieu :
Dans le monde des concepts, l'existence appartient à Dieu. Donc si Dieu existe, alors Dieu existe aussi
. C'est là aussi une existence conditionnelle : les deux "
Dieu existe" n'ont pas, sur le plan logique, le même statut. Oublier le premier est objectivement une erreur.
Ce n'est bien sûr pas comme cela que Spinoza raisonne, il n'est pas si bête ! Tu dis que tu as de l'admiration pour lui et en même temps tu lui reproches de faire des erreurs de logique qu'un enfant de 6 ans ne commettrait pas ! Il n'y a pas ce redoublement de l'existence que tu veux voir. Si l'existence est une propriété qui se déduit nécessairement de l'idée adéquate de Dieu, alors il n'y a pas lieu d'en supposer une deuxième qui se superposerait à la première. Autrement, l'existence ne se déduirait pas
nécessairement de cette idée et c'est bien au fond ce que tu dis tout en faisant mine de reconnaître que "dans le monde des concepts", l'existence de Dieu est nécessaire : « l'existence de Dieu étant d'ordre conceptuelle, elle ne saurait être que possible », ce qui montre que tu ne comprends pas la nécessité réelle de cette existence.
Ce qui fait que tu ne le comprends pas, c'est que tu pars d'un présupposé dualiste : il y aurait le monde des concepts - que tu caractérises a priori et sans véritable justification comme étant le monde des possibles - et il y aurait le monde réel, dont on suppose que c'est pour toi le monde sensible. En raison de ce dualisme, tu ne peux rien connaître comme absolument nécessaire car pour connaître, il faut utiliser des concepts, or pour toi tout concept est l'idée d'une simple possibilité. D’une certaine façon, je dirais que j’ai été bien plus sceptique que toi, il y a bien des choses dont tu ne remets jamais
sérieusement en cause l’existence comme ce dualisme et le matérialisme qui s’en suit chez toi, ce qui fait que tu restes prisonnier de façons partielles de comprendre.
La démarche de Spinoza telle que je la comprends, puisque c'est surtout cette compréhension que tu critiquais, c'est que si l'existence de la vallée peut se déduire nécessairement de l'existence de la montagne, sans qu'on ait pourtant vu la vallée, il y a un pouvoir de la pensée rationnelle de connaître a priori ce qui est réel. Mais à partir d'une connaissance a posteriori me diras-tu : la montagne. Je réponds que ce qui me fait savoir que la vallée existe alors nécessairement, c'est l'essence de la montagne et non son existence. Si je ne considère que l'existence de la montagne, je ne connais rien de plus. Je ne sais certes pas qu'une vallée réelle existe dès lors que j'ai le concept de la montagne, mais en raison de ce concept, je sais qu'une fois posée l'existence de la montagne, il s'ensuit nécessairement celle de la vallée.
Mais je n'ai jamais dit que cet exemple nous montrait qu'une fois posée l'existence de Dieu, alors l'existence était nécessairement posée ! Toute ton incompréhension vient de la confusion systématique entre ce dont l'existence s'explique à partir de l'existence d'autre chose, i.e. les choses finies, et ce dont l'existence s'explique à partir de son essence, i.e. ce qui est absolument infini. Cet exemple ne visait qu'à montrer qu'il y a un pouvoir a priori de connaître l'existence réelle, qu'elle soit finie ou infinie. Ce qu'il y a de comparable, c'est non que l'existence se connaît à partir de l'existence, car cela c'est propre à la relation vallée/montagne, mais c'est le fait qu'une propriété (la vallée ou l'existence) peut se connaître a priori à partir d'une essence.
Pour le dire autrement :
il est bien clair que le concept de Dieu ou de substance enveloppe le concept d'existence, mais pas l'existence elle-même !
