Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Louisa » 08 nov. 2008, 03:58

Sescho a écrit :Mon cher Durtal, je pense que vous avez entièrement raison.

Toutefois, je voudrais vous faire remarquer votre totale injustice envers Platon. Car Platon dit que les choses changent en permanence dans le monde phénoménal mais que leur Forme, ou essence, doit être éternelle. Or Spinoza dit tout simplement exactement la même chose...


euh ... si j'ai bien compris, Durtal défend précisément l'idée que la forme n'est pas éternelle, mais change. Du coup, je ne comprend pas très bien à quel sujet vous êtes d'accord entre vous, puisqu'il s'agit précisément de cette question-là, dans nos derniers messages ("une forme spinoziste peut-elle changer ou non?").

En tout cas, en ce qui me concerne, je crois avec Sescho, et donc contrairement à Durtal et à Sinusix, que chez Spinoza les formes ne changent pas (or je crois que contrairement à Platon, Spinoza n'identifie pas forme et essence; chez Spinoza une forme (= union des corps, voir les lemmes) se conserve puis est nécessairement tôt ou tard détruite, alors qu'une essence a toujours une partie éternelle, indestructible (identifiable à l'ensemble de ses idées adéquates)). Mais les objections de Sinusix vont peut-être nous permettre d'expliciter davantage les raisons pour lesquelles on adhère à l'idée d'une "transformation" possible ou non. J'y reviens bientôt.
L.

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Messagepar sescho » 08 nov. 2008, 09:52

hokousai a écrit :sur cette affaire d'individu
vous comprenez bien que si vous coupez le dossier d'une chaise vous allez en faire une table .
Si en revanche, on vous coupe les jambes vous n'allez pas changer de conscience de vous même en tant qu' individu et on ne donne pas une nouvelle carte d'identité ni au paraplégiques ni aux amnésiques .
Le corps humain ne peut donc être considéré comme un corps quelconque , nonobstant l’aspect juridique , c’est le mien (mon corps) de la naissance à la mort .

En focalisant sur la forme ( qui serait l’essence ) on dit que la forme change (c’est évident) donc que l’essence change et on devrait alors dire du tout au tout ( la forme du corps changeant considérablement ).

On ne peut plus sauver l’essence .On ne la sauve certainement pas en disant qu’il y a de bons changements et de mauvais comme le fait Durtal...

Car nous serions le siège de certains changements qui affirment l’essence en vertu de l’essence (sinon en vertu de quoi ?) et d’autres changements qui la nie, mais en vertu de quoi (de l’essence ou pas ) ?
Situation conflictuelle où l’essence n’a plus rien à prétendre qu' à être affirmée en vertu d’elle-même ( alors qu’elle change du tout au tout) , ou niée mais on ne sait pas plus en vertu de quel principe .

Il y a un problème de paradigme, me semble-t-il. Quand on dit "jusqu'à ma mort mon corps sera toujours mon corps", on pose "ma" et "mon" d'abord comme l'entité la plus stable, et le reste en rapport. Il n'est pas étonnant qu'après avoir ainsi signifié implicitement que le "Moi" est une entité stable (du moins dans l'intervalle de temps entre "ma" naissance et "ma" mort - en passant, tant pour l'un que pour l'autre, le "ma" sent largement l'approximation) que tout ce que vous dites s'ensuive. Mais en fait, nous discutons précisément ici du paradigme lui-même, savoir si l'on peut effectivement identifier clairement et distinctement un "Moi" permanent.

Essence, Forme et nature désigne exactement la même chose. Comme je l'ai déjà dit, dans "cette chose existe", le terme qui pose problème n'est pas "existe", c'est "cette chose", ou plutôt "cette" ; si l'on accorde d'emblée une permanence absolue à "cette chose", on ne comprend plus le reste. Les "choses" sont en fait des phénomènes en perpétuel mouvement, lequel se produit nécessairement dans l'interdépendance puisque le néant de l'étendue n'existe pas, en vertu de leur cause qui est précisément le Mouvement dans l'Etendue.

