antagonisme?

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Messagepar hokousai » 07 janv. 2008, 23:54

Enfin, je me rends compte du fait que ce que j'écris ici n'est pas encore très clair. Il faudrait développer davantage.


si vous voulez

Un axiome peut affirmer quelque chose concernant les corps en général, mais alors ces corps en sont l'objet au sens courant du terme, pas au sens spinoziste. Tandis qu'en 2.39, l'objet de l'idée est le corps au sens spinoziste.


Mais les deux le sont au sens spinoziste c'est pourquoi je vous faisais remarquer plus haut que vous occultiez le second genre de connaissance ( ou le sous estimiez ou confondiez les deux )

Ainsi les physiciens actuellement savent assez bien ce que peut "un corps ". Mais moi je ne sais pas bien ce que peut "mon" corps .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 08 janv. 2008, 00:03

Louisa:
ce serait quoi plus précisément, penser une idée sous un attribut ou sous un autre? Sous quels attributs peut-on penser une idée ... ?

Hokousai:
et bien quoi ! on pense à des idées qu’on a ou bien à des corps .On conçoit donc l’objet de l'idée comme sous la pensée ou sous l’étendue .Les deux types d’objets sont pensés comme modification de l'un ou l'autre des attributs .C'est ce que je voulais dire .


d'accord, mais alors ce n'est pas l'idée qui est pensée sous un attribut ou un autre, comme vous le disiez, mais ... son objet!

L'idée, en revanche, est toujours un mode de la pensée, donc toujours "pensée sous" l'attribut de la Pensée et sous aucun autre attribut.

Louisa:
Mais en quoi cela vous ferait-il penser que l'esprit ne pense pas le corps quand il a une idée d'une affection du corps?

Hokousai:
Jamais dit ça , j’ai dit qu’il connaissait confusément son corps( qu’il l’imaginait )


ok, ma formulation était ambiguë: j'avais bien compris que pour vous l'esprit pense le corps quand il a l'idée d'une affection du corps, mais il le fait, si je vous ai bien compris, en tant que 'corps pensée'. Quand l'esprit a une idée d'une affection du corps, en réalité l'objet n'est pas cette affection, c'est l'affection pensée, pour vous, non? Si oui, ma question était: pourquoi "l'affection pensée", et non pas "l'affection pure", pour ainsi dire, c'est-à-dire un mode de l'Etendue "et rien d'autre" (E2P13)?

Louisa:
Mais vous semblez dire que l'homme ne sait pas penser un corps

Hokousai:
Spinoza dit que la raison sait penser un corps (en général ) et adéquatement. (ce que c’est qu’un corps )


il dit en tout cas que tout ce qui est "général" ou "abstrait" est imaginaire (2.40 sc I). Il faudrait à mon sens en conclure que les axiomes portent sur ce que tous les corps individuels ont en commun, et non pas sur "le corps" en général, qui n'existe pas pour Spinoza.

Puis en 2.39, il vient de dire que l'esprit (et non pas la raison) sait avoir une idée adéquate de ce qui est commun au Corps humain et aux autres corps. Cette idée-là, l'esprit l'a immédiatement, sans médiation de la raison. Il l'a en tant qu'il a une idée qui a comme objet une affection du corps, et non pas une affection-pensée.

Bref, je crois que je prétends exactement l'inverse que vous: l'esprit peut avoir une idée dont le corps lui-même (le corps singulier appartenant à cet esprit) est l'objet, corps 'pur' et non pensé, tandis que jamais nous ne pouvons avoir une idée adéquate d'un corps "en général", car les notions générales sont imaginaires.
Bonne nuit,
louisa

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Messagepar hokousai » 08 janv. 2008, 18:15

d'accord, mais alors ce n'est pas l'idée qui est pensée sous un attribut ou un autre, comme vous le disiez, mais ... son objet!


Si vous voulez ,je ne vais pas faire assauts d’idéalisme.
Son objet est une pensée vue du coté de la pensée et un corps étendue vu du côte de l’étendue. ( et l’une et l’autre ,c'est la la même chose )
Ce qui reste facile à dire mais très difficile à penser.
Comme quoi il est plus facile de créer des concepts ou des manières de dire que de nouvelles manières de penser . L’un n’impliquant pas l’autre .
Je ne dis pas que les discours de Spinoza soit un pur effet de langage, je le dis difficile à penser.

....................................................

Mais vous me relancez avec « « et non pas "l'affection pure" L’affection pure serait l’affection non pensée . Mais que puis- je dire d’un mal aux dents que j’ai mais que je ne ressent pas ? Pour tout dire dans ce cas je n’ai pas mal aux dents du tout .
Vous voudriez que j’ ai une souffrance ( un affect ) que je ne ressent pas ?
................................................

les axiomes portent sur ce que tous les corps individuels ont en commun, et non pas sur "le corps" en général, qui n'existe pas pour Spinoza.


Vous jouez sur les mots . Disons que les axiomes portent sur ce que les corps ont en commun, généralement ( c’est à dire en fait sans exception ) Mis à part cette argutie Spinoza définit « coprs » par une manière qui exprime ( c’est donc une manière en général valable généralement pour tous les cas particuliers )

.....................................

Puis en 2.39, il vient de dire que l'esprit (et non pas la raison)

Pas du tout d’accord avec vous
Le scolie de la prop 29/2 explique très bien la différence entre percevoir à travers l’ordre commun de la nature et comprendre de l’intérieur ( du dedans ) en pensant plusieurs chose à la fois et ainsi le pouvoir de comparer les choses, de voir en quoi elles conviennent ,diffèrent, s’opposent ,
Ce qui est le travail de la raison ( connaissance du second genre )

Hokousai
Modifié en dernier par hokousai le 08 janv. 2008, 23:04, modifié 1 fois.

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Messagepar sescho » 08 janv. 2008, 21:49

Louisa a écrit :... il faut déduire de cette proposition que nous avons réellement des idées adéquates ayant quelque chose de corporel comme objet. Car ici, nul besoin d'en passer par des idées d'idées pour obtenir cette idée adéquate. Dès que nous avons une idée de ce qui est en ce sens commun au Corps humain et à d'autres corps extérieurs, celle-ci EST DEJA adéquate ... . Remarquable. Dommage que Spinoza n'ait pas donné d'exemple de ce genre d'idées.

Je pense que selon Spinoza l'Etendue en tant qu'attribut (cette dimension de l'existence) est perçue de façon adéquate, ainsi que la "modalité" dans l'étendue (les corps sont perçus en acte.) L'adéquation s'arrête là (c'est à dire à ce qui est commun entre les corps, le mien et les autres.) Pour répondre en même temps à un point de Hokousai, tout le reste est perçu inadéquatement (ce qui ne veut pas dire totalement faussement, seule la privation de connaissance étant entendu par-là) et donc en particulier le Corps humain (ce qui n'empêche pas qu'une notion commune - un axiome évident pour tout le monde - est que nous sentons un corps particulier - "le notre" - comme affecté de diverses façons, quoique inadéquatement.)

Louisa a écrit :je ne vois pas très bien à quoi tu réfères ... quelles contrevérités par rapport au texte?

Ce ne sont que des impressions, n'ayant pas lu l'auteur (et le sujet ne m'intéresse pas plus que cela) : sur les notions communes, sur la connaissance du troisième genre, Dieu comme chose singulière, ... Mais bon, laissons cela.

Louisa a écrit :à mon sens Deleuze est plutôt a-moderne que moderne, et cela ...

Ce qui me dérange dans tout cela, c'est "l'invention de problème", etc. Créer des problèmes, c'est un défaut... Mais bon c'est sans doute bien plus subtil que cela... Pour moi, il y a des lois de la Nature éternelles, et nous avons à la fois des possibilités et des limites de compréhension de ces lois. La question qui se pose (le seul "problème"), et ce depuis qu'existe la Philosophie, c'est de savoir ce que nous pouvons connaître exactement de ces lois éternelles (tout particulièrement la phycho-logie et par dessus tout "la vie bonne." On peut aborder la question de façon plus ou moins pertinente (et là il y a de la création), mais la question préexiste. C'est tout Spinoza, quoi...

Louisa a écrit :que veux-tu dire par "exposé en miroir"?

Rien de bien précis. Pour moi il y a l'exposé philosophique objectif, usant d'un langage clair et de phrases bien construites (une sémantique clairement exposée), avec des exemples, etc. - didactique quoi - et à l'opposé le langage abscons, bourré de néologismes, de croisement de sens, etc. et qui a pour sujet favori lui-même (ce que je perçois au global comme traduisant le narcissisme de l'auteur.) Je ne sais ce que l'on recouvre sous le terme de "philosophie analytique" ; si c'est ce qu'on fait tous les philosophes jusqu'au XIXème et une partie ensuite jusqu'à aujourd'hui, cela me semble tout simplement indispensable. Si c'est ce que j'ai lu à propos de Krishnamurti, par exemple, venant d'un Centre universitaire dont je ne me souviens plus le nom... Je me garde de juger définitivement, mais c'était pour moi surréaliste au sens que j'ai dit plus haut (pourtant il n'y avait pas "assassinat (de Krishnamurti)" dans le nom...) Presqu'au point de faire passer Lacan pour didactique, c'est dire...

Louisa a écrit :oui d'accord, mais alors tu prends le mot "science" dans le sens courant au XVIIe.

Nullement. Je prends la Science en général, savoir la connaissance des Lois de la Nature, et je n'ignore pas qu'il y a eu séparation progressive de la Philosophie et de la Mathématique, de la Science Physique, de la science médicale, puis de la Psychologie, etc. (et je suis de formation scientifique.) Je tiens la Psychologie - sans doute ce qui s'est séparé en dernier, de la Philosophie (morale), Freud étant par exemple enseigné en Philosophie - pour une Science ("molle" ou "dure" c'est une distinction qui ne m'intéresse pas ; "dure" vient surtout de la Mathématique, et celle-ci n'est pas une science, c'est une propriété de l'esprit humain bâtie sur quelques notions communes.)

Louisa a écrit :Là où un scientifique va créer un disposif expérimental physique capable de convaincre ses collègues de la validité de sa thèse (dispositif dont il avait d'ailleurs avant tout besoin pour se convaincre soi-même), Spinoza ne peut convaincre que par la raison.

Einstein a bâti ses productions les plus remarquables sur des "expériences de pensée", la validation par l'expérience n'étant venue que bien après (voire est toujours attendue, comme aussi en Quantique.)

Louisa a écrit :Spinoza a donc certes voulu étudier les lois qui régissent l'esprit et les affections du corps. Mais cela n'en fait pas encore un scientifique au sens actuel du terme (ou plutôt au sens deleuzien). Car il a seulement proposé des lois et démontré ces lois de façon rationnelles, et non pas de façon expérimentales.

Allons, allons, il est clair pour moi, comme je l'ai déjà dit, que Spinoza a fait au contraire appel à son ressenti profond en permanence, pour guider sa démarche. Et c'est bien pour cela qu'une anomalie de logique est bien loin de mettre en péril l'ensemble. Et que fais-tu de la connaissance du troisième genre ? Il en aurait parlé sans l'avoir vécue ?

Louisa a écrit :... en science: dès que quelqu'un a découvert une loi physique, s'il a réussi à la démontrer, ses collègues n'ont plus le choix: désormais, c'est bel et bien uniquement ainsi que l'on peut penser la Nature.

Non, non. Cela c'est la Mathématique, qui ne pense pas la Nature, mais elle-même ; c'est-à-dire une propriété de l'esprit humain.

Louisa a écrit :On ne peut pas dire de la théorie de la relativité d'Einstein qu'elle est possible, mais pas la seule théorie possible. Aujourd'hui, elle est bel et bien la seule possible, et elle le restera jusqu'à ce qu'un autre scientifique peut ou bien la réfuter en proposant une autre, ou bien passer à un tout nouveau paradigme.

Hum ! Nous ne devons pas prendre dans la même acception "seule possible"...

Louisa a écrit :... Spinoza a créé non seulement un nouveau concept d'éternité, mais également un tout nouveau concept de Dieu.

Mouais. La Nature universelle ce n'est pas si neuf que cela... Il a remis "Dieu" à sa vraie place.

Louisa a écrit :... c'est précisément au XVIIe qu'un philosophe a essayé d'inventer une "vraie religion", une véritable religion "universelle", tout en essayant de convaincre les chrétiens et les juifs que cette vraie religion est déjà présente dans la Bible, est même l'essence rationnelle de cette Bible.

Personnellement, je le vois plutôt comme une sortie progressive de "l'âge sombre" à partir de la "Renaissance" (précisément.) Sans doute la découverte d'Aristote n'y a pas été pour rien ; la Réforme non plus... Galilée et la Science itou. La contestation du dogme chrétien commençait à transpirer de partout. Mais Spinoza, c'est la bombe... Je ne pense pas qu'il ait eu pour objectif de réformer quoi que ce soit en Politique. Il a surtout pris d'énormes risques personnels pour la Vérité...


Amicalement


Serge
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Messagepar sescho » 08 janv. 2008, 22:04

hokousai a écrit :Cher Serge
J’ai parlé d’ambiguïté au sujet de corps (déf 1 partie 2)
Le passage de l’idée confuse de corps ( le mien corps affecté ) à l’idée de corps en général est périlleux .

Le passage est justifié par la plus grande clarté de l’idée de corps comme manière qui exprime de manière précise et déterminé l’essence de Dieu en tant qu’on le considère comme chose étendue .

Je dis que cette idée n’est pas claire et justement de par son origine . Son origine c’est mon corps dans son imprécision et je dirais dans son indétermination ( en ce que les causes agissant en mon corps et hors de mon corps sont largement obscures) . Cette source d’information grève toujours l’idée supposée claire et distincte de corps telle que Spinoza la présente .

Encore une fois, "connaissance inadéquate" ne veut pas dire "totale ignorance." Nous ne percevons pas adéquatement les Formes (ou essences) particulières, mais nous percevons clairement la finitude dans l'Etendue (avant même l'Etendue elle-même comme dimension de l'existence, ou, disons plutôt, en même temps.) Nous percevons les corps en acte, dit Spinoza, et c'est tellement évident que la notion commune "il existe des corps (choses étendues finies) en acte" n'est même pas précisée (je le dis sans vérifier, cependant.)

Amicalement

Serge
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Messagepar hokousai » 08 janv. 2008, 23:00

Cher Serge
Evidemment que nous percevons des corps en acte . L’idée de corps est intuitive . Spinoza dit seulement que la connaissance intuitive en est confuses .( imagination )

Il passe à l’étape supérieure de connaissance sur une idée de base incontestée les corps existent (il est réaliste ). La pensée claire et distincte formule des axiomes ( ou bien c’est l’inverse d’ailleurs )

Ce que fait le bouddhisme ( par exemple, mais j’ y tiens ) est tout à fait le contraire . A partir d’une intuition des corps comme existants relativement limités et stables il passe à une connaissance qu’ii prétend supérieure celle de la vacuité .
La thèse de la vacuité de tombe pas du ciel elle est ancrée tout autant que la thèse de Spinoza dans une connaissance confuse des corps .

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Messagepar hokousai » 08 janv. 2008, 23:15

à Serge
bien sûr que l'axiome 1 vous semble évident .

"""tous les corps sont en mouvement ou en repos """

un bouddhiste ne dirait pas cela

je vois plutôt ""tous les corps comme travaillés de l'intérieur à fin de leur dissolution "".
je ne vois pas d’abord un mobile stable mais une dissolution dans la durée .( mais le temps n’est pas du tout une des préoccupations majeures de Spinoza )

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Messagepar Louisa » 09 janv. 2008, 15:12

Serge a écrit :Je pense que selon Spinoza l'Etendue en tant qu'attribut (cette dimension de l'existence) est perçue de façon adéquate, ainsi que la "modalité" dans l'étendue (les corps sont perçus en acte.) L'adéquation s'arrête là (c'est à dire à ce qui est commun entre les corps, le mien et les autres.)


tu te baserais sur quelles propositions pour conclure qu'une idée adéquate d'une essence singulière est impossible? D'abord: tu as l'impression qu'il n'y a pas d'essences singulières chez Spinoza, ou tu as plutôt l'impression qu'il y en a mais que nous ne pouvons pas les connaître? Si tu as l'impression qu'il n'y en a pas: comment comprendre alors les propositions 3.6 et 3.7?

3.6 dit que les choses singulières sont des modes, c'est-à-dire des choses qui expriment de manière précise et déterminée la puissance de Dieu. Chaque mode s'efforce de persévérer dans SON être (l'être du mode, donc, pas l'être de la substance). 3.7 dit que cet effort n'et rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. Si chaque chose ou mode exprime Dieu de manière précise et déterminée, ne faut-il pas en conclure que chaque chose (étant un degré de puissance) doit avoir une essence singulière, une essence à elle, qui n'appartient à aucune autre chose?

5.22 va à mes yeux dans le même sens: "En Dieu pourtant il y a nécessairement une idée qui exprime sous l'aspect de l'éternité l'essence de tel ou tel Corps humain". Ici aussi, il s'agit d'une essence précise: celle de tel ou tel corps.

Enfin, en ce qui concerne la connaissance des essences: si le troisième genre de connaissance consiste par définition à partir de l'idée adéquate de certains attributs de Dieu pour avoir une idée adéquate de l'essence des choses (2.40 sc II), qu'est-ce que ce troisième genre de connaissance pourrait encore ajouter au deuxième, si ce n'est que la connaissance des essences singulières? Autrement dit: si l'esprit a des idées du 2e genre de connaissances, qui sont des idées de ce que les choses ont en commun, idées qui naissent par l'intermédiaire de la raison, on en conclut habituellement (pour autant que j'ai compris) qu'il s'agit ici d'une connaissance rationnelle des lois de la nature. Alors que peut le 3e genre de connaissance y ajouter, sinon une connaissance de ce que les choses n'ont pas du tout en commun avec les autres choses, c'est-à-dire leur essence singulière?

Serge a écrit :Pour répondre en même temps à un point de Hokousai, tout le reste est perçu inadéquatement (ce qui ne veut pas dire totalement faussement, seule la privation de connaissance étant entendu par-là) et donc en particulier le Corps humain (ce qui n'empêche pas qu'une notion commune - un axiome évident pour tout le monde - est que nous sentons un corps particulier - "le notre" - comme affecté de diverses façons, quoique inadéquatement.)


tu dirais alors que nous n'avons que des idées inadéquates des essences singulières, si celles-ci existent? Si oui: cela me semble être un peu étrange. L'idée inadéquate enveloppe bel et bien la nature du corps extérieur, mais est-ce que pour autant elle est une idée inadéquate de l'essence de ce corps?

Louisa:
à mon sens Deleuze est plutôt a-moderne que moderne, et cela ...

Serge:
Ce qui me dérange dans tout cela, c'est "l'invention de problème", etc. Créer des problèmes, c'est un défaut... Mais bon c'est sans doute bien plus subtil que cela...


c'est une question de point de vue je crois, je veux dire: tout dépend de ce que l'on comprend par "problème". Si l'on adore l'une ou l'autre discipline scientifique et on a vraiment envie d'une activité créative en ce domaine (en tant qu'enfant ou en tant qu'expert, peu importe), on adore souvent aussi inventer de nouveaux problèmes dans ces disciplines, puis essayer de les résoudre. Un problème, dans ce sens précis, n'est PAS ce qui est principalement cause de misère, c'est une grande cause de joie, un défi intellectuel, promesse de PLAISIR et de nouvelles possibilités de comprendre.

Tandis que chez Wittgenstein en effet, un "problème" est ramené au sens courant du terme: quelque chose qui nous embête, qui nous empêche de vivre comme on voudrait le faire, et qu'il suffit d'éliminer pour pouvoir vivre en paix. Alors pour pouvoir l'éliminer, il faut bien se donner la PEINE d'aller chercher une solution, qui est plutôt une annihilation du problème.

Pour concevoir toute l'histoire des inventions et découvertes humaines comme une lente élimination de problèmes, pour concevoir les problèmes intellectuels comme des "obstacles" à notre bien-être, il faut supposer qu'au début, il y avait un genre de paradis: absence de problème égal bonheur total pour l'homme.

L'idée de Deleuze (et de beaucoup d'autres, voir par exemple l'introduction de Delbos à son Le problème moral dans la philosophie de Spinoza, écrit fin du XIXe), c'est que cette présupposition est peu crédible. Du point de vue du spinozisme même, elle me semble inacceptable, car le monde n'est pas fait "pour" l'homme. Il n'y a donc aucun état originel de béatitude. L'homme est un mode parmi les autres, mû par le désir d'augmenter sa puissance. Cela veut dire qu'au début de sa vie, sa puissance n'est pas encore très grande. Essaie d'éliminer tout problème de la vie d'un bébé, et il restera encore longtemps peu puissant. En revanche, si l'on lui soumet régulièrement des problèmes intellectuels à résoudre, il va non seulement comprendre davantage et donc simultanément augmenter son désir de comprendre. Il va aussi augmenter son goût pour les problèmes intellectuels, car il sait d'expérience qu'en avoir compris un augmente la puissance (puissance de penser et puissance d'agir).

Si donc les problèmes concrets, dans la vie quotidienne, surgissent sans que nous fassons quoi que ce soit, et nous embêtent voire peuvent être fort dangereux, les problèmes intellectuels sont passionnants, mais n'existent jamais sans que notre intellect les a créés. Résoudre un problème de la vie quotidien nous soulage, nous donne de nouveau les moyens de continuer notre vie tel que nous voulons la vivre (destruction d'un obstacle). Mais résoudre un problème intellectuel ne donne plus qu'un seul désir: en trouver un autre (création d'une nouvelle possibilité de comprendre et d'agir)!

Serge a écrit :Pour moi, il y a des lois de la Nature éternelles, et nous avons à la fois des possibilités et des limites de compréhension de ces lois. La question qui se pose (le seul "problème"), et ce depuis qu'existe la Philosophie, c'est de savoir ce que nous pouvons connaître exactement de ces lois éternelles (tout particulièrement la phycho-logie et par dessus tout "la vie bonne." On peut aborder la question de façon plus ou moins pertinente (et là il y a de la création), mais la question préexiste. C'est tout Spinoza, quoi...


savoir ce que nous pouvons connaître exactement de ces lois éternelles ... donc savoir les limites de notre connaissance ... c'est plutôt kantien cela, non?

Je ne vois pas cette préoccupation de ne pas dépasser nos limites chez Spinoza. Ce qui pré-existe, c'est en effet le désir de bien vivre. Et de toujours mieux vivre. Mais là aussi, j'ai l'impression que cela signifie que la béatitude n'est surtout pas une élimination de problèmes qui nous tombent dessus, la béatitude est non pas un état mais, comme tout affect, un passage d'une perfection moindre à une perfection plus grande. Elle naît chaque fois que nous comprenons une chose singulière selon le troisième genre de connaisance. Or ... il y a une quantité infinie de choses singulières. Ainsi la seule "limite" à notre connaissance, c'est le moment de notre mort, où nous ne pouvons plus être affecté par les choses et donc ne plus rien connaître de plus.

Enfin, je cite tout de même Delbos, car la façon dont il explique le rapport de Spinoza à la création des problèmes est assez claire:

Victor Delbos a écrit :Nous sommes généralement fort empressés à exiger des diverses doctrines la solution de problèmes qu'elles n'ont pas posés et que nous leur imposons: c'est vite fait d'en accommoder les idées à nos désirs et les conséquences à nos préjugés, favorables ou défavorables. (...) Il y a là une tendance de l'esprit qui, pour être très forte, n'en paraît pas plus légitime; c'est une précaution nécessaire que de s'en défier.
(...)
Le système [spinoziste, louisa], dans son développement, n'est que le problème en voie de s'expliquer, tendant de lui-même à sa solution. Méconnaître cette identité essentielle du problème et du système, ce serait aborder l'étude du spinozisme par un contre-sens. (...) C'est le propre des pensées fécondes d'engendrer avant tout leur propre formule, et cette formule qu'elles se donnent a un caractère singulier, incomparable, le caractère de ce qui se dit une première fois, souvent même une seule fois.


Pour Delbos, le problème de Spinoza est "le problème moral", le problème de la béatitude humaine. Delbos: "la connaissance du vrai l'intéresse beaucoup moins par ses procédes et ses résultats théoriques que par ses conséquences pratiques". Bien sûr, quand Platon subordonne le vrai au bien, il faut déjà la même chose. Mais Spinoza vit dans une toute autre époque, et vient d'être témoin et de la naissance de la science expérimentale et d'une guerre interminable et sanglante, rendant les gens fous. Situation qui invite à la ré-invention du problème moral, cette fois-ci en tenant compte des conditions précises dans lesquelles la vie quotidienne (politique, scientifique, ...) du XVIIe plonge les hommes.

Louisa a écrit:
que veux-tu dire par "exposé en miroir"?

Serge:
Rien de bien précis. Pour moi il y a l'exposé philosophique objectif, usant d'un langage clair et de phrases bien construites (une sémantique clairement exposée), avec des exemples, etc. - didactique quoi - et à l'opposé le langage abscons, bourré de néologismes, de croisement de sens, etc. et qui a pour sujet favori lui-même (ce que je perçois au global comme traduisant le narcissisme de l'auteur.)


que fais-tu alors de philosophes comme Nietzsche, qui s'expriment par aforismes?

Serge a écrit :Je ne sais ce que l'on recouvre sous le terme de "philosophie analytique" ; si c'est ce qu'on fait tous les philosophes jusqu'au XIXème et une partie ensuite jusqu'à aujourd'hui, cela me semble tout simplement indispensable.


la philosophie analytique ne résume guère tout ce qu'ont fait les philosophes jusqu'au XIXe et en partie jusqu'à aujourd'hui. Cela, c'est plutôt ce qu'on appelle l'adversaire de la philosophie analytique, baptisé "philosophie continentale". La philosophie analytique naît avec le Cercle de Vienne, donc début du XXe (pas avant). Ce sont donc des philosophes germanophones qui l'ont inventée. Pour eux, toute l'histoire de la philosophie (jusqu'avant eux-mêmes, bien sûr) est principalement de la "métaphysique". Ils proposent de rejetter la métaphysique, car selon eux, elle n'est pas "scientifique". Rudolf Carnap, un des fondateurs de ce courant, l'écrit ainsi (1928, La construction logique du monde): "Dès lors que l'on a pris au sérieux en philosophie l'exigence de rigueur scientifique, on en est venu nécessairement à bannir toute la métaphysique, puisqu'on ne peut justifier ses thèses de manière ratinnelle". Il fait donc un appel "en faveur de la clarté et pour une science débarrassée de métaphysique".

Ensuite, ce sont des philosophes anglo-américains comme Russell et surtout Quine qui ont poursuivi les intentions de ce courant, "le continent" étant longtemps peu sensible à ses propositions et continuant donc à faire de la philosophie "comme avant" (phénoménologie, existentialisme sartrienne, structuralisme, ...). Ces derniers dix ans, une grande "révolution" est en train de se faire dans le courant analytique, au sens où ils sont en train de re-découvrir et donc de re-valoriser entièrement l'histoire de la philosophie (la "métaphysique"). Mais entre-temps, beaucoup d'universités anglophones (et entre-temps aussi des unifs de culture anglophone, comme celles des pays scandinaves, pays néerlandophones, pays de l'est, ...) appliquent la "méthode" analytique, c'est-à-dire n'étudient quasiment pas l'histoire de la philosophie (et encore moins l'histoire de la philosophie continentale du XXe), se concentrent sur la logique (pas la logique "philosophique", telle que le faisait encore Frege etc, mais la logique "mathématique") et sur la "chasse aux imprécisions" dans les langages naturels.

C'est pourquoi il me semble que ce que tu dis ci-dessus n'est pas si simple que ça. Car c'est précisément en revendiquant une clarté linguistique absolue que les analytiques se sont permis de redéfinir TOUTE l'histoire de la philosophie comme n'étant finalement que de la "poésie". Des auteurs comme Bouveresse, Pascal Engel, Kevin Mulligan etc y ajoutent également ce que tu écris toi-même: ceux qui écrivent dans un langage pas très "précis" ne veulent parler que d'eux-mêmes. Bref, il y a en même temps un reproche de "malhonnêteté" absolue, les philosophes continentaux (surtout du XXe; avant ils "ne savaient pas mieux") étant aux yeux de ces auteurs obsédés par la "Gloire" personnelle et par rien d'autre.

C'est donc bel et bien l'exigence de clarté en philosophie qui, dans le courant analytique, a permis d'écarter sans remords toute l'histoire de la philosophie ET tout ce qui se fait aujourd'hui en philosophie et qui n'est pas analytique. Pour eux (les analytiques) cette clarté et précision n'est pas une question "didactique", c'est une nécessité absolue. Sans elle, on ne fait pas de la philosophie, on fait de la poésie. Pourquoi? Parce que sans cette clarté du discours, la philosophie scientifique ne peut pas être ce que toute science à leurs yeux est: le miroir de la nature, un discours qui reflète fidèlement la nature.

Louisa:
oui d'accord, mais alors tu prends le mot "science" dans le sens courant au XVIIe.

Serge:
Nullement. Je prends la Science en général, savoir la connaissance des Lois de la Nature, et je n'ignore pas qu'il y a eu séparation progressive de la Philosophie et de la Mathématique, de la Science Physique, de la science médicale, puis de la Psychologie, etc. (et je suis de formation scientifique.) Je tiens la Psychologie - sans doute ce qui s'est séparé en dernier, de la Philosophie (morale), Freud étant par exemple enseigné en Philosophie - pour une Science ("molle" ou "dure" c'est une distinction qui ne m'intéresse pas ; "dure" vient surtout de la Mathématique, et celle-ci n'est pas une science, c'est une propriété de l'esprit humain bâtie sur quelques notions communes.)


ok, mais à mes yeux beaucoup de ce qui s'appelle aujourd'hui "science molle" n'est ni scientifique, ni philosophique. On y essaie souvent de donner un aspect de vérité à ses propres opinions en interprétant quelques données purement statistiques dans le sens qui leur convient, et c'est tout. La science par preuve expérimentale, Spinoza la connaissait, et à un endroit (je devrais le chercher) il dit même littéralement qu'en ce qui concerne notre connaissance de la Nature, c'est d'elle que nous dépendons. Ce qui implique inévitablement que ce qu'il fait lui-même, il en a conscience que c'est autre chose. Il l'appelle lui-même "ma Philosophie", la philosophie étant une "sorte de" science, au XVIIe. L'idée de faire une "philosophie scientifique" me semble être un anachronisme, au XVIIe. Tout philosophe se voyait comme scientifique, comme "travailleur de la connaissance". Cela n'empêche que la philosophie traitait d'autres types de connaissances et surtout n'utilisait jamais la méthode expérimentale telle qu'elle a été mise au point par Galilée.

Louisa:
Là où un scientifique va créer un disposif expérimental physique capable de convaincre ses collègues de la validité de sa thèse (dispositif dont il avait d'ailleurs avant tout besoin pour se convaincre soi-même), Spinoza ne peut convaincre que par la raison.

Serge:
Einstein a bâti ses productions les plus remarquables sur des "expériences de pensée", la validation par l'expérience n'étant venue que bien après (voire est toujours attendue, comme aussi en Quantique.)


oui, il faut bien sûr d'abord INVENTER de nouveaux problèmes scientifiques et de nouvelles solutions possibles, avant de pouvoir inventer le dispositif expérimental capable de trancher et de désigner la seule vraie solution. Mais justement, la différence entre Einstein et ses adversaires n'était pas qu'Einstein faisait des expériences de pensée et les autres pas. La différence, c'est qu'Einstein a réussi à créer le dispositif capable d'imposer SON problème et SA solution à lui. Aussi longtemps que les scientifiques en sont aux expériences de pensée, aucune théorie scientifique n'est vraiment prouvée, donc vraie. La vérité scientifique ne naît qu'avec la preuve, pas avant.

Un philosophe, en revanche, ne va même pas songer à inventer ce genre de dispositif. Il s'en tient à la raison. Puis il faut déjà croire en cette histoire d'un "discours miroir du réel" pour vouloir créer une philosophie qui tient sa vérité du fait d'être un discours "représentatif". Rien n'indique que c'est le cas chez Spinoza.

Louisa:
Spinoza a donc certes voulu étudier les lois qui régissent l'esprit et les affections du corps. Mais cela n'en fait pas encore un scientifique au sens actuel du terme (ou plutôt au sens deleuzien). Car il a seulement proposé des lois et démontré ces lois de façon rationnelles, et non pas de façon expérimentales.

Serge:
Allons, allons, il est clair pour moi, comme je l'ai déjà dit, que Spinoza a fait au contraire appel à son ressenti profond en permanence, pour guider sa démarche.


oui bien sûr. Mais ce n'est pas parce que, pour formuler ses idées, on fait appel à son ressenti profond, qu'on a déjà une preuve scientifique, vérifiable par tous sans aucun problème ni ambiguïté, de ces idées ... .Même trois siècles plus tard, beaucoup de ce qu'il a écrit reste obscur ... ce n'est pas du tout le cas d'un article scientifique écrit par quelqu'un qui sait qu'il vient d'inventer le dispositif capable de convaincre tous les collègues ... . Il sait qu'il suffit qu'on lit son article pour le comprendre sans reste, pour effectuer soi-même l'expérience, et pour être convaincu de sa vérité. Il en va tout autrement chez un philosophe, idem en ce qui concerne Spinoza.
On n'obtient pas une preuve scientifique en se basant sur son vécu subjectif, on ne l'obtient qu'au moment où l'on a trouvé un moyen pour rendre sa théorie vérifiable objectivement, c'est-à-dire au moment où l'on a trouvé une façon de tester cette théorie qui peut facilement être effectué par tout collègue compétent et qui donne systématiquement, sans aucun équivoque, le même résultat que celui que prévoit la théorie.

Serge a écrit :Et c'est bien pour cela qu'une anomalie de logique est bien loin de mettre en péril l'ensemble. Et que fais-tu de la connaissance du troisième genre ? Il en aurait parlé sans l'avoir vécue ?


non, je suis assez certaine qu'il doit l'avoir vécue, sinon comment la décrire et démontrer more geometrico?

Mais as-tu déjà vécu ce troisième genre de connaissance toi-même? C'est pourtant ce qui devrait pouvoir se faire assez aisément, s'il s'agissait d'une théorie scientifique, au sens actuel du terme... .