Si tu dis cela, pour le dire autrement moi aussi, c'est qu'il n'est pas si clair pour toi que le concept de Dieu enveloppe l'existence nécessaire (et non le "concept" d'existence, quand on sait que pour toi concept ne peut signifier que "possibilité"). Si le concept de Dieu n'enveloppe pas l'existence nécessaire,
in re, alors il n'enveloppe pas plus le "concept" d'existence nécessaire, autrement que par une erreur logique interne à l’argumentation même de Spinoza qui elle serait à mettre en avant, ce que tu ne fais pas : tu attaques Spinoza par le côté si l’on peut dire, en lui reprochant ses supposés présupposés.
Ta réfutation "logique", c'est que l'on ne peut tirer l'existence réelle de l'existence conçue, ce que pourtant Spinoza présupposerait indûment. Mais ce n'est une réfutation "logique" que parce que tu supposes qu'un concept n'est qu'une idée possible, et que le nécessaire pensé n'est pas le nécessaire réel. En fait de réfutation logique, tu fais l'impasse sur ce qui est véritablement nécessaire. Je dis que je n'ai pas besoin de constater l'existence des 180° que font les angles de chaque triangle de la terre pour savoir que ces 180° existent bel et bien et nécessairement dans chaque triangle : c'est cela la véritable nécessité, une idée qui si elle est adéquatement conçue implique aussi bien une nécessité dans la pensée que dans le réel. Si donc on établit qu'au même titre que les 180° pour le triangle, l'existence est une propriété nécessaire de l'être absolument infini, alors cette nécessité sera aussi vraie dans la pensée que dans tout le reste de la réalité, sinon c'est simplement que l'on n'a pas conçu une véritable nécessité, ce qui reste à prouver.
Je citerais ici St Anselme : "Autre chose est de posséder une notion dans l'intelligence, autre chose de comprendre la réalité que cette notion représente (...). L'insensé est convaincu qu'il existe au moins dans son intelligence quelque chose de tel qu'on ne peut rien penser de plus grand [ce qui équivaut chez Spinoza à l'idée d'être absolument infini], parce que cela il le comprend comme il l'entend ; or, tout ce qui est compris existe dans l'intelligence. Et sans aucun doute ce qui est tel que l'on ne peut rien penser de plus grand, ne peut pas n'exister que dans la seule intelligence, car si cela existe seulement dans l'intelligence, on peut alors concevoir quelque chose qui existe à la fois dans l'intelligence et dans la réalité, ce qui est plus grand. Par conséquent, si ce dont on ne peut rien penser de plus grand existe dans la seule intelligence, cela même dont ne peut rien penser de plus grand est ce dont on peut concevoir quelque chose de plus grand. Et assurément cela ne se peut. Il existe donc sans doute possible, et dans l'intelligence et dans la réalité, un être tel que l'on ne peut en concevoir un plus grand."
Henrique a écrit :Or un être qui peut ne pas exister est un être qui comporte une part de négativité, on n'accède donc pas à son concept tant qu'on imagine qu'il pourrait ne pas exister, tant qu'on se situe à vrai dire dans la fiction plutôt que dans le concept.
Le seul problème, c'est que le concept et la chose conçue sont
a priori distincts.
S'ils étaient identiques, il faudrait le prouver avant, et Spinoza n'a pu le faire qu'après coup, ce qui invalide sa démonstration (pétition de principe). Le concept de Dieu peut parfaitement exister sans que Dieu existe pour autant.
a) Si tu distingues
a priori la chose du concept philosophique, tu ne fais au final du concept qu'une fiction plus ou moins proche du réel, ce qui explique bien des choses. Un concept philosophique ou idée adéquate ne sera tel que si sa nécessité est pleinement affirmative, alors qu'en l'opposant à la chose, tu lui confères une négativité intrinsèque. Par où tu ne montres rien d'autre que tu ne sais pas ce qu'est une idée adéquate.
b) Par ailleurs, qu'est-ce qui te permet de dire que le concept et la chose sont
a priori distincts ? "A priori" en philosophie ne veut pas dire qu'on prend un préjugé pour une affirmation universelle et nécessaire ! Or tu affirmes cela sans aucune justification. Par ailleurs, dans la prop. 7 d'E2, Spinoza prouve que "L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses." à partir du seul axiome 4 de la partie I et non à partir de l'existence de Dieu. On ne peut donc en toute bonne foi parler ici de pétition de principe.