Qui dit "impermanence" dit en fait "non-absolue permanence" (puisque le mouvement inclut aussi le repos comme cas limite, et donc une stabilité relative), pas "chaos absolu" (qui est impensable.) Mais c'est tout-à-fait suffisant pour affirmer que les choses singulières n'ont pas, dans le principe premier, d'être propre : elles sont en Dieu, l'essence qu'elles manifestent à un certain moment est éternellement en Dieu, mais les deux sont découplés.

Si l'on prend pour référence de "chose" ce qui montre une certaine stabilité dans le temps, alors il faut dire que la "chose" (qui n'est jamais la même en fait) change d'essence. Mais l'essence en tant qu'essence ne change pas (c'est la "chose" qui change, dans le temps, de nature, de forme, et d'essence ; c'est égal.) En passant, il est amusant de constater que certains intervenants nous sortent de la bonne façon de voir, qui est la vision de l'éternel, etc. sans voir qu'ils partent à la base d'une considération de permanence dans le temps.

Ce qui peut induire en erreur de ce point de vue, c'est une mauvaise interprétation de l'utilisation par Spinoza des "essences de genre" et de l'autre côté de E2P40S2. Ces "essences de genre" sont indispensables, rien ne se déduisant de la variété infinie des manifestations, mais en plus correspondent à une réalité : les hommes partagent entre eux pour la plus grande part la même essence et ce qui s'en déduit vaut alors pour tous, individus en acte, passés, présents, à venir, car alors c'est de la nature humaine dans toute sa généralité dont il est question. On néglige dans l'affaire comme secondaires l'histoire personnelle, les circonstances actuelles, etc. et en passant la mémoire, qui n'est pas, dans son contenu variable, de l'essence de l'homme à proprement parler, et périt avec le corps. L'ordre de l'essence dans la Nature est bien, pour l'entendement clair, par genre et différence, alors même qu'il n'y a aucun étant réel qu'on peut appeler "genre." Il est donc parfaitement intelligent de traiter de la nature humaine en général, pour en déduire le souverain bien commun à tous les hommes. C'est pourquoi aussi la plupart du temps Spinoza parle soit d'un changement d'essence qui ne touche pas l'essence de genre, soit carrément d'un changement - impossible - d'essence de genre (homme / cheval / insecte, etc.) Corrélativement, il y a une permanence plus longue dans les incarnations que nous sommes de la manifestation de cette essence dans le temps. Cela nous dit aussi que la mémoire et les circonstances n'ont que peu à voir avec l'essence humaine. Mais ceci ne remet pas en cause le principe premier : les choses singulières (finies en acte, donc) sont par nature impermanentes et interdépendantes (sauf pour la partie relevant de l'entendement pur, désignée l'essence véritablement propre de l'homme par Spinoza, quoique toujours en Dieu, mais alors "entière" en Dieu, et effectivement éternelle en tant même que manifestée, mais ce qui n'a alors absolument rien à voir, ni dans un sens, ni dans l'autre, avec l'impermanence relative des choses singulières, ni donc aucune considération de durée.)

En revanche, si l'on veut ne considérer les choses singulières que comme strictement individuelles (et permanentes), on ne comprend strictement rien (et on tombe en outre dans des contradictions insolubles avec le texte de Spinoza.) Et il est évident que ce qui sous-tend cela c'est qu'on pose d'abord que les choses sont en soi, et ensuite on essaye de recoller tout le reste, de replâtrer Dieu par là-dessus. C'est ce que Spinoza appelle le plus explicitement du monde renverser l'ordre requis pour philosopher, une façon parfaite pour manquer l'essentiel et baigner dans le relatif, en s'ancrant encore plus profondément dans l'esprit vulgaire, qui n'aime rien tant que la singularité (voir les extraits du TTP plus haut à ce sujet.) Cela dit, la diversité est une manifestation de la puissance divine, et vu comme cela, cette richesse (de Dieu, d'abord, pas des choses vues en elles-mêmes) est merveilleuse.


Serge
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Messagepar hokousai » 08 nov. 2008, 18:33

cher Serge


S’il y a un savoir qui ne souffre pas l’ approximation c’est bien celui de l’identité de moi à moi- même .
Sous deux aspects
1)Le moi actuel du cogito ( Cartésien ou Husserlien ou Augustinien ) et actuellement toujours aussi neuf qu’ aux premiers jours et en ce sens c’est une idée qui ne change pas .
2)Le moi individu , sujet dune histoire donc inscrit dans une temporalité mais dont l’ histoire est sans approximation reconnaissable comme celle du sujet qui en a conscience et qui donc n’est pas celle celle d’autrui .Cette histoire a une identité permanente certaine .
Donc un moi permanent est identifié .
La question de l’illusion ne se poserait pas sans cette identification .
............................................................................

L idée d’ essence naît justement ( comme différente de la forme ) de cette stabilité qu’est l’identité au travers des vicissitudes de la vie (de la vie des choses et de moi-même ).

Que les choses soient en perpétuel mouvement tous les philosophes l’ont reconnu .Qu’elles soient en perpétuelles auto-métamorphoses aussi .
Spinoza dit que la nature est modifiée en cercle , triangle ou homme toujours dans chaque cas de la même manière , en tout cas assez semblable pour que nous puissions définir le cercle , le triangle, les pommes , l’ homme .. C’ est la manière de faire qui est cause de l’existence
On ne peut évacuer les essences du spinozisme (Selon l’essence les hommes peuvent tout à fait convenir !) .
Ce qu on peut c’ est les comprendre comme une activité.


«"""" L’essence de l’homme est constituée par des modifications définies ( certis ) des attributs de Dieu """""prop 10/2

L’existence des choses n’est pas déterminée par une nature propre ( une essence au sens d’Aristote ) mais par les causes qui sont des modifications précises des attributs .
Pour résumer un homme particulier existe suivant une infinité de causes ,certes, mais hiérarchisées en puissance
Le scolie du lemme 7 ( sur le grand unique individu )montre très bien cet emboîtement des stabilité les unes dans les autres . .(Mais on pourrait penser aux mouvements browniens : mouvement interne / stabilité de l’ensemble )

Je reviens donc à la stabilité de l’individu car il n’ y a pas changement de forme !!dixit Spinoza )

Je soutiens que si deux hommes ont la même forme inchangée ( d’où une définition possible ) c’est qu’ on a de mêmes causes que donc des processus similaires sont pensables .
Cette similarité des processus de composition des corps devrait être l’idée qui permet de penser une essence commune à tous les hommes .
Vous qui défendez les lois de la nature devriez admettre des régularités de composition des corps .
Je ne dis pas que les manières de faire deux corps humains soient parfaitement identiques ( j’ en doute ) mais que nous les pensons suffisamment semblable pour en les inscrire dans des chaînes de causalité réitérables .( Spinoza va plus loin puisqu’il parle de vérités éternelles )

bien à vous
hokousai

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Messagepar Sinusix » 08 nov. 2008, 20:52

hokousai a écrit :A Sinusix


Je pense au contraire, puisque nous fonctionnons "more geometrico", dans un ensemble de réalité donnée et selon le principe du tiers exclu

.....................................................................

vous comprenez bien que si vous coupez le dossier d'une chaise vous allez en faire une table .
Si en revanche, on vous coupe les jambes vous n'allez pas changer de conscience de vous même en tant qu' individu et on ne donne pas une nouvelle carte d'identité ni au paraplégiques ni aux amnésiques .
Le corps humain ne peut donc être considéré comme un corps quelconque , nonobstant l’aspect juridique , c’est le mien (mon corps) de la naissance à la mort .
On ne peut plus sauver l’essence .On ne la sauve certainement pas en disant qu’il y a de bons changements et de mauvais comme le fait Durtal .
Tout simplement parce qu'il y a certains changement qui affirment cette essence ou qui sont précisément ceux par lesquels cette essence s'affirme et d'autres au contraire qui nient cette essence ou qui la détruisent.

