un exercice philosophique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar PhiPhilo » 28 juin 2008, 09:57

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Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 oct. 2009, 07:05, modifié 2 fois.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 29 juin 2008, 01:23

Phiphilo a écrit :
Cela dit, sans vouloir polémiquer sur la pertinence du terme "constituer", il est exact que les propriétés d'une chose ne la "constituent" pas au sens où elles seraient antérieures à cette essence qui n'en serait que la résultante alors que c'est l'inverse qui est vrai. Mais je ne suis pas certain que Spinoza établisse une distinction entre la cause prochaine qui constitue l'essence d'une chose et la propriété logique qui est contenue dans l'essence d'une chose.


je crois (mais je peux me tromper, bien sûr) que le mot "constituer" a dans le spinozisme un sens "technique". Dans ce cas essayer de préciser ce sens ne relève pas vraiment de la polémique mais plutôt du travail philosophique.

Par exemple: je ne sais pas si l'on peut dire, dans le spinozisme, que la cause prochaine d'une essence constitue l'essence. J'aurais tendance à croire que non. Il me semble que ce qui constitue l'essence de tel ou tel homme, par exemple, c'est son Esprit et son Corps, tandis que la cause prochaine de cette essence, ce sont deux autres modes que ceux qui la constituent. Ce qui me le fait penser:

- E2P10 cor: "De là suit que l'essence de l'homme est constituée par des modifications précises des attributs de Dieu". La démonstration montre que Spinoza veut dire par là que l'essence de l'homme est elle-même une affection, ce qui va déjà dans le sens que je suggère.

- E2P11 démo: "(...) le premier à constituer l'essence de l'Esprit humain, c'est l'idée", l'objet de cette idée étant le Corps, comme le dit la proposition 13 cor.: "De là suit que l'homme est constitué d'un Esprit et d'un Corps".

La cause prochaine de l'homme, en revanche, ce n'est pas son Esprit ou son Corps, mais un AUTRE mode. Si cet autre mode est cause prochaine, je ne vois pas comment il pourrait constituer l'essence de son effet. En tout cas, je ne me souviens pas de passages où Spinoza en parle en ces termes. Mais vous en avez peut-être déjà rencontrés? Si oui, à quels passages pensez-vous plus précisément?

Phiphilo a écrit :Et cela dans la simple mesure où

Citation:
Dieu n'est pas seulement la cause efficiente de l'existence des choses, mais aussi de leur essence. (Spinoza, Ethique, I, 25)

Autrement dit, la cause efficiente qui constitue l'essence d'une chose n'est qu'une modification de la substance en tant qu'on la conçoit sous l'attribut de l'étendue, laquelle modification peut et doit aussi être conçue sous l'attribut de la pensée et alors la cause efficiente n'est autre que la cause formelle, c'est-à-dire la raison logique de la modification : cujuscunque rei assignari debet causa, seu ratio, "à chaque chose il doit être assigné une cause, autrement dit une raison" (Spinoza, Ethique, I, 11).


Dieu constitue certes l'essence de toutes choses. Mais justement, il ne le fait qu'en tant que cause immanente, jamais en tant que cause prochaine, tandis que ce ne sont que les causes prochaines qui sont des modifications de la substance. Dieu lui-même n'est cause prochaine que des modes infinis, pas des modes finis (E1P28 + sc).

Sinon: tout à fait d'accord avec ce que vous écrivez concernant le cause sive ratio.

Phiphilo a écrit :Donc, à mon avis, dire qu'une propriété constitue l'essence d'une chose, qu'elle en découle ou qu'elle est enveloppée par elle, c'est énoncer des synonymes.


- je n'ai jamais rencontré un passage chez Spinoza où il dit qu'une propriété constitue l'essence d'une chose
- Spinoza dit régulièrement qu'une propriété découle nécessairement de la définition de l'essence d'une chose, et donc effectivement, est enveloppée par elle.

Conclusion: pour l'instant je ne vois pas très bien en quoi selon vous ce serait spinoziste de dire qu'une propriété constitue l'essence d'une chose ou que ceci est synonyme de suivre nécessairement de l'essence d'une chose. Encore une fois, je ne vois pas comment ce qui suit d'une chose pourrait en même temps la constituer.

Phiphilo a écrit:
De plus, Spinoza, dans l'appendice de la I° partie, ne sépare pas "d'une part la nature de Dieu, et de l'autre ses propriétés", puisqu'il écrit très précisément : his Dei naturam, ejusque proprietates explicui, c'est-à-dire, littéralement, "par tout ce que je viens de dire, j'ai expliqué la nature de Dieu et ses propriétés".

Louisa:
justement, il écrit bel et bien "la nature de Dieu ET ses propriétés". Pour autant que je sache, en latin le -que n'est pas synonyme de sive, celui-ci suggérant effectivement que les deux termes qu'il unit sont la même chose, tandis que celui-là désigne une énumération de choses/aspect/... différents. L.

Phiphilo:
Là encore, je ne veux pas donner l'impression d'ergoter, mais en latin la particule enclitique -que a un sens souvent explétif, c'est-à-dire qu'elle n'est là que pour coordonner deux termes inhérents à une seule et même réalité : senatus populusque romanus, Dei intellectus ejusque voluntas. Il me semble que si Spinoza, dans l'appendice à la I° partie, avait voulu distinguer réellement la nature de Dieu de ses propriété, il aurait écrit plutôt his Dei et naturam et proprietates explicui, ce qui eût, effectivement, signifié "d'une part ... d'autre part".


