Je suis de formation scientifique et ai usé il y a quelques années quelques neurones sur les théories « nouvelles » de la Mécanique Quantique et de la Relativité (sur lesquelles je dispose d’une bibliothèque réduite mais des meilleures sources, dont le cours de Feynman). M’étant aperçu d’une insatisfaction certaine liée à cet exercice, elle-même cause d’un manque de concentration, je me suis tourné vers la Psychologie et la Philosophie… et j’y suis encore après dix ans, sans le moindre regret, bien au contraire… (sur le plan professionnel, je suis responsable de Recherche mais dans une optique applicative qui, quoique faisant appel à de nombreux aspects de la Physique, ne manie ni l’une ni l’autre de ces grandes théories ; comme pour l’immense majorité des scientifiques, d’ailleurs) ; peut-être y reviendrai-je un jour, l’esprit apaisé…
Ce préambule pour dire que je ne suis spécialiste – même moyen – ni des grandes théories en question ni de Philosophie… et que je vais quand-même balancer à tout-va mes réflexions, sans égard pour la réputation de tel ou tel… :
- L’Homme ne fera jamais le lien entre Esprit et Matière parce que cela lui est structurellement impossible ; plus : il ne saura jamais précisément ce qu’il entend par « Esprit » et par « Matière ». Celui qui croit pouvoir tout expliquer par la Matière ne sait tout simplement pas de quoi il parle. L’Homme est un sous-ensemble strict de la Nature et il lui est impossible à ce titre de la posséder toute. Même dans l’hypothèse qui lui est la plus favorable et qui est celle de Spinoza, savoir que les idées sont le pur « reflet » des choses (et non des phénomènes peu ou prou indépendants de ces choses), ceci n’est accessible absolument et totalement qu’à Dieu, l’Homme devant partir des idées inadéquates des choses que sont les sensations. La Physique n’est pas la Nature et ne le sera jamais.
- Sauf, comme le coq de Coluche, à se plaire à chanter les pieds dans la m…, comment prétendre connaître la Matière alors que l’unification de la Physique n’est pas réalisée, qu’on trouve autant de particules qu’on en cherche, que toute théorie pratique est truffée de coefficients issus de l’expérience, la Mathématique ne venant qu’interpoler les expérimentations, que les vrais physiciens n’ont plus de place dans la « Physique » théorique, qu’il faudra bientôt des accélérateurs faisant le tour de la Terre et épuisant des budgets colossaux pour vérifier les conjectures (non fixées) des Mathématiciens… ?
- On peut ajouter que, outre que la Physique appliquée a très majoritairement les traits d’une science « molle », la grande majorité des rares à « employer » les théories susdites n’en ont pas compris les implications physiques… Plus simplement, il y a grande différence entre la Mathématique et la Physique…
- Un scientifique de ma connaissance, franchement bon autant que je puisse en juger et très polyvalent dit, comme d’autres avant lui, que la Mathématique n’est pas une science (qui, par définition, selon eux, implique une confrontation avec la Nature extérieure). Lui la rattache à la Philosophie. On peut dire au moins qu’elle est tout entière un développement de la Logique sur la base « arbitraire » de ses axiomes, souvent rattachée à la Philosophie.
- Comment même croire encore, dans ces conditions, au progrès soutenu et sans fin de la Physique ? Ces conjectures à n’en plus finir et, corrélativement, ces instruments pharaoniques ne montrent-ils pas au contraire qu’on est en train d’atteindre exponentiellement nos limites ?
- Mais si on y croit, il convient de la jouer « modeste » : c’est donc une
croyance ; pas vraiment le symbole de la vérité pure dont on s’affuble…
- Qui croit une seule seconde, comme je l’ai déjà dit, qu’on déduira un jour l’amour maternel, par exemple, de calculs
ab initio de Mécanique Quantique ?
- S’agissant des neuro-sciences, j’ai entendu à la radio un « spécialiste » qui disait que la Psychologie était destinée à entrer dans l’Histoire et que la Physique neuronale allait prendre la place ; vaste fumisterie ! à tout le moins kolossale prétention (un autre avait dit la pire absurdité qui soit possible : « la vie n’existe pas » !!!). Je ne dis pas cela parce que cela viole mon esprit poétique ; j’ai la conviction profonde que cela est irréductiblement faux, et le dire est abrutir les esprits. Je ne suis pas au fait des dernières « découvertes », mais qu’ont fait les neuro-sciences en matière de psychologie ? ; localiser une zone d’activité cérébrale tout en demandant au gars à quoi il pensait ? Belle performance en psychologie ! Je ne dis pas que ceci ne peut rien apporter du tout à la psychologie d’un point de vue épistémologique, mais prétendre remplacer la Psychologie alors que l’on n’en atteint pas la plus élémentaire réalité consciente... !
