Être heureux

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Messagepar sescho » 22 févr. 2008, 20:33

A Hokousai,

D'abord je suis d'accord avec vous que Dieu ne connaît pas le Corps humain en tant qu'il constitue l'Esprit humain seul ; c'est très clairement dit par E2P27, repris en particulier dans E2P29C et S. Par ailleurs, "essence objective" étant la même chose que "essence formelle", hormis l'attribut auquel il se rapporte (TRE(27-28), CT2App2, E1P17C2S), toute formulation de ce type est une affirmation du "parallélisme."

Sur les âmes de choses, nous sommes d'accord sur l'interrogation (découlant du "parallélisme" et par conséquent de la réalité des attributs en tant que "faces parallèles" de la Substance, dont la Pensée.) Clairement, pour Spinoza, en conséquence, il y a une âme de toute chose. Encore une fois, qu'on y croie ou pas (ce qui est aussi mon cas) il me semble qu'il est impossible de confirmer ou d'infirmer la chose : nous sommes liés à un certain corps, pas aux autres... Donc on ne reste à : on prend le parallélisme ou on ne le prend pas (sans que cela ne remette en cause fondamentalement l'ensemble de l'exposé de Spinoza.) Mon critère serait alors sans doute le "rasoir d'Occam", soit l'économie de principes et de maniement de ces principes, mais je ne suis même pas sûr que le parallélisme en sortirait perdant...

Ce que j'ajouterais, c'est que le parallélisme rend un peu douteuse la formule "une pierre pense" ; serait plus juste à mon avis : "il existe une idée de cette pierre, qui convient parfaitement avec elle en Dieu". Certes nous nous sentons, en tant que pensant, bien très intimement liés à un certain corps, et Spinoza, après avoir dit que nous sommes un mode la Pensée, dit bien que l'Homme est Corps et Mental. Qu'en est-il pour la pierre ? Son corps très simple ne peut être affecté de beaucoup de façons... Il est de ce fait interdit de transposer à une pierre notre mode de pensée. C'est ce que Spinoza dit en substance dans E2P8S2 :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P8S2 : ... Quand on ignore en effet les véritables causes des Etres, on confond tout ; on fait parler indifféremment des arbres et des hommes, sans la moindre difficulté ; que ce soient des pierres ou de la semence qui servent à engendrer des hommes, peu importe, et l’on s’imagine qu’une forme quelle qu’elle soit se peut changer en une autre forme quelconque. C’est encore ainsi que, confondant ensemble la nature divine et la nature humaine, on attribue à Dieu les passions de l’humanité, surtout quand on ne sait pas encore comment se forment dans l’âme les passions.


Amicalement

Serge
Connais-toi toi-même.

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Messagepar hokousai » 22 févr. 2008, 21:44

à Sescho
"il existe une idée de cette pierre, qui convient parfaitement avec elle en Dieu".

c'est mon avis , c'est ce que j'ai essayé d'exprimer .

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Messagepar hokousai » 22 févr. 2008, 21:47

A Louisa
j'espère vous avoir montré par la citation ci-dessus que vous vous trompez: le dieu spinoziste connaît bel et bien les corps humains en tant qu'il constitue l'esprit humain


je m’en était effectivement tenu aux idées inadéquates (volontairement )Parce qu’il y a chez Spinoza un changement net de registre à partir des notions communes (prop 38/2) mais je vois le virage avant , juste avant dans la demo prop36/2
et là c’est net on passe de l’esprit singulier( le mien le votre) à l’en Dieu.

Alors je dirais qu à partir delà on est plus dans la problématique de l’esprit humain mais dans celle de l’esprit divin .
Le passage du singulier à l’universel (de dieu ) est bien notifié par la pro 37/2 ce qui est commun .. ne constitue l’essence d’aucune chose singulière .

L’esprit humain singulier( le mien le votre ) ne l’est plus quand il a des idées adéquates .
Peut-il encore s’ agir de l’idée du corps affecté ?

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Essence singulière, suite...

Messagepar ShBJ » 23 févr. 2008, 16:19

A Louisa, salut !

Dans la mesure où tu as cité tous les passages (judicieux) qui semblent t'autoriser à parler de l'essence de l'esprit comme ayant l'essence du corps comme objet, mais reconnais qu'aucun passage de l'Ethique ne dit une chose pareille, je crois que notre divergence ne repose pas sur des éléments textuels invocables, mais est d'interprétation, et radicale.

1) Le passage du TIE où figure l'expression d'essence formelle objet d'une autre essence me paraît faire un usage du concept d'essence tout autre que celui de l'Ethique : il s'agit en fait uniquement de ce que Descartes aurait appelé réalité formelle de l'idée, distinguée de la réalité objective (voir la Méditation troisième).

2) Il me semble que tu confonds (consciemment peut-être) l'attribut comme essence de la substance et l'essence singulière. Du même coup, tu en viens à appliquer la distinction réelle des attributs (E, I, 10) à l'essence singulière des modes. Je ne crois pas qu'une telle confusion soit légitime, et que l'on puisse parler d'essence d'un esprit singulier différente de l'essence d'un corps singulier - mais bien, comme je l'écrivais, d'une même essence singulière considérée selon tel ou tel attribut. La "question du rapport entre les deux essences" ne continue pas à se poser, ni ne commence à se poser. La question du rapport entre les attributs, oui, mais qui est réglée en E, II, 7. Spinoza emploie toujours, dans les passages de la cinquième partie que tu cites, "exprimer", "envelopper", "appartenir", etc. Ainsi, dans E, V, 23, par exemple, ce n'est pas "le rapport de l'essence de l'esprit à l'essence du corps" qui est un rapport d'expression (je maintiens qu'il n'y a pas de rapport puisqu'il n'y a pas deux essences), mais le rapport de l'idée de l'essence du corps à l'essence du corps.
En fait, tu me parais confondre l'idée que je suis (en Dieu) et l'idée que j'ai de mon corps.

3) Je parlais de médiation, parce que distinguer l'essence de l'esprit singulier et l'essence du corps singulier, et affirmer que celle-là a celle-ci pour objet, c'est se contraindre à affirmer que Dieu ne connaît les corps qu'en tant qu'il connaît les esprits, par leur médiation. Tu ne peux pas à la fois distinguer deux essences singulières et maintenir l'immédiateté de la connaissance divine.

4) Le dernier paragraphe de mon intervention porte sur la possibilité, pour Dieu, de connaître l'inadéquation en tant que telle, lors même qu'il n'a que des idées adéquates. Il me semble que c'est un problème fondamental de l'Ethique, et que le résoudre pourrait permettre de répondre à des objections (stupides mais fréquentes) selon lesquelles le Dieu de Spinoza est trop loin de l'humaine condition.
Il s'agit d'appliquer à Spinoza, mutatis mutandis, le même montage que celui qui permettait aux scolastiques de concilier la proposition aristotélicienne selon laquelle Dieu ne pense que lui-même et la proposition biblique selon laquelle il se soucie de chacun de nos cheveux. Pour Saint Thomas d'Aquin comme pour saint Bonaventure, ça passe par Jean, I, 2 - par l'éternité de l'incarnation, le Père pense la singularité des créatures via le Fils, en ne pensant que lui-même, et le tour est joué grâce à la pluralité des personnes dans l'unité de la substance. Mais dans l'Ethique ? Comment Dieu connaît-il les affects passifs en tant que tels ? La médiation (car c'en est une) que tu proposes pourrait permettre de considérer que Dieu pense les idées inadéquates en pensant mon esprit singulier (l'idée que je suis et donc les idées que j'ai). Mais c'est là une hypothèse que je n'ai pas davantage élaborée.

Tiens-toi en joie bonne et contentement serein.[/i]

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Messagepar Louisa » 24 févr. 2008, 18:22

Bonjour ShBJ,

ShBJ a écrit :A Louisa, salut !

Dans la mesure où tu as cité tous les passages (judicieux) qui semblent t'autoriser à parler de l'essence de l'esprit comme ayant l'essence du corps comme objet, mais reconnais qu'aucun passage de l'Ethique ne dit une chose pareille, je crois que notre divergence ne repose pas sur des éléments textuels invocables, mais est d'interprétation, et radicale.

1) Le passage du TIE où figure l'expression d'essence formelle objet d'une autre essence me paraît faire un usage du concept d'essence tout autre que celui de l'Ethique : il s'agit en fait uniquement de ce que Descartes aurait appelé réalité formelle de l'idée, distinguée de la réalité objective (voir la Méditation troisième).


à mon sens l'originalité de Spinoza réside précisément, à ce sujet, dans le fait de faire coïncider la réalité objective avec la réalité formelle. Il opère ce changement par rapport à Descartes explicitement dans le TIE, mais je ne vois rien dans l'Ethique qui annulerait de nouveau cette redéfinition, au contraire même, ce qu'il y développe concernant "l'union" de l'esprit et du corps devient incompréhensible dès que l'on ne tient pas compte de la différence entre son usage du couple formel-objectif dans le TIE comparé à Descartes. Pour un développement de cette différence, voir Spinoza, lecteur des "Objections" faites aux "Méditations" de Descartes et de ses "Réponses" de Bernard Rousset, éd. Kimé pg. 28-29.

ShBJ a écrit :2) Il me semble que tu confonds (consciemment peut-être) l'attribut comme essence de la substance et l'essence singulière. Du même coup, tu en viens à appliquer la distinction réelle des attributs (E, I, 10) à l'essence singulière des modes.


il est certain que je ne vois pas encore très bien en quoi la distinction entre les attributs pourrait être réelle tandis que la distinction entre deux modes appartenant à deux attributs différents ne le serait pas. Quels seraient les arguments pro cette thèse?

ShBJ a écrit : Je ne crois pas qu'une telle confusion soit légitime, et que l'on puisse parler d'essence d'un esprit singulier différente de l'essence d'un corps singulier - mais bien, comme je l'écrivais, d'une même essence singulière considérée selon tel ou tel attribut.


ici aussi, je ne suis pas encore certaine d'avoir trouvé la meilleure interprétation. Dans l'Ethique, Spinoza définit l'essence comme ce qui n'a rien en commun avec une autre essence. Cela me semble valoir aussi bien pour l'essence des attributs que l'essence des choses singulières. Car les choses singulières se définissent par l'effet qu'elles produisent, or ce qui n'a rien en commun ne peut avoir un rapport causal. Si donc l'essence objective d'une chose ou l'idée qu'est cette chose relève de l'attribut de la pensée, et l'essence formelle ou l'essence du corps (dans le cas de l'homme) de l'attribut de l'étendue, je ne vois pas comment les deux essences pourraient avoir quelque chose en commun. Certes, il y a une union entre les deux telles qu'elles constituent une seule et même chose, mais justement, qui dit union dit rapport, et non pas identité, non?

Je dirais donc qu'il s'agit d'une seule et même CHOSE, considérée tantôt dans son essence objective (= l'essence de son esprit), tantôt dans son essence corporelle, et non pas d'une seule et même essence que l'on sait concevoir de façons différentes, selon l'attribut sous lequel on la contemple (sinon, penses-tu à l'un ou l'autre passage où Spinoza parle de la possibilité de considérer une ESSENCE et non pas une chose du point de vue de l'un ou l'autre attribut?).

De la même manière, la Nature est une seule et même chose, mais son essence est différente lorsqu'on la conçoit du point de vue de Dieu (= l'essence de Dieu) que quand on la conçoit du point de vue d'un mode (qui a une essence à laquelle n'appartient pas l'être de la substance).
Et à partir de ce moment-là, ici aussi se pose la question du rapport entre ces deux essences, ou du rapport entre l'essence d'un mode et l'essence de Dieu.

ShBJ a écrit :La "question du rapport entre les deux essences" ne continue pas à se poser, ni ne commence à se poser. La question du rapport entre les attributs, oui, mais qui est réglée en E, II, 7. Spinoza emploie toujours, dans les passages de la cinquième partie que tu cites, "exprimer", "envelopper", "appartenir", etc. Ainsi, dans E, V, 23, par exemple, ce n'est pas "le rapport de l'essence de l'esprit à l'essence du corps" qui est un rapport d'expression (je maintiens qu'il n'y a pas de rapport puisqu'il n'y a pas deux essences), mais le rapport de l'idée de l'essence du corps à l'essence du corps.
En fait, tu me parais confondre l'idée que je suis (en Dieu) et l'idée que j'ai de mon corps.


pourrais-tu développer davantage ce que tu viens de dire ici? En quel sens est-ce que je confonds ces deux idées, par exemple?

ShBJ a écrit :3) Je parlais de médiation, parce que distinguer l'essence de l'esprit singulier et l'essence du corps singulier, et affirmer que celle-là a celle-ci pour objet, c'est se contraindre à affirmer que Dieu ne connaît les corps qu'en tant qu'il connaît les esprits, par leur médiation. Tu ne peux pas à la fois distinguer deux essences singulières et maintenir l'immédiateté de la connaissance divine.


je crois effectivement que Dieu ne connaît les corps qu'en tant qu'il connaît les esprits. Si selon toi ce n'est pas le cas, comment Dieu connaîtrait-il d'après toi les corps?

La connaissance de Dieu, ou l'intellect de Dieu, n'est rien d'autre qu'un ensemble d'idées. Ces idées sont les essences objectives de tout ce qui existe. L'ensemble de ces idées forment l'attribut de la Pensée, et expriment de ce point de vue l'essence de Dieu. Et c'est par le "biais" de l'attribut de la Pensée que Dieu connaît tous les autres attributs et leurs modes, modes qui sont à chaque fois objets d'une idée singulière qui exprime l'attribut de la pensée. C'est donc parce que l'attribut de la pensée n'est rien d'autre que l'ensemble de toutes les idées (et donc aussi des idées qui constituent les esprits des choses) que la connaissance de Dieu ayant les modes des autres attributs comme objets n'est pas une "médiation", cette connaissance, c'est Dieu lui-même, mais cela en tant que son essence s'exprime par l'attribut de la pensée. Le "biais" par lequel il connaît les corps n'est pas un "instrument", un moyen, qui s'ajoute à Dieu, c'est l'essence même de Dieu, en tant qu'il s'explique par la pensée. Autrement dit, la connaissance de Dieu, C'EST l'attribut de la Pensée, et ce qu'il connaît, ce sont tous les autres attributs (plus celui de la pensée dans son aspect formel). Je ne vois pas comment concevoir dans ce schéma l'une ou l'autre "médiation"?

ShBJ a écrit :4) Le dernier paragraphe de mon intervention porte sur la possibilité, pour Dieu, de connaître l'inadéquation en tant que telle, lors même qu'il n'a que des idées adéquates. Il me semble que c'est un problème fondamental de l'Ethique, et que le résoudre pourrait permettre de répondre à des objections (stupides mais fréquentes) selon lesquelles le Dieu de Spinoza est trop loin de l'humaine condition.


j'avoue que pour l'instant je ne vois pas très bien le problème, mais cela m'intéresse bien de mieux le comprendre. En attendant, voici comment je vois les choses à ce sujet.

La "condition" humaine est la condition de tout mode. Elle se caractérise par le fait de ne pas être cause de soi, et donc par le fait de n'être qu'une partie d'un tout qui lui dépasse. Autrement dit, tout mode, toute chose singulière (humaine ou non), se caractérise par le fait d'être "limité". Cette "limitation" implique que le mode en tant que mode ne peut avoir connaissance des essences objectives de toute chose particulière, et cela simplement parce que son esprit, ou l'ensemble de ses connaissances, est limité, tandis que le nombre de choses qui existent est infini. Par définition, un mode a donc une connaissance "partielle". L'inadéquation n'est à mes yeux rien d'autre que cela: une connaissance partielle d'une chose.

Alors aussi longtemps que l'on pense sur base d'un Dieu non pas immanent mais transcendant aux choses/modes, on peut effectivement dire que Dieu "ne connaît pas" la condition humaine telle que celle-ci se vit elle-même. Or, dès que Dieu EST la Nature, il connaît tout ce qui existe réellement, c'est-à-dire ... toutes les idées adéquates, non partielles. Cela ne veut pas dire que les idées inadéquates qui se trouvent dans l'esprit humain flottent quelque part hors Dieu, puisqu'ici, rien n'est plus hors Dieu. Cela veut seulement dire que les deux natures qui sont enveloppées par définition dans une idée inadéquate, sont pensées chacune de manière claire et distincte par Dieu. Il a donc également toutes nos idées inadéquates en lui, telles quelles, seulement Dieu y ajoute systémaquement ce qui leurs manquent, dans l'esprit de l'homme, pour être "entières" et non plus partielles.

Le fait que Dieu a en lui toutes nos idées inadéquates, mais cela seulement en tant qu'il a également une idée d'une infinité d'autres choses, ne "sépare" donc aucunement Dieu de ses modes. Cela indique seulement que Dieu a "plus" d'idées que nous, et non pas uniquement d'autres idées (tandis que certaines des nôtres seraient ailleurs qu'en lui).

ShBJ a écrit :Il s'agit d'appliquer à Spinoza, mutatis mutandis, le même montage que celui qui permettait aux scolastiques de concilier la proposition aristotélicienne selon laquelle Dieu ne pense que lui-même et la proposition biblique selon laquelle il se soucie de chacun de nos cheveux. Pour Saint Thomas d'Aquin comme pour saint Bonaventure, ça passe par Jean, I, 2 - par l'éternité de l'incarnation, le Père pense la singularité des créatures via le Fils, en ne pensant que lui-même, et le tour est joué grâce à la pluralité des personnes dans l'unité de la substance. Mais dans l'Ethique ? Comment Dieu connaît-il les affects passifs en tant que tels ?


Dieu étant le tout, il connaît tous les affects EN TANT QUE ceux-ci constituent le tout. L'homme ne connaît les affects qu'EN TANT QU'ils constituent seulement une partie de ce tout: son propre corps et esprit. Dieu "voit" donc que tel ou tel affect est passif pour la chose x, mais en voyant en même temps la chose y qui l'affecte, il peut avoir IMMEDIATEMENT une idée adéquate de cet affect. Il la complète donc, au lieu de la "remplacer" par une idée adéquate.
Mais cela ne résoud peut-être pas ton problème?
Porte-toi bien,
louisa

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Messagepar Louisa » 24 févr. 2008, 19:12

PS à ShBJ:

ShBJ a écrit :Il s'agit d'appliquer à Spinoza, mutatis mutandis, le même montage que celui qui permettait aux scolastiques de concilier la proposition aristotélicienne selon laquelle Dieu ne pense que lui-même et la proposition biblique selon laquelle il se soucie de chacun de nos cheveux. Pour Saint Thomas d'Aquin comme pour saint Bonaventure, ça passe par Jean, I, 2 - par l'éternité de l'incarnation, le Père pense la singularité des créatures via le Fils, en ne pensant que lui-même, et le tour est joué grâce à la pluralité des personnes dans l'unité de la substance. Mais dans l'Ethique ? Comment Dieu connaît-il les affects passifs en tant que tels ?


ne faudrait-il pas dire que pour Spinoza, la connaissance divine du monde "ici-bas" ne passe pas par le Fils, qui du point de vue spinoziste n'incarne pas la connaissance divine (comment un seul homme pourrait-il avoir dans son esprit l'ensemble des idées de tout ce qui existe ... ??) mais simplement la seule règle de base de la "vraie religion", c'est-à-dire le fait d'aimer son prochain? Il me semble que quand Spinoza se base sur la Bible pour identifier Dieu et une omniscience, il se réfère plutôt au "Saint Esprit" (je ne me souviens hélas plus du passage précis; je crois qu'il s'agit du TTP .... - mais donc de nouveau, on voit qu'il y a identification et non pas médiation).

Si le Fils peut avoir une "compassion" pour l'homme, c'est précisément parce qu'il souffre/pâtit nécessairement lui-même, de temps à autre, n'étant seulement qu'une partie de la nature, donc un mode comme un autre, en tant qu'être humain. Or supposer que le Saint Esprit, ou l'esprit divin, puisse pâtir, cela semble être absurde, précisément parce qu'ici on ne parle plus d'un esprit d'un mode, mais de l'esprit divin, qui ne connaît pas d'extérieur et par là même ne peut pâtir.

