Bonjour Durtal,
ayant perdu du temps ce matin, je ne pourrai hélas pas faire la réponse détaillée dont j'avais envie hier. Je vais donc directement à l'essentiel. Si tu as l'impression que ma réponse n'est pas très satisfaisante, j'accepte en tout cas que pour l'instant je ne t'ai pas convaincu. Alors le mieux serait probablement de reprendre la discussion en septembre (si à ce moment tu le veux bien), quand j'aurai de nouveau le temps de répondre le jour même et en détail.
Louisa:
C'est que pour autant que je sache, je n'ai JAMAIS nié la vérité (au sein du spinozisme) de l'idée exprimée par a phrase "toutes les idées ont en commun d'affirmer quelque chose" (et je ne vois pas non plus en quoi ce que je viens de dire le nierait??). Le problème n'est pas que cette idée-là serait fausse. Ce qui est faux, c'est l'idée qui ferait de l'affirmation, qui n'est qu'un être de raison, un être réel.
Durtal:
Bien. Mais alors pourquoi t'être lancée alors dans une telle polémique, puisque je disais, pour ma part:
Durtal a écrit:
Lorsque Spinoza dit que la volonté entendue comme faculté est une fiction issue d’une représentation abstraite, je ne pense pas qu’il veuille incriminer l’abstraction en tant que telle. Ce qui est précisément en cause, comme il le dit est que « nous nous trompons facilement quand nous confondons les notions générales avec les singulières (…) »
Ce que tu contestais en écrivant:
Louisa a écrit:
Du coup, Durtal en conclut que l'affirmation doit être une notion commune. En réalité, il ne s'agit pas d'une notion commune, mais d'une notion "universelle" ou un "étant Métaphysique", comme Spinoza le dit à plusieurs reprises (E2P48, E3P49 scolie). Chez Spinoza, les notion universelles appartiennent au premier genre de connaissance, et sont confuses donc fausses
Durtal:
Donc comprend au moins que tes interlocuteurs se sentent un peu « perdus » dans ton argumentation. Car si on laisse de coté la question de savoir si on doit appeler ce dont il s’agit ici « notion universelle » ou « notion commune », il est assez difficile de comprendre comment tu peux dire d’une part, que la notion universelle d’affirmation, comme caractère commun à toutes les volontés est fausse, ce qui signifie à peu près dans ce contexte : ne « correspond » à rien et d’autre part que la phrase « l’affirmation est la propriété commune à toute les volontés » est vraie, qui revient très précisément à dire le contraire, puisque si elle est vrai, elle implique que le terme « d’affirmation » correspond bien à un caractère effectif de chaque volonté, et donc que celle-ci ne correspond pas « à rien ».
en effet, ainsi formulé je comprends tout à fait le problème. Merci de l'avoir indiqué si clairement. Voici donc ce que j'ai voulu dire par ces deux citations.
D'abord tu expliques la contradiction en disant qu'on va laisser de côté la question de savoir si ce dont il s'agit ici est une notion commune ou une notion universelle. Pour moi on peut le faire, à titre d'hypothèse, mais uniquement à condition de supposer qu'une notion commune soit un genre de notion universelle, et non pas l'inverse. Or dans ton explication qui suit, tu fais l'inverse: là où moi, quand tu me cites, je parle d'un "avoir en commun", tu lis "a une propriété commune". C'est donc parce qu'à mon sens il faut distinguer notion commune et notion universelle que je peux dire que je suis d'accord quand on dit "toutes les idées ont en commun d'affirmer quelque chose" (à condition qu'on y ajoute qu'ainsi on ne parle qu'abstraitement), mais que je ne peux plus être d'accord avec ta reformulation qui dit "l’affirmation est la propriété commune à toute les volontés".