Je crois que parler d'une "distinction réelle" entre une essence et ses propriétés n'est effectivement pas correcte, et cela simplement parce ce qui est réellement distinct n'a pas besoin du concept de l'autre pour être conçu, tandis que la connaissance de l'effet enveloppe la connaissance de la cause. Il est évident que la connaissance d'une propriété qui suit de la définition d'une essence, a besoin du concept de cette essence pour pouvoir être conçue. Mais cela ne signifie pas encore que l'essence et les propriétés qu'on peut en déduire sont identiques ou synonymes, précisément parce que ces propriétés sont enveloppées dans l'essence. Ce qui est enveloppée dans l'essence, ne peut pas être cette essence même. D'où la nécessité de parler d'une essence ET de ses propriétés, au lieu de parler d'une essence OU de ses propriétés, ce qui en ferait effectivement des synonymes. Ou pour reprendre votre exemple: si les Romains forment en effet une réalité composée d'une part du peuple et d'autre part de ses représentants, le sénat, cela ne fait pas coïncider le peuple et le sénat. Tandis que je ne vois pas très bien quel pourrait être la réalité composée par d'une part l'essence et d'autre part les propriétés de l'essence. Il n'y a pas de troisième entité composée par l'essence et ses propriétés. Bref, pour l'instant je ne vois pas comment traiter le -que ici en tant que simple explétif.
Cordialement,
L.

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Messagepar Louisa » 29 juin 2008, 01:51

Louisa a écrit:
5. Votre conclusion: le fait que Spinoza dit qu'elle DEVRAIT être une notion commune suffit pour dire qu'elle l'EST. Vous passez donc du normatif au descriptif. Ma question est depuis quelque temps: qu'est-ce qui vous permet d'opérer ce passage? Sachant que le normatif n'a aucun poids, chez Spinoza?

Durtal:
le fond de ton argument est juste Louisa ( je veux dire sur le fait que Spinoza ne saurait parler d'un monde idéal) mais tu refuses en effet assez obstinément comme le dit Tecti, de voir que le "passage" que tu demandes est fourni par Spinoza, quand il traite de la question des noms et des catégorisations nominales. C'est cela que veut dire Tecti et moi aussi, et certainement aussi ShBJ dans une version plus sophistiquée.


désolée, mais expliquer pourquoi la réalité n'est pas telle qu'on le souhaite (ce que fait Spinoza dans le scolie dont nous discutons) n'est pas du tout la même chose que de dire que ce qu'on souhaite est la réalité!

Le problème n'est pas que je "refuserais" (drôle d'hypothèse, d'ailleurs ... ) ton argument, le problème c'est que tu n'en donnes pas, tu ne nous proposes que d'opérer nous-mêmes ce glissement. Alors moi, je veux bien, dès qu'on me donne les moyens rationnels pour le faire ... .

Ce qui à tes yeux constitue ici l'argument clef, je suppose, c'est que Spinoza explique l'absence de la réalité souhaitée par lui par le fait qu'il dit que les gens utilisent le nom "Dieu" pour autre chose que pour ce qu'il entend lui par là. Mais cela en tant que telle ne fait pas encore du Dieu spinoziste une "notion commune" ... !

Durtal a écrit :Et non cela ne rend pas le travail de l'éthique vain au sens où il s'agirait simplement de renommer ce que "tout le monde connaît déjà".

Il y a en effet un exemple très célèbre et qui a une valeur tout à fait générale, qui montre incontestablement que la nomination, ou le fait de renommer quelque chose peut avoir une valeur synthétique, cognitive, c'est le fameux exemple de Frege qui inaugure l'article "sens et dénotation": lorsque l'on est en mesure de dire que "Espherus est phosphorus", lorsque l'on ramène donc l'un des noms à l'autre on fait une découverte astronomique très importante. On s'aperçoit que deux "étoiles" sont en réalité une planète (venus). Dans ce cas une simple opération d'identification entre des noms n'exprime pas à une simple stipulation linguistique mais une connaissance nouvelle.


en effet. A mon sens la philosophie se résume essentiellement à cela: inventer de tout nouveaux concepts pour des noms déjà existants voire très courants. C'est le moyen idéal pour nous obliger à repenser autrement ce qu'on désignait d'habitude par tel ou tel mot. Mais c'est aussi ce qui montre en quoi il faut bel et bien d'abord ce travail de philosophe avant que le changement de sens puisse s'opérer. Qu'on suppose que les gens pressentent déjà vaguement le nouveau sens qu'un philosophe va donner à tel ou tel mot (ici "Dieu") ne signifie pas du tout que tout le monde travaille déjà activement et clairement avec ce concept. C'est précisément la raison pour laquelle la notion spinoziste de substance n'est pas, de facto, une notion commune.

Durtal a écrit :Or si tu mets en parallèle ce que je viens de dire avec en particulier mes allusions quant à l'usage politique du mot Dieu, outre l'intérêt spéculatif de la chose qui n'est tout de même pas petit, il est évident que l'identification "du nom de dieu" avec, par exemple celui de "substance étendue", est rien moins qu'une opération triviale.


en effet. Et cette identification est signée "Spinoza". Elle s'opère déjà au début de l'Ethique, et s'approfondit au fur et à mesure que les propositions s'enchaînent. Qui sait, un jour elle sera peut-être réellement une notion commune, mais à mon sens la chance est petite ... :)

Durtal a écrit :Conformément par ailleurs à ce que pressentait ShBJ, il semble que tu fasses vraiment un amalgame entre "notion commune" et "sens commun"


Le Petit Robert nous dit que "sens commun" signifie "manière de juger, d'agir commune à tous les hommes (ce qui équivaut à bon sens)". Spinoza définit les notions communes en disant qu'il s'agit de "certaines idées, ou notions, communes à tous les hommes" idées qui par là même doivent être adéquate, selon lui. Et il y ajoute : "autrement dit: claire et distincte" (E2P38 cor). On sait qu'avoir une idée adéquate pour Spinoza c'est être Actif ou agir. Dès lors, il me semble qu'on peut effectivement identifier le sens commun aux notions communes spinozistes. D'autre part, Spinoza dit clairement que les gens n'ont PAS de Dieu une idée aussi claire que ce qu'exige une notion commune. Il dit également que pour l'instant, son idée de Dieu n'est PAS une notion commune. Et en effet, chacun peut constater que la façon dont les gens jugent de Dieu, à son époque mais encore majoritairement à la nôtre, a peu à voir avec le concept spinoziste de Dieu.

Enfin, il me semble important de souligner cette proximité entre sens commun et notion commune, précisément parce que, si je ne m'abuse, ShBJ avait proposé son interprétation des 11 premières propositions de l'Ethique comme n'étant finalement rien d'autre que "du bon sens", là où à mon avis il s'agit d'une des plus grandes inventions qu'a pu connaître l'histoire de la philosophie.
Cordialement,
L.

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Messagepar hokousai » 29 juin 2008, 17:49

Sur un paragraphe de ShBj

2) Tu dis qu'on ne peut se laisser convaincre par "l'invention" de Spinoza sans avoir lu ses démonstrations - je dis que pour celui qui n'a pas déjà pensé la substance, ou qui n'a pas déjà le même partage du sensible (pour reprendre une autre expression de Rancière) que Spinoza, les propositions 1 à 11 d'Ethique, I, et leur démonstration, sont purement et simplement dénuées de sens.


Qu’ est ce que ""le même partage du sensible que Spinoza "" , lequel semble donc avoir un partage du sensible particulier et qui éventuellement pourrait être le même qu’un lecteur Lambda ?
Il me faut décrypter ShBj à travers une allusion à Ranciere
Pour qui n’a pas un le partage de l’intelligence de Rancière relativement à un partage du sensible particulier à Spinoza , le paragraphe de ShBj est incompréhensible .

En revanche
Le rapport de Spinoza à la substance est purement cognitif ( dans le début de l’ éthique) .La définition de l’idée de substance est un jugement analytique ,celui ci est même le plus pur des jugement analytique ,le plus incontestable en son analycité , puisque l’idée de substance ne tire de rien d’autre que d’ elle même sa définition ( et certainement pas de l’ empiricité , ou du sensible si j ai bien compris ).

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Messagepar Durtal » 30 juin 2008, 11:13

Louisa a écrit :
Le Petit Robert nous dit que "sens commun" signifie "manière de juger, d'agir commune à tous les hommes (ce qui équivaut à bon sens)". Spinoza définit les notions communes en disant qu'il s'agit de "certaines idées, ou notions, communes à tous les hommes" idées qui par là même doivent être adéquate, selon lui. Et il y ajoute : "autrement dit: claire et distincte" (E2P38 cor).
(C'est moi qui souligne)


Bref tu sais ne sais pas ce que c'est qu'une notion commune. L'illusion qu'ils sont libres est commune à tous les hommes. Ce sera donc d'après toi une notion commune et donc une idée adéquate.

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Messagepar Louisa » 30 juin 2008, 13:42

Durtal a écrit :Bref tu sais ne sais pas ce que c'est qu'une notion commune. L'illusion qu'ils sont libres est commune à tous les hommes. Ce sera donc d'après toi une notion commune et donc une idée adéquate.


il est clair que dans le spinozisme, se croire libre est une idée inadéquate. Elle ne peut donc figurer parmi les notions communes, puisque celles-ci pour lui sont toujours vraies.

D'autre part, nous savons que Spinoza dit que l'idée de l'essence de Dieu devrait être pour tous une notion commune, mais ne l'est pas.

Troisièmement, Spinoza dit qu'une notion commune est une idée d'une propriété commune, qui pour cette raison même doit toujours être adéquate.

Enfin, nous savons que par ailleurs Spinoza suit le vocabulaire de son époque, pour lequel une notion commune est également un axiome.

Conclusion: il est évident qu'en ce qui me concerne je ne vois pas encore très bien comment créer une cohérence entre ces différentes affirmations. C'est la raison pour laquelle j'avais proposé, il y a quelques jours, de nous y pencher un peu plus sérieusement - ce qui nécessiterait, comme l'avait proposé ShBJ en réponse, de reprendre sa discussion intéressante et inachevée avec Enegoid d'il y a quelques mois. Pour l'instant, nous nous sommes limités à vérifier dans quelle mesure l'idée de l'essence de Dieu est pour Spinoza une notion commune ou non.