Bonsoir,
Je note trois avancées dans votre propos.
En premier lieu, vous semblez prendre position, dans un sens qui me convient, sur le problème évoqué sur le même fil relatif aux spécificités du corps humain. J'entends qu'il ne peut être considéré comme un corps quelconque dans la mesure où l'être humain serait doté d'une "conscience de soi". Dont acte.
En second lieu, vous invitez à admettre la continuité d'une "conscience de soi" de chaque individu, nonobstant les modifications profondes qu'il pourrait connaître. Je veux bien admettre cette continuité de "contour" dans la mesure où, le drame connu n'étant pas d'ordre cérébral, un cerveau conservé intact est capable (via éventuellement la lecture de sa carte d'identité, les photos souvenirs et la chaleur des proches) de se confirmer la continuité de quelqu'un qui se prénommait Pierre.
En troisième lieu, vous abordez le problème de l'essence, et, de ce fait, de mon point de vue, du contenu partiel de la conscience de soi attachée à la connaissance réflexive de notre nature, face à son passé remémoré et en comparaison de la "norme" humaine (en l'occurrence pour l'hémiplégique la capacité de marcher sur ses deux jambes).
En me référant à ce que montre avec talent Sescho, l'éventuelle "fixité" de l'essence, nonobstant les changements inévitables, me paraît lié à la définition effectivement de l'essence de Pierre.
Si l'essence de Pierre, et de chacun, était une essence de genre identique (auquel cas l'ensemble des possibles, incluant l'ensemble des événements porteurs de bouleversements individuels) serait enveloppé par l'essence de chacun, mais on ne voit pas alors à quel niveau se situerait la distinction entre Pierre et Paul.
Si au contraire E2P10 signifie que l'essence de Pierre est bien une spécificité de la nature de Pierre, par extension de la notion de parallélisme, je considère que cette essence est "isomorphe" aux caractéristiques du corps de Pierre (attribut étendue). En conséquence, tout bouleversement (tel que l'hémiplégie) ne peut que s'accompagner, afin que se poursuive la vie de l'individu, d'un rétablissement de l'isomorphisme, donc d'une modification de l'essence. Cette modification possible renvoie d'ailleurs partiellement, d'une certaine manière, à des caractéristiques de l'essence de genre dans la mesure où, par exemple, une biche perdant deux jambes serait irrémédiablement condamnée, et donc la permanence de son essence serait rapidement résolue, alors que l'homme a su élargir le champ (grâce à la médecine notamment) de ses poursuites possibles.
Les désaccords seraient donc peut-être moindres si nous travaillions tous sur la même définition des termes que nous employons.
Cordialement

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Messagepar hokousai » 08 nov. 2008, 23:56

A sinusix

Je distingue toujours le moi du cogito ( même s’il n’est pas exprimé ainsi )disons le moi conscience actuelle de lui même , du moi /sujet qui se reconnaîtrait comme ayant une histoire .
Dans le second cas un individu peut avoir une perte /amnésie totale de son histoire et en ce sens ne plus se connaître .
Mais pour le premier cas .Peut –on aussi avoir des cas pathologique de méconnaissance de soi même comme centre actuel ? J’ai bien du mal à imaginer cela .

Au sujet de l’essence il me semble que les deux instances du moi sont de ce qu’est l’ homme naturellement (en sa condition d’ homme ), je ne dis pas que cela définit suffisamment l’homme, je ne cherche d’ ailleurs pas une définition exhaustive et définitive de l’humain .
J’ essaie simplement de ne pas oublier deux instances évidentes et qu’on voudrait parfois faire passer pour secondaires . L’automate spirituel pouvant alors être défini sans Ego, sans conscience, sans histoire.
L’essence de Pierre (ce qu’est Pierre ) me semble constituée verticalement, c’est à dire selon des degrés de puissance d’exister,( et je dirais de durer ) de modifications uniques ( propre à Pierre et à son histoire personnelle ) et de modifications qui elles ressemblent (sans sans doute être absolument identiques ) à celle de Jean .( et les Ego sont de ces modifications là )

Pour être plus clair sur un exemple devenu du sens commun .Nous avons un programme génétique unique, le nôtre, mais deux programme génétique( le votre te le mien )se ressemblent quand même beaucoup sous divers aspects , suffisamment pour qu’ on parle d’essence d’espèce .


Il faut rendre compte ( du pt de vue spinoziste ) de ce que Spinoza dit :
selon l’ essence les hommes peuvent convenir mais dans l’ exister ils doivent différer ..(fin du scolie prop 27/1)………

…à vous, si le défi vous tente

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Messagepar Durtal » 09 nov. 2008, 11:08

hokousai a écrit :.
Si en revanche, on vous coupe les jambes vous n'allez pas changer de conscience de vous même en tant qu' individu


Etes vous sérieux? Du moins cette partie de ce qu'on appelle le moi et qui consiste en la conscience de son corps en sera très certainement changée.


hokousai a écrit :et on ne donne pas une nouvelle carte d'identité ni au paraplégiques ni aux amnésiques .


Voilà une remarque frappée au coin du gros bon sens comme on dit… Cela dit je comprends mieux votre remarque précédente, s'il s'agit là selon vous d'un critère pertinent. Notez....on donne aussi des papiers d'identification pour les voitures et les quartiers de bœuf...

Me fais-je comprendre? Ce n'est pas parce qu'on ne change pas de carte d'identité qu'on ne change pas de personnalité ... A plus forte raison s'il est question comme le suggère Spinoza de cas où l'intégrité apparente du corps est conservée.

Est ce que notre poète amnésique est plus avancé pour avoir regardé des papiers d'identité qui ne font plus aucun sens pour lui? Croyez vous que le tétraplégique pourra se persuader qu'il est le même qu'avant, au motif qu'on ne lui a pas changé sa carte d'identité? C'est tout de même une drôle de conception de la thérapeutique…


hokousai a écrit :.Le corps humain ne peut donc être considéré comme un corps quelconque , nonobstant l’aspect juridique , c’est le mien (mon corps) de la naissance à la mort .


Bon vous admettez qu'il naît et qu'il meurt, donc ma foi….qu'il change! Et qu'il ne puisse pas être considéré comme un corps quelconque je vous l'accorde, c'est d'ailleurs une différence très importante entre Spinoza et Descartes qui définit ce qu'est LE corps mais non UN corps. Mais ça ne change toujours rien au problème si "mon" corps peut changer, ou pour aller directement au point si ce qu'on appelle le "Moi"peut changer.

Et oui… le corps du tétraplégique est toujours autant le "sien" avant qu'après l'accident, et pourtant justement ce n'est pas pour autant le même corps... ce qui devrait peut être vous mettre la puce à l'oreille…Ainsi même l'amnésique à "ce sentiment d'être soi", tout comme il avait ce même sentiment avant d'être amnésique, et pourtant…il n'a pas le même "moi".


hokousai a écrit :En focalisant sur la forme ( qui serait l’essence ) on dit que la forme change (c’est évident) donc que l’essence change et on devrait alors dire du tout au tout ( la forme du corps changeant considérablement ). On ne peut plus sauver l’essence .


Je ne vous suis plus là. Je ne vois pas pourquoi vous dites que si la forme change considérablement, l'essence change du tout au tout.
Non… Si la forme change "considérablement" l'essence change "considérablement". Si la forme change du "tout au tout" alors… l'essence change du "tout au tout".

La différence est la suivante: une chose peut changer "considérablement" sans être pour cela détruite, alors que si l'on dit qu'elle a changé "du tout au tout" on entend bien sûr qu'elle a été détruite, ou remplacée par une autre d'une toute autre nature. Et donc ces deux cas ne sont pas les mêmes.
Ce qui n'efface donc du tout la différence qui peut exister entre des changements qui détruisent la chose, ou équivalent à son remplacement par une autre et des changements qui la préservent ou au travers desquelles elle peut être préservée.

hokousai a écrit : On ne la sauve certainement pas en disant qu’il y a de bons changements et de mauvais comme le fait Durtal . .



Et pour ce qui concerne le fait qu'il y a des changements bon et d'autre mauvais, c'est à dire des changements qui conserve la forme du corps et d'autre qui la détruise voyez:

Proposition E4p39.
"Ce qui fait que le rapport de mouvement et de repos que soutiennent les parties du corps humain les unes avec les autres est bon, est mauvais au contraire ce qui fait que les parties du corps humain ont entre elles un autre rapport de repos et de mouvement".


hokousai a écrit : Car nous serions le siège de certains changements qui affirment l’essence en vertu de l’essence (sinon en vertu de quoi ?) et d’autres changements qui la nie, mais en vertu de quoi (de l’essence ou pas ) ?


En vertu de l'essence des autres choses qui agissent sur la sienne.

