Hokousai a écrit :IL y avait deux positions antagonistes en présence (relativement antagonistes mais suffisamment pour que les plombs sautent ).Et justement ce sont les deux positions dont ce fil voudrait parler .
oui, on peut le voir effectivement comme ça. Ou disons que je trouvais l'idée de commencer un fil avec cette citation de Bouveresse vraiment excellente, vu la situation. Mais je crains que je l'ai compris trop tard. Longtemps j'avais l'impression que nos positions (la sienne et la mienne) n'étaient finalement pas si antagonistes que ça. En tout cas, quand il exigeait de la structure, de la précision, de la clarté .. comment être contre, en tant que spinoziste? Seulement, entre prôner la clarté et s'y essayer soi-même, et l'imposer à d'autres voire mépriser d'autres quand on ne fait pas d'effort de compréhension soi-même, il y a un monde de différence. Je crois que j'ai principalement vu cette "contradiction", étant dans l'idée que la lui montrer allait faire avancer les choses ... . C'est vraiment là que je me suis trompée je crois. J'aurais dû beaucoup plus tôt sentir que pour quelqu'un comme lui (et cela justement à cause de la "position" qu'il défendait), être confronté à une contradiction n'est pas ressenti comme une possibilité d'évoluer vers le vrai, c'est plutôt vu comme une "mise à nu", un acte d'agressivité vis-à-vis de sa personne. Et c'est précisément là que vous avez raison je crois: il FAUT, dans ce genre de situation, en faire une question d'un antagonisme de positions, sinon on risque inévitablement de tomber dans une "reductio ad passiones tristes" au sens large (l'autre va se sentir insulté quand on pointe une contradiction), ce qui ne peut que rendre les choses pire.
Hokousai a écrit :Une position qui estime que la philosophie est close .Elle ne le dit pas mais agit comme tel . Elle l’est dans un texte . Ce texte est ici ou là, au choix , ou pas encore écrit mais il est possible de l’écrire .Un maître, un possesseur dus savoir délivre ,explique le discours ( la théorie kantienne ou l’ hégélianisme ou Spinoza )et cela suffit .
Je dirais que cette position défend une vérité établie .Le philosophe , professeurs et élèves sont des interprètes . La marge de manœuvre de l’interprète est étroite mais reste réelle .Il reste que c’est une interprétation encadrée .Il y a un corpus de questions admissibles dans le cadre des réponses possibles.
La seconde position admet que la philosophie est à construire et constamment . Que c’est une activité novatrice , qu elle engendre et cela sans nécessairement rejeter la tradition , sans la rejeter a priori mais après examen .Elle admet donc que la philosophie n’est pas close , qu’il n y a pas de texte définitif , que le corpus des questions est ouvert.
Cette position reconnaît sans doute aussi que le travail du philosophe s’il veut avoir une efficacité éthique ( comportementale ) doit se faire et se refaire constamment . Cette position accepte de redire ,de ressasser ,de répéter ,de repasser , de retourner incessamment les problème , elle affirme l’activité contre la passivité .
Deleuze et Wittgenstein opposés sur certains terrains ne sont pourtant pas opposés me semble t- il sur la nécessité d’une pratique réitérée
oui, j'aurais tendance à être tout fait d'accord avec vous. Ou disons pour 90%. Si je ne me retrouve pas du tout dans ce que vous appelez la "première position", j'aimerais bien me retrouver dans la deuxième mais quelque chose y manque, pour moi, et cela touche peut-être précisément à ce qui fait diverger Deleuze et Wittgenstein. Pour Deleuze, la philosophie n'est pas à la recherche d'un genre de miroir conceptuel du réel (ni les sciences, d'ailleurs). Elle ne part pas d'une réalité pré-existante qu'il s'agira de "réfléter", de copier en "idées/concepts" ou théories. Elle part toujours d'un problème tout à fait NON philosophique, ancré dans le réel (c'est pourquoi elle a si besoin de la NON philosophie - on pourrait l'appeler l'empirisme de Deleuze). Mais le tout, c'est d'en faire un problème vraiment philosophique, auquel viendra répondre un concept nouveau. Ainsi, concept et problème forment un tout, si bien que l'on ne sait pas se demander dans quelle mesure un concept "est vrai", aussi longtemps que l'on ne le comprend pas à la lumière du problème, inventé lui-aussi, et qui lui correspond.