Alors doit-on dire que Dieu comporte une part de négativité ? Cela dépend : parle-t-on de Dieu, ou du concept de Dieu ? Dieu lui-même n'existe pas (du moins rien ne prouve qu'il existe), mais son concept existe néanmoins dans mon cerveau.
J’ai déjà répondu à cela notamment avec la référence à Anselme.
D’autre part, si tu mets dans ton concept de Dieu la moindre négativité, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un concept, c’est que tu n’as pas encore pensé l’idée adéquate de Dieu et d’autre part que tu réduis l’idée de concept à une simple notion abstraite, ce que rien ne justifie a priori.
Quelqu'un a pris, dans le fil cité ci-dessus, l'exemple d'un "triangle existant". Henrique l'a réfuté en disant que le triangle est une chose finie, dont le concept dépend d'autres concepts. Cela ne change pourtant rien à la logique : le même raisonnement s'applique à n'importe quel concept (fini ou infini). Si je forge le concept de "yéti jaune existant", il est clair que la définition contient la propriété d'existence. Mais cela ne prouve pas que ce yéti existe. Cela prouve seulement que s'il existe, alors par définition il existe (et il est jaune). Pour pouvoir dire "par définition", il faut d'abord vérifier l'existence. Sinon on n'a affaire qu'à un concept de l'esprit, et rien ne prouve que Dieu soit autre chose, même si ce concept n'a besoin d'aucun autre (ce qui est d'ailleurs douteux).
La finitude ou l’absolue infinité, cela change tout au contraire. Les « concepts » de triangle ou de yéti jaune existants ne sont pas en réalité des concepts philosophiques, ce sont des synthèses a posteriori d’une idée abstraite dont la simplicité permet l’adéquation (le triangle) ou d’une idée fictive (le yéti) avec celle de l’existence, qui ne sont pas rendues nécessaires parce qu’elles contiendraient une évidence intellectuelle mais qui ne sont posées comme telles que par imagination. Cette « réfutation » n’est qu’une confusion entre différents types d’idées. En l’occurrence, la différence entre « table existante » et « être absolument infini », c’est d’abord que l’existence n’est pas expressément posée dans le concept d’être absolument infini : l’existence se tire de ce concept philosophique à titre de propriété nécessaire. Au contraire, l’existence n’est accordée à la table que de façon arbitraire, rien dans son concept ne permet de déduire l’existence aussi bien factuelle que nécessaire. Prétendre donc que la démonstration de l’existence nécessaire de Dieu serait invalidée par la référence à d’autres pseudo-concepts qui tout en contenant l’existence pensée n’impliqueraient pas l’existence réelle, ce n’est que se payer de mots et jouer sur l’obscurité et confusion possibles quand on n’a pas fait suffisamment attention aux notions de « concept », « idée adéquate », « nécessité ».
II)
Réponse aux réfutations de ces critiquesLe contre-argument de Henrique consiste à dire que le concept de Dieu n'a besoin d'aucun autre pour exister.
Pour exister... en tant que concept ! Rien ne prouve que ce concept décrive une réalité, même s'il n'a besoin d'aucun autre concept pour exister.