Résultat de cette vérification: nous sommes d'accord pour dire que pour Spinoza, elle devrait l'être, mais pour moi cela signifie qu'elle ne l'est pas, pour toi malgré tout elle l'est.

- Ton argument semble se résumer à "puisqu'il s'agit d'une idée adéquate commune à tous, elle remplit la condition d'une notion commune".

- Réponse de Spinoza: les gens n'ont pourtant pas une idée aussi claire de l'essence de Dieu, malgré le fait qu'elle est effectivement commune, qu'ils ne l'ont d'une notion commune.

- Ma conclusion: si elle est moins claire qu'une notion commune, elle n'a pas les caractères d'une notion commune, raison pour laquelle Spinoza dit à deux reprises qu'elle DEVRAIT l'être, et non pas qu'elle l'est.

- Ton objection: Spinoza explique pourquoi l'idée des gens est moins claire qu'une notion commune, et cela suffit pour dire qu'elle est néanmoins une notion commune. Comme je viens de dire dans mon dernier message, je ne comprends pas ce qui permet de glisser de l'explication de l'absence d'une notion commune à la conclusion de la présence d'une notion commune. Tecti a reformulé ce glissement en explicitant (correctement, à mes yeux) le présupposé qui le sous-tend: qu'une notion commune est déjà une notion commune indépendamment du fait qu'elle est une idée claire et distincte chez tous ou non. Ce dernier fait ne serait qu'une question de "reconnaissance" de la notion commune comme notion commune par une majorité de gens, mais cette "reconnaissance" n'est pas nécessaire pour faire d'une idée une notion commune.

- Ma réponse à cela: il s'agit certes d'une thèse intéressante, mais deux affirmations de Spinoza semblent s'y opposer:
1. les notions communes sont définies comme étant réellement communes à tous, et claire et distincte ou adéquates chez tous
2. quand une idée qui est un bon candidat pour acquérir le statut de notion commune n'est pas aussi claire qu'une notion commune dans la tête des gens, Spinoza ne dit pas qu'elle EST une notion commune, il dit qu'elle DEVRAIT l'être. Dans vos termes: comme si la "reconnaissance" est tout de même une condition indispensable pour revêtir le statut de notion commune. Dans les miens: s'il s'agit d'abord de la "reconnaître", comment dire qu'elle est déjà une notion commune avant d'être reconnue ainsi? Par conséquent, si vous dites qu'une idée peut déjà être une notion commune avant d'être "reconnue" par tous, je ne vois pas comment vous distinguez les notions communes de n'importe quelle autre idée vraie qui ne relève pas du troisième genre de connaissance.

A cela s'ajoute le problème de la suggestion de ShBJ (et qui était à la base de la présente discussion): que les 11 premières propositions de l'Ethique relèverait du bon sens/sens commun, ce qui lui fait dire que la définition de Dieu ou de la Substance est une notion commune. Or comme ton exemple le montre très bien: le rapport entre le sens commun et une notion commune est pour le moins ambigu. Ce que j'ai voulu dire par la citation du Petit Robert, c'est que visiblement, la définition courante du sens commun s'approche très fort de celle que Spinoza donne de la notion commune. Ce qui justifie un peu le lien fait par ShBJ (quoique finalement il me semble que son raisonnement indique autre chose, quelque chose de plus profond/intéressant, voir mon commentaire à son article), mais qui nous laisse avec des paradoxes tels que tu viens d'en soulever un.

Bref, quant aux notions communes, à mon sens nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge ... :?

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Messagepar Durtal » 02 juil. 2008, 15:41

Chère Louisa,

Je t'avoue que je vois ni paradoxe ni difficulté spéciale dans tout cela.

l'esprit est composé d'un grande nombre d"idées dont les unes sont adéquates et les autres non. La marque de la passivité de l'esprit n'est pas l'absence d'idée adéquate (la doctrine des notions communes à pour effet justement de rendre l'idée d'un esprit totalement dépourvu d' idées adéquates, inconcevable) mais le fait que la nature de celui ci s'exprime plus au travers de ses idées inadéquates qu'au travers de ses idées adéquates.

Et je ne vois vraiment pas où est le problème à dire que tandis que nous sommes affectés par les corps extérieurs, en tant que nous les imaginons notre esprit n'exprime pas (ne se comporte pas selon , ne parle pas selon...) les idées adéquates qui sont en lui.

C'est le genre de mécanisme qui prévaut par exemple dans l'explication Spinozienne du paradoxe selon lequel "je connais le meilleur et je fais le pire", et qui consiste à dire que la connaissance du bien propre peut parfaitement être oblitérée, ou inhibée, par des affects qui sont contraires à notre nature pour la raison qu'ils sont plus forts et plus intenses (ponctuellement) que ceux qui lui conviennent, et non pour la raison que nous n'aurions pas cette connaissance.

Cela ne présente pas plus de difficulté dans le fond que le cas suivant: je suppose que tu sais en général faire des additions et que vraisemblablement tu ne te trompera jamais quand il s'agira de donner la somme de 6 et 4; nonobstant cette connaissance qui est en toi tu peux te tromper lorsqu'il s'agit de faire beaucoup d'additions simple de ce genre à la suite et d'additionner leurs somme, parce que tu aura "oublié" une colonne, par "inattention", parce qu'à un moment tu pensais à autre chose ect. Et la conclusion selon laquelle tu ne sais pas additionner des nombres parce que tu fais des erreurs de ce type, serait jugée à bon droit je pense abusive.

Bien que cet exemple soit, j'en conviens, très élémentaire, Spinoza ne procède pas autrement dans les scolies qui nous occupent. Il parle d'un "déficit d'attention" à propos de la signification du terme de substance dans le premier cas, et dans le second il explique l'erreur en disant qu'un mot est mis pour un autre. Il ne dit jamais en particulier que ces notions (celle de substance ou de Dieu) manquent à l'esprit de certains hommes. Il explique que l'affection continuelle du corps humain par les corps extérieurs entrave leur puissance de penser, et "recouvre" en quelque sorte les notions communes, un peu comme une mélodie peut être couverte par le bruit d'autre chose. D'où la remarque pleinement justifiée de Tecti sur la reconnaissance: à mesure que nous parvenons à débarrasser notre esprit des "scories" de l'imagination, et de la perturbation continuelle qu'elle génère, nous laissons autant le champ libre pour l'expression des idées adéquates qui sont en nous.

Ensuite sur notion commune et sens commun. Je crois que tu te laisses simplement abuser par le fait qu'il y a le mot "commun" dans les deux expressions.

Les notions communes ne sont pas définies comme les notions qui sont communes à l'esprit de tous les hommes. Cela c'est l'effet des notions communes et non leur fondement. Un tel fondement est qu'il existe certaines propriétés des corps qui sont communes à tous et donc y compris au mien (puisque c'est un corps). Cela fait qu'en concevant mon propre corps et donc cette propriété qu'il a en commun avec tous les autres je formerai une idée de cette propriété. Comme un autre esprit fera de même de son coté et que la propriété dont il formera l'idée est la même dans son corps que dans le mien il s'en suivra que chacun d'entre nous formera la même idée.

Mais si les idées des propriétés qui sont communes à tous les corps ne peuvent pas faire autrement que de s'exprimer en des idées qui sont communes à tous les esprits, la réciproque n'est pas pour autant avérée. Car si une idée qui est commune à plusieurs esprit a un autre fondement ou une autre cause que celle qui donne naissance aux notions communes, alors elle ne sera pas elle même une notion commune bien que plusieurs esprit la conçoivent en commun. C'est ce qui se passe par exemple avec l'idée de liberté de la volonté, ou avec l'idée que Dieu a des affects.

En terme de critère on dirait que l'accord des esprits est une condition nécessaire (puisqu'il est une conséquence de l'existence de notions communes) mais non suffisante ( car un tel accord peut être la conséquence d'autre chose que des notions communes).

Voilà pourquoi on ne peut définir les notions communes par "le sens commun" si toutefois par cette dernière expression on entend simplement qu'une même idée est partagée par tous les hommes, car il faut ajouter à cela pour obtenir la notion commune, que cette idée soit celle de propriétés réellement présentes dans tous les corps, autrement dit qu'elle soit une idée adéquate. Or Ce n'est pas le fait que plusieurs personnes la partage qui fait d'une idée une idée adéquate, c'est au contraire les caractéristiques intrinsèques de cette idée, qui font d'elle une idée adéquate et par suite qui font que tous les esprits la conçoivent de la même façon ou en commun.

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Messagepar Louisa » 04 juil. 2008, 01:43

Cher Durtal,

merci de ta réponse intéressante, qui cette fois-ci touche réellement à ce qui pose à mes yeux problème, et qui peut-être nous/me fera avancer en ce qui concerne les notions communes. Je crois que je ne suis toujours pas vraiment d'accord avec ce que tu proposes, mais tes arguments m'obligent à essayer de préciser les miens, ce qui le rendra peut-être possible de trouver la faille dans mon raisonnement, si faille il y a.

Durtal a écrit :Je t'avoue que je vois ni paradoxe ni difficulté spéciale dans tout cela.

l'esprit est composé d'un grande nombre d"idées dont les unes sont adéquates et les autres non. La marque de la passivité de l'esprit n'est pas l'absence d'idée adéquate (la doctrine des notions communes à pour effet justement de rendre l'idée d'un esprit totalement dépourvu d' idées adéquates, inconcevable) mais le fait que la nature de celui ci s'exprime plus au travers de ses idées inadéquates qu'au travers de ses idées adéquates.


ok, là-dessus nous sommes d'accord.

Durtal a écrit :Et je ne vois vraiment pas où est le problème à dire que tandis que nous sommes affectés par les corps extérieurs, en tant que nous les imaginons notre esprit n'exprime pas (ne se comporte pas selon , ne parle pas selon...) les idées adéquates qui sont en lui.


d'accord aussi, même si l'on pouvait croire que tu parles ici d'une espèce de idées adéquates "innées", ce qui n'était pas le but, je présume?

Durtal a écrit :C'est le genre de mécanisme qui prévaut par exemple dans l'explication Spinozienne du paradoxe selon lequel "je connais le meilleur et je fais le pire", et qui consiste à dire que la connaissance du bien propre peut parfaitement être oblitérée, ou inhibée, par des affects qui sont contraires à notre nature pour la raison qu'ils sont plus forts et plus intenses (ponctuellement) que ceux qui lui conviennent, et non pour la raison que nous n'aurions pas cette connaissance.


ok, tout à fait d'accord.