Ces changements correspondent respectivement à ce qui nous fait passer de la tristesse à la joie, et de la joie à la tristesse, à ce qui résulte de ce que notre puissance d'agir (ie notre essence E3p7) est augmentée ou aidée ou au contraire de ce que notre puissance d'agir est diminuée ou contrariée. Les deux choses arrivant, il y a donc des changements (de la tristesse à la joie) qui posent notre puissance d'agir et des changements (de la joie à la tristesse) qui nient notre puissance d'agir. Est ce que c'est si compliqué que cela à comprendre?

Et un certain Spinoza (Vous connaissez? Je vous conseille : c'est moins marrant que Coluche certes mais c'est sympa tout même) va jusqu'à écrire:

"(...)Il faut considérer ici que nous vivons dans un changement continuel et qu'on nous dit heureux ou malheureux suivant que nous changeons en mieux ou en pire(...) Dans cette vie donc nous faisons effort avant tout pour que le Corps de l'enfance se change autant que sa nature le souffre et qu'il lui convient, en un autre ayant un très grand nombre d'aptitudes (...)"

(E5 scolie p39)


hokousai a écrit : Situation conflictuelle où l’essence n’a plus rien à prétendre qu' à être affirmée en vertu d’elle-même ( alors qu’elle change du tout au tout) , ou niée mais on ne sait pas plus en vertu de quel principe .


Là je crois que vous vous embrouillez vous-même, mon vieux, ou m'avez mal compris : si l'essence s'affirme elle même dans l'existence (note pour Sescho je sais que cela te donne de l'urticaire je n'oublie pas de te répondre…) c'est elle même qu'elle affirme et donc elle reste la même, car une chose ne peut faire elle même que ce qui suit de sa nature(E1p29) si elle est transformée détruite altérée, cela ne peut venir d'elle même (c'est impossible à en croire E3p4) mais cela viendra d'une cause extérieure ( puisqu'un effet sans cause…c'est comme la fourmi de Desnos, "ça n'existe pas").

D.
Modifié en dernier par Durtal le 09 nov. 2008, 12:14, modifié 2 fois.

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Messagepar sescho » 09 nov. 2008, 11:33

hokousai a écrit :S’il y a un savoir qui ne souffre pas l’ approximation c’est bien celui de l’identité de moi à moi- même .
Sous deux aspects
1)Le moi actuel du cogito ( Cartésien ou Husserlien ou Augustinien ) et actuellement toujours aussi neuf qu’ aux premiers jours et en ce sens c’est une idée qui ne change pas .

Oui mais là je pense qu'il faut voir que c'est bien autre chose que le "Moi" au sens vulgaire. Si vous me dites : à chaque instant j'ai conscience d'être, donc ceci est un Moi permanent durant ma vie, vous entendez là quelque chose qui reste même quand tout le reste change : quand le corps change, quand le Mental lui-même change (il est en première instance l'idée de ce corps qui change), quand l'essence, forme ou nature - prise ici comme singulière totale - change. Qu'est-ce donc qui reste ainsi ? La conscience pure, sans contenu, qui est consciente d'elle-même. Mais cette conscience, bien qu'individuellement manifestée, est universelle, est éternelle, et n'a donc aucun rapport au temps. Cela, c'est le Soi. Si vous ne viviez effectivement que selon cela (les contenus variables au cours du temps étant comme un film - intéressant cela dit - se déroulant sur l'écran blanc de la conscience ; merci A. Desjardins) la béatitude serait en vous. Mais il y a le 2)...

hokousai a écrit :2)Le moi individu , sujet dune histoire donc inscrit dans une temporalité mais dont l’ histoire est sans approximation reconnaissable comme celle du sujet qui en a conscience et qui donc n’est pas celle celle d’autrui .Cette histoire a une identité permanente certaine .
Donc un moi permanent est identifié .
La question de l’illusion ne se poserait pas sans cette identification .

Certes. Et pour cause, ce "Moi" là c'est comme le mauvais cholestérol... Spinoza dit on ne peut plus clairement dans les extraits que j'ai reproduits plus haut que tout ce qui est basé sur la mémoire est de l'ordre de l'imagination. La permanence dont il est question c'est le conatus de la mémoire, d'un amas de souvenirs qui marquent confusément la nature de mon corps et celle de corps extérieurs.

hokousai a écrit :L idée d’ essence naît justement ( comme différente de la forme ) de cette stabilité qu’est l’identité au travers des vicissitudes de la vie (de la vie des choses et de moi-même ).

