Sinusix a écrit :Pour les besoins de la chose, je me permets de faire un retour en arrière "scolaire" en empruntant à Lucien Sève (Une introduction à la philosophie marxiste) quelques truismes.
La consistance véritable des choses se situe au delà de ce qu'en reflète la connaissance sensible, et ne peut être atteinte que par une connaissance d'un autre ordre : celle non plus des sens mais de l'intellect (ou entendement selon les traducteurs). La pensée conceptuelle marque donc bien un détachement par rapport à la réalité empirique, c'est-à-dire telle qu'elle m'apparaît dans l'expérience sensible, mais c'est un détachement fécond, car par ce détour elle saisit, semble-t-il, au sein de l'existence sensible encore confuse et superficielle une réalité intelligible plus précise et plus profonde : son essence. Puisque les sens nous trompent, on ne peut atteindre les choses sans s'élever à l'intelligence de leur essence.
Je m'arrêterai donc à ce simple niveau, qui hante plus de deux mille ans de réflexion, à savoir la distinction entre existence sensible et essence intelligible.
Bonjour Sinusix,
à mon sens, cette conception du sensible et de l'intelligible est avant tout une conception parmi d'autres, conception qui comme toute idée humaine ne hante que ceux qui y adhèrent. Spinoza me semble précisément être un excellent exemple du fait que l'on peut tout aussi bien penser les choses fort différemment. Au lieu de mettre l'essence dans l'intelligible (ou dans le spirituel, ou dans la pensée), et l'existence dans le sensible (ou dans le corporel), Spinoza nous offre l'occasion de penser les choses radicalemen différemment: une chose singulière a aussi bien une essence objective (= idée, appartenant à l'attribut de la Pensée) qu'une essence formelle (= par exemple le corps, appartenant à l'attribut de l'Etendue). Les deux, essence objective ou idée ou Esprit, et essence fomelle ou Corps, expriment exactement la même chose (
res) singulière. Exit la dramaturgie chrétienne qui a décidé de faire du corps la source de tous les maux et de l'esprit ce qui constituerait l'aspect "noble" de l'être humain. Dans le spinozisme, cette hierarchie corps-esprit est remplacé par le parallélisme. Ici, pour pouvoir être plus dans le vrai, il faut cultiver son corps au lieu de le mépriser, il faut le rendre "apte à être affecté de plus de manières" (E4P38), si bien que "
qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses, a un Esprit dont la plus grande part est éternelle" (E5P39). D'ailleurs, notre éternité n'est pas purement "spirituelle" chez Spinoza, puisqu'il s'agit d'une chose que nous "
sentons et expérimentons".
Bref, à mon sens il faut être très prudent lorsqu'on lit un philosophe, car on a tous tendance à supposer que les idées dont on ne doute pas soi-même sont également défendues par le philosophe en question, tandis que lire de la philosophie de manière philosophique permet précisément de se rendre compte du fait qu'absence de doute ne signifie pas encore vérité, qu'il y a un tas d'autres manières de penser possibles, et tout aussi indémontrables que ce que l'on tient aujourd'hui communément pour vrai.
Sinusix a écrit : Au terme de cette position classique du problème, l'auteur,
définit l'essence comme l'ensemble des propriétés nécessaires et invariables d'une réalité.
ma question serait donc:
- où est-ce que selon vous Spinoza reprend la position qui vous semble être la plus évidente? Quels passages du texte vous le font penser et pourquoi?
- où Spinoza définit-il l'essence comme un ensemble de propriétés?
Sinusix a écrit :Cette définition m'apparaît logique (et autorise donc une analyse de l'essence, tant en extension qu'en compréhension) et place donc bien l'essence comme contenu accessible à l'entendement (l'intelligible) d'une chose singulière.
ok, mais pour moi d'une part ceci correspond trop à l'opinion commune d'aujourd'hui pour pouvoir déjà penