A Faun
comme c'est moi qui ai introduit ici la notion de philosophie analytique, là où Joseph voulait discuter du problème de la volonté chez Spinoza sans s'y référer, juste un mot sur ce que tu viens d'écrire.
Je ne crois pas qu'on puisse réduire la philosophie analytique à l'un ou l'autre régime politique totalitaire. Rappelons par exemple que l'un de ses pères, Russell, était un grand militant pacifiste, qui a lutté activement contre le surarmement, qui a fondé avec Sartre un "Tribunal International" pour juger la guerre menée par les Etats-Unis au Vientnam, etc. Et il n'est vraiment pas le seul philosophe analytique qui s'est engagé de façon si concrète. Je crois que Joseph a eu tout à fait raison de déplorer dans l'un de ces messages précédents la Haine viscérale que cette philosophie a provoqué et provoque toujours sur "le Continent", et qui entrave tout débat rationnel, débat pourtant si nécessaire.
Débat potentiellement tout à fait passionnant aussi, puisqu'il s'agit tout simplement d'un courant philosophique qui entre-temps a produit elle aussi de grandes oeuvres de philosophie fort intéressantes, mais qui se base sur une autre façon de penser, de procéder, que ce que la philosophie continentale croit voir dans l'histoire de la philosphie et croit faire elle-même.
Pour moi, cela signifie qu'un dialogue satisfaisant concernant une interprétation de texte entre deux personnes appartenant l'une à la tradition continentale et l'autre à la tradition analytique est toujours de l'ordre de la "création", au sens où il faut d'abord réfléchir à comment trouver un moyen pour vraiment communiquer. Comme je le disais à Durtal: si Joseph ne fait que répéter son argument, sans trop réfuter les nôtres, à mon sens c'est effectivement parce que pour l'instant nous répondons par des arguments qui ne parlent pas à quelqu'un qui raisonne autrement. Il s'agit donc de trouver, d'inventer d'abord et avant tout une façon de bien comprendre de QUOI nous parlons, sachant que pour l'instant, on parle probablement de deux choses différentes.
A Durtal
Durtal a écrit :Louisa, on peut aussi se demander au juste en quoi la question de la volonté à réellement un rapport avec les règles de la syntaxe logique d'un langage.
cette question était le point 1 de ma conclusion ci-dessus, où je demande de démontrer la prémisse, la prémisse étant l'identification (ou "analogie") entre la volonté (comme affirmation réelle) et le fait que la syntaxe du langage en tant que telle ne nous oblige pas encore d'affirmer ou de nier.
J'avoue que plus j'y réfléchis, plus cette prémisse me semble être absurde. Je suppose que pour la défendre, il faut plutôt se baser sur l'inverse: se dire que si notre langage ne permettait pas de nier ou affirmer tout
p, alors le langage nous obligerait d'affirmer ou nier les choses. Dans ce cas, la volonté ou la liberté d'affirmer ne serait pas libre. Or comme le langage ne nous oblige nullement, en tant que tel, de réellement accepter ou nier quoi que ce soit, Joseph en conclut que la volonté ou l'affirmation est libre. C'est oublier qu'ainsi nous n'avons éliminé qu'une seule cause de contrainte possible. Descartes en avait déjà donné une autre: la vérité elle-même. Quand une idée est claire et distincte, nous pencherons immédiatement pour l'affirmation ou la négation. Pour lui, cela n'entrave en rien la liberté, puisque si la contrainte, c'est la vérité elle-même, alors la contrainte n'est pas hors de nous. C'est le même raisonnement que Spinoza va reprendre, en l'approfondissant.
Par conséquent, on peut dire au mieux qu'effectivement, le langage permet une "indifférence" quant à l'affirmation ou négation, au sens où il est tout aussi grammaticalement correcte de dire que le soleil tourne autour de la terre que de dire l'inverse. Mais cela ne nous permet pas de conclure à une volonté libre, non contrainte, puisque d'autre contraintes sont possibles.
Une deuxième conclusion tirée par Joseph du même raisonnement consiste en ceci: dire "le soleil tourne autour de la terre", c'est un acte de l'entendement (on se représente une pensée), tandis que l'affirmer (consentir à la vérité de cette pensée) demande un deuxième acte, qui est de nature différente (appelé "volonté"). De nouveau, les deux semblent être différents pour des raisons linguistiques: je peux dire que le soleil tourne autour de la terre sans y adhérer, et je peux l'affirmer. Autrement dit, l'argument ici est de rappeler que dire n'est pas la même chose qu'affirmer. On fait une chose différente quand on dit une pensée que quand on l'affirme.
Joseph se base sur cette vérité pour dire qu'il faut distinguer volonté et entendement. D'un point de vue cartésien ou spinoziste, cela signifie que les idées ne contiennent pas en elles-mêmes la vérité, que percevoir l'idée ou la pensée ne suffit pas pour devoir l'affirmer ou nier.
Il est évident que pour beaucoup d'idées, c'est réellement le cas. Cela vaut absolument pour l'exemple donné par Joseph, qui était celui d'une variable logique, vide par définition de toute réalité concrète. Mais cela vaut également pour pas mal d'ideés tout à fait concrètes (par exemple: "demain Joseph nous donnera à tous raison" ... impossible de déduire de cette idée en tant que telle sa vérité ou fausseté). Joseph se base sur Descartes pour dire que cela nous oblige à distinguer volonté et entendement. Or Descartes lui-même disait déjà que cette distinction n'est valable que dans les cas où l'idée ne contient pas encore la vérité. Chez Descartes, cela vaut pour toute idée obscure: ce n'est que quand nous voyons les choses confusément, que l'affirmation ou la négation ne s'impose pas à nous, que nous ne savons pas quoi choisir (et du coup avons l'impression de pouvoir choisir). Pour Descartes, cette impression suffit pour prouver la différence entre concevoir/percevoir une idée et l'affirmer. Spinoza va simplement un pas plus loin, en prenant en compte le fait que cette impression de pouvoir choisir ne se base (même déjà chez Descartes) que sur l'ignorance, sur un non-savoir, et que l'ignorance ne peut pas être un argument pour déjà supposer une distinction entre volonté et entendement.
Or il me semble que l'argument de Joseph se situe tout à fait hors de ce débat Descartes-Spinoza, puisque pour lui affirmer, volonté, entendement etc n'ont plus le même sens que chez Descartes et Spinoza, mais deviennent des actes purement linguistiques. Ce n'est pas l'ignorance qui lui fait opter pour une distinction entre volonté et entendement, comme c'est le cas chez Descartes, mais le fait que linguistiquement on peut les séparer. C'est pourquoi dans mon dernier message je ne me suis concentrée que sur le premier point (lien volonté libre - affirmation purement verbale), puisqu'aussi longtemps que ce lien n'est pas démontré,
a fortiori le deuxième point (lien affirmation purement verbale - distinction volonté-entendement) n'est pas démontré non plus.
L.