L'approche de Wittgenstein au contraire semble malgré tout consister à chercher une "représentation" philosophique/conceptuelle d'un problème toujours déjà là, problème qui ne demande pas d'être d'abord créé. Et alors en effet, sans comprendre le problème auquel répond un concept, un tas de concepts semblent être "inutiles" ou dénués de sens. Mais donc selon Deleuze (pour autant que je l'ai compris) il s'agit d'une grande erreur: les concepts ne réflètent aucune réalité pré-existante, ils sont la pour donner forme à une nouvelle réalité, si des amateurs de philosophie (universitaires ou non) commencent à s'y intéresser et vont tenter de l'appliquer à la réalité, de changer la réalité à l'aide des idées qu'il véhicule. C'est pourquoi, aux yeux de Deleuze, la conception de la philosophie telle que semble la défendre Wittgenstein est fort dangereuse: si l'on dissocie un concept de son problème, on risque d'enlever de la majorité des grands concepts leur sens intrinsèque, bref de rejeter la plupart des concepts de l'histoire de la philosophie.
C'est pourquoi, selon Deleuze, étudier les philosophes du passé est extrêmement important pour tout amateur de philosophie. Car en "faisant le portrait" d'un philosophe, c'est-à-dire en essayant de comprendre à quels problèmes répondent les concepts qu'il a créés, à repérer les problèmes qu'il a créés, on apprend en même temps COMMENT construire un problème et un concept de façon philosophique, comment leur donner une "consistance" proprement philosophique. Si l'on saute cette étape, en demandant à chaque concept de refléter fidèlement une réalité pré-existante, on risque d'être fort déçu par toute l'histoire de la philosophie: on ne trouve rien qui y correspond intuitivement, ou quasiment rien. Ou on doit se limiter à quelques courants de pensées, ceux qui sont le plus proche de ce qu'on trouve déjà évidents (ce qui se passe ausssi chez ceux qui se revendiquent de ce que vous appelez la "première position"). Bref, pour Deleuze si l'on demande aux concepts de réfléter une réalité pré-existante, on risque très vite de retomber dans la première position: il suffit d'avoir trouver ce concept qui vous semble être "vrai", pour devenir un farouche défenseur de ce philosophe ou courant. Tandis que pour Deleuze, la philosophie "vivante" consiste plutôt en la création de concepts afin de faire BOUGER la pensée, c'est-à-dire afin de mettre en mouvement avant tout sa PROPRE pensée, ses propres évidences. Et pour apprendre à s'engager dans ce type de mouvement, tout concept peut être intéressant, car tout concept invite à aller chercher/reconstruire le problème qui y correspond, et à aborder un instant la réalité existante via ce problème.
Enfin bon .. je ne sais pas dans quelle mesure ce que je dis ici est clair ... ? Ce que je veux dire, c'est que Deleuze lui aussi défend l'idée d'une étude approfondie et rigoureuse de l'histoire de la philosophie, étude à laquelle une méthode ex cathedra peut être tout à fait appropriée, si le prof sait comment s'en servir. Cette méthode, il me semble que l'on peut la retrouver BEAUCOUP plus facilement dans les universités francophones que dans les universités anglo-américaines. C'est donc bien cela qui m'intéresse dans une université francophone. Mais bon, cela n'empêche que souvent on n'y réussit pas, et alors on retombe, même à l'unif, très fréquemment dans ce que vous décrivez ici comme "la première position". Seulement - et comme déjà dit - cela me semble être le risque propre à la façon "française" de pratiquer la philosophie. Le risque propre à la façon "analytique" de la pratiquer, c'est de ne dire plus rien d'autre que ce que disait toujours déjà le sens commun, ce qui n'aide pas non plus à faire bouger la pensée.
Bonne nuit,
louisa