Toute philosophie contient un tas de choses non démontrables expérimentalement, et donc la compréhension reste toujours partielle, même chez les meilleurs commentateurs. Seulement, en philosophie cela n'est pas un manque fatal, capable de rendre impertinente la théorie, car une philosophie a pour tâche non pas de refléter la réalité pré-existante, mais de créer une nouvelle réalité humaine en nous proposant une autre façon de la percevoir, de la penser.

Louisa:
... en science: dès que quelqu'un a découvert une loi physique, s'il a réussi à la démontrer, ses collègues n'ont plus le choix: désormais, c'est bel et bien uniquement ainsi que l'on peut penser la Nature.

Non, non. Cela c'est la Mathématique, qui ne pense pas la Nature, mais elle-même ; c'est-à-dire une propriété de l'esprit humain.


que fais-tu alors du dispositif inventé par Galilée? N'importe qui pouvait le construire, et dès qu'on avait compris la formule scientifique inventée par Galilée et qui décrivait la chute des billes tout au long de ce plan incliné, on pouvait la vérifier immédiatement soi-même. Systématiquement et sans exception, chacun qui fait l'expérience obtient le résultat prédit par la formule de Galilée. A partir de ce moment-là, impossible de douter de la vérité de la théorie galiléenne (et cela jusqu'au moment où quelqu'un prouve qu'il sait mieux décrire le même phénomène ... mais il devra le prouver de la même façon, sinon personne ne sera convaincu!).

Et il y a des milliers d'exemples dans ce sens en science physique (mais aussi ailleurs, chimie, ...). C'est cela ce que je voulais dire par "seule explication possible". Tandis que Spinoza nous dit seulement qu'il ne prétend PAS avoir inventé la seule philosophie possible, il dit uniquement qu'il sait que ce qu'il a inventé, c'est de la vraie philosophie. C'est dire qu'il s'y agit d'une tout autre conception de la vérité que celle qu'on présuppose en science, non?

Louisat:
... Spinoza a créé non seulement un nouveau concept d'éternité, mais également un tout nouveau concept de Dieu.

Serge:
Mouais. La Nature universelle ce n'est pas si neuf que cela... Il a remis "Dieu" à sa vraie place.


qui pourrait nous dire quelle est la "vraie" place de Dieu ... comment le savoir?

Puis il me semble que le Dieu de Spinoza est une créature BEAUCOUP plus singulière et précise que ce qu'on peut comprendre par l'expression "Nature universelle" (si l'on peut comprendre quelque chose par là ...).

Serge a écrit :Personnellement, je le vois plutôt comme une sortie progressive de "l'âge sombre" à partir de la "Renaissance" (précisément.) Sans doute la découverte d'Aristote n'y a pas été pour rien ; la Réforme non plus... Galilée et la Science itou. La contestation du dogme chrétien commençait à transpirer de partout. Mais Spinoza, c'est la bombe... Je ne pense pas qu'il ait eu pour objectif de réformer quoi que ce soit en Politique. Il a surtout pris d'énormes risques personnels pour la Vérité...


oui ok, mais alors tu identifies une philosophie à La Vérité. C'est tout à fait ton droit, bien sûr. Personnellement, je crois que l'intérêt/l'efficacité d'une philosophie se trouve ailleurs, et cela pour les raisons que je viens d'expliquer: les travailleurs de la preuve du vrai, pour moi ce sont les scientifiques. Seuls eux disposent de moyens fiables pour démontrer la vérité d'une thèse. Les philosophes, qui ne font que lire et écrire (et vivre) peuvent inventer des théories extrêmement intéressantes, ayant une grande utilité pratique dès qu'on essaie de les appliquer à la vie réelle, mais je ne vois vraiment pas comment ils pourraient atteindre La Vérité, au sens scientifique actuel.
Amitiés,
louisa

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Messagepar Louisa » 09 janv. 2008, 15:30

PS à Serge: si pour toi le spinozisme pourrait tout de même être "la seule vraie philosophie", que fais-tu des philosophies du XVIIIe siècle jusqu'à présent?

En tout cas, je peux bien m'imaginer que si tu trouves que toute la philosophie ne travaille que sur un seul problème, qu'un certain philosophe à tes yeux l'a résolu le mieux.

Mais contrairement à ce qui se passe en science, les philosophes ne se sont jamais mis d'accord ni sur le problème dont il faudrait traiter en philosophie, ni sur les solutions.

Pour moi, cela montre non seulement qu'en philosophie, nous n'avons aucun moyen fiable capable de mettre tous d'accord (contrairement aux sciences), mais aussi que nous n'avons aucun "progrès" vers la solution "finale" ou vers la solution provisoirement la seule valide d'un seul et même problème.

Aborder l'histoire de la philosophie comme une histoire de création de toujours nouveaux problèmes et concepts me semble ainsi donner un accès beaucoup plus "fécond" aux philosophies du passé (et à l'activité créatrice en philosophie contemporaine) que d'essayer de faire comme si tous traitaient d'un seul et même problème et comme s'ils (et nous) disposent d'un moyen pour "trier" les différentes philosophies, selon l'adéquation de la solution qu'elles proposent à ce seul et même problème. Car comme le dit Delbos: on risque, dans ce cas, d'aborder tout philosophe par le biais de SON problème à soi, et de ne créer que des contre-sens au lieu de réussir à acquérir une compréhension profonde de telle ou telle philosophie, compréhension qui pourrait bien être la première condition sine qua non pour pouvoir appliquer cette philosophie dans sa vie concrète, donc pour pouvoir la tester et la réaliser ici et maintenant. Or justement, si la philosophie n'est pas une science, au sens actuel du terme, son intérêt ne commence que quand, une fois créée, de plus en plus de gens décident d'essayer de la réaliser, là où en science c'est de la réalité pré-existante que l'on veut obtenir une connaissance, réalité toujours déjà réalisée donc, en un certain sens.
Cordialement,
louisa

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Messagepar sescho » 09 janv. 2008, 21:52

Avec tout le respect que je te porte, je suis d’accord avec peu de choses dans ce que tu as dit... Pour limiter le volume, je ne prends que ce qui me semble le plus important :

Louisa a écrit :… tu te baserais sur quelles propositions pour conclure qu'une idée adéquate d'une essence singulière est impossible? D'abord: tu as l'impression qu'il n'y a pas d'essences singulières chez Spinoza, ou tu as plutôt l'impression qu'il y en a mais que nous ne pouvons pas les connaître? Si tu as l'impression qu'il n'y en a pas: comment comprendre alors les propositions 3.6 et 3.7?