Durtal a écrit :Cela ne présente pas plus de difficulté dans le fond que le cas suivant: je suppose que tu sais en général faire des additions et que vraisemblablement tu ne te trompera jamais quand il s'agira de donner la somme de 6 et 4; nonobstant cette connaissance qui est en toi tu peux te tromper lorsqu'il s'agit de faire beaucoup d'additions simple de ce genre à la suite et d'additionner leurs somme, parce que tu aura "oublié" une colonne, par "inattention", parce qu'à un moment tu pensais à autre chose ect. Et la conclusion selon laquelle tu ne sais pas additionner des nombres parce que tu fais des erreurs de ce type, serait jugée à bon droit je pense abusive.


de nouveau: d'accord. Ce que tu fais ici me semble être une excellente application de la suite du scolie dont nous discutons.

Durtal a écrit :Bien que cet exemple soit, j'en conviens, très élémentaire, Spinoza ne procède pas autrement dans les scolies qui nous occupent. Il parle d'un "déficit d'attention" à propos de la signification du terme de substance dans le premier cas


c'est vrai, et cela mérite d'être souligné, l'attention étant une capacité importante de l'Esprit humain, aussi bien chez Spinoza que chez Descartes.

Durtal a écrit :et dans le second il explique l'erreur en disant qu'un mot est mis pour un autre. Il ne dit jamais en particulier que ces notions (celle de substance ou de Dieu) manquent à l'esprit de certains hommes. Il explique que l'affection continuelle du corps humain par les corps extérieurs entrave leur puissance de penser, et "recouvre" en quelque sorte les notions communes, un peu comme une mélodie peut être couverte par le bruit d'autre chose. D'où la remarque pleinement justifiée de Tecti sur la reconnaissance: à mesure que nous parvenons à débarrasser notre esprit des "scories" de l'imagination, et de la perturbation continuelle qu'elle génère, nous laissons autant le champ libre pour l'expression des idées adéquates qui sont en nous.


ici en revanche, pour moi le problème commence. La question est de savoir quel statut Spinoza donne à la mélodie aussi longtemps qu'elle est couverte chez une majorité de gens par du bruit. Notion commune, ou idée adéquate qui n'a pas encore la clarté d'une notion commune, et par là n'en est pas une, de facto. Ce que toi et Tecti disez: le fait qu'il y ait du bruit ne peut changer le statut de l'idée adéquate qui n'a pas la clarté d'une notion commune. Le fait de manquer cette clarté n'empêche pas qu'elle soit toujours déjà une notion commune. Pour moi, lorsque Spinoza souligne qu'elle n'a pas la clarté d'une notion commune, il est inévitable d'en tirer la conclusion qu'elle n'en est pas une, qu'il lui manque la clarté propre à une notion commune.

Qu'est-ce à dire? Selon moi, la clarté est ce qui caractérise, ensemble avec la distinction, l'essence de toute notion commune, ou de toute idée adéquate qui n'est pas obtenue par une déduction mais qui est une idée claire et distincte d'une propriété physique réellement commune entre les gens. Pour cela, je me base sur les occurrences fréquentes de idea adaequata sive clara et distincta (si nécessaire, je peux en citer quelques-unes plus précisément). Quand Spinoza dit que nous avons tous une idée adéquate de l'essence de Dieu, mais néanmoins pas aussi claire que celle d'une notion commune, il me semble que le fait même que cette idée adéquate est "enveloppée" dans d'autres idées de telle sorte qu'elles en "cachent la mélodie", empêche de pouvoir donner à cette idée adéquate le statut de notion commune.

Conséquence de cette interprétation: il faut accepter qu'il ne suffit pas d'avoir une propriété commune aux autres choses pour avoir une notion commune, encore faut-il que nous sommes affectées directement par cette propriété dans nos rapports à nous-mêmes ou au monde, pour que nous puissions en avoir une idée aussi claire qu'une notion commune, bref pour que nous puissions en avoir une notion commune. Sans cette affection, l'idée de la propriété commune n'est PAS présente à notre Esprit. On pourrait effectivement éventuellement dire: on n'y fait pas attention. Dès lors, il ne s'agit pas d'une notion commune non plus.

Pourrait-on fonder cela dans ce qu'écrit Spinoza? Je crois que oui, et cela en se basant sur la démo de la proposition qui conduit à la définition des notions communes: E2P38.

Quel est le mouvement de cette démo? Essayons de le restituer.

- A est une propriété commune à tous les corps, et est autant dans la partie de chaque corps que dans le tout.

- l'idée ayant A comme objet est nécessairement adéquate en Dieu (comme l'est toute idée), et cela ici de deux points de vue différents:
1. en tant que Dieu a l'idée du Corps humain (en effet, cette propriété étant autant dans chaque partie que dans le tout du Corps humain, l'idée du Corps humain qui est en Dieu en tant qu'il s'explique par notre Corps, ne peut qu'être adéquate), et
2. en tant que Dieu a les idées des affections du Corps humain. Ces idées enveloppent la nature du Corps humain et la nature du corps extérieur qui vient de l'affecter, idées qui sont en principe inadéquates dans l'Esprit humain (à cause de cet enveloppement), mais adéquates en Dieu (à cause du fait qu'il possède également l'idée du corps extérieur et donc de sa nature à lui, de façon adéquate).