Tu coupes l’argument de son contexte. Mais passons. Ce que tu dis montre que tu te fais une idée toute empiriste de la formation des idées. Plus je te lis et plus je te trouve de sympathies avec Hume en fait. Dans ce sens, soit un concept dérive de l’expérience et n’en est au fond qu’une image appauvrie, soit il est la construction d’une autre réalité pensée à partir de ces images appauvries, mais cette construction ne pourra être que fictive tant qu’on n’aura pas rencontré empiriquement un correspondant à cette construction. C’est oublier tout ce que j’ai dit précédemment : un concept philosophique est au contraire une idée claire par elle-même ou par d’autres idées elles-mêmes claires ; l’existence nécessaire peut se connaître sans expérience, à partir des propriétés nécessaires d’un concept ; d’autre part, supposer a priori une dualité entre pensée et réalité, c’est oublier que la pensée elle-même a une réalité (penser que je pense suffit à prouver qu’il existe quelque chose : ma pensée) et que dès lors rien n’autorise à l’opposer radicalement au reste du réel ; enfin que l’ordre/connexion des idées est la même chose (
idem est et non pas
iidem sunt) que l’ordre/connexion des choses.
Mais il serait peut-être utile d’éclaircir un point par où je ne suis pas tout à fait d’accord avec Deleuze : l’existence factuelle de Dieu en tant que substance est implicitement reconnue dès que celle de la substance est reconnue, puisque Dieu se définit comme substance. D’une certaine façon, l’existence de Dieu (en tant qu’il est une substance) est posée dès la première proposition : puisque la substance est antérieure à ses affections, il ne saurait y avoir d’affections sans substance. Puisque tout ce qui existe est ou bien en soi ou bien en autre chose, il ne peut logiquement exister que de l’en autre chose, de même qu’il serait absurde de dire qu’il n’existe que des parties sans totalité qui les rassemble. Ce que démontre la prop. 7, ce n’est pas « la substance existe » (et c’est souvent parce que lisant rapidement on croit cela qu’on se croit autorisé à en réfuter le propos) mais que son existence appartient à sa nature : ne pouvant être produite par autre chose, la substance dont nous savons déjà qu’elle existe puisqu’il y a de l’être, doit envelopper sa propre existence et non être le développement d’une autre substance. Cette démonstration n’est pas encore celle de la
nécessité de son existence qui ne vient qu’à la prop. 11 et procède par l’absurde : si elle n’était pas nécessaire, son essence n’envelopperait pas son existence, ce que la prop. 7 a justement rendu impossible.
Toute tentative de réfutation de Spinoza ne doit donc pas se contenter d’isoler E1P11 ou E1P7 en leur reprochant de dire ce qu’elles ne disent pas. Il faut reprendre pas à pas l’ensemble de la démarche de Spinoza : 1) il y a de l’étant. 2) Ce qui est, est ou bien en soi (substance), ou bien en autre chose (modes). 3) Il ne peut y avoir que des modes car la substance est antérieure à ses modes 4) Comme elle ne peut être produite par autre chose, son existence doit donc se comprendre par elle-seule 5) Cette substance est nécessairement infinie 6) Cette substance infinie qu’on a appelé Dieu existe nécessairement. Il est vrai que Spinoza ne cherche pas à démontrer le 1), car c’est une idée tellement évidente qu’il peut paraître superflu de l’expliciter. On peut néanmoins le faire comme je l’avais proposé dans le fil « certitude et conviction » : non pas en constatant a posteriori qu’il y a de l’étant, mais en voyant que cette proposition pose par elle-même ce qu’elle affirme, sans donc qu’il soit nécessaire de sortir de l’affirmation même de cette idée pour constater sa position nécessaire.
Il y a un autre détail (mais il sort de la stricte logique) : si l'homme n'existait pas (ce qui peut parfaitement se concevoir), le concept de Dieu n'existerait pas non plus, à moins de revenir à Platon qui est tout aussi indémontrable.
Tu présupposes ici que le temps comme passage continuel de l’être au non-être et du non-être à l’être est une réalité, comme si finalement le non-être avait une réalité. Cela ne se justifie pas quand on s’efforce justement de déterminer les tous premiers principes de la connaissance de la nature du réel.