En tout cas, je ne vois pas pourquoi on aurait "besoin" d'un Dieu capable de "compâtir" avant de pouvoir dire qu'il est omniscient. Il suffit de ne pas considérer les passions comme étant des connaissances vraies pourqu'un Dieu qui n'est rien d'autre, dans son Esprit, que l'ensemble de toutes les connaissances vraies, puisse être omniscient. Sinon je ne vois pas non plus pourquoi il faudrait s'imaginer la Nature comme ayant un quelconque "souci" pour l'homme, avant de pouvoir atteindre, en tant que mode fini, la béatitude, ici et maintenant.
Porte-toi bien,
louisa

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Messagepar Pourquoipas » 24 févr. 2008, 19:44

Louisa a écrit :(...)
La connaissance de Dieu, ou l'intellect de Dieu, n'est rien d'autre qu'un ensemble d'idées. Ces idées sont les essences objectives de tout ce qui existe. L'ensemble de ces idées forment l'attribut de la Pensée, et expriment de ce point de vue l'essence de Dieu.
(...)


Je ne crois pas : l'ensemble de ces idées forment l'entendement infini de Dieu, mode, infini de premier degré soit (ou immédiat), mais mode. Si j'en crois I, 31, il y a d'autres modes, façons, manières, de penser, qui ne forment pas l'attribut Pensée, mais sont également des conséquences de la nature absolue de ce dernier (I, 21).

Spinoza, en Ethique, I, 31 a écrit :Intellectus actu, sive is finitus sit, sive infinitus, ut et voluntas, cupiditas, amor etc. ad Naturam naturatam, non vero ad naturantem referri debent.
Demonstratio : Per intellectum enim (ut per se notum) non intelligimus absolutam cogitationem, sed certum tantùm modum cogitandi, qui modus ab aliis, scilicet cupiditate, amore, etc. differt, adeóque (per Def. 5) per absolutam cogitationem concipi debet, nempe (per Prop. 15 et Def. 6) per aliquod Dei attributum, quod aeternam, et infinitam cogitationis essentiam exprimit, ità concipi debet, ut sine ipso nec esse, nec concipi possit ; ac propterea (per Schol. Prop. 29) ad Naturam naturatam, non vero naturantem referri debet, ut etiam reliqui modi cogitandi. Q.E.D.

L'entendement en acte, qu'il soit fini ou infini, tout comme la volonté, le désir, l'amour, etc., doivent être rapportés à la Nature naturée mais pas à la naturante.
Démonstration : Par entendement en effet (comme il est connu de soi) nous n'entendons pas la pensée absolue, mais seulement une façon précise de penser, façon qui diffère d'autres, comme le désir, l'amour, etc., et donc (par Df 5) il doit être conçu à travers [per] la pensée absolue, à savoir (par 15 et Df 6) à travers [per] un [aliquod] attribut de Dieu qui exprime l'essence éternelle et infinie de la pensée ; il [l'entendement] doit être conçu de telle sorte que sans lui [ipso = cet attribut] il ne peut ni être ni être conçu ; et donc (par 29 S) il doit être rapporté à la Nature naturée mais pas à la naturante, tout comme les autres façons de penser. CQFD


Je ne vois pas comment interpréter l'expression "pensée absolue" sinon comme "attribut Pensée" [ajout du 26/02/08 : et plus précisément comme "nature absolue de l'attribut Pensée"].
Modifié en dernier par Pourquoipas le 26 févr. 2008, 11:37, modifié 4 fois.

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Essences singulières, encore et toujours...

Messagepar ShBJ » 24 févr. 2008, 20:56

A Louisa, salut !

Je ne puis répondre à toutes tes remarques, et me borne par suite à ce qui me semble être essentiellement nos points de dissensus :

1) Je partage pleinement l'objection que t'adresse Pourquoipas, selon laquelle tu confondrais, pour ce qui est de la pensée, le mode infini immédiat (entendement divin) et l'attribut. Tu sembles construire l'unité de l'attribut à partir de ses parties, lesquelles ne peuvent être que modales, au mépris de E, I, 12-13.

2) Où as-tu vu que l'essence était définie comme ce qui n'a rien de commun avec une autre essence ? Ni la déf. 4 de Ethique, I, ni la déf. 2 de Ethique, II, ni E, III, 7, etc. ne disent une chose pareille... Te fondrais-tu alors sur E, II, 37 ? Mais affirmer que la notion commune ne constitue pas l'essence singulière d'une chose, ce n'est pas définir l'essence comme ce qui n'a rien de commun avec une autre essence (la contraposée est vraie mais pas la contradictoire).

3) Le terme d'union, cartésien au possible, est utilisé par Spinoza en E, II, 13, scolie, de manière purement polémique - et qui dit union, précisément entendue, dit tout sauf un rapport qui demeurerait inintelligible, mais bien une identité. La démonstration implicite de l'unité de la substance malgré la pluralité des attributs (contenue en E, I, 10, scolie) est toujours valable quant aux choses singulières : c'est parce que la pensée et l'étendue sont réellement distinctes que l'essence singulière est numériquement une (conversion d'une prop. universelle négative). Je m'étais probablement mal expliqué lors de ma précédente intervention.

4) L'idée que je suis, c'est mon essence comprise en Dieu. L'idée que j'ai, c'est l'idée que Dieu a "non en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il s'explique par la nature de [mon esprit], autrement dit en tant qu'il constitue [mon esprit], etc." (E, II, 11, corollaire). A distinguer numériquement l'essence singulière du corps et l'essence singulière de l'esprit, sous prétexte de distinction réelle des attributs étendue et pensée, à affirmer par suite que l'essence de l'esprit a l'essence du corps pour objet, tu te condamnes à déclarer (comme tu le fait d'ailleurs clairement, mais je crois à tort) que Dieu ne connaît l'idée que je suis que par la médiation (je le répète) de l'idée que j'ai. Ce qui est absurde.
Ce qui nous ramène au point (1) et à l'objection de Pourquoipas.

5) Nous n'avons aucunement besoin d'un Dieu compatissant, c'est entendu. Le problème n'est pas là, ni n'est celui de la détermination du statut du Christ chez Spinoza (au reste, Matheron a tout dit là-dessus). Le problème est de savoir si Dieu connaît l'inadéquation en tant qu'inadéquation, et non en tant qu'il connaît les raisons de l'inadéquation de telle idée, c'est-à-dire les propriétés de mon corps et du corps qui m'affecte en vertu desquelles je ne puis le concevoir qu'inadéquatement.

6) La coïncidence de la réalité formelle et de la réalité objective de l'idée, que je t'accorde bien volontiers, ne change rien à ce qui nous préoccupe, à savoir la distinction des essences singulières.

Bien à toi.
Modifié en dernier par ShBJ le 26 févr. 2008, 23:16, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 25 févr. 2008, 12:27

Pourquoipas a écrit :Louisa:
La connaissance de Dieu, ou l'intellect de Dieu, n'est rien d'autre qu'un ensemble d'idées. Ces idées sont les essences objectives de tout ce qui existe. L'ensemble de ces idées forment l'attribut de la Pensée, et expriment de ce point de vue l'essence de Dieu.

Pourquoipas:
Je ne crois pas : l'ensemble de ces idées forment l'entendement infini de Dieu, mode, infini de premier degré soit (ou immédiat), mais mode.


merci de ta remarque, je crois que tu as raison. J'étais dans l'idée d'avoir lu quelque part que tout attribut n'est rien d'autre que les modes qui l'expriment, mais pour l'instant je n'ai pas retrouvé la phrase concernée. En attendant, il vaut mieux se baser sur I,31.

Sinon on pourrait penser au fait qu'en I,33 il écrit que "(...) comme son [= Dieu] intellect et sa volonté ne se distinguent pas de son essence, ce que tous accordent aussi (...)". Le fait qu'ici il dit qu'il n'y a pas de distinction entre l'intellect divin et l'essence divine, doit à mon sens être compris en se basant sur ce que tu dis ci-dessus: l'intellect de Dieu étant un mode infini immédiat, il n'y a pas de "médiation" entre Dieu et son intellect. L'intellect enveloppe certes le concept de l'attribut de la Pensée, et en découle, mais de manière immédiate.

(Pour anticiper ma réponse à ShBJ: on pourrait dire en revanche que la connaissance des modes finis par Dieu est une connaissance "médiate", car c'est exactement le mot que Spinoza utilise dans le scolie de I,28 (alia mediantis his primis, s'agissant d'autres choses qui ne se conçoivent que par l'intermédiaire de "ces premiers", ceux-ci étant les modes immédiats) au sens où Dieu doit passer par l'intellect pour avoir une idée de chaque mode. Mais dire qu'il y a une médiation par l'intellect entre Dieu et les idées de tous les modes finis, c'est encore autre chose, je crois, que de dire que si Dieu connaît les corps, il les connaît autrement que par les idées qui sont les esprits ayant ces corps comme objets, et que les connaître via ces idées serait une connaissance "médiate", comme le prétend ShBJ, si je l'ai bien compris).

Sinon c'est peut-être ce que Spinoza dit dans le scolie de I,17 qui me fait hésiter, quant au statut de l'entendement divin: "si la vérité, et l'essence formelle des choses, est telle, c'est parce que telle elle existe objectivement dans l'intellect de Dieu. Et donc l'intellect de Dieu, en tant qu'on le conçoit constituer l'essence de Dieu, est en vérité cause des choses, tant de leur essence que de leur existence". Est-ce qu'un mode peut constituer l'essence de Dieu, ou est-ce que ce sont seulement des attributs qui la constituent? Si ce ne sont que les attributs qui constituent l'essence de Dieu, comment expliquer que l'intellect infini doit, en tant que mode, appartenir à la Nature naturée et non pas à la Nature naturante, et pourrait néanmoins constituer l'essence de Dieu?

Pourquoipas a écrit : Si j'en crois I, 31, il y a d'autres modes, façons, manières, de penser, qui ne forment pas l'attribut Pensée, mais sont également des conséquences de la nature absolue de ce dernier (I, 21).


je crois également qu'il faut interpréter dans I,31 "la pensée absolue" comme étant l'attribut de la pensée. Quant aux "autres manières de penser": on les retrouve dans l'axiome II,3: "Il n'y a de manières de penser, comme l'amour, le désir, ou toute autre qu'on désigne sous le nom d'affect de l'âme, qu'à la condition qu'il y ait, dans le même Individu, l'idée d'une chose aimée, désirée, etc. Mais il peut y avoir l'idée sans qu'il y ait aucune autre manière de penser".

Ne faudrait-il dès lors pas entendre par "intellect" ce mode de penser qui, contrairement à l'affect, ne consiste pas d'office en une idée accompagnée d'une deuxième idée (celle-ci étant l'idée d'une chose hors de soi, autrement dit idée de cause extérieure de l'affection)? Si oui, les autres modes de penser (l'idée de cause extérieure, par exemple, qui s'ajoute à l'idée d'un changement de puissance, idée ayant l'affection du Corps comme objet) ne seraient pas "moins" des modes de l'attribut Pensée, mais ne relèveraient pas de l'intellect (relèveraient par exemple plutôt de l'imagination)... ?
louisa

Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 25 févr. 2008, 13:37

Juste une remarque (trop rapide) sur les scolies que tu invoques (I 17 S et 33 S 2) : il s'agit de scolies polémiques où Spinoza se place dans la tête d'un fictif adversaire, et le contredit sur les bases posées par celui-ci.
Dans le 17 S, le raisonnement (par l'absurde) commence par (après la fameuse référence à l'homonymie du célèbre clébard, constellation et montrant les crocs) : "Si l'entendement appartient à la nature divine (...)" (Pautrat, Points Seuil, p. 49, 9e l. avant la fin) (vient ensuite ta citation) pour finir par "donc l'entendement de Dieu, en tant qu'on le conçoit constituer l'essence divine, diffère de notre entendement sous le rapport tant de l'essence que de l'existence, et ne peut avoir avec lui d'autre convenance que de nom, comme nous le voulions. A propos de la volonté, on procède de la même manière, comme chacun peut aisément voir" (p. 51).
Conclusion incontestable : ni l'entendement ni la volonté n'appartiennent à la nature, à l'essence de Dieu.
Dans le 33 S 2, il s'agit d'un raisonnement de même type, et ta citation est du même registre (Spinoza se place dans le cadre d'un raisonnement dont il veut prouver l'absurdité).

De toute façon, il faudra un jour prendre le temps d'étudier phrase à phrase ces deux scolies qui sont fondamentaux. Mais méfie-toi de l'usage des citations : elles font toujours partie d'un chemin, d'un raisonnement, et on ne peut les isoler sans dire ce qu'il y a avant et après, et dans quel contexte on se place. Je le redis, l'Ethique est une route, un chemin, une voie, une méthode donc (quant à savoir si cette route mène quelque part, c'est une autre question, que je n'ai pas résolue... :-)).

Porte-toi bien


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