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TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
CHAPITRE VIII.
ON FAIT VOIR QUE LE PENTATEUQUE
ET LES LIVRES DE JOSUÉ, DES JUGES, DE RUTH,
DE SAMUEL ET DES ROIS NE SONT POINT AUTHENTIQUES.
- ON EXAMINE ENSUITE S’ILS SONT L’OUVRAGE
DE PLUSIEURS OU D’UN SEUL,
ET QUEL EST CET UNIQUE ÉCRIVAIN.
Plan du TTP
Nous avons traité dans
le précédent chapitre des principes sur lesquels repose
la connaissance de l’Écriture, et il a été établi
qu’une histoire fidèle des livres saints est la base de tout le
reste. Or cette histoire si nécessaire, les anciens l’ont entièrement
négligée, ou du moins les témoignages et les écrits
qu’ils ont pu nous transmettre à cet égard ont péri
par l’injure du temps, laissant dans la connaissance de l’Écriture
une lacune à jamais déplorable. On pourrait toutefois réparer
jusqu’à un certain point cette perte, si les hommes qui ont recueilli
l’héritage des anciens avaient su garder une juste mesure et transmettre
à leurs successeurs, en toute sécurité, le peu qu’ils
avaient entre les mains, sans l’altérer par des additions indiscrètes
; mais ils ont si bien fait que l’histoire de l’Écriture est restée
imparfaite, et bien plus elle contient d’assez graves erreurs pour qu’il
soit également impossible ou de s’y confier ou de la refaire. J’ai
dessein cependant de reprendre la connaissance de l’Écriture sainte
par les fondements, et mieux encore, de dissiper les préjugés
des théologiens sur cette matière. Certes, j’ai lieu de
craindre que cette entreprise ne soit tardive ; car les choses en sont
venues au point que les hommes ne veulent plus qu’on les redresse ; et
ils s’attachent d’une façon si opiniâtre aux opinions qu’une
apparence trompeuse de religion leur a fait embrasser, que la raison ne
peut plus faire valoir ses droits qu’auprès d’un très-petit
nombre ; tant les préjugés ont étendu leur empire
sur la masse des hommes. Voilà de grands obstacles au dessein que
je me propose ; mais je persiste à tenter l’épreuve, convaincu
qu’il ne faut point désespérer d’un heureux succès.
Pour procéder avec ordre, j’examinerai d’abord
les préjugés établis touchant les écrivains
qui ont composé les livres saints ; je commencerai par l’auteur
du Pentateuque. On a cru généralement que cet auteur
est Moïse. Les pharisiens défendaient si fermement cette opinion
qu’on n’y pouvait contredire sans être à leurs yeux hérétique,
et c’est pourquoi Aben-Hezra, homme d’un libre génie et d’une érudition
peu commune, qui a découvert le premier, à ma connaissance,
le préjugé que je vais combattre, n’a pas osé dire
ouvertement sa pensée, se bornant à l’indiquer en termes
très-obscurs. Pour moi, je vais dire nettement le fond de ma pensée
et montrer clairement ce qui en est. Voici d’abord les paroles d’Aben-Hezra
que je trouve dans son commentaire du Deutéronome : " Au
delà du Jourdain... pourvu que tu entendes le mystère des
douze... Moïse a écrit aussi la loi … et alors le Chananéen
était en ce pays ... ce qui sera manifesté sur la montagne
de Dieu ... et voici son lit, son lit de fer... alors tu connaîtras
la vérité. " Par ce peu de paroles, Aben-Hezra
donne à entendre et en même temps il fait voir que ce n’est
point Moïse qui a écrit le Pentateuque, mais un écrivain
très-postérieur, et que le livre écrit par Moïse
est tout autre que celui que nous avons. Pour établir ce point,
il observe premièrement : que la préface même du Deutéronome,
ne peut avoir été écrite par Moïse, puisqu’il
ne passa pas le Jourdain. En second lieu, que le livre entier de Moïse
fut écrit sur le circuit d’un seul autel (voyez le Deutéronome
chap. XXVII, et Josué, chap. VIII, vers. 37, etc.), qui,
d’après la tradition des rabbins, n’était formé que
de douze pierres, ce qui prouve clairement que ce livre avait bien moins
d’étendue que le Pentateuque. C’est ainsi du moins que j’entends
le mystère des douze, dont parle Aben-Hezra, à moins
qu’il n’ait voulu faire allusion aux douze malédictions dont il
est question au chapitre déjà cité du Deutéronome,
et peut-être nous donner à penser qu’elles ne se trouvaient
pas dans le livre de la loi, par la raison que Moïse ordonne aux
lévites de lire au peuple, outre l’exposition de la loi, ces douze
malédictions, pour les contraindre par la force du serment à
l’obéissance. Peut-être aussi notre auteur avait-il dans
l’esprit le dernier chapitre du Deutéronome où se
trouve la mort de Moïse racontée en douze versets.
Mais il est inutile d’insister plus longuement sur ce passage particulier
d’Aben-Hezra et sur les rêveries des autres commentateurs. Je viens
à la troisième remarque de notre savant auteur, qui cite
cet endroit du Deutéronome (chap. XXXI, vers. 6) : " Et
Moïse écrivit la loi ; " et en conclut que ces
paroles ne peuvent être de Moïse, mais d’un autre écrivain
qui raconte la vie et les écrits de Moïse. En quatrième
lieu, il s’appuie du passage de la Genèse (chap. XII, vers.
6), où l’historien, racontant le passage d’Abraham à travers
le pays de Chanaan, ajoute que " le Chananéen était
alors en ce pays, " paroles qui marquent évidemment
un autre état de choses pour le temps où écrit l’historien.
D’où il suit que ce récit ne peut avoir été
fait qu’après la mort de Moïse, à l’époque où
les Chananéens, chassés de leur pays, ne possédaient
plus ces contrées. Aben-Hezra insiste encore sur ce point :
" Et le Chananéen, dit-il, était alors
en ce pays. Il y a apparence que Chanaan (neveu de Noé) s’empara
du pays des Chananéens, possédé par un autre maître
; que si les choses ne sont pas ainsi, il y a là quelque mystère,
et celui qui l’entend doit s’abstenir. " Ce qui veut dire
que si Chanaan s’empara de ces contrées, le sens du passage est
alors que " le Chananéen avait autrefois occupé
le pays, " ce qui marque un autre état de choses,
non pour le temps présent, mais pour le temps antérieur
où le pays de Chanaan était au pouvoir d’une autre nation.
Mais si Chanaan est le premier qui ait habité cette contrée
(comme on peut le conclure de la Genèse, chap. X), il est
clair en ce cas que le passage en question se rapporte en effet au temps
présent, c’est-à-dire à celui où parle l’écrivain
; et il s’ensuit alors que ce temps n’est pas celui de Moïse, puisqu’au
temps de Moïse, les Chananéens possédaient encore leur
pays. Voilà le mystère sur lequel Aben-Hezra recommande
de ne point s’expliquer. La cinquième remarque de notre auteur,
c’est que la montagne de Moïse est appelée dans la Genèse
(chap. XXII, vers. 14) montagne de Dieu 1,
nom qu’elle n’a porté qu’après avoir été choisie
pour la construction du temple ; or il est clair que ce choix n’était
pas encore fait du temps de Moïse, puisqu’au lieu de marquer un lieu
pour cet usage au nom du Seigneur, il prédit qu’un jour le Seigneur
le désignera lui-même et lui fera porter son nom. Aben-Hezra
fait remarquer encore les paroles qui, dans le chapitre III du Deutéronome,
accompagnent l’histoire d’Og, roi de Basan : " De la défaite
des géants 2, il ne
resta que le seul Og, roi de Basan. Or son lit était un lit de
fer, le même sans doute qui est dans Rabat, ville des enfants d’Ammon,
et qui a neuf coudées de long, " etc. Cette parenthèse
indique évidemment que l’auteur du livre a vécu longtemps
après Moïse ; car on ne s’exprime de la sorte que lorsqu’on
raconte des événements d’une date très-ancienne,
et qu’on cite en témoignage de la vérité de son récit
les monuments du passé. Et sans aucun doute, le lit dont il est
ici question ne fut trouvé qu’au temps de David, qui s’empara le
premier de Rabat, ainsi qu’on le raconte au livre de Shamuel (chap.
XII, vers. 30). Mais ce n’est pas en cet endroit seulement que l’auteur
du Deutéronome ajoute aux paroles de Moïse. Voici,
un peu plus bas, un passage du même genre : " Jair,
fils de Manassé, a occupé toute la contrée d’Argob,
jusqu’à la frontière des Géhurites et des Mahachatites
; et il a donné son nom à tout le pays et aux bourgs de
Basan, qu’on appelle encore aujourd’hui bourgs de Jaïr. "
Ces paroles sont certainement une addition de l’auteur du livre, destiné
à éclaircir ce passage de Moïse qui précède
immédiatement : " J’ai donné l’autre moitié
de Gilliad et tout le pays de Basan, qui était le royaume d’Og,
à la moitié de la tribu de Manassé, ainsi que la
juridiction d’Argob sur tout Basan, qui s’appelle terre des Géants. "
Il est hors de doute que les Hébreux, au temps où ce passage
a été écrit, connaissaient très-bien les bourgs
de Jaïr, tribu de Juda ; mais ils ne comprenaient pas ces mots :
" juridiction d’Argob terre des Géants, "
et voilà ce qui force l’historien à expliquer quels sont
ces pays et les noms antiques qu’ils ont portés, et à expliquer
en même temps pourquoi on les appelle présentement du nom
de Jaïr, qui était de la tribu de Juda, et non de celle de
Manassé (voyez Paralipomènes, chap. II, vers. 21
et 22).
Nous venons d’exposer les sentiments d’Aben-Hezra et
de produire les passages du Pentateuque sur lesquels il fait reposer
sa doctrine ; mais il s’en faut infiniment qu’il ait épuisé
le sujet, et il n’a pas même cité les endroits les plus importants.
C’est une lacune que nous allons remplir.
1° L’auteur des livres du Pentateuque, outre qu’il
parle de Moïse à la troisième personne, rend sur son
compte un grand nombre de témoignages comme ceux-ci : " Dieu
a parlé à Moïse ; Dieu s’entretenait face à
face avec Moïse ; Moïse était le plus humble des
hommes (Nombres, chap. XII, vers. 3) ; Moïse fut saisi
de colère contre les chefs ennemis. (ibid. chap. XXXI,
vers. 14) ; Moïse était un homme divin (Deutéronome,
chap. XXXIII, vers. 1) ; Moïse, le serviteur de Dieu, est mort
; aucun prophète ne s’est rencontré en Israël qui
fût semblable à Moïse, " etc. Au contraire,
dans le Deutéronome, où est exposée la loi
que Moïse avait donnée au peuple et mise par écrit,
Moïse parle de soi-même et raconte ses actes à la première
personne : " Dieu m’a parlé " (Deutéronome,
chap. II, vers. 1, 17. etc.) ; " j’ai prié Dieu, "
etc. Ce n’est qu’à la fin du livre que l’auteur, après avoir
rapporté les paroles de Moïse, recommence son récit
à la troisième personne, et nous raconte que Moïse
écrivit cette loi qu’il avait d’abord expliquée de vive
voix au peuple, donna aux Hébreux ses dernières instructions
et cessa de vivre. Or il est clair que cette manière de parler,
ces témoignages et toute la contexture de cette histoire, tout
nous invite à penser que les livres du Pentateuque ne sont
pas de la main de Moïse, mais de celle d’un autre écrivain.
2° Il est encore à remarquer qu’on ne trouve pas
seulement dans cette histoire de Moïse sa mort, son ensevelissement
et le deuil des Hébreux durant trente jours, mais qu’il y est dit
expressément : " Il ne s’est jamais vu en Israël
aucun prophète comparable à Moïse, et que Dieu ait
connu comme lui face à face. " Or ce témoignage,
Moïse n’a pu se le donner à lui-même, et il n’a pu lui
être donné par aucun écrivain venu immédiatement
après lui, mais seulement par un écrivain postérieur
de plusieurs siècles. Qu’on y regarde, en effet : l’auteur du livre
parle d’un temps très-éloigné : " Il
ne s’est jamais rencontré aucun prophète. "
Et de même, quand il est question de la sépulture de Moïse,
le texte porte que " nul ne l’a connue jusqu’à ce
jour. "
3° On remarquera aussi qu’il y a de certains lieux qui
ne sont pas désignés dans le Pentateuque par les
noms qu’ils portaient au temps de Moïse, mais par des noms qu’ils
ont reçus longtemps après. Ainsi, dans la Genèse
(chap. XIV, vers. 1), il est dit : " Abraham poursuivit les
ennemis jusqu’à Dan. " Or ce nom ne fût donné
à la ville dont il s’agit que longtemps après la mort de
Josué (voyez Juges, chap. XVIII, vers. 29).
4° Les récits historiques du Pentateuque
s’étendent quelquefois au delà du temps où vivait
Moïse. Car il est dit dans l’Exode que les enfants d’Israël
mangèrent la manne durant l’espace de quarante années, jusqu’au
moment où ils parvinrent dans des régions habitées,
aux confins de Chanaan, c’est-à-dire jusqu’au temps dont il est
parlé dans Josué (chap. V, vers. 12). On trouve aussi
dans la Genèse (chap. XXXVI, vers. 31) : " Ce
sont les rois qui ont régné au pays d’Édom, avant
qu’aucun roi ait régné sur les enfants d’Israël. "
Or il n’est point douteux que l’historien ne parle en cet endroit des
rois qu’avaient eus les Iduméens avant que David les eût
subjugués3 et qu’il
eût établi des gouverneurs dans l’Idumée. Il est plus
clair que le jour, d’après tous ces passages, que ce n’est point
Moïse qui a écrit le Pentateuque, mais bien un autre
écrivain postérieur à Moïse de plusieurs siècles.
Mais pour confirmer toutes ces preuves, examinons quels
sont les livres que Moïse lui-même a écrits et qui sont
cités dans le Pentateuque ; nous verrons que ces livres
ne sont point ceux du Pentateuque. Premièrement, nous savons
certainement par l’Exode (chap. XVII, vers. 14) que Moïse
écrivit par l’ordre de Dieu la guerre contre Hamalek ; mais le
nom du livre n’est pas indiqué dans ce chapitre. Or, dans les Nombres
(chap. XXI, vers. 12), il est question d’un livre intitulé : Guerres
de Dieu, et sans aucun doute, c’est dans ce livre qu’était
le récit de la guerre contre Hamalek, ainsi que de tous les campements
que nous savons que Moïse (Nombres, chap. XXXIII, vers. 2)
exposa par écrit. Nous trouvons dans l’Exode (chap. XXIV,
vers. 47) l’indication d’un autre livre qui porte pour titre : Livre
de l’Alliance4, et que
Moïse lut en présence des Israélites, quand, pour la
première fois, ils firent alliance avec Dieu. Mais ce livre, ou
plutôt cette épître, ne pouvait contenir que fort peu
de chose, savoir, les lois ou commandements de Dieu qui sont exposés
depuis le vers. 22 du chap. XX de l’Exode jusqu’au chap. XXIV ;
et personne ne contestera ceci, pourvu qu’il lise, d’un esprit libre et
impartial, le chapitre cité plus haut. On y voit, en effet, qu’aussitôt
que Moïse reconnut que le peuple était convenablement disposé
pour faire alliance avec Dieu, il s’empressa d’écrire les lois
que Dieu lui avait inspirées ; et dès le commencement du
jour, après avoir accompli quelques cérémonies, il
lut les conditions du pacte sacré devant tout le peuple réuni,
qui dut sans doute les comprendre, puisqu’il donna son plein consentement.
Il est donc bien établi par ces deux raisons, savoir, le peu de
temps employé par Moïse pour écrire ses lois, et l’intention
qu’il avait en les écrivant de les faire servir à une alliance
entre son peuple et Dieu, il est, dis-je, bien établi que le livre
dont nous parlons ne contenait rien de plus que ce que nous avons marqué
tout à l’heure. Enfin c’est une chose très-certaine que
dans la quarantième année après la sortie d’Égypte,
Moïse expliqua de nouveau toutes les lois qu’il avait établies
(voyez Deutéron., chap. I, vers. 5) et fit contracter au
peuple, pour la seconde fois, l’obligation d’y être fidèle
(ibid., chap. XXIX, vers. 14) ; puis il écrivit un livre
où étaient consignées avec l’explication de la Loi
le renouvellement de l’alliance (Deutéron., chap. XXI, vers.
9), et ce livre fut appelé Livre de la Loi de Dieu. Plus
tard, Josué y joignit le récit du nouvel engagement qu’il
fit contracter au peuple hébreu et qui fut la troisième
alliance des Juifs avec Dieu (Josué, chap. XXIV, vers. 25,
26). Or, comme nous ne possédons aucun livre qui contienne le second
pacte de Moïse, ni celui de Josué, il s’ensuit nécessairement
que le Livre de la Loi de Dieu a péri ; à moins qu’on
ne veuille donner dans les folles conjectures du paraphraste chaldéen
Jonatan, et torturer avec lui les saintes Écritures. Ce commentateur
téméraire a très-bien vu la difficulté ; mais
il a mieux aimé altérer la Bible qu’avouer son ignorance.
Ce passage du livre de Josué (voyez chap. XXIV, vers. 26)
: " Et Josué écrivit ces paroles dans le Livre de
la Loi de Dieu, " voici comment il les traduit en chaldéen
: " Et Josué écrivit ces paroles, et les garda
avec le Livre de la Loi de Dieu. " Que dire à des
interprètes de cette sorte, qui ne voient dans le texte de l’Écriture
que ce qu’il leur plaît d’y trouver ? N’est-ce point comme s’ils
supprimaient la Bible pour en fabriquer une autre de leur façon
? Concluons donc, sans nous arrêter à de semblables conjectures,
que le Livre de la Loi de Dieu, qu’il est certain que Moïse
a écrit, n’est point le Pentateuque, mais un livre tout
différent que l’auteur du Pentateuque a inséré
plus tard dans son ouvrage. Et cette conséquence, que nous déduisons
rigoureusement de ce qui précède, va être confirmée
d’une manière éclatante par tout ce qui suit. Au passage
déjà cité du Deutéronome, quand il
est dit que Moïse écrivit le Livre de la Loi, l’historien
ajoute que Moïse le déposa entre les mains des prêtres,
avec l’ordre de le lire au peuple à des époques déterminées
; ce qui prouve bien que ce livre avait une étendue beaucoup moindre
que le Pentateuque, puisqu’il pouvait être lu tout entier
dans le temps d’une seule assemblée, et compris de tout le monde.
Il ne faut point aussi perdre de vue cette circonstance, que de tous les
livres écrits par Moïse, celui de la Loi de Dieu est
le seul, avec le Cantique (composé un peu plus tard pour
être également appris par tout le peuple), que Moïse
ait ordonné de conserver religieusement. Par la première
alliance, en effet, Moïse n’avait fait prendre d’engagement aux Hébreux
que pour eux-mêmes ; mais par la seconde, les Hébreux engageaient
aussi leurs descendants (Deutéron., chap. XXIX, vers. 14,
15) ; et c’est pourquoi Moïse ordonna que le livre où était
déposé ce pacte nouveau fût religieusement transmis
aux enfants des Hébreux, avec le Cantique, qui aussi regarde
principalement l’avenir. Ainsi donc, d’une part, il n’est pas prouvé
que Moïse ait écrit d’autres livres que ceux dont on vient
de parler ; de l’autre, il est certain qu’il n’a ordonné de transmettre
à la postérité que le petit Livre de la Loi de
Dieu et le Cantique : or, comme on rencontre en outre dans
le Pentateuque un grand nombre de passages qui n’ont pu être
écrits par Moïse, il suit de toutes ces preuves combinées
que personne n’est en droit de dire que Moïse soit l’auteur du Pentateuque,
et même que cette opinion est contraire à la raison.
Ici, on me demandera peut-être si Moïse n’écrivit
pas ses lois au moment même où elles lui furent révélées,
c’est-à-dire si, durant l’espace de quarante années, de
toutes les institutions qu’il avait données au peuple, il n’écrivit
rien de plus que ce petit nombre de commandements qui étaient contenus,
comme nous l’avons dit plus haut, dans le livre de la première
alliance. Voici ma réponse : alors même que j’accorderais
qu’il paraît vraisemblable à la raison que Moïse écrivit
ses lois au lieu même et au moment où elles lui furent inspirées,
il n’en résulte nullement que nous puissions affirmer qu’il les
ait effectivement écrites de cette façon ; car il a été
établi précédemment qu’il ne faut rien affirmer touchant
l’Écriture que ce qui est donné par l’Écriture elle-même,
ou ce qui peut en être légitimement déduit ; et quant
à la pure raison, elle n’a rien à démêler dans
ces matières. Mais ce n’est pas tout, la raison n’est point ici
contre nous, puisque rien n’empêche de supposer que le sénat
communiquait au peuple, par écrit, les édits de Moïse
; et dès lors l’auteur du Pentateuque aura pu les recueillir
et les insérer, chacun en leur rang, dans l’histoire de la vie
de Moïse. Voilà ce que j’avais à dire sur les cinq
premiers livres de la Bible ; il est temps de m’occuper des autres.
Les mêmes raisons qui viennent d’être exposées
contre l’authenticité du Pentateuque s’appliquent au livre
de Josué. Il est clair, en effet, que ce ne peut être
Josué qui dit de soi-même que sa renommée s’est étendue
par toute la terre (voyez Josué, chap. VII, vers. 1), qu’il
n’omit rien de ce que Moïse avait ordonné (ibid., chap.
VIII, dernier vers. ; chap. XI, vers. 15), qu’étant parvenu à
un âge avancé, il assembla tout le peuple hébreu,
enfin qu’il rendit le dernier soupir. En second lieu, on trouve dans ce
livre le récit de divers événements qui se sont passés
après la mort de Josué. Il y est dit, par exemple, que le
peuple adora Dieu, après la mort du Josué, tant que vécurent
les vieillards qui avaient vu Josué vivant. Au chap. XVI, vers.
10, nous lisons qu’Éphraïm et Manassé ne chassèrent
point les Chananéens qui habitaient Gazer, mais que les
Chananéens ont habité jusqu’à ce jour avec les enfants
d’Éphraïm, et en ont été tributaires. Or
ce fait est certainement le même qu’on trouve au chap. I du livre
des Juges. Ajoutez que les mots jusqu’à ce jour marquent
évidemment que l’historien parle d’un temps très-éloigné
du sien. Je citerai encore un passage tout semblable, où il est
question des fils de Jéhuda, (chap. XV, dernier verset), ainsi
que l’histoire de Kaleb (ibid., vers. 14 et suiv.). Il paraît
également que le fait de ces deux tribus, qui s’unirent à
la moitié d’une autre tribu pour élever un autel au delà
du Jourdain (chap. XXII, vers. 10 et suiv.), s’est passé après
la mort de Josué, puisque dans toute la suite du récit il
n’est pas dit un mot de lui, et qu’on y voit au contraire le peuple délibérer
seul sur les affaires de la guerre, envoyer, de son propre chef, des ambassadeurs,
attendre leur réponse et l’approuver. Enfin il résulte clairement
du vers. 14 du chap. X que le livre qui porte le nom de Josué a
été écrit plusieurs siècles après sa
mort. Ce verset porte en effet que ni avant ni après ce jour,
aucun autre jour ne s’est rencontré où Dieu ait obéi
à la voix d’un homme, etc. Concluons de toutes ces preuves
que, si Josué a écrit quelque livre, ce n’est pas le livre
que nous avons sous son nom, mais plutôt celui qui est cité
dans le cours du même récit, au chap. X, vers. 13.
Quant au livre des Juges, je ne crois pas qu’aucun
homme de bon sens se puisse persuader qu’il ait été écrit
par les juges eux-mêmes, l’épilogue qui termine le récit
(chap. XXI) montrant assez que l’ouvrage entier a été composé
par un seul historien. On remarquera en outre que l’auteur des Juges
avertit en plusieurs endroits qu’aux temps dont il fait l’histoire, il
n’y avait pas de roi en Israël ; ce qui prouve que ce livre a été
écrit à l’époque où les Hébreux eurent
des rois à la tête du gouvernement.
Je ne m’arrêterai pas non plus bien longtemps sur
les livres qui portent le nom de Shamuel, puisque le récit qui
y est contenu se prolonge fort au delà de la vie de ce prophète.
Je prie seulement qu’on fasse attention que ces livres sont postérieurs
à Shamuel de plusieurs siècles. Nous trouvons en effet au
livre I (chap. IX, vers. 6) une sorte de parenthèse, où
l’historien nous avertit qu’autrefois, en Israël, ceux qui se
disposaient à aller consulter Dieu disaient : Allons, rendons-nous
auprès du Voyant ; car on appelait alors Voyant celui qu’aujourd’hui
on nomme Prophète.
Il ne nous reste plus qu’à dire un mot des livres
des Rois ; car il résulte de ces livres eux-mêmes
qu’ils ont été formés de différentes pièces,
savoir les livres des faits de Salomon (voyez Rois, I, chap. XI,
vers 5), les chroniques des rois de Juda (voyez ibid., chap. XIV,
vers. 19-29), et les chroniques des rois d’Israël.
Concluons donc que tous les livres dont nous venons de
parler successivement sont apocryphes, et que les événements
dont on y trouve le récit sont racontés comme s’étant
passés à une époque très-ancienne. Si l’on
considère maintenant la suite et l’objet de tous ces livres, on
n’aura pas de peine à reconnaître qu’ils sont l’ouvrage d’un
seul historien, qui s’est proposé d’écrire les antiquités
juives depuis les temps les plus reculés jusqu’à la première
dévastation de Jérusalem. Ces livres, en effet, sont si
étroitement liés qu’il est visible, par cet unique point,
qu’ils forment un seul et même récit, composé par
un seul et même historien. Aussitôt que l’histoire de la vie
de Moïse est terminée, on passe immédiatement à
celle de la vie de Josué en ces termes : " Et il arriva,
quand Moïse, le serviteur de Dieu, fut mort, que Dieu dit à
Josué, " etc. Parvenu à la mort de Josué,
l’historien se sert de la même transition pour commencer l’histoire
des juges. " Et il arriva, quand Josué fut mort, que
les enfants d’Israël demandèrent à Dieu, "
etc. Le livre de Ruth est rattaché comme une sorte d’appendice
à celui des Juges : Et il arriva, au temps que les juges
jugeaient, qu’il y eut famine en ce pays. C’est de la même façon
que le premier livre de Shamuel est joint à celui de Ruth,
et la même transition revient encore pour aller de ce premier livre
au second, où l’histoire de David n’est pas terminée ; cette
histoire se continue au premier livre des Rois, qui en amène
le second livre, comme il avait été amené lui-même
par les livres précédents. Enfin l’ordre même et l’enchaînement
des récits historiques marquent aussi l’unité de plan et
d’historien. On commence en effet par nous exposer la première
origine de la nation hébraïque ; puis on arrive, en suivant
l’ordre des temps, aux lois de Moïse, aux circonstances où
il les donna aux Juifs, aux prédictions qu’il y ajouta ; on raconte
ensuite comment le peuple hébreu, ainsi que Moïse l’avait
prédit, entra dans la terre promise (Deutéron., chap.
VII), et abandonna les lois de Dieu (ibid., ch. XXXI, vers. 16)
aussitôt qu’il y fut entré, d’où résultèrent
pour lui une foule de maux (ibid., vers. 17) ; comment il voulut
par la suite se donner des rois (Deutéron., chap. XVII,
verset 14), dont le gouvernement fut malheureux ou prospère, suivant
qu’ils s’écartèrent de la loi ou y furent fidèles
(ibid., chap. XXVIII, vers. 36 et dernier verset), jusqu’à
ce qu’enfin l’empire hébreu fut détruit, comme l’avait également
prédit Moïse. Pour tous les autres faits qui n’ont point de
rapport à l’observation de la loi, on les passe sous silence, ou
bien on renvoie le lecteur à d’autres historiens. Il est donc évident
que tous ces livres conspirent à une seule fin, qui est de faire
connaître les paroles et les commandements de Moïse, et d’en
prouver l’excellence par le récit des événements.
Nous arrivons donc, par trois ordres de preuves, savoir : l’unité
d’objet de tous ces livres, leur étroite liaison, et leur caractère
apocryphe, nous arrivons, dis-je, à cette conclusion qu’ils sont
l’ouvrage d’un seul historien.
Quel est cet historien ? je ne puis plus répondre
ici d’une manière certaine ; toutefois, je suis très-porté
à croire que c’est Hezras ; et voici quelques raisons d’un certain
poids qui autorisent ma conjecture. Premièrement, puisque cet historien,
que nous savons être unique, continue son récit jusqu’au
temps de la liberté de Joachim, et qu’il ajoute ensuite que lui-même
a pris place à la table du roi tout le temps qu’il a vécu
(est-ce Joachim, ou le fils de Nébucadnesor ? c’est ce que l’on
ne peut dire, le sens du passage étant fort équivoque),
il s’ensuit que ces livres n’ont pas été écrits avant
Hezras. Or l’Écriture ne dit point qu’il y ait eu à cette
époque aucun personnage, hormis Hezras (voyez Hezras, ch.
VII, vers. 10), qui se soit appliqué à la recherche de la
Loi divine et qui ait été un scribe diligent dans la loi
de Moïse (voyez ibid., vers. 6). Je ne vois donc qu’Hezras
qui puisse être l’auteur de ces livres. De plus, nous savons, par
le témoignage que l’Écriture porte de lui, qu’il s’était
appliqué, non-seulement à rechercher la loi de Dieu, mais
aussi à la mettre en ordre ; aussi trouvons-nous ces paroles dans
Néhémias (chap. VIII, vers. 9) : Ils ont lu le
Livre de la Loi de Dieu expliqué, et s’y étant rendus attentifs,
ils ont compris l’Écriture. Or, comme nous savons que le Deutéronome
contient, non-seulement le livre de la loi de Moïse (ou du moins
la plus grande partie de ce livre), mais encore une foule d’insertions
ajoutées pour l’explication plus complète des choses, je
suis porté à croire que le Deutéronome est
justement ce livre de la Loi de Dieu, écrit, disposé et
expliqué par Hezras, qui fut lu par les Juifs dont parle Néhémias.
Que si on me demande de prouver qu’il se rencontre dans le Deutéronome
des passages insérés pour l’éclaircissement du texte,
je rappellerai que j’en ai cité deux de cette espèce, quand
j’ai discuté plus haut les sentiments d’Aben-Hezra, et j’en pourrais
ajouter ici un grand nombre d’autres : par exemple, nous lisons au chap.
II vers. 12 : " Quant au pays de Séhir, les Horites
l’ont habité autrefois, mais les enfants d’Hésaü les
ont chassés et exterminés, et ils se sont établis
dans cette contrée, comme a fait le peuple d’Israël dans la
terre que Dieu lui a donnée pour héritage. "
Ce passage est destiné à éclaircir les versets 3
et 4 du même chapitre, c’est-à-dire à expliquer comment
les enfants d’Hésaü, en occupant la montagne de Séhir,
qui leur était échue en partage, ne la trouvèrent
pas inhabitée, mais la conquirent sur les Horites, qui en étaient
avant eux les possesseurs, à l’exemple des Israélites, qui
après la mort de Moïse chassèrent et détruisirent
le peuple chananéen. De même encore les vers. 6, 7, 8 et
9 du chap. X du Deutéronome sont une parenthèse ajoutée
aux paroles de Moïse. Tout le monde reconnaîtra en effet que
le vers. 8, qui commence par ces mots : En ce temps-là Dieu
sépara la tribu de Lévi, etc., doit être rapporté
au verset 5, et non point à la mort d’Aharon, dont Hezras ne parle
ici qu’à cause que Moïse, dans le récit de l’adoration
du veau, avait dit (voyez chap. IX, vers. 20) qu’il avait prié
pour Aharon. L’auteur du Deutéronome explique ensuite le
choix que Dieu fit, au temps dont parle ici Moïse, de la tribu de
Lévi, et cela pour montrer la cause de cette élection et
faire voir pourquoi les Lévites n’eurent point de part à
l’héritage de leurs frères ; puis il reprend le fil de son
histoire et la suite des paroles de Moïse. Ajoutez à tout
cela les preuves qu’on tire de la préface du livre, et de tous
les passages où il est parlé de Moïse à la troisième
personne ; pour ne rien dire d’une foule d’autres passages qu’il est impossible
aujourd’hui de reconnaître, mais qui ont certainement été
retouchés par le rédacteur du Deutéronome,
ou même ajoutés par lui dans l’intention de rendre plus claires,
pour les hommes de son temps, les paroles de Moïse. Et certes si
nous possédions aujourd’hui le livre même que Moïse
a écrit, je suis convaincu qu’en le comparant à l’Écriture,
nous trouverions de grandes différences, non-seulement dans les
mots, mais même dans l’ordre et dans l’esprit des préceptes.
Quand, en effet, je compare seulement le Décalogue du Deutéronome
avec celui de l’Exode (où l’histoire du Décalogue
a proprement sa place), je trouve qu’ils diffèrent de tout point
: ainsi le quatrième précepte, non-seulement n’est pas donné
de la même façon dans les deux livres, mais il est beaucoup
plus développé dans le Deutéronome ; et la
raison sur laquelle il repose en ce dernier livre est toute différente
de celle que donne l’Exode. Enfin l’ordre dans lequel est expliqué
le dixième précepte du Décalogue du Deutéronome
n’est pas le même ordre que l’Exode a suivi. J’incline donc
à penser que toutes ces différences et d’autres semblables
sont l’ouvrage d’Hezras, qui les a introduites en voulant expliquer la
loi de Dieu aux hommes de son temps ; et par conséquent, j’admets
que le Deutéronome n’est autre chose que le Livre de
la Loi de Dieu commenté et embelli par Hezras. Je crois aussi
que le Deutéronome est le premier livre qu’Hezras ait écrit,
et ce qui me porte à cette conjecture, c’est que ce livre contient
les lois de la patrie, c’est-à-dire ce dont le peuple a le plus
besoin. J’ajoute que le Deutéronome ne fait point suite,
comme les autres livres de l’Écriture, à un ouvrage précédent
; il commence en effet en ces termes, dégagés de tout lien
avec un discours antérieur : " Voici les paroles que
Moïse, " etc. Après avoir terminé ce
livre et enseigné au peuple l’antique loi, Hezras s’occupa, si
je ne me trompe, de composer une histoire complète de la nation
hébraïque, depuis le commencement du monde jusqu’à
la destruction de Jérusalem, et il inséra dans cette histoire,
au lieu convenable, le livre précédemment écrit du
Deutéronome ; et s’il attacha aux cinq premières
parties de son histoire le nom de Moïse, c’est probablement parce
que la vie de Moïse en fait la partie principale. Par la même
raison, il donna au cinquième livre le nom de Josué, au
septième, le nom de livre des Juges, au huitième, le nom
de Ruth, au neuvième et peut-être aussi au dixième,
le nom de Shamuel ; enfin au onzième et au douzième, le
nom de livres des Rois. On me demandera maintenant si Hezras mit la dernière
main à son œuvre, et l’acheva selon son désir, c’est ce
qu’on verra au chapitre suivant.
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1. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
11.
2. On remarquera que le mot hébreu Raphaim signifie
Damnés ; mais on peut croire, d'après les Paralipomènes,
ch. XX, que c'est aussi un nom propre. Je pense donc qu'en cet endroit
il marque le nom d'une famille. (Note de Spinoza.)
3. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note
12.
4. On observera que sepher, en hébreu, signifie
le plus souvent épître ou feuillet. (Note de Spinoza.)
Texte de Spinoza traduit par E. Saisset,
numérisé par Serge Schoeffert
revu par H. Diaz.
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