Par le premier genre de connaissance sans doute. Mais dans l'ordre de l'entendement les essences sont éternelles et n'ont aucun rapport au temps. Maintenant, en tant que les essences sont actualisées dans des choses singulières, il s'ensuit par le principe d'inertie que cette essence actuelle se confond avec la résistance que la chose oppose à la déformation, c'est le "conatus", principe même de la permanence. Toutefois, ce n'est qu'une tendance, car les choses singulières étant soumises à l'interdépendance et à la pression extérieure, effets du Mouvement, elles ne peuvent résister complètement à la déformation. Maintenant, comme je l'ai déjà répété, si vous voulez parler de l'essence de genre, je concède qu'elle se maintient suffisamment en acte pour que nous puissions la cerner. Mais cela dit, même dans ce cadre, la naissance et la mort montrent que les choses singulières ne peuvent absolument pas dans le principe être dites incarner la même essence au cours de leur vie.

hokousai a écrit :Que les choses soient en perpétuel mouvement tous les philosophes l’ont reconnu .Qu’elles soient en perpétuelles auto-métamorphoses aussi .
Spinoza dit que la nature est modifiée en cercle , triangle ou homme toujours dans chaque cas de la même manière , en tout cas assez semblable pour que nous puissions définir le cercle , le triangle, les pommes , l’ homme .. C’ est la manière de faire qui est cause de l’existence
On ne peut évacuer les essences du spinozisme (Selon l’essence les hommes peuvent tout à fait convenir !) .
Ce qu on peut c’ est les comprendre comme une activité

Je ne dis pas autre chose, et Spinoza non plus, me semble-t-il. L'erreur très répandue c'est de considérer que l'existence dans la durée des choses singulières implique qu'elles incarnent toujours une essence qui leur serait propre, toujours la même. C'est purement et simplement nier Spinoza. C'est confondre la durée avec l'éternité, l'existence avec l'essence. Or l'essence est éternelle, l'existence des choses singulières non ; l'essence est commune, les choses singulières sont multiples (même si de fait elles ne sont rigoureusement identiques, l'essentiel est le même), etc.

hokousai a écrit :Je reviens donc à la stabilité de l’individu car il n’ y a pas changement de forme !!dixit Spinoza )

Il parle de l'essence de genre et du métabolisme, et autres mouvements qui ne détruisent pas ce qui fait que tel individu est dit appartenir à tel genre. C'est parfaitement juste, mais ne vaut pas en principe général ; la mort, par exemple, étant là pour le rappeler.

hokousai a écrit :Vous qui défendez les lois de la nature devriez admettre des régularités de composition des corps .

Ah mais je l'admets parfaitement. La nature humaine prise dans sa généralité est pensable clairement et distinctement chez Spinoza. Je ferais juste remarquer qu'alors elle ne s'applique pas plus aux individus existants qu'aux autres du même genre.

hokousai a écrit :Je ne dis pas que les manières de faire deux corps humains soient parfaitement identiques ( j’ en doute ) mais que nous les pensons suffisamment semblable pour en les inscrire dans des chaînes de causalité réitérables .( Spinoza va plus loin puisqu’il parle de vérités éternelles )

Toujours parfaitement d'accord. Ceci cependant, pour le moins, n'est pas constitutif d'un Moi singulier en tant que singulier. Et les circonstances, histoire, et mémoire de tout cela est passé dans l'affaire par pertes et profits : il ne reste que les lois desquelles relève la nature humaine prise dans toute sa généralité.


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Messagepar hokousai » 09 nov. 2008, 16:08

A Durtal

Ainsi même l'amnésique à "ce sentiment d'être soi", tout comme il avait ce même sentiment avant d'être amnésique, et pourtant…il n'a pas le même "moi".


Vous confondez dans la même phrase le moi réflexif ( ego cogito )et le moi consécutif d’une histoire personnelle , ce qui conduit à une apparence de contradiction .
Or le sentiment d’être moi même est toujours neuf ce qui n’est pas contradictoire avec un changement de l’individu .
Où ça se complique c’est quand le sentiment d’être le même individu ( ayant une histoire propre et des changements propres ) ce sentiment d’identité perdure ,nonobstant votre assertion ‘ il n’a pas le même moi ‘. Cette dernière affirmation évacue complètement le sentiment de reconnaissance de soi même dans une histoire personnelle , à tout le moins le renvoie au chapitre des illusions .

