La fierté

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
Enegoid
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Messagepar Enegoid » 22 mai 2008, 21:01

D'un côté on a envie d'être superieur aux autres, et d'un autre, on a envie que les autres reussisent aussi bien que nous,



Deux mécaniques bien réelles.

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Messagepar Enegoid » 22 mai 2008, 21:06

A Louisa

Je ne crois pas que l’on puisse considérer Dieu comme un « modèle. Un « Modèle » est un être de raison qui regroupe une multitude de choses singulières ayant quelque chose en commun. Ce n’est pas le cas de Dieu, qui est unique, et qui n’est pas un être de raison mais une chose réelle, cause de toutes les choses.
Vous considérez l’échelle de la puissance comme continue, depuis les modes jusqu’à la substance, en faisant abstraction de la rupture ontologique entre l’être des modes et l’être de la substance.

Si, malgré tout, on imagine une échelle continue des puissances entre les modes, on se heurte à la difficulté de devoir comparer tous les modes entre eux : il faut comparer la puissance des moules avec celle des scarabées, des hommes et des virus. Difficile. D’ailleurs, vous-même, Louisa, vous limitez implicitement au modèle (être de raison) « homme », qui, en lui-même, puisque non réel, n’a aucune puissance.

Il faut s’accorder sur la notion de puissance. Il me semble que pour Spinoza il s’agit d’abord (et peut-être toujours) d’une puissance de connaître. Mais l’esprit est facilement entraîné à l’élargir à d’autres formes de puissance (puissance d’agir notamment) et il est prudent de définir les formes dont on parle, effectivement. C’est ce que vous faites en disant que pour vous la puissance, c’est la puissance d’être affecté et d’affecter. Il y a donc déjà deux puissances. Elles ne sont pas équivalentes selon moi : ce n’est pas la même chose d’être affecté et d’affecter. La puissance d’affecter renvoie à la puissance d’agir, la puissance d’être affecté renvoie à la puissance de pâtir (et de percevoir). Délicat…

Je termine aujourd’hui (sinon on en a pour des mois) sur votre phrase : « A partir de ce moment-là, on peut comprendre que le sage a une puissance beaucoup plus élevée que quelqu'un qui a grandi dans un milieu social où règne la violence et où toute incitation à l'apprentissage est absente ».
Je ne peux pas vous suivre. Mais il faudrait sans doute des lignes et des lignes de discussion pour clarifier le désaccord.

Il faudrait d’abord :
1. Etre en accord sur la notion de puissance
2. Etre en accord sur le fait que le sage est le modèle de la puissance maximale
3. Etre en accord sur la relation entre le milieu social et le fait de détenir une puissance
4. Etre en accord sur la relation entre la violence et la puissance
5. Etre en accord sur la possibilité d’apprentissage de la puissance
6. Etc.

C’est un peu lourd, non ?

Cordialement

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 23 mai 2008, 19:14

A Louisa

Je continue à vous répondre. Merci de me faire réfléchir!

Louisa a écrit :« Bien sûr, chaque mode est toujours déjà parfait. Mais, y ajoute Spinoza, chaque mode désire également devenir plus parfait qu'il ne l'est, Dieu ayant la plus grande perfection ou, ce qui revient au même, la plus grande réalité »

Je ne sais pas où Spinoza dit que chaque mode désire devenir plus parfait qu’il n’est. Il dit surtout que chaque mode cherche à persévérer dans son être, me semble-t-il.

Pour Spi la perfection humaine, c’est le modèle qu’il annonce au début de Et 4 « Nous dirons en outre les hommes plus ou moins parfaits suivant qu’ils se rapprocheront plus ou moins de ce même modèle ». Mais c’est par une sorte de convention qu’il parle alors de perfection : « Bien qu’il en soit ainsi, cependant il nous faut conserver ces vocables ». Et cette convention il la justifie par son désir à lui Spinoza de « former une idée de l’homme qui soit comme un modèle ». Cela ne contredit pas le fait (pour lui) que « la perfection et l’imperfection ne sont que des modes de penser ».