Mais il est vrai que tu concèdes sortir de la stricte logique. D’autre part alors, « Toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu. » (E2P45) répond à cette objection et la démonstration d’E2P47, si elle est réservée à l’homme vu que la seconde partie de l’Ethique porte sur la réalité humaine, pourrait tout aussi bien s’appliquer à n’importe quel autre étant (la différence principale entre l’homme et la pierre, c’est que l’homme a un langage pour exprimer bon an mal an les états de son cerveau, et que dès lors sa pensée est beaucoup plus complexe, mais le fondement de toute pensée même excessivement simpliste (par pensée je n’entends pas nécessairement une pensée élaborée) reste en tout cas l’affirmation de l’affirmation, i.e. l’idée de Dieu – réduire la pensée à la pensée parlée étant impossible car alors on n’aurait jamais commencé à parler mais c’est un autre débat).
Si je conçois clairement l'étendue, je ne puis rien trouver qui la limite : un corps étendu peut en limiter un autre, mais l'étendue elle-même ne peut être limitée par rien. Or, pour pouvoir ne pas exister, il faudrait qu'il existe quelque chose d'extérieur à l'étendue pouvant en limiter l'existence.
Ici, nous sortons totalement de la logique.
Il est vrai que nous ne pouvons pas
imaginer que l'étendue n'existe pas (encore que !... Il faudrait savoir ce qu'est l'étendue, et franchement nous l'ignorons tous), mais nous pouvons parfaitement le
concevoir. Le concept d'étendue n'implique nullement son existence. Si ne pouvons pas imaginer l'étendue comme non existante, ce n'est pas parce que son essence envelopperait son existence. L'étendue, nous ne faisons que la constater, ou plutôt l'imaginer (voire l'hypostasier : indépendamment de la matière, ce n'est jamais que du vide...).
Il faudrait se demander comment tu peux prétendre prouver que l’étendue pourrait ne pas exister alors que tu avoues ne pas savoir ce qu’elle est. Et de fait, croire que l’étendue sans matière n’est que du vide, c’est ne rien comprendre à l’étendue telle qu’en parle Spinoza. Dans son dictionnaire philosophique, notre cher Comte Sponville te dément. Aussi tu affirmes tout de go que le concept d’étendue n’implique pas son existence sans autre forme de procès ce qui t’évite de répondre véritablement à (et même au fond de comprendre) mon argument. Ce que tu dis montre que tu n’as en fait que l’image vague d’un espace vide, ce qui n’est pas l’étendue dont je parlais et dont je conviens qu’il est difficile de l’expliquer à qui a décidé a priori qu’elle ne pouvait envelopper sa propre existence nécessaire.
D’autre part, l’idée adéquate d’étendue n’a rien d’imaginaire. C’est à la fois la notion commune à tous les corps, la notion commune la plus commune si l’on peut dire – si tu ne vois pas la différence entre imaginations et notions communes, essaye s'il te plait d’étudier de plus près ce qu’en dit Spinoza – et comme cette notion commune est unique, il n’y a pas plusieurs étendues à proprement parler, c’est aussi une idée intuitive. Or comme l’étendue est nécessairement infinie en son genre puisque seul ce qui est étendu pourrait limiter ce qui est étendu et qu’il n’y a qu’une seule étendue, elle constitue l’essence de Dieu en tant que substance absolument infinie, elle est donc en tant qu’attribut, substantielle, càd que son existence est nécessaire.
Quant à Dieu, c'est encore plus simple : non seulement nous pouvons concevoir qu'il n'existe pas (il n'y a aucune aberration logique),
On voit par ce que tu viens de dire que quand tu parais concéder que conceptuellement l’existence de Dieu est nécessaire sans que cela prouve pour autant que réellement cette existence soit conforme au concept, tu te moques toi même de ce que tu dis. En fait, il me semble que pour toi l’existence de Dieu est conceptuellement nécessaire « chez Spinoza », de même qu’elle pourrait tout aussi bien être conceptuellement impossible chez un Sartre ou simplement possible chez un Kierkegaard, ce qui montre qu’à aucun moment tu n’as véritablement compris pour toi-même en quoi cette existence était vraiment nécessaire ne serait-ce que conceptuellement. Difficile alors de discuter de sa nécessité réelle.