- Si la « révélation » est qu’il n’y a pas fondamentalement de séparation entre Matière et Esprit, eh bien c’est vrai ; disons-le, c’est tout ! : l’âme fait bouger le corps (pas spinoziste, cela), l’alcool et diverses autres substances chimiques modifient l’état de l’esprit, le cerveau a une activité électrique mesurable, etc. ; pour le reste, mettons « je crois que » et même « je suis habité de la croyance que… »
- Matière et Esprit sont issus d’une réalité unique qui est à la fois Matière et Esprit et ni Matière ni Esprit (cette façon apparemment contradictoire de dire n’étant que l’affirmation du Mystère, c’est-à-dire de nos limites). Comme le quanton n’est ni onde ni particule et à la fois onde et particule…
- S’agissant de la Philosophie Morale (mon premier intérêt, personnellement), elle n’a pas franchement avancé en termes fondamentaux exprimés, selon moi, depuis le début de notre ère. Elle a simplement à chaque époque ces « génies » qui la replacent à son plus haut niveau dans le contexte de ladite époque. Son développement le plus avancé actuel est selon moi la psychologie scientifique ; non pas ce que les scientistes recouvrent sous ce terme, qu’il s’agisse seulement de soumettre des cobayes à des tests traités par les statistiques, ou carrément des neuro-sciences ; non : la Philosophie Morale Scientifique, celle de Paul Diel (un spinoziste) et d’autres, basée en particulier sur l’introspection méthodique, qui est aussi véritablement scientifique que la Physique, même si la Mathématique ne s’y mêle pas.
- Finalement, je me demande si on a bien digéré le fait que la Mathématique s’applique dans une certaine mesure à la Physique…
- Feynman n’est pas tendre avec les philosophes parce que selon lui, ils font un usage échevelé de concepts de la Physique, comme l’entropie, par exemple (qui, basiquement, est une grandeur thermique quantitative, se calculant simplement au même titre que l’énergie). Même si je pense qu’il fait là preuve, dans ces commentaires, d’un esprit étroit et quelque peu prétentieux (sans mettre en cause pour autant son génie en Physique), il n’a pas forcément complètement tort…
- Un article récent de La Recherche (de Levy-Leblond je crois ; auteur en passant, avec F. Balibar – qui a écrit, elle, sur Einstein et la philosophie, me semble-t-il – d'un excellent livre d’ « introduction » à la Mécanique Quantique) dit que si un nouvel Einstein devait voir le jour, il serait certainement à la fois un grand physicien et un grand philosophe…
- Notons que beaucoup des véritables Grands de la Physique n’ont pas jugé qu’elle suffisait à couvrir toute la Nature, et la leur en particulier, et ont développé des réflexions philosophiques, voire des parcours mystiques.
- Je ne saurais dire ce que la Science Physique peut apporter à la Philosophie en général, mais j’avancerais que cet apport n’a été et n’est que secondaire ; c’est un appui possible, non une nécessité, comme les neuro-sciences à la Psychologie ; évidemment, suivant le domaine de la Philosophie en cause, comme l’ontologie, cela semble plus ou moins proche.
- Je finirai en disant que, selon moi, la séparation de la Physique et de la Philosophie au XVIIème siècle n’est pas celle de la rigueur scientifique d’un côté et de la spéculation métaphysique de l’autre (vanité très récente, en fait) : c’est la scission logique entre la Science de la Matière et la Science de l’Esprit, qui n’est que la traduction de notre incapacité foncière à lier véritablement (unifier) les deux. Le reste est secondaire.
Je crois donc – sans même insister sur l’arbre (théorie pure et dure) qui cache la forêt (théorie mal assimilée et cuisine « molle » de la Physique appliquée) – qu’on peut faire œuvre majeure de Philosophie sans rien connaître à la Science Physique ; et on en est bien plus heureux que l’inverse…
Amicalement
Serge
Connais-toi toi-même.