|
 |
· Accueil · Lire
et comprendre
· Réfléchir
· Téléchargements
· Liens
· Votre
compte
· Messages
privés
· Proposer
article
· Forum
· Rechercher
· Quizz
· Sondages
· Recommander
· Statistiques
· Top
10
· Contact |
 |
|
|
TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
CHAPITRE XII.
DU VÉRITABLE ORIGINAL DE LA LOI DIVINE,
ET POUR QUELLE RAISON L’ÉCRITURE EST APPELÉE
SAINTE ET PAROLE DE DIEU.
- ON PROUVE ENSUITE QU’EN TANT
QU’ELLE CONTIENT LA PAROLE DE DIEU,
ELLE EST PARVENUE SANS CORRUPTION JUSQU’À NOUS.
Plan du TTP
Ceux qui considèrent la Bible, telle que nous
l’avons aujourd’hui, comme une sorte de lettre que Dieu, du haut du ciel,
a écrite aux hommes, s’écrieront indubitablement que j’ai
commis un péché envers l’Esprit-Saint, moi qui ai soutenu
que cette parole de Dieu est vicieuse, tronquée, altérée
et pleine de discordances, que nous n’en possédons que des fragments,
et que l’original du pacte que Dieu a fait avec les Juifs a péri.
Mais je ne doute pas qu’ils ne cessent leurs clameurs, pour peu qu’ils
veuillent examiner la chose avec soin. La raison elle-même, en effet,
aussi bien que les enseignements des prophètes et des apôtres,
nous révèle la parole éternelle de Dieu et son alliance,
et nous crie que la vraie religion est gravée de la main de Dieu
dans le cœur des hommes, c’est-à-dire dans l’esprit humain, et
que c’est là le véritable original de la loi de Dieu, loi
qu’il a pour ainsi dire scellée de son propre sceau, quand il a
mis en nous l’idée de lui-même et comme une image de sa divinité.
Les premiers Juifs reçurent la religion par écrit en forme
de loi, parce que sans doute à cette époque on les traitait
comme des enfants. Mais plus tard Moïse (Deutéronome,
chap. XXX, vers. 6) et Jérémie (chap. XXX, vers. 33) leur
prédisent un temps à venir où Dieu gravera sa loi
dans leurs cœurs. Il appartenait donc autrefois aux Juifs, et surtout
aux saducéens, de combattre pour la loi écrite sur des tables
; mais cela n’est pas du tout une obligation pour ceux qui la portent
écrite dans leurs cœurs. Aussi, quiconque voudra bien y réfléchir,
loin de trouver dans ce que j’ai dit plus haut rien de contraire à
la parole de Dieu, à la vraie religion et à la foi, ou qui
puisse l’infirmer, verra au contraire que je ne fais que la raffermir,
comme je l’ai prouvé à la fin du chapitre X ; s’il n’en
était pas ainsi, j’aurais fermement résolu de garder le
silence sur ces questions, et, pour échapper à toutes les
difficultés, je me serais empressé de reconnaître
que l’Écriture recèle les plus profonds mystères.
Mais comme c’est de là que sont sortis avec une déplorable
superstition bien d’autres inconvénients pernicieux dont j’ai déjà
parlé au chapitre VII, je n’ai pas jugé convenable de garder
le silence, et cela surtout parce que la religion n’a nul besoin des vaines
parures de la superstition. C’est au contraire lui ravir son pur éclat
que de lui donner ces faux ornements. Mais, dira-t-on, quoique la loi
divine soit gravée dans les cœurs, l’Écriture n’en est pas
moins la parole de Dieu, et il n’est pas plus permis de dire de l’Écriture
qu’elle est tronquée et corrompue qu’il ne le serait de parler
ainsi de la parole de Dieu. Pour moi, je crains au contraire que ceux
qui insistent si fort n’aspirent à une trop grande sainteté,
qu’ils ne changent la religion en superstition, et qu’enfin, au lieu d’adorer
la parole de Dieu, ils ne commencent à adorer des simulacres, des
images, ou de l’encre et du papier. Ce que je sais, c’est que je n’ai
rien avancé qui soit indigne de l’Écriture ou de la parole
de Dieu ; il n’y a aucune de mes assertions dont je n’aie démontré
la vérité par les raisons les plus évidentes, et
je puis conséquemment affirmer avec certitude que je n’ai rien
dit qui soit impie ou qui sente l’impiété. J’avoue que quelques
hommes profanes, à qui la religion est à charge, peuvent
prendre prétexte de ces assertions pour justifier leurs dérèglements
; qu’ils peuvent aussi, sans aucune raison, et dans le seul intérêt
de leurs penchants voluptueux, en conclure que l’Écriture est partout
mensongère et falsifiée, et partant qu’elle n’a nulle autorité.