Que prouve 1? Que Dieu à une idée adéquate du Corps humain. Or nous savons que ce n'est pas le cas pour l'Esprit humain. Que l'objet de cette idée soit une propriété commune à toutes les parties de notre Corps n'y change rien, puisque nous n'avons pas une idée adéquate de ces parties (E2P24). Si Spinoza c'était arrêté à ce premier point, l'E2P38 n'aurait pas été démontrée.

Qu'y ajoute donc le 2? Que Dieu a aussi une idée adéquate d'une affection du Corps humain, et cela non pas en tant qu'il s'explique par ce Corps, mais en tant qu'il a également l'idée du corps extérieur qui vient de l'affecter. Or il se fait que dans ce cas, l'idée adéquate du corps extérieur enveloppe de manière claire et distincte la propriété A, tandis que l'idée adéquate du Corps humain enveloppe également de manière claire et distincte la propriété A. Autrement dit: dans ce cas précis, l'objet de l'idée ayant l'affection humaine pour objet, et l'objet de l'idée ayant le corps extérieur pour objet, c'est quelque part (ou "en partie") exactement le seul et même objet: la propriété A. Or "L'Esprit ne se connaît pas lui-même, si ce n'est en tant qu'il perçoit les idées des affections du Corps" (E2P23). Il faut donc que le Corps soit affectée par une chose ayant cette propriété commune A, avant qu'il puisse avoir une idée de A!!

Cependant, quand le corps Humain est affecté par le mot "Dieu", il a une affection liée à ce que sa rencontre fortuite avec la nature lui a appris d'y associer. Bref, il n'est pas du tout affecté par cette propriété commune qu'est l'idée de l'essence de Dieu, en parlant de Dieu avec les autres hommes, il est affecté par un tas d'autres idées (Dieu = un homme à la barbe blanche, etc). Du coup, son Corps a beau envelopper l'idée de l'essence de Dieu, cette idée ne sera dans l'Esprit de manière aussi claire qu'une notion commune que si son Corps est réellement affecté par cette propriété commune. La rencontre fortuite des choses ne garantissant nullement ce type d'affections (au contraire), il faudra lire l'Ethique avant que l'on puisse avoir de cette essence de Dieu une idée claire et distincte. Or dans ce cas, il s'agirait d'une idée que nous avons déduite d'autres idées et d'idées communes, more geometrico. Ce qui n'est plus du tout la même chose que d'avoir directement une idée d'une propriété commune à notre Corps et un corps extérieur en étant affecté par ce corps extérieur. C'est pourquoi cela n'est - hélas - pas une notion commune, même pas une fois qu'on est convaincu par la vérité des démonstrations de l'Ethique.

Qu'en penses-tu? Toute critique est en tout cas plus que bienvenue!!

Durtal a écrit :Ensuite sur notion commune et sens commun. Je crois que tu te laisses simplement abuser par le fait qu'il y a le mot "commun" dans les deux expressions.


il est certainement important de laisser ouverte cette piste.

Durtal a écrit :Les notions communes ne sont pas définies comme les notions qui sont communes à l'esprit de tous les hommes. Cela c'est l'effet des notions communes et non leur fondement. Un tel fondement est qu'il existe certaines propriétés des corps qui sont communes à tous et donc y compris au mien (puisque c'est un corps).


pourtant, l'E2P38 corollaire (définition de la notion commune) dit bel et bien qu'il s'agit de "idées, ou notions, communes à tous les hommes".

Je crois qu'il nous faut tenir compte beaucoup plus que l'on n'en a l'habitude du fait qu'une idée, chez Spinoza, n'est pas un état de choses, n'a pas comme objet quelque chose d'immobile comme une propriété, mais est avant tout un passage d'un état à un autre. Nous n'avons AUCUNE idée de notre Corps, en dehors des idées des affections, donc en dehors des idées ayant pour objet un changement dans le Corps. Si le fondement de la DEMO de l'E2P38 est certes l'existence d'une propriété commune (= état de choses), le fondement de cette idée adéquate qu'est la notion commune, en tant que nous l'avons réellement, c'est une affection du Corps par cette propriété commune entre mon Corps et le corps extérieur. Ce qui cause cette notion commune, c'est ce qui cause ce type d'affections. Or ce n'est pas la propriété commune qui est en tant que telle la cause de l'affection, c'est le fait de rencontrer ce corps extérieur d'une telle façon que c'est par la propriété commune qu'il m'affecte, fait qui est causé par un autre événement particulier dans le monde.

Autrement dit: que la propriété soit commune ne suffit pas pour en avoir une notion commune. Il faut également que le Corps soit AFFECTE par un autre corps via cette propriété commune, avant que je puisse en avoir une notion commune. Avant, l'idée adéquate de cette propriété commune est "enveloppé" dans l'idée de mon Corps telle que celle-ci est en Dieu, et non pas telle qu'elle est dans mon Esprit.

Durtal a écrit : Cela fait qu'en concevant mon propre corps et donc cette propriété qu'il a en commun avec tous les autres je formerai une idée de cette propriété.


oui, mais pour pouvoir la concevoir, il ne suffit pas d'avoir cette propriété, il faut en plus une affection du Corps. Sans cette affection, je ne sais nullement en former une idée.