Ce qui se maintient solidement attaché dans la conscience d’être moi même , de l’enfance à l’âge mur n’a pas d’explication .(ou alors donnez moi une explication de cette illusion )

Vous concluez par si elle est transformée détruite altérée, cela ne peut venir d'elle même (c'est impossible à en croire E3p4), mais cela viendra d'une cause extérieure c’est le point de vue de Spinoza ce n’est pas le mien .

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Messagepar hokousai » 09 nov. 2008, 16:23

cher serge

je vois que nous sommes d'accord sur bien des points

Mais
""C'est parfaitement juste, mais ne vaut pas en principe général ; la mort, par exemple, étant là pour le rappeler.""


Je considère que la mort est de l'essence du corps humain .La mort n'est est parfois l'objet d'un malheureux concours de circonstances(contingences extérieures ) , mais en général elle ne relève pas de la théorie des chocs (sauf accident de la circulation ...automobile ).

.................................................

Je ne suis pas vraiment d'accord avec votre théorie du SOI appliquée à moi .La conscience de moi -même (dite réflexive ) n'est pas réflexive absolument .(elle est grammaticalement réflexive pas phénoménologiquement ) Elle est relative au non moi que ce soit le monde, que ce soit le fondement infini qui la pose (donc relative en amont et en aval)
Modifié en dernier par hokousai le 09 nov. 2008, 22:10, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 09 nov. 2008, 17:23

hokousai a écrit :A Durtal

Ainsi même l'amnésique à "ce sentiment d'être soi", tout comme il avait ce même sentiment avant d'être amnésique, et pourtant…il n'a pas le même "moi".


Vous confondez dans la même phrase le moi réflexif ( ego cogito )et le moi consécutif d’une histoire personnelle , ce qui conduit à une apparence de contradiction .
Or le sentiment d’être moi même est toujours neuf ce qui n’est pas contradictoire avec un changement de l’individu


je sais bien c'est pourquoi précisément je dis qu'on ne peut pas faire de ceci le critère de cela.

Donc je ne voyais pas l'objet de cet argument.

hokousai a écrit :Où ça se complique c’est quand le sentiment d’être le même individu ( ayant une histoire propre et des changements propres ) ce sentiment d’identité perdure ,nonobstant votre assertion ‘ il n’a pas le même moi ‘.


Prenez garde qu'il était question ici du cas d'un amnésique, donc à propos duquel par définition il ne saurait être question qu'il se souvienne de son histoire personnelle.

Or ce que montre cet exemple a contrario est que le moi, est lié de façon essentielle au souvenir ou encore à la mémoire.

Mais une mémoire comme telle ne suffit pas à garantir le concept d'un substrat permanent (d'une substance, puisque vous êtes cartésien sur ce point): par exemple je me souviens de certaines choses que j'ai vécues mais non de toutes, pour certaines portions de mon expérience passée je suis tout à fait dans le même cas que l'amnésique. A l'inverse si "je" est une mémoire, il est encore en attente de ce qui l'informera au futur (mes futurs souvenirs si vous voulez), il est donc "incomplet" sur ses deux bordures temporelles externes...

hokousai a écrit :Cette dernière affirmation évacue complètement le sentiment de reconnaissance de soi même dans une histoire personnelle , à tout le moins le renvoie au chapitre des illusions .


Souvenez vous encore une fois que cette affirmation concernait le cas de l'amnésique. Pour le reste: Pas au chapitre des illusions, mais au chapitre d'une histoire. Mais une histoire n'est pas une substance.

hokousai a écrit :Vous concluez par si elle est transformée détruite altérée, cela ne peut venir d'elle même (c'est impossible à en croire E3p4), mais cela viendra d'une cause extérieure c’est le point de vue de Spinoza ce n’est pas le mien .


Oui c'est votre point de vue et vous le partagez...très bien. Il est vrai aussi que je ne m'intéresse ici qu'au point de vue de Spinoza. Mes excuses donc.

D.


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