Si pour parvenir au concept de Dieu, je procède de la même façon que lorsque je me forge l'idée d'un extra-terrestre, c'est bel et bien que je n'ai pas encore procédé à une 'emendatio' de l'intellect suffisante pour faire le départ requis ici entre le conceptuel et l'imaginaire.
Quand on pense à un être absolument infini, on ne fait jamais qu'appliquer la notion d'infini à la notion d'être. C'est du bricolage autant que le reste...
Pas du tout. La notion d’infini se découvre par l’attention à la notion d’étant (être, c’est affirmer, or rien en dehors de l’être ne peut limiter cette affirmation car le non-être ne peut ni affirmer ni nier), analytiquement donc mais d’une analyse qui permet toutes les synthèses a priori puisqu’il s’agit de l’infini et que l’infini contient a priori toutes les affirmations possibles (réponse à Kant au passage) et non à titre de pièce rapportée extrinsèquement.
J’en profite pour apporter une précision sur la définition de Dieu : il me semble que la difficulté que signale Serge ne remet nullement en cause son absolue infinité, mais que ce qui présente pour lui une difficulté, c’est que l’on pose une infinité d’attributs, càd d’essences distinctes. Dieu peut pour Serge n’avoir qu’une seule essence ce qui n’empêche pas qu’elle soit absolument infinie, donc tout ce qu’il dit reste tout à fait cohérent malgré l’objection de Zerioughfe : si tu ne reconnais pas une infinité d’attributs, nous ne parlons plus du dieu de Spinoza. Cela reste encore le dieu de Spinoza dans la mesure où même unique, l’essence de Dieu est absolument infinie.
Mais à Serge, je répondrais que le concept philosophique de Dieu, étant posé au départ comme celui d’un être absolument infini (concept autosuffisant par excellence), il n’y a de posée par cette définition qu’une seule essence, celle de s’affirmer absolument sans limitation possible. Les attributs sont ce que l’entendement perçoit d’une substance comme constituant son essence : il peut donc y avoir une seule essence de Dieu tout en admettant qu’il peut y avoir une infinité de façons de comprendre cette essence. La difficulté qui demeure, c’est « pourquoi n’en comprenons nous que deux ? ». Répondre que nous n’avons qu’un entendement fini n’est guère satisfaisant car cela introduit une transcendance là où il ne devrait pas y en avoir. Mais comme Serge a raison de le dire, cela ne change rien d’essentiel au reste du système.
Je termine en rappelant que si l'argument ontologique était valable, nous serions tous soit intégralement spinozistes, soit idiots...

J’ai répondu à cela dans le fil certitude et conviction.
III.
L’axiome IIUne grande partie des critiques de Zerioughfe s’appuie sur sa critique de l’axiome II.
Je pense que tout le monde sera d'accord pour dire que sans les axiomes de la partie I de l'Ethique, les preuves de Spinoza s'écroulent (en tant que preuves). En effet, il s'appuie dessus. Voyons cela.
Spinoza, malgré son immense génie, a écrit:
Axiome II. Une chose qui ne peut se concevoir par une autre doit être conçue par soi.
En fait d’effondrement, il se trouve que cet axiome n’est à aucun moment appelé dans les démonstrations I à XI ! Mais il n’est d’ailleurs repris à aucun autre moment dans le reste de l’Ethique ce qui fait qu’on peut le comprendre comme une explicitation du premier. Voyons donc ta critique :
Considérons le Tout (la totalité de ce qui existe). Assurément, le Tout ne peut pas avoir de cause en dehors du Tout (puisque il n'y a rien en dehors du Tout). Donc : soit sa cause est en lui, soit il n'a pas de cause.