Durtal a écrit : Comme un autre esprit fera de même de son coté et que la propriété dont il formera l'idée est la même dans son corps que dans le mien il s'en suivra que chacun d'entre nous formera la même idée.


oui, mais à condition que les deux corps s'affectent mutuellement à travers cette propriété commune.

durtal a écrit :Mais si les idées des propriétés qui sont communes à tous les corps ne peuvent pas faire autrement que de s'exprimer en des idées qui sont communes à tous les esprits


la démo de l'E2P39 pose explicitement comme condition que "le Corps humain est affecté par un corps extérieur à travers ce qu'il a de commun avec lui, c'est-à-dire par A". C'est l'idée de cette affection qui enveloppera A, il n'y a pas d'idée de A en tant que telle, dans l'Esprit humain.

Durtal a écrit :la réciproque n'est pas pour autant avérée. Car si une idée qui est commune à plusieurs esprit a un autre fondement ou une autre cause que celle qui donne naissance aux notions communes, alors elle ne sera pas elle même une notion commune bien que plusieurs esprit la conçoivent en commun. C'est ce qui se passe par exemple avec l'idée de liberté de la volonté, ou avec l'idée que Dieu a des affects.


là-dessus nous sommes tout à fait d'accord. C'est probablement le fait que tu (et à un certain moment ShBJ) croyais que j'adhèrais à cette réciproque qui le rendait pour toi absurde d'identifier sens commun et notion commune. Dans ce sens, vous aviez raison de souligner la différence fondamentale entre les deux.

Durtal a écrit :En terme de critère on dirait que l'accord des esprits est une condition nécessaire (puisqu'il est une conséquence de l'existence de notions communes) mais non suffisante ( car un tel accord peut être la conséquence d'autre chose que des notions communes).


finalement, je ne crois pas que ce consentement actif est important, quand il s'agit de donner à une idée adéquate le statut d'une notion commune. Je crois que toute notion commune se caractérise effectivement par le fait que chacun qui y pense, pense la même chose (ce qui laisse ouverte la possibilité que ceux qui n'y pensent pas, qui ont l'attention tournée vers autre chose, en ont une idée moins claire - tout comme celui qui n'a jamais fait de maths ne reproduira peut-être pas spontanément les axiomes d'Euclides). Mais le tout est dans cette "attention", l'attention étant une faculté de rendre présent, et seul l'imagition donc l'affection ayant le pouvoir de rendre présent. C'est le fait d'être affecte à travers cette propriété commune qui détermine le statut de notion commune ou non. Une fois qu'on est affecté de telle sorte, on a une a une idée adéquate de l'affection qui revêt toutes les caractéristiques de la notion commune. Autrement dit: il faut être affecté par la "mélodie" avant que l'on puisse la reconnaître dans l'ensemble du bruit de fond. Et sans cette affection, on ne la reconnaîtra pas, mais c'est l'affection qui est le fondement, et non pas la "reconnaissance" commune.

Durtal a écrit :Voilà pourquoi on ne peut définir les notions communes par "le sens commun" si toutefois par cette dernière expression on entend simplement qu'une même idée est partagée par tous les hommes, car il faut ajouter à cela pour obtenir la notion commune, que cette idée soit celle de propriétés réellement présentes dans tous les corps, autrement dit qu'elle soit une idée adéquate.


en effet. Mais il faut y ajouter une deuxième condition: d'être affecté par un autre corps à travers cette propriété commune, sinon elle n'est pas "réellement présente" dans l'Esprit.

Durtal a écrit : Or Ce n'est pas le fait que plusieurs personnes la partage qui fait d'une idée une idée adéquate, c'est au contraire les caractéristiques intrinsèques de cette idée, qui font d'elle une idée adéquate et par suite qui font que tous les esprits la conçoivent de la même façon ou en commun.


tout à fait d'accord, seulement Spinoza dit déjà que chaque corps et esprit "enveloppe" l'idée adéquate de l'essence de Dieu. Cet "enveloppement" ne suffit pas, apparemment, pour qu'il y ait réellement dans l'Esprit une "notion commune".
Cordialement,
L.

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Messagepar hokousai » 04 juil. 2008, 23:46

Durtal écrit
Et je ne vois vraiment pas où est le problème à dire que tandis que nous sommes affectés par les corps extérieurs, en tant que nous les imaginons notre esprit n'exprime pas (ne se comporte pas selon , ne parle pas selon...) les idées adéquates qui sont en lui.


Il y a un problème à parler d’idée adéquates non exprimées . Ce ne sont pas des idées en actes .Que devient l’ordre et enchaînement des idées si ces idées n’apparaissent pas ?.Quel est la signification d’un ordre et enchaînement des idées s’il y a des idées non exprimées . Où se placent- elles dans l’ordre ?

On peut imaginer un ordre de modifications de l'attribut pensée inconscientes (et cet ordre sera lui même inconscient ) mais alors il ne faut pas parler d’idées adéquates (et même pas d’idée du tout )

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Messagepar Durtal » 05 juil. 2008, 23:38

Louisa

j'ai lu ton message avec intérêt. Avant de poursuivre cependant, j'aimerais que tu répondes à la question que voici:

Supposons un individu ayant des notions communes. On peut aussi supposer je pense qu'il arrivera que cet individu dorme.

Ma question est alors de savoir ce que tu dirais en considérant les choses à ce point de vue. Que doit-on dire? Est-ce qu'il a encore ces notions communes durant le sommeil ou bien est-ce qu'il faut dire que chaque matin il doit recommencer à les former parce qu'elles ont disparu de son esprit durant le sommeil?


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