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COURT TRAITÉ
PARTIE II
CHAPITRE XIX
DE NOTRE BÉATITUDE.
(1) Après
avoir montré les divers avantages de la vraie foi, nous nous efforcerons
de satisfaire à nos promesses : à savoir de rechercher si
la connaissance que nous avons acquise du bien et du mal, du vrai et de
faux, et de ce qui en résulte, si, dis-je, cette connaissance peut
nous conduire au salut, ou à l’amour de Dieu, dans lequel consiste,
comme nous l'avons remarqué, tout notre bonheur, et aussi comment
nous pouvons nous affranchir des passions que nous avons appelées
mauvaises.
(2) Pour parler d'abord de ce dernier
point, à savoir la délivrance des passions
1, je dis que si elles n'ont pas d'autres causes
que celles que nous avons indiquées, nous n'avons qu'à faire
un bon usage de notre entendement (ce qui nous est facile, ayant une mesure
du vrai et du faux), pour être assurés de ne pas nous laisser
égarer par elles.
(3) Que ces passions n'aient pas d’autres
causes que celles que nous avons dites, c'est ce que nous avons d'abord
à démontrer ; et ici il me parait nécessaire
de nous étudier tout entiers, tant pour ce qui concerne le corps
que pour ce qui concerne l'âme, et de montrer qu'il y a dans la
nature un corps dont la constitution et les actions nous affectent et
dont nous avons conscience ; et nous procéderons ainsi, parce que,
aussitôt que nous aurons vu les actions du corps et ce qui en résulte,
nous connaîtrons la première et principale cause de toutes
les passions, et par conséquent le moyen de les détruire
: d'où nous verrons en même temps si cela est possible par
la raison ; enfin nous traiterons avec plus de développement de
l'amour de Dieu.
(4) Il ne nous sera pas difficile de
démontrer qu'il y a un corps dans la nature, sachant que Dieu est,
et ce qu'il est. Nous avons défini Dieu un être qui a des
attributs en nombre infini, chacun de ces attributs étant lui-même
parfait et infini ; et, comme l'étendue est un attribut que nous
avons démontré être infini en son genre, elle est
nécessairement un attribut de cet être infini, et puisque
cet être infini existe substantiellement, il s’ensuit que l'étendue
existe aussi substantiellement.
(5) En outre, nous avons montré
qu'il n'y a et qu’il ne peut y avoir aucun être en dehors de la
nature qui est infinie ; il est donc évident que les actions du
corps, par lequel nous percevons, ne peuvent venir d'autre chose que de
l'étendue elle-même, et non pas, comme le pensent quelques-uns,
de quelque être qui posséderait l'étendue éminemment,
puisqu’il n'y a rien de semblable, comme nous l'avons fait voir au premier
chapitre.
(6) Nous avons donc maintenant à
remarquer que tous les effets que nous voyons dépendre nécessairement
de l'étendue doivent être attribués à cette
propriété, comme le mouvement et le repos. En effet, si
le pouvoir qui produit cet effet n'était pas dans la nature (quoiqu’il
pût y avoir en elle beaucoup d'autres propriétés),
ces effets ne pourraient pas être, car, pour qu'une chose quelconque
produise un certain effet, il faut qu’il y ait en elle quelque chose par
quoi c'est elle plutôt qu'une autre qui doive produire cet effet.
Et ce que nous disons de l’étendue, nous le disons de la pensée,
et en général de tout ce qui est.
(7) Remarquons en outre qu’il ne se passe
rien en nous dont nous ne puissions avoir conscience : d’où il
suit que si nous ne trouvons rien autre chose en nous-mêmes que
les effets de la chose pensante et de la chose étendue, nous pouvons
dire avec confiance qu’il n'y a rien de plus en nous.
Maintenant, pour comprendre clairement les effets de
ces deux puissances, nous commencerons par les examiner séparément
et ensuite toutes deux ensemble, de même que les effets de l'une
et de l'autre.
(8) Si donc nous considérons l'étendue
toute seule, nous n'y trouverons rien autre chose que le mouvement et
le repos, et tous les effets qui en dérivent ; et ces deux modes
2 sont tels, qu'ils ne peuvent être
modifiés que par eux-mêmes. Par exemple, lorsqu'une pierre
gît immobile, il est impossible que, par la pensée seule
ou tout autre attribut, elle puisse être déplacée ;
elle ne le peut être que par le mouvement, c'est-à-dire,
si une pierre animée d'un mouvement plus grand que son repos la
fait mouvoir ; et de même une pierre en mouvement ne peut s'arrêter
que si elle rencontre quelque autre chose ayant un mouvement moindre.