Mais est-il possible de remédier à un pareil inconvénient
? Le proverbe a raison de dire qu’il n’est pas d’assertion si bonne et
si légitime qu’une mauvaise interprétation ne la puisse
empoisonner. Les libertins peuvent toujours facilement trouver une excuse
à leurs dérèglements ; et ceux qui avaient autrefois
les originaux mêmes, l’arche d’alliance, et même les prophètes
et les apôtres, n’en ont été ni meilleurs ni plus
dociles ; les Juifs, non moins que les gentils, ont toujours été
les mêmes, et de tout temps la vertu a été extrêmement
rare. Cependant, pour écarter tout scrupule, il faut montrer ici
par quelle raison l’Écriture, comme toute chose muette, doit être
appelée sainte et divine ; ensuite, ce que c’est en effet
que la parole de Dieu, qu’elle n’est pas contenue dans un certain nombre
de livres, et comment enfin l’Écriture, en tant qu’elle enseigne
ce qui est nécessaire à l’obéissance et au salut,
n’a pu être corrompue. Car on pourra juger facilement par là
que nous n’avons rien dit contre la parole de Dieu, et que nous n’avons
aucunement ouvert la porte à l’impiété.
Cela est sacré et divin qui est destiné
à la piété et aux exercices de religion ; et tout
objet semblable restera sacré aussi longtemps que les hommes s’en
serviront avec une pieuse intention. Que si leur piété cesse,
ces objets cesseront aussi d’être sacrés ; que s’ils les
font servir à des œuvres d’impiété, alors cela même
qui était sacré deviendra immonde et profane. Il est, par
exemple, un lieu que Jacob le patriarche appela la Maison du Seigneur,
parce que c’est là que Dieu s’était révélé
à lui et qu’il l’avait adoré ; mais ce même lieu fut
appelé par les prophètes une maison d’iniquité
(voyez Hamos, chap. V, vers. 5, et Osée, chap. X,
vers. 5), parce que les Israélites avaient coutume d’y sacrifier
aux idoles par l’ordre de Jéroboham. Voici un autre exemple qui
met cette vérité dans tout son jour. Les mots ne doivent
qu’à l’usage une signification déterminée ; et s’ils
sont tellement disposés selon cet usage que leur lecture excite
des sentiments de dévotion, alors les mots et le livre où
les mots sont ainsi ordonnés doivent être réputés
saints. Mais si plus tard l’usage s’efface tellement que les mots ne gardent
plus aucune signification, soit parce que le livre est tout à fait
négligé, soit par des altérations criminelles, soit
parce qu’on n’en a plus besoin, alors les mots et les livres, n’étant
d’aucun usage, n’auront aucune sainteté ; ensuite, si ces mêmes
mots sont disposés autrement, ou si l’usage a prévalu de
leur donner une signification contraire, alors ces mots et ces livres,
de saints qu’ils étaient auparavant, deviendront impurs et profanes.