Puis dire que "toutes les idées ont en commun d'affirmer quelque chose", donc penser à cette idée en tant que telle, affirmer cette idée en tant que telle, c'est effectivement faux, puisque cela signifie qu'il y aurait réellement un seule et même élément commun (c'est en cela que consiste l'abstraction), c'est-à-dire on ferait référer la notion universelle à un "étant universel", tandis que nous sommes clairement d'accord pour dire que cet étant n'existe pas. Or il suffit d'y ajouter l'idée que nous ne sommes qu'en train de parler dans l'abstrait, et que dans la réalité il n'existe que des singuliers, pour que l'idée "totale" (notion universelle + idée qui exclut l'existence de l'étant singulier auquel elle réfère) est vraie (ou plutôt: la fausseté de la première idée n'apparaît qu'une fois qu'on raisonne, donc seulement une fois qu'on constate la non existence d'étants universels). Mais je suis d'accord avec toi: je n'ai peut-être pas très clairement expliqué ceci. Or jusqu'ici, je ne crois pas que je dis des choses très différentes de ce que tu dis toi-même, il s'agit plutôt de reformuler la même idée un peu différemment, sachant que je distingue la notion universelle de la notion commune là où tu utilises indifféremment les deux termes.
Par conséquent, ce n'est que quand on va voir les formulations en détail, que les divergences apparaissent. En fait, en te lisant, et aussi en lisant ton deuxième message de hier, je commence à avoir l'impression qu'il est bien possible que ces divergences s'expliquent par notre compréhension différente de ce que c'est qu'une idée adéquate, mais dans ce cas, il faudrait reprendre notre discussion là-dessus (ou résumer l'essentiel ici), ce dont je n'aurai certainement pas le temps pendant les deux semaines prochaines. Raison pour laquelle j'ai commencé mon message en disant que mon explication ici ne serait peut-être pas tout à fait satisfaisante.
Enfin, en attendant voici tout de même quelques exemples de ce qui indique à mes yeux les divergences actuelles, ou permet de les préciser:
Durtal a écrit :Nous semblons nous accorder sur l’idée que Spinoza met en garde contre la tentation de traiter « l’affirmation » ou « la volonté » comme des « entités » ou des « étants ».
en effet.
Durtal a écrit :Nous disons, il me semble, ou en tout cas moi je dis, que les phrases mettant en œuvre des universaux, sont vraies, quand elles réfèrent à des caractéristiques des choses individuelles que les choses en question possèdent effectivement ( car si elles disent de ces choses qu’elles possèdent une caractéristique ou plusieurs caractéristiques dont elles sont de facto dépourvues, elles seront fausses). Or dire ceci, n’est pas du tout faire du contenu d’une notion universelle « un étant », cela intègre parfaitement la mise en garde Spinoziste, car il n’est question ici que de viser des caractéristiques des choses singulières et non de faire de ces caractéristiques des « êtres » ou des « entités » qui subsistent « par soi ».
ok, je crois que je comprends l'idée, mais ce qui pour moi est "flou" là-dedans (et là je crois que je peux également m'adresser à Julien_T et à Sescho), c'est que tu dis qu'une notion universelle REFERERAIT à du singulier. Par là, si je t'ai bien compris, tu ne veux pas dire simplement que toutes les choses singulières ont cette caractéristique en commun, mais aussi que la notion universelle référerait à la caractéristique singulière telle qu'elle figure dans chaque chose singulière. A mon sens, cela est impossible. Une notion universelle réfère à ce que, en faisant abstraction des différences singulières, chaque chose singulière a en commun, ce qui par là même n'est PAS singulier.
Autrement dit, quand on dit que "tout Martini Vodka a une olive", l'olive dont il est question ici ne peut qu'être abstraite. La référence de cette phrase ne peut qu'être abstraite. Il faut une AUTRE idée qui y ajoute que dans la réalité, il s'agit à chaque fois d'une autre olive, qu'il n'y a pas d'élément cmmun, pour introduire du singulier. Mais quelque part cela ne fait que déplacer le problème. Car à partir de ce moment-là, on peut se demander ce qui permet d'appeler toutes ces olives des olives, et non pas des cerises. Alors on peut dire qu'il s'agit de nouveau d'une abstraction, qu'on ne regarde que ce que chaque olive singulière a en commun avec d'autres olives. Mais justement, qu'est-ce qu'elle a en commun, si toute chose est absolument singulière?