D'où il suit qu'aucun mode de pensée ne peut produire dans
le corps le repos ou le mouvement.
(9) Cependant, d'après ce que
nous savons par notre propre expérience, il peut arriver que le
corps, qui a déjà une direction dans un sens, en prenne
une autre dans un autre sens : comme, par exemple, lorsque je tends mon
bras, je fais en sorte que les esprits, qui avaient leur mouvement propre,
en changent pour se diriger de ce côté, ce qui, à
la vérité, n'arrive pas toujours, mais dépend de
la disposition des esprits.
La cause de ce que nous disons est que l'esprit, qui
est l'idée du corps, est tellement uni avec lui, qu'il ne forme
avec lui qu'un tout naturel.
(10) Quant aux effets de l'autre attribut,
c'est-à-dire de la pensée, le principal est la représentation
des choses ; et en raison de la manière dont nous percevons, nous
éprouvons de la haine et de l’amour, effets qui n'enveloppant en
aucune façon l'étendue, ne peuvent pas être attribués
à l'étendue mais seulement à la pensée. Ainsi
la cause de tous les changements qui se produisent dans ces phénomènes
ne doit être cherchée que dans la pensée, et non dans
l’étendue : comme nous le voyons dans l'amour, dont la production
ou la destruction résulte d'une idée, ce qui a lieu (comme
nous l'avons déjà dit) lorsque nous apercevons quelque bien
dans l'objet aimé ou quelque mal dans l'objet odieux.
(11) Si maintenant ces deux propriétés
agissent l'une sur l'autre, l'une éprouve alors quelque passion
de la part de l'autre : par exemple, dans l'étendue, la détermination
du mouvement, que nous avons le pouvoir de modifier dans la direction
que nous voulons. Cette action, par laquelle une des propriétés
pâtit de la part de l'autre se produit de la manière suivante,
comme nous avons déjà dit : c'est que l’âme peut
faire que les esprits qui seraient mus dans un sens soient mus dans un
autre sens ; mais, comme les esprits sont mus de leur côté
par le corps et peuvent être déjà déterminés
dans leur direction, il arrivera donc qu'ayant ainsi une certaine direction
en vertu des lois du corps, et en recevant une autre de l'âme, il
se produira en nous des combats, dont nous avons conscience sans avoir
conscience de leurs causes, quoique ces causses puissent nous être
bien connues d'une autre manière.
(12) D'un autre côté, l'âme
peut être empêchée dans la puissance qu'elle a de mouvoir
les esprits, soit parce que ce mouvement des esprits est trop faible,
soit au contraire parce qu'il est trop fort : par exemple, les esprits
sont diminués lorsque nous avons pris trop peu de nourriture ou
que, par une course excessive, les esprits ont donné au corps un
mouvement excessif et se sont par là dissipés et affaiblis.
Ils sont trop augmentés lorsque, par le vin ou toute autre boisson
un peu forte, on devient trop gai ou même ivre, et que notre âme
n’a plus la puissance de diriger notre corps.
(13) Voilà pour l'action de l'âme
sur le corps. Considérons maintenant l'action du corps sur l'âme.
Cette action consiste surtout en ce que c’est le corps qui met l'âme
en état de le percevoir lui-même, et par là aussi
les autres corps : ce qui est produit uniquement par le mouvement et le
repos, car ce sont pour le corps les seuls modes d'action.
(14) D’où il suit que, en dehors
de cette perception, il ne se produit rien dans les âmes qui puisse
être causé par le corps. Maintenant, puisque la seule chose
que l'âme apprenne à connaître, c'est le corps, il
s’ensuit que l'âme l'aime tout d'abord et est unie avec lui. Mais
nous avons vu que la cause de l'amour, de la haine et de la tristesse
ne doit pas être cherchée dans le corps, mais dans l'âme,
puisque toutes les actions des corps peuvent se ramener au repos et au
mouvement ; et nous voyons aussi clairement et distinctement que l'amour
d'un objet n'est détruit que par la représentation de quelque
chose de meilleur : il s'ensuit évidemment que lorsque nous commençons
à connaître Dieu, au moins aussi d'une connaissance aussi
claire que celle de notre corps, nous nous unissons alors à lui
plus étroitement qu’avec le corps ; et alors seulement nous
sommes affranchis du corps. Je dis plus étroitement, car
nous avons déjà démontré antérieurement
que sans Dieu nous ne pouvons ni exister ni être conçus,
et cela vient de ce que nous ne le connaissons et ne pouvons le connaître
que par lui-même, et par conséquent beaucoup mieux que nous
ne nous connaissons nous-mêmes, puisque nous ne pouvons nous connaître
sans lui.