Il résulte de là qu’aucun objet, considéré
hors de l’âme, ne peut être appelé absolument sacré
ou profane et impur ; ce n’est que par leur rapport à l’âme
que les objets prennent tel ou tel de ces caractères. On peut encore
démontrer ce point avec une extrême évidence par plusieurs
passages de l’Écriture. Citons-en un ou deux. Jérémie
(chap. VII, vers. 4) dit que c’est à tort que les Juifs de son
temps donnaient le nom de temple de Dieu au temple de Salomon ; car le
nom de Dieu, comme il le déclare ensuite dans le même chapitre,
ne pouvait être attribué à ce temple que pendant le
temps où il était fréquenté par des hommes
qui adoraient Dieu et qui défendaient la justice ; que s’il n’y
entrait que des homicides, des voleurs, des idolâtres et d’autres
scélérats, alors on devait le regarder plutôt comme
un repaire de brigands. Je demanderai aussi ce qu’est devenue l’arche
d’alliance. L’Écriture n’en dit rien, et je me suis souvent étonné
de ce silence ; il est certain cependant qu’elle a péri ou qu’elle
a été brûlée avec le temple, quoiqu’elle fût
ce qu’il y avait de plus sacré et de plus respecté chez
les Hébreux. Il est donc évident, par la même raison,
que l’Écriture ne demeure sacrée et que ses discours ne
sont divins que pendant qu’elle inspire aux hommes des sentiments de piété
; mais si ces mêmes hommes la délaissent tout à fait,
comme l’ont fait autrefois les Juifs, elle n’est plus que de l’encre et
du papier, elle est profanée et abandonnée à la corruption,
et partant on a tort de dire, si elle périt ou se corrompt, que
c’est la parole même de Dieu qui a péri ou qui s’est corrompue,
de même qu’au temps de Jérémie on aurait eu tort de
dire que le temple qui fut consumé dans les flammes était
le temple de Dieu. Jérémie rend le même témoignage
au sujet de la loi ; car il apostrophe ainsi les impies de son temps :
Pourquoi dites-vous : Nous sommes maîtres et la loi de Dieu est
avec nous ? Certes c’est en vain qu’elle a été donnée,
c’est en vain que la plume des scribes (a été faite)
; c’est-à-dire, parce que vous avez l’Écriture en votre
pouvoir, vous avez tort de croire que vous avez aussi la loi de Dieu,
après que vous l’avez anéantie. Ainsi encore, lorsque Moïse
brisa les premières tables, il fut loin, dans sa colère,
de rejeter de ses mains et de briser la parole de Dieu (qui pourrait en
effet s’imaginer pareille chose et de Moïse et de la parole de Dieu
?) ; Moïse ne brisa donc que les pierres qui, pour être saintes
auparavant parce qu’elles portaient les caractères de l’alliance
par laquelle les Juifs avaient promis obéissance à Dieu,
perdirent toute autorité du jour où le peuple renonça
à ce pacte en offrant ses hommages à un veau ; et c’est
aussi pour la même raison que les secondes tables ont pu périr
avec l’arche. Il ne faut donc pas s’étonner que les premiers originaux
des livres de Moïse n’existent plus, ni que les accidents dont nous
avons parlé aient frappé les livres que nous possédons,
puisque le véritable original de l’alliance divine, la chose du
monde la plus sainte, a bien pu disparaître complètement.
Que l’on cesse donc de nous accuser d’impiété, nous qui
n’avons rien dit contre la parole de Dieu, et qui ne l’avons pas souillée,
et que la juste colère qu’on pourrait avoir retombe sur les anciens,
dont la malice a profané et corrompu l’arche de Dieu, le temple,
la loi et toutes les choses saintes. D’ailleurs si, comme le dit l’Apôtre
(Epît. II aux Corinthiens, chap. III, vers. 3), les hommes
portent en eux l’Épître divine écrite, non avec de
l’encre, mais avec l’Esprit de Dieu, si elle est gravée, non sur
des tables de pierre, mais sur les tables vivantes de leur cœur, qu’ils
cessent d’adorer la lettre et d’en prendre un si grand souci. - Je pense
avoir suffisamment établi par ces explications le sens dans lequel
l’Écriture doit être réputée sainte et divine.
Maintenant il faut voir ce qu’il faut proprement entendre par debar
Jehovah (la parole de Dieu) : ce mot debar signifie verbe,
discours, édit et chose. Quant aux raisons
pour lesquelles on dit en hébreu qu’une chose est à Dieu
et qu’elle se rapporte à Dieu, nous les avons exposées au
chapitre I, et on en infère facilement ce que l’Écriture
veut faire entendre par parole de Dieu, discours, édit et chose.
Il n’est donc pas nécessaire de rappeler ici toute cette discussion,
ni même ce que nous avons exposé en troisième lieu
dans le chapitre VI, au sujet des miracles. Une simple indication de ces
passages suffit pour faire mieux entendre ce que nous voulons dire ici
sur ce sujet, à savoir : que la parole de Dieu, appliquée
à un sujet qui n’est pas Dieu lui-même, marque proprement
cette loi divine dont nous avons parlé au chapitre IV, c’est-à-dire
la religion universelle du genre humain, ou la religion catholique : voyez
sur cette matière le chapitre I, verset 10, d’Isaïe,
où ce prophète enseigne la vraie manière de vivre,
qui, loin de consister dans les cérémonies, est fondée
sur l’esprit de charité et de vérité ; et c’est là
ce qu’il appelle indistinctement loi de Dieu, verbe de Dieu. Ensuite ce
mot est pris métaphoriquement pour l’ordre de la nature et pour
le fatum (qui dépend réellement et résulte d’un décret
éternel de la nature divine), et principalement pour ce que les
prophètes avaient prévu au sujet de cet ordre ; car ils
ne concevaient point les choses à venir comme devant se produire
par des causes naturelles, mais comme des volontés ou des décrets
de Dieu. Enfin ce mot est pris aussi pour toute prédiction des
prophètes, en tant que chacun d’eux l’avait perçue par une
vertu singulière qui lui était propre, ou par un don prophétique,
et non par les voies ordinaires de la lumière naturelle ; et surtout
parce que les prophètes, comme nous l’avons démontré
au chapitre IV, avaient coutume de se représenter Dieu comme un
législateur. Voici donc les trois causes pour lesquelles l’Écriture
est appelée parole de Dieu, savoir : parce qu’elle enseigne la
vraie religion, dont Dieu est l’éternel auteur ; ensuite parce
qu’elle expose les événements de l’avenir comme des décrets
de Dieu ; et enfin parce que ceux qui en furent effectivement les auteurs
l’ont enseignée généralement, non par le moyen vulgaire
de la lumière naturelle, mais par une lumière qui leur était
particulière et de la même façon que si Dieu lui-même
eût parlé par leur bouche. Et bien qu’il y ait en outre dans
l’Écriture grand nombre de choses purement historiques et perçues
par la lumière naturelle, elle reçoit cependant son nom
des objets plus relevés qu’elle contient. On voit facilement par
là en quel sens il faut regarder Dieu comme auteur de la Bible
: c’est évidemment parce que la vraie religion y est enseignée,
et non pas parce que Dieu a voulu communiquer aux hommes un certain nombre
de livres. Nous pouvons aussi apprendre de là pourquoi la Bible
est divisée en livres de l’Ancien et du Nouveau Testament :
c’est indubitablement parce qu’avant la venue du Christ, les prophètes
avaient coutume de prêcher la religion comme étant la loi
de la patrie et le pacte contracté du temps de Moïse, et que,
depuis l’avènement du Christ, les apôtres l’ont prêchée
à toutes les nations comme la loi catholique et en se fondant sur
la seule vertu de la passion du Christ : non pas que ces livres soient
divers en doctrine, ni qu’ils aient été écrits comme
s’ils étaient les originaux de l’alliance, ni enfin que la religion
catholique, qui est la plus naturelle de toutes, fût quelque chose
de nouveau, si ce n’est au regard des hommes qui ne la connaissaient pas
: Il était dans le monde, dit Jean l’Évangéliste
(chap. I, vers. 10), et le monde ne l’a point connu. Ainsi, lors
même qu’il nous resterait un plus petit nombre de livres de l’Ancien
que du Nouveau Testament, nous ne serions pas cependant dépourvus
de la parole de Dieu (et par cette parole on doit entendre, comme nous
l’avons déjà dit, la vraie religion), de même que
nous ne pensons pas en être privés quoiqu’il nous manque
d’autres écrits d’une haute importance, par exemple le Livre de
la Loi, qui était gardé religieusement dans le temple comme
l’original de l’alliance, les livres des guerres, des chronologies, et
un très-grand nombre d’autres d’où ont été
tirés et recueillis ceux de l’Ancien Testament que nous possédons
encore. Et cela peut se confirmer encore par plusieurs raisons, savoir
: 1° parce que les livres de l’un et de l’autre Testament n’ont pas été
écrits en même temps, par un mandat exprès, pour tous
les siècles, mais dans des circonstances accidentelles, pour quelques
hommes, selon leur constitution particulière et l’esprit du temps,
comme le prouvent clairement les vocations des prophètes (qui furent
appelés pour réprimander les impies de leur temps), et aussi
les Épîtres des apôtres ; 2° parce qu’autre chose est
entendre l’Écriture et la pensée des prophètes, autre
chose est comprendre la pensée de Dieu, c’est-à-dire la
vérité même de la chose, comme cela résulte
de nos démonstrations du chapitre II touchant les prophètes
; et nous avons prouvé au chapitre VI que cela doit encore avoir
lieu dans les histoires et dans les miracles ; bien entendu qu’il ne s’agit
pas des passages où il est question de la vraie religion et de
la vraie vertu ; 3° parce que les livres de l’Ancien Testament ont été
choisis entre plusieurs, et ont été enfin recueillis et
approuvés par le concile des pharisiens, comme nous l’avons établi
au chapitre X. Mais les livres du Nouveau Testament ont été
aussi déclarés canoniques par les décrets de certains
conciles, qui ont en même temps rejeté comme apocryphes plusieurs
autres livres regardés comme sacrés par un grand nombre
de personnes. Or les membres de ces conciles (tant des pharisiens que
des chrétiens) n’étaient pas composés de prophètes,
mais seulement de docteurs et de savants ; et cependant il faut avouer
que dans ce choix la parole de Dieu leur a servi de règle ; ainsi
donc, avant d’approuver tous ces livres, ils ont dû nécessairement
connaître la parole de Dieu ; 4° parce que les apôtres ont
écrit, non en tant que prophètes, mais en tant que docteurs
(comme nous l’avons dit dans le chapitre précédent), et
que, pour enseigner, ils ont choisi la voie qu’ils jugeaient la plus facile
pour les disciples qu’ils voulaient alors éclairer ; d’où
il suit (comme nous l’avons aussi conclu à la fin du chapitre précité)
que ces livres contiennent bien des choses dont nous pouvons nous passer
par rapport à la religion ; 5° enfin, parce que le Nouveau Testament
contient quatre évangélistes. Qui croira en effet que Dieu
ait voulu raconter quatre fois l’histoire du Christ et la communiquer
quatre fois aux hommes par écrit ? et quoique l’on trouve dans
l’un ce qui ne se rencontre pas dans l’autre et que l’un serve souvent
à l’intelligence de l’autre, il faut cependant se garder d’en conclure
que tout ce qui est exposé dans ces quatre évangélistes
ait été nécessaire à connaître, et que
Dieu les ait élus pour écrire, afin que l’histoire du Christ
fût mieux comprise ; car chacun d’eux a prêché son
Évangile en différents lieux, chacun a écrit ce qu’il
avait prêché, et cela simplement pour exposer nettement l’histoire
du Christ, et non pour expliquer les versions des autres apôtres.
Que si le rapprochement de leurs textes les fait mieux comprendre chacun
en particulier, c’est un effet du hasard ; et cela ne se rencontre que
dans un petit nombre de passages, qui pourraient rester ignorés
sans que l’histoire y perdît sa clarté et que les hommes
fussent moins heureux. Nous avons montré, par tous ces faits, que
l’Écriture n’est, à proprement parler, appelée parole
de Dieu que par rapport à la religion ou à la loi divine
universelle. Il nous reste maintenant à prouver que, considérée
sous cet aspect, elle n’est ni trompeuse, ni corrompue, ni mutilée.
Or j’appelle ici mensonger, corrompu et mutilé ce qui a été
si mal écrit et si mal construit que le sens du discours ne peut
se déduire de l’usage de la langue ou de la seule écriture
; car je ne veux pas prétendre que l’Écriture, en tant qu’elle
renferme la loi divine, ait toujours gardé les mêmes accents,
les mêmes lettres et enfin les mêmes mots (c’est un point
dont je laisse la démonstration aux massorètes, et aux adorateurs
superstitieux de la lettre), mais seulement que le sens, en vertu duquel
seul un discours peut être appelé divin, est venu jusqu’à
nous sans altération, encore que l’on suppose que les mots qui
ont d’abord servi à l’exprimer aient été souvent
changés. C’est qu’en effet, comme nous l’avons dit, cela n’ôte
rien à la divinité de l’Écriture ; car l’Écriture
serait également divine, quand on l’aurait écrite en d’autres
termes ou en une autre langue. Ainsi, que la loi divine nous soit arrivée
à cet égard pure et sans altération, c’est ce dont
personne ne peut douter. Car l’Écriture elle-même nous fait
percevoir sans difficulté ni ambiguïté que le but qu’elle
nous propose, c’est d’aimer Dieu par-dessus toutes choses, et notre
prochain comme nous-mêmes : or cette parole ne peut être
apocryphe, elle ne peut résulter d’une erreur de plume ou d’une
trop grande précipitation ; car si l’Écriture a jamais enseigné
autre chose, elle a dû aussi nécessairement changer tout
le reste de son enseignement, puisque cette maxime est le fondement de
toute la religion, et que l’enlever c’est ruiner d’un seul coup tout l’édifice.