- Première possibilité : la cause du Tout fait partie du Tout. Cela me semble parfaitement absurde : la cause, c'est ce qui explique. Si elle est comprise dans le Tout, elle ne saurait l'expliquer, puisqu'elle le suppose ! Quand bien même on ne m'accorderait pas ce point, je réponds qu'il y a une deuxième possibilité :
- Le Tout n'a pas de cause, il existe, voilà tout. Spinoza n'a pas envisagé cette possibilité, qui est pour moi la seule pensable.
Sans t’en rendre compte, tu confirmes cet axiome plutôt que tu ne le nies : en admettant que le tout existe et qu’il n’a en tant que tout pas de cause externe, tu admets implicitement que le tout est sa propre cause.
Mais voyons cela de plus près : d’abord, ta « seconde possibilité », tu dis que Spinoza n’a pas envisagé que le tout existe sans cause. Tu reconnais que la cause, c’est ce qui explique l’existence de quelque chose. En disant que le tout pourrait ne pas avoir de cause, tu admets donc que son existence pourrait n’être expliquée par rien. Or cela revient exactement à dire que le rien ou le non-être pourrait être cause du tout, car ce qui n’est expliqué par rien, le rien l’explique ; ce qui est bien évidemment d’une grande absurdité, le non-être ne saurait jamais rien engendrer. Spinoza n’a pas envisagé que le tout puisse exister sans cause parce que toute idée de génération spontanée n’est bonne que pour les matérialistes de la basse antiquité, un minimum d’exigence logique implique qu’on refuse absolument que quoique ce soit puisse naître de rien (mais je te rassure, dans sa critique de l’axiome III de l’Ethique, dans le
Traité de la nature humaine, le grand Hume est lui-même tombé dans le panneau).
Voyons maintenant ta critique de la « première possibilité » : si la cause est dans le Tout, elle ne peut l’expliquer puisqu’elle le suppose. Je réponds que ce n’est pas là ce qui suit d’une compréhension rigoureuse de l’axiome en question. Si la Totalité de ce qui existe ne peut se concevoir par autre chose, elle doit se comprendre par elle-même
en tant que totalité et non par une quelconque
partie de cette totalité, qui serait effectivement logiquement postérieure au Tout lui-même. Le Tout s’explique par lui-même en tant que Tout et non par autre chose, car alors il faudrait l’inclure dans le Tout, et non plus par rien non plus car alors, le Tout lui-même ne serait rien (en vertu également des axiomes 3 et 4 si on veut vraiment accorder au néant un pouvoir de produire). Cela permet de comprendre au passage que le Tout n’a jamais pu être « généré », c’est-à-dire produit de façon transitive par quoique ce soit, il est cause immanente (et non intérieure, à titre de partie) et donc éternelle de lui-même.
En conclusion, je dirais que les tentatives de réfuter Spinoza sur un plan purement logique s’avèrent reposer essentiellement sur un manque d’attention à ce qu’il dit vraiment. Même le cartésien Ferdinand Alquié, dans son ouvrage antispinoziste sur
Le rationalisme de Spinoza reconnaissait : « Je dois préciser aussi, car certains pourraient s’y méprendre, que mon projet n’a rien de commun avec celui des nombreux commentateurs de Spinoza, qui après Volkelt, ont essayé de prouver que l’Ethique était remplie de contradictions. Le travaux de Guéroult ont réfuté leur opinion, et mis en lumière la remarquable logique du système ». Pour Alquié, ce qu’il faut reprocher au spinozisme, ce n’est pas son manque de logique, c’est plutôt son incompréhensibilité sur le plan intuitif parce qu’il ne part pas des limites humaines et c’est en effet pour moi une objection bien plus sérieuse que toute prétention à reprocher à Spinoza son manque de logique. Mais j’y réponds avec mes moyens par mon analyse du concept d’affirmation qui est objet d’intuition en tant qu’épreuve ou autoaffection de la vie par elle-même.