(15) De ce que nous avons dit jusqu’ici,
il est facile de déduire quelles sont les principales causes de
nos passions. Le corps et ses actes, repos et mouvement, ne peuvent apporter
aucune modification à l'âme, si ce n'est se présenter
à elle comme objets ; et selon les représentations
qu'ils nous procurent, soit du bien, soit du mal 3,
l'âme est différemment affectée ; mais ce n'est pas
le corps en tant que corps qui produit cet effet (car alors il serait
la principale cause des passions) ; c'est le corps en tant qu'objet, comme
seraient toutes choses autres qui produiraient un effet semblable, si
elles se présentaient de la même manière à
l'âme.
(16) Par où je ne veux pas dire
que l'amour, la haine et la tristesse qui naissent de la considération
des choses immatérielles produisent les mêmes effets que
l’amour, la haine ou la tristesse qui naissent de la considération
des choses corporelles ; car celles-là, comme nous l'avons dit
déjà, auront des effets tout différents, en raison
de la nature de l'objet dont la perception les fait naître dans
l'âme lorsqu’elle les considère.
(17) Ainsi, pour en revenir à
ce qui précède, si une chose supérieure au corps
se présente à l’âme, il est certain que le corps n'aura
plus alors la puissance de produire les mêmes effets qu’il produit
actuellement. D'où il suit que non-seulement le corps n'est pas
la principale cause des passions, mais encore que si quelque autre chose
pouvait produire en nous les passions dont nous parlons, cet autre objet
ne pourrait cependant agir sur l’âme autrement et plus que ne fait
le corps. Car ce ne pourrait être qu'un objet qui serait complètement
distinct de l'âme, et duquel par conséquent nous n'aurions
pas autre chose à dire que ce que nous avons dit du corps.
(18) Nous pouvons donc conclure avec
vérité que l'amour, la haine et la tristesse et les autres
passions sont causées dans l'âme tantôt d'une manière,
tantôt d'une autre, et selon la forme de la connaissance qu’elle
se fait des choses ; et en conséquence, lorsqu'elle arrive à.
connaître l’être le plus excellent, il sera impossible alors
que l'une de ces passions puisse produire sur elle la moindre impression.
__________________________
NOTES :
1. Toutes les passions
qui combattent contre la droite raison (comme nous l'avons démontré
précédemment) naissent de l'opinion ; et tout ce qu'il
y a de bon ou de mauvais dans les passions, nous est montré par
la vraie foi. Mais ni l'une ni l'autre, ni l'une et l'autre ensemble,
ne sont capables de nous affranchir. C’est seulement le troisième
degré de connaissance, à savoir la vraie connaissance, qui
peut nous rendre libre, et sans elle il nous est impossible de le devenir,
comme nous le montrerons dans la suite. N'est-ce pas d’ailleurs le même
principe que d'autres ont signalé en se servant d'autres expressions
? Qui ne voit en effet que l’on peut entendre par opinion ce que l'on
appelle le péché, par la foi ce que l'on appelle
la loi qui fait connaître le péché, par vraie
connaissance la grâce qui nous délivre du pêché ?
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2. Je dis deux modes,
parce que le repos lui-même n'est pas un rien.
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3. Mais d'où vient,
dira-t-on, que nous connaissons tel objet comme bon, tel autre comme mauvais ?
Réponse : comme ce sont les objets qui font que nous les percevons,
nous sommes affectés par l'un autrement que par l'autre. Ceux-là
donc par lesquels nous sommes affectés de la manière la
plus mesurée possible (en raison de la proportion de repos et de
mouvement qui les constitue), ceux-là nous sont les plus agréables,
et, dans la mesure où ils s'éloignent de cette proportion,
moins agréables. De là naissent en nous toute espèce
de sentiments, dont nous avons conscience, et qui fréquemment sont
produits en nous par des objets corporels qui agissent sur notre corps
et que nous appelons impulsions, comme par exemple si nous faisons rire
quelqu’un qui est dans la tristesse, en le chatouillant ou en le faisant
boire du vin, ce dont l'âme a conscience, sans en être cause
: car, lorsqu'elle agit elle-même, le genre de gaieté qu’elle
produit est d'une toute autre nature, car alors ce n'est pas le corps
qui agit sur le corps, mais c'est l'âme raisonnable qui se sert
du corps comme d’un instrument ; et ainsi plus l'âme agit,
plus le sentiment est parfait.
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