Une telle Écriture ne serait plus alors celle dont nous parlons,
mais un tout autre livre. Il reste donc solidement établi que l’Écriture
a toujours enseigné ce précepte, et conséquemment
qu’il n’a pu s’y glisser aucune erreur capable d’en corrompre l’esprit
sans que chacun s’en aperçût aussitôt et que la malice
du corrupteur fût reconnue. Donc, puisqu’il faut établir
que ce précepte a été incorruptible, il faut reconnaître
nécessairement la même chose de tous les autres qui en découlent
indubitablement, et qui sont eux-mêmes fondamentaux, savoir : qu’il
existe un Dieu, que sa providence est universelle, qu’il est tout-puissant,
qu’il veut que les bons soient récompensés et les méchants
punis, et que notre salut ne dépend que de sa grâce. Car
l’Écriture répète partout et enseigne clairement
ces maximes ; et elle a dû toujours les enseigner, sans quoi tout
le reste serait vain et manquerait de fondement. Il ne faut pas tenir
pour moins authentiques les autres maximes morales, puisqu’elles s’appuient
bien évidemment sur ce même fondement : ainsi défendre
la justice, secourir les pauvres, ne tuer personne, ne pas convoiter le
bien d’autrui, etc., voilà, dis-je, des enseignements que n’a pu
corrompre la malice des hommes, et que le temps n’a pu effacer. Car, quelle
que fût celle de ces maximes qui eût été détruite,
on s’en fût aussitôt aperçu en se reportant à
leur fondement universel, et surtout à ce précepte de charité
qui est partout si fortement recommandé dans les deux Testaments.
Ajoutez à cela que, bien qu’on ne puisse imaginer d’exécrable
forfait dont quelqu’un ne se soit souillé, il n’y a personne cependant
qui, pour justifier ses crimes, essaye de détruire les lois ou
de faire passer une maxime impie pour un enseignement éternel et
salutaire ; telle est en effet la nature humaine que chacun (roi ou sujet),
s’il a commis une action honteuse, cherche à l’environner soigneusement
de telles circonstances qu’on puisse croire qu’il n’a forfait en rien
ni à la justice ni à l’honneur. Nous concluons donc d’une
manière absolue que toute la loi divine universelle, enseignée
par l’Écriture, est arrivée sans tache jusque dans nos mains.
Il est encore d’autres choses qui, à n’en pouvoir douter, nous
ont été transmises de bonne foi, telles que le fond des
récits historiques de l’Écriture, parce qu’ils étaient
bien connus de tous. Le peuple juif avait coutume autrefois de chanter
en psaumes les antiquités de sa race. Outre cela, le gros des actions
du Christ et aussi sa passion furent immédiatement divulgués
dans tout l’empire romain. Il ne faut donc pas croire (à moins
d’admettre, ce qui est incroyable, que la plus grande partie des hommes
se soit entendue pour répandre l’erreur) que, pour ce qu’il y a
d’important dans ces histoires, les générations postérieures
l’aient transmis autrement qu’elles ne l’avaient reçu des premières.
Ainsi tout ce qui est défectueux ou altéré ne peut
se trouver que dans le reste, par exemple dans une ou deux circonstances
d’une histoire ou d’une prophétie, pour exciter plus vivement la
dévotion populaire, ou dans un ou deux miracles, pour déconcerter
les philosophes, ou enfin, dans les choses spéculatives, depuis
que les schismatiques les ont introduites dans la religion pour autoriser
leurs fictions, en les appuyant abusivement sur l’autorité divine.
Mais il importe peu au salut que de telles choses aient été
altérées ou non, comme je vais le démontrer spécialement
dans le chapitre qui suit, bien que j’estime que ce point résulte
déjà assez clairement de ce qui précède, et
surtout du chapitre second.
_______________
Texte de Spinoza traduit par E. Saisset,
numérisé par Serge Schoeffert
revu par H. Diaz.
|
 |
|