Cela fait beaucoup d’ "impressions"… Reconnais que lorsque je dis fermement quelque chose, je l’étaye par des citations plutôt complètes. Ce ne sont donc en l’occurrence pas des impressions mais une certitude (pondérée du fait que je considère qu’une erreur de ma part est malgré tout toujours possible) basée sur pas mal de propositions de Spinoza et des formulations des plus claires. Il est hors de question que je répète ici ce que j’ai déjà développé plusieurs fois. Je vais donc rappeler les fils correspondants :

Spinoza et les femmes / le parallélisme

La connaissance du troisième genre

Louisa a écrit :Pour concevoir toute l'histoire des inventions et découvertes humaines comme une lente élimination de problèmes, pour concevoir les problèmes intellectuels comme des "obstacles" à notre bien-être, il faut supposer qu'au début, il y avait un genre de paradis: absence de problème égal bonheur total pour l'homme.

Pourquoi ? Le problème en principe est inhérent à la vie consciente (et le problème en réalité prend un degré divers chez chaque individu) ; il est donc a priori, avant toute philosophie ; ensuite il y a les solutions plus pertinentes à ce problème et celles qui le sont moins (mais je l’accorde, qui peuvent varier en fonction de l’ampleur de la manifestation effective du problème dans la réalité, et qui plus généralement ne sont réellement qu’en tant que réalités, dans les individus.)

Louisa a écrit :Si donc les problèmes concrets, dans la vie quotidienne, surgissent sans que nous fassions quoi que ce soit, et nous embêtent voire peuvent être fort dangereux, les problèmes intellectuels sont passionnants, mais n'existent jamais sans que notre intellect les a créés. Résoudre un problème de la vie quotidien nous soulage, nous donne de nouveau les moyens de continuer notre vie tel que nous voulons la vivre (destruction d'un obstacle). Mais résoudre un problème intellectuel ne donne plus qu'un seul désir: en trouver un autre (création d'une nouvelle possibilité de comprendre et d'agir)!

Ah d’accord, tu vois cela comme un problème de Maths, un casse-tête, une grille de mots croisés, de sudoku, etc. Dans ce cadre, la Béatitude restera à tout jamais un pur concept… J’ai une conception totalement différente de la chose, c’est clair et net.

Ce que dit Delbos me convient (pour autant que je perçoive bien sa pensée dans les extraits fournis) ; en particulier "la connaissance du vrai l'intéresse beaucoup moins par ses procédés et ses résultats théoriques que par ses conséquences pratiques".

Louisa a écrit :Que fais-tu alors de philosophes comme Nietzsche, qui s'expriment par aphorismes ?

Je trouve Nietzsche très clair, et j’apprécie spécialement les aphorismes. C’est même pas loin d’être l’opposé absolu de la lourde tambouille de concepts pas clairs, de phrases pas claires et de néologismes tout-à-fait abscons dont je parle (en admettant que je la perçoive comme elle mérite, ce qui n’est pas sûr.)

S’agissant de la philosophie analytique, celle qui reprend les Anciens, mais en traquant les erreurs de logique et autres approximations, elle me semble tout-à-fait légitime. Je ne vois pas la différence avec la Raison. Mais il y a aussi les prémisses absolument indispensables au développement d’un raisonnement, et qui en déterminent la portée… « Quelle est l’axiomatique la plus féconde d'un point de vue existentiel ? » est donc la question essentielle, et pas facile... (inutile de préciser que la Philosophie morale arrive pour moi en tout premier lieu, et avec elle tout ce qui la porte.)

Louisa a écrit :… On n'obtient pas une preuve scientifique en se basant sur son vécu subjectif, on ne l'obtient qu'au moment où l'on a trouvé un moyen pour rendre sa théorie vérifiable objectivement, c'est-à-dire au moment où l'on a trouvé une façon de tester cette théorie qui peut facilement être effectué par tout collègue compétent et qui donne systématiquement, sans aucun équivoque, le même résultat que celui que prévoit la théorie.

Voilà quelque chose que je conteste totalement dans son manque de nuance, enseigné par mon premier Maître, Paul Diel. Ce terme de « subjectif » est fort peu clair en l’occurrence, et met la suspicion sans en dire réellement la raison. Ce n’est pas parce que l’expérience est intérieure qu’elle n’est pas objective. Lorsqu’elle l’est c’est alors l’"introspection élucidante", qui s’oppose à l’"introspection morbide" ; elle est alors vérifiable, en lui-même, par tout autre individu suffisamment clair pour percevoir la même loi en lui. Sinon, la Psychologie des profondeurs est bannie, pour ne laisser que cet ersatz de science qu’est la psychologie expérimentale.

Louisa a écrit :… qui pourrait nous dire quelle est la "vraie" place de Dieu ... comment le savoir?

Spinoza nous le dit. Nous avons l’idée d’un être parfait, omniprésent, omnipotent, omniscient… que nous appelons Dieu ; et bien cet être est tout être, il est l’Être qui nous est indiqué par la lumière naturelle, il est la Nature, naturante et naturée, soit une substance unique formée d’une infinité d’attributs, etc.

Ce n’est pas du sudoku, c’est la vie…


Serge
Connais-toi toi-même.


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