C'est ce qui me donne l'impression que finalement, ton interprétation est plus proche de la notion universelle telle qu'on la pense d'habitude: que quelque part, malgré tout, il y aurait du commun DANS les choses mêmes. Car finalement, on peut bel et bien dire que dans chaque verre il y a une olive. On ne va pas utiliser un autre mot pour chaque olive. C'est quelque part ce que tu dis quand tu dis que la notion universelle réfère à la caractéristique commune-et-néanmoins-singulière dans les choses singulières. Pour moi c'est encore introduire du commun là où il ne peut y avoir que du singulier. C'est pourquoi aussi je ne suis pas d'accord avec toi quand tu dis que:
Durtal a écrit :Ton problème : Spinoza ne peut pas vouloir dire que l’affirmation est la propriété commune à toutes les volontés, car une propriété commune n’enveloppe l’essence d’aucune chose singulière, comme nous l’apprend E2P38.
à mon sens, le problème est proche de ce que tu viens de dire ici, ne fût-ce que pour moi, l'E2P38 dit que c'est plutôt l'essence qui n'enveloppe aucune propriété commune, et non pas l'inverse. C'est parce que l'essence n'enveloppe RIEN de commun, qu'elle ne peut pas envelopper une propriété commune-mais-néanmoins-singulière. Pour moi, tu mets donc trop de commun dans le singulier, ce qu'on fait d'habitude, au sens où travailler avec des essences singulières n'a été fait que très rarement, dans l'histoire de la philosophie, tandis qu'il est beaucoup plus fréquent d'accepter quelque part tout de même que du général rentre dans les choses singulières. C'est pourquoi le nominalisme de Spinoza ne consiste pas seulement à dire qu'il n'y a que des choses singulières et pas d'entités universelles. C'est un véritabel terminisme à la Ockham (
mutatis mutandis), où les choses n'ont dans la réalité plus rien en commun du tout, au niveau de leur essence.
Pour résumer: à mon avis un nominalisme qui travaille avec des essences singulières est différent d'un nominalisme qui reconnaît la réalité de la généralité mais qui y ajoute que dans le réel il n'y a que des choses singulières, qui sont des "déclinaisons" particulières de cette généralité, généralité qui quant à elle n'existe que dans les choses singulières et nulle part ailleurs. A mes yeux, vous projettez le nominalisme "habituel" (défini tel que je viens de le faire) dans le nominalisme spinoziste, qui parce qu'il est un terminisme est une forme très particulière de nominalisme.
Mais encore une fois, ceci touche à mon sens inévitablement à d'autres discussions qu'on a déjà eues, au sens où cela explique en partie les désaccords entre toi et moi quand nous discutons de l'idée adéquate, et également les désaccords entre Sescho et moi quand nous discutons du troisième genre de connaissance. Il me faudra donc préciser beaucoup plus ce que je veux dire dans ce que je viens de résumer au paragraphe précédent, sinon je ne suis qu'en train de proférer des thèses générales, qui ne peuvent convaincre personne. J'espère pouvoir prendre le temps en septembre (sinon quelque part pendant l'automne) pour expliciter tout ceci en détail et pour le soumettre ensuite à vos critiques, afin de voir où se trouve éventuellement l'erreur.
En attendant, n'hésite pas à réagir à ce que je viens déjà d'écrire, j'essayerai de toute façon de revenir régulièrement sur ce site les prochains jours, et de répondre là où je peux. De toute manière, pour moi tes deux derniers messages étaient vraiment très utiles, car je crois (à toi de me corriger si ce n'est pas le cas) que cela a permis de faire très clairement le point sur ce dont on est d'accord, tout en le rendant possible de préciser OÚ pourraient se trouver plus exactement les divergences. Et si ce que je pense est correcte (à vérifier), alors celles-ci ont avant tout à voir avec d'autres interprétations à un niveau de lecture plus profond, interprétations présupposées dans ce qu'on écrit mais jamais explicitées réellement. Et dans ce cas on comprend mieux comment aussi bien toi-même que moi, nous avons à la fois l'impression de dire très clairement ce qu'on pense et de devoir répéter sans cesse les mêmes choses sans que l'autre semble comprendre ce que l'on dit.
Bref, to be continued ...
A très bientôt!
L.