Ce n’est pas la puissance infinie de Dieu qui sert de modèle (je dis cela en réaction à votre « ayant » dans la phrase « Dieu ayant la plus grande perfection »).

Louisa a écrit :« Autrement dit: quelqu'un sans instruction, qui forcément a peu d'idées adéquates »

Je ne vois pas où vous pouvez trouver chez Spi une ligne qui associe les idées adéquates à l’instruction !

Louisa a écrit :« …dispose d'un degré de puissance et donc d'une réalité fort petite. Il "existe peu"
Affirmation très générale et très complexe. Mais vous reliez à quoi ? aux idées adéquates ou à l’instruction ?

.
Louisa a écrit : Il est fort soumis aux rencontres fortuites avec la nature

Croyez-vous que les rencontres fortuites avec la nature (le monde) dépendent principalement de nous ? (Je ne nie pas que l’on puisse, plus ou moins, les choisir. C’est une question de proportion entre le plus et le moins).

Louisa a écrit :Il connaît peu de joies durables, peu de moments de béatitude. »

Ah ? Qu’en savez-vous ?

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Messagepar Enegoid » 25 mai 2008, 10:49

A Louisa (suite et fin)

Louisa a écrit :« S'il faut donc parler en termes de "modèle" (exemplar", je crois que la préface de la 4e partie de lEthique est très clair là-dessus: le modèle que Spinoza nous décrit, c'est celui d'une "meilleure nature", bref celui du sage. C'est par rapport à lui que l'on peut déterminer (même si à mon sens cette détermination est vouée à rester "floue") le degré de puissance de quelqu'un. C'est elle aussi qui permet de nous dire dans quelle mesure la puissance d'une personne x est inférieure ou supérieure à celle d'une personne y. Aussi longtemps qu'on ne "naturalise" pas ces infériorités/supériorités, mais qu'on les comprends comme étant relatives (relatives à la puissance absolue, mais relatives aussi au sens où elle peuvent changer, dans la vie d'une personne), je ne vois pas vraiment de problème à utiliser ces notions. »


D’accord avec vous. Avec xeux bémols cependant.

1 Le degré de puissance de quelqu’un, c’est quoi ? Si on dit que c’est sa puissance de connaître, je vous suis. Mais il y a aussi la puissance d’agir (du corps : voir p.e. le postulat 1 de ET3). Je ne suis pas du tout sûr que la puissance d’agir du corps du sage spinoziste soit une puissance maximale.
(Dans ce cas, le mot « puissance » a le sens qu’il aurait dans une phrase telle que : « certaines plantes ont la puissance de coloniser tout l’espace quand on les introduit quelque part »).

2 Pour ne pas naturaliser, comme vous dites, il faut éviter de se référer à des modèles, ou à des abstractions telles que « jeunes de banlieue » ou autres. Car, dans ce cas vous ne pouvez pas (votre esprit ne le peut pas) éviter de naturaliser (nature =essence). C’est ce que je voulais dire au début de mon intervention.
Et si on ne passe pas par des modèles abstraits, on aboutit à ce genre de question : un homme (ou une femme) qui appartient à la catégorie « jeune de banlieue » est-il plus ou moins « puissant » qu’un homme ou une femme qui cherche à s’approcher du modèle du sage spinoziste ?
Vous répondez oui, par principe, me semble-t-il. Pas moi.

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Messagepar Louisa » 25 mai 2008, 14:56

A Enegoid,

merci de ces réflexions intéressantes! Voici une première tentative de réponse.

Enegoid a écrit :Je ne crois pas que l’on puisse considérer Dieu comme un « modèle. Un « Modèle » est un être de raison qui regroupe une multitude de choses singulières ayant quelque chose en commun. Ce n’est pas le cas de Dieu, qui est unique, et qui n’est pas un être de raison mais une chose réelle, cause de toutes les choses.


je ne voulais effectivement pas dire que Spinoza présente Dieu comme n'étant qu'un exemplar, je reprenais simplement le mot "modèle" dans un sens plus général, pour dire que s'il faut comparer les degrés de puissances, et si on PEUT le faire, dans le spinozisme, c'est bien parce que l'ensemble de tous les degrés de puissance constitue la puissance infinie.

Enegoid a écrit :Vous considérez l’échelle de la puissance comme continue, depuis les modes jusqu’à la substance, en faisant abstraction de la rupture ontologique entre l’être des modes et l’être de la substance.


la "rupture" consiste précisément dans le fait que les modes ne sont qu'un degré de puissance, tandis que Dieu possède la puissance absolue. Sinon les modes ne "divisent" pas la divinité, donc en ce sens-là il y a bel et bien une continuité. Les modes ne sont pas des entités "discrètes", entièrement séparées l'une de l'autre et en même temps de Dieu. Ce n'est que du point de vue d'un mode qu'il y a discontinuité.

Enegoid a écrit :Si, malgré tout, on imagine une échelle continue des puissances entre les modes, on se heurte à la difficulté de devoir comparer tous les modes entre eux : il faut comparer la puissance des moules avec celle des scarabées, des hommes et des virus. Difficile.


difficile certes. Cela n'empêche que c'est à mon sens exactement ce que Spinoza fait. Prenons par exemple l'axiome de la quatrième partie de l'Ethique: chaque mode sera un jour "vaincu" (c'est-à-dire tué) par un mode plus puissant que lui (voir aussi E4ch.32). Comment dire cela si comparer les degrés de puissance serait impossible?
On peut également penser au fait que Spinoza dit que la force d'un affect passif se définit par ma puissance à moi COMPARÉE à celle de la chose extérieure qui vient de frapper mon Corps.

Enegoid a écrit :Il faut s’accorder sur la notion de puissance. Il me semble que pour Spinoza il s’agit d’abord (et peut-être toujours) d’une puissance de connaître.


ce serait faire du spinozisme un idéalisme, autrement dit privilégier un attribut par rapport à tous les autres. Or Dieu est une puissance de penser autant qu'une puissance productive. Toute puissance de connaître, puissance absolue ou degré de puissance, se définit en même temps par un égal degré de puissance d'agir. D'ailleurs, le parallélisme ne dit rien d'autre. Si souhaité on peut bien sûr approfondir ce point, je me limiterai ici seulement à signaler nos divergences d'interprétation, là où je crois qu'il y en a.

Enegoid a écrit :Mais l’esprit est facilement entraîné à l’élargir à d’autres formes de puissance (puissance d’agir notamment) et il est prudent de définir les formes dont on parle, effectivement. C’est ce que vous faites en disant que pour vous la puissance, c’est la puissance d’être affecté et d’affecter.


ce n'est pas moi qui le dis, je ne faisais que paraphraser Spinoza. Voir E4P38 (repris en E4ch.27 et E5P39). Il est vrai qu'il y parle de aptitudo et non pas de potentia. Or je crois qu'ici l'un revient à l'autre (ce qui bien sûr demande une argumentation).

Enegoid a écrit :Il y a donc déjà deux puissances. Elles ne sont pas équivalentes selon moi : ce n’est pas la même chose d’être affecté et d’affecter. La puissance d’affecter renvoie à la puissance d’agir, la puissance d’être affecté renvoie à la puissance de pâtir (et de percevoir). Délicat…


je crois qu'il s'agit plutôt de différentes façons de concevoir un seul et même degré de puissance. Plus un corps est apte à être affecté de manières différentes, plus le degré de puissance de cette chose est elevée. Idem pour l'aptitude d'affecter. Mais ceci aussi demande une argumentation.

Enegoid a écrit :Je termine aujourd’hui (sinon on en a pour des mois) sur votre phrase : « A partir de ce moment-là, on peut comprendre que le sage a une puissance beaucoup plus élevée que quelqu'un qui a grandi dans un milieu social où règne la violence et où toute incitation à l'apprentissage est absente ».
Je ne peux pas vous suivre. Mais il faudrait sans doute des lignes et des lignes de discussion pour clarifier le désaccord.


Peut-être qu'ici une seule citation peut être convaincant? E5P42 sc.:

D'où il appert combien le Sage est fort, et vaut mieux que l'ignorant (...). L'ignorant, en effet, (...) vit en outre presque inconscient et de soi, et de Dieu, et des choses, et, dès qu'il cesse de pâtir aussitôt il cesse aussi d'être. Alors que le sage, au contraire, (...) [est] conscient et de soi, et de Dieu, et des choses (...), jamais il ne cesse d'être (...)".

Enegoid a écrit :
Il faudrait d’abord :
1. Etre en accord sur la notion de puissance
2. Etre en accord sur le fait que le sage est le modèle de la puissance maximale
3. Etre en accord sur la relation entre le milieu social et le fait de détenir une puissance
4. Etre en accord sur la relation entre la violence et la puissance
5. Etre en accord sur la possibilité d’apprentissage de la puissance
6. Etc.

C’est un peu lourd, non ?


en effet ... :D . C'est pourquoi pour l'instant je n'ai fait que signaler les divergences, sans démontrer, pour ensuite éventuellement commencer à en approfondir l'une parmi elle, selon ce qui nous intéresse prioritairement.

Louisa a écrit:
« Bien sûr, chaque mode est toujours déjà parfait. Mais, y ajoute Spinoza, chaque mode désire également devenir plus parfait qu'il ne l'est, Dieu ayant la plus grande perfection ou, ce qui revient au même, la plus grande réalité »

Enegoid:
Je ne sais pas où Spinoza dit que chaque mode désire devenir plus parfait qu’il n’est. Il dit surtout que chaque mode cherche à persévérer dans son être, me semble-t-il.


il dit les deux. Pour le premier aspect: voir notamment TIE G8 B12-13.

Enegoid a écrit :Pour Spi la perfection humaine, c’est le modèle qu’il annonce au début de Et 4 « Nous dirons en outre les hommes plus ou moins parfaits suivant qu’ils se rapprocheront plus ou moins de ce même modèle ». Mais c’est par une sorte de convention qu’il parle alors de perfection : « Bien qu’il en soit ainsi, cependant il nous faut conserver ces vocables ». Et cette convention il la justifie par son désir à lui Spinoza de « former une idée de l’homme qui soit comme un modèle ». Cela ne contredit pas le fait (pour lui) que « la perfection et l’imperfection ne sont que des modes de penser ».


en effet. Ce n'est donc pas parce que nous désirons devenir plus parfait qu'en réalité, c'est-à-dire d'un point de vue absolu, cela a un sens. Quand nous éprouvons de la Joie, et passons à un plus grand degré de puissance donc à une plus grande perfection, cet événement n'est qu'un passage à une plus grande perfection de NOTRE point de vue, nous qui pouvons comparer les deux degrés et le trouver "bon" d'avoir un degré supérieur.

Louisa a écrit:
« Autrement dit: quelqu'un sans instruction, qui forcément a peu d'idées adéquates »

Enegoid:
Je ne vois pas où vous pouvez trouver chez Spi une ligne qui associe les idées adéquates à l’instruction !


je ne crois pas qu'il y ait un lien "direct", au sens où quelqu'un peut avoir une grande "Culture" et néanmoins ne pas être sage du tout. Avoir lu Goethe n'augmente pas nécessairement et dans toutes les circonstances le nombre d'idées adéquates. Je voulais simplement dire que, plus je fréquente des gens sans aucune "instruction" et qui vivent dans la marge de la société, plus j'ai l'impression qu'ils sont avant tout fort "inconscients d'eux-même et de Dieu et des choses", et que ce manque de conscience leur empêche de bien comprendre pas mal de choses, compréhension tout à fait nécessaire pour pouvoir sortir de la misère dans laquelle ils se trouvent. Il me semble que si Spinoza reconnaît la possibilité d'un "salut" pour les "ignorants", il ne voit qu'une façon pour y arriver: par le biais de la religion.

Louisa a écrit:
« …dispose d'un degré de puissance et donc d'une réalité fort petite. Il "existe peu"

Enegoid:
Affirmation très générale et très complexe. Mais vous reliez à quoi ? aux idées adéquates ou à l’instruction ?


de nouveau, je ne faisais que paraphraser le dernier scolie de l'Ethique. Le degré de puissance dépend clairement entièrement du nombre d'idées adéquates (celles-ci définissant la partie éternelle de l'Esprit). L'instruction n'est qu'un moyen pour éventuellement pouvoir en avoir davantage (si j'ai appris à bien vérifier un énoncé avant de le prendre pour vrai, j'aurais davantage d'idées adéquates que si j'ai une idée très confuse de ce que c'est que la vérité, par exemple; des cours de sciences peuvent faire ressentir à des élèves ce que c'est qu'une preuve, des cours de philosophie peuvent ressentir ce que c'est qu'une contradiction logique et son lien avec la vérité, etc).

Louisa a écrit:
Il est fort soumis aux rencontres fortuites avec la nature

Enegoid:
Croyez-vous que les rencontres fortuites avec la nature (le monde) dépendent principalement de nous ? (Je ne nie pas que l’on puisse, plus ou moins, les choisir. C’est une question de proportion entre le plus et le moins).


non, les rencontres fortuites ne dépendant pas de nous, elles sont, justement, fortuites.

Louisa a écrit:
Il connaît peu de joies durables, peu de moments de béatitude. »

Enegoid:
Ah ? Qu’en savez-vous ?


je ne parlais que du spinozisme. Encore une fois, il me semble que le dernier scolie de l'Ethique affirme ceci très clairement.

Enegoid a écrit :
Et si on ne passe pas par des modèles abstraits, on aboutit à ce genre de question : un homme (ou une femme) qui appartient à la catégorie « jeune de banlieue » est-il plus ou moins « puissant » qu’un homme ou une femme qui cherche à s’approcher du modèle du sage spinoziste ?
Vous répondez oui, par principe, me semble-t-il. Pas moi.


je suis tout à fait d'accord pour dire que quand on parle d'un "jeune de banlieu" il s'agit d'une abstraction. Je réponds effectivement "oui", il est moins puissant qu'un sage spinoziste (du moins d'un point de vue spinoziste). Mais cette réponse est tout aussi abstraite. Il s'agit donc d'une généralisation, d'un être de raison. La réalité est plus complexe que cela. Et surtout: elle est toujours concrète, jamais abstraite. Et partant, affirmer une telle réponse ne veut certainement pas dire qu'il n'est pas possible de rencontrer des sages spinozistes parmi ces gens, bien sûr.

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Messagepar Louisa » 25 mai 2008, 15:14

Nepart a écrit :D'un côté on a envie d'être superieur aux autres, et d'un autre, on a envie que les autres reussisent aussi bien que nous,


comme le disait déjà Enegoid, il s'agit peut-être tout de même de deux choses différentes, même si elles ne sont pas sans lien l'une avec l'autre.

Vouloir que d'autres réussissent aussi bien que nous, cela s'approche de ce que Spinoza appelle "la charité", il me semble, c'est-à-dire le désir de faire un maximum de bien aux gens, de vouloir les rendre le plus heureux possible.

A côté de cela, on a envie soi-même d'être le plus heureux possible, et on est content quand on constate qu'on est tout de même déjà un peu plus heureux/puissant qu'un tel ou un tel.

Or l'un n'exclut pas forcément l'autre, d'un point de vue spinoziste, au contraire même: plus on est soi-même heureux, plus on désire que les autres soient toujours plus heureux eux aussi. Plus on est puissant, plus on aime rendre les autres plus puissants.

Peut-être que ce qu'écrit Simone de Beauvoir à ses 18 ans s'apparente, sous certains égards, au point de vue spinoziste à ce sujet:

S. de Beauvoir a écrit :Suis-je orgueilleuse? oui en ce sens que je m'aime passionnément, que je m'intéresse à moi, et que je suis sûre de valoir quelque chose, c'est-à-dire d'être une forme de vie unique et intéressante; ce qui manque à presque tous, c'est d'en avoir conscience, soit explicitement par un retour sur soi-même (Barrès, Gide...), soit implicitement par des actes dans lesquels on exprime son originalité (Péguy). Je pense que pour être quelqu'un, cette conscience, avouée ou non, est indispensable. Maintenant, est-ce bien là l'orgueil? la constatation d'une chose évidente n'est pas de l'orgueil. Je suis heureuse d'être ce que je suis. Est-ce bien de l'orgueil? évidemment je me préfère parce que pour moi-même rien n'est aussi important que moi, que je me dois à moi, cela je le crois, d'accord avec Barrès; mais cette position, toute morale, ne me semble pas différente de celle du chrétien qui doit préférer le salut de son âme au salut d'autrui. L'orgueil, pour moi, est de se juger préférable, et cela je ne le fais pas; il y a bien des formes de vie qui me semblent préférables à la mienne, bien des êtres que j'admire, que je place au-dessus de moi; je dois avouer qu'il y en a beaucoup que je place au-dessous, en quoi j'ai tort; j'ai bien le droit de les aimer moins, non de les juger moindres, de même que je préfère une rose à une fourmi, sans pouvoir dire qu'une rose est supérieure à une fourmi, ce qui est au contraire faux à beaucoup de points de vue. Bref: c'est bien peu de chose que moi, mais c'est moi.


S. de Beauvoir, Cahiers de jeunesse 1926-1930, Gallimard, Paris 2008, pg. 92.

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Messagepar nepart » 25 mai 2008, 18:18

Louisa a écrit :
Nepart a écrit :D'un côté on a envie d'être superieur aux autres, et d'un autre, on a envie que les autres reussisent aussi bien que nous,


comme le disait déjà Enegoid, il s'agit peut-être tout de même de deux choses différentes, même si elles ne sont pas sans lien l'une avec l'autre.

Vouloir que d'autres réussissent aussi bien que nous, cela s'approche de ce que Spinoza appelle "la charité", il me semble, c'est-à-dire le désir de faire un maximum de bien aux gens, de vouloir les rendre le plus heureux possible.

A côté de cela, on a envie soi-même d'être le plus heureux possible, et on est content quand on constate qu'on est tout de même déjà un peu plus heureux/puissant qu'un tel ou un tel.

Or l'un n'exclut pas forcément l'autre, d'un point de vue spinoziste, au contraire même: plus on est soi-même heureux, plus on désire que les autres soient toujours plus heureux eux aussi. Plus on est puissant, plus on aime rendre les autres plus puissants.



Vouloir être heureux et le bonheur des autres ne sont pas 2 choses, la seconde et une composante de la première.

Ce qui m'interroge c'est le conflit entre 2 sources de plaisirs qui s'opposent l'une à l'autre:

On ne peut pas répondre en même temps au désirs de vouloir que les gens soit aussi puissant que nous et vouloir être parmi les plus puissants.

De la même façon que d'un côté on veut l'égalité des hommes, mais on ne veut pas renoncer à notre confort.

Il y a donc conflit entre 2 sources de plaisirs, et je ne vois pas de moyen de répondre à ces 2 desirs.

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Messagepar Louisa » 25 mai 2008, 19:29

Nepart a écrit :
Ce qui m'interroge c'est le conflit entre 2 sources de plaisirs qui s'opposent l'une à l'autre:

On ne peut pas répondre en même temps au désirs de vouloir que les gens soit aussi puissant que nous et vouloir être parmi les plus puissants.

De la même façon que d'un côté on veut l'égalité des hommes, mais on ne veut pas renoncer à notre confort.

Il y a donc conflit entre 2 sources de plaisirs, et je ne vois pas de moyen de répondre à ces 2 desirs.


ok, je crois que je commence à mieux cerner le problème que tu veux signaler. Pour vérifier si c'est bien le cas, voici un exemple.

Peut-on dire que par "vouloir que les gens sont aussi puissant que nous", tu veux notamment dire "vouloir qu'ils réussissent aussi bien que nous"?

Si oui, on pourrait par exemple, en tant qu'étudiant, souhaiter d'une part que tous obtiennent un résultat égal au nôtre (si j'ai 16/20, je désire que tout le monde ait 16/20), mais en souhaitant cela, je perds la Joie d'avoir un résultat plus élevé que les autres, donc de mieux réussir, d'être plus puissant. Par conséquent, je suis tiraillé entre deux désirs qui s'opposent, et qui dès lors exigent des actions différentes:

- si je souhaite que tous obtiennent 16, je dois partager mes notes, donner des explications à ceux qui étaient absents au cours, etc.

- si je souhaite être le premier (ou parmi les premiers) de la classe, il vaut mieux ne pas trop aider les autres, car alors je risque que certains obtiennent une meilleure cote que moi.

La question est alors de savoir ce qu'il faudrait faire, d'un point de vue spinoziste, sachant que l'un exclut l'autre. Est-ce bien cela le problème?

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Messagepar nepart » 26 mai 2008, 08:40

Tout à fait.

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Messagepar Louisa » 26 mai 2008, 15:03

ok. Dans ce cas je crois qu'il faut commencer par dire que la façon dont on a présenté le problème, n'est pas très spinoziste.

Pour Spinoza, il n'y a pas deux degrés de puissance égaux l'un à l'autre, puisque le degré de puissance est précisément ce qui définit telle ou telle chose singulière. Cela implique qu'il n'y a qu'une seule chose ayant mon degré de puissance à moi: moi.

Si donc nous voulons trouver une solution spinoziste au problème signalé, il va falloir d'abord retraduire le problème en des termes spinozistes. On peut trouver cela étrange, bien sûr, mais je crois que peut-être nous touchons ici à ce qu'avait remarqué Faun dans sa première réponse à ce sujet. C'est qu'une philosophie n'est pas une "sagesse", mais "amour/désir de sagesse". Une philosophie ne donne jamais réponse à tout, non seulement parce qu'en tant que produit humain, elle est nécessairement limitée, mais surtout aussi parce que tout l'art d'un philosophe commence par l'INVENTION de nouveaux problèmes. Une philosophie répond dès lors avant tout aux problèmes qu'elle a créés, forgés elle-même. Elle ne prétend pas du tout répondre aux problèmes que d'autres ont pu ou pourront après elle poser. Ce n'est que quand on oublie cela que l'on peut par exemple être fort irrité par telle ou telle philosophie: on constate qu'elle ne répond guère à ce qui nous soucie spontanément, ou que lue rapidement, elle semble suggérer des solutions à nos problèmes qui ne nous conviennent point. Alors on est déçu, on se met en colère et ainsi de suite, quitte à rejeter la philosophie ou l'effort philosophique en masse.

Cependant, cela ne signifie pas qu'il faut uniquement étudier un philosophe pour commencer à comprendre quels problèmes il a pu inventer. On peut très bien lui demander d'essayer de répondre à l'un de nos problèmes à nous. Seulement, à partir de ce moment-là c'est à nous de faire le travail philosophique de créer un pont entre telle ou telle philosophie et ce problème qui nous concerne. Ce qui implique: reformuler le problème de telle sorte qu'il devient pensable dans les termes de la philosophie en question, ici le spinozisme. C'est ce que je vais essayer de faire l'un de ces prochains jours, à moins que tu (ou quelqu'un d'autre) aies déjà l'une ou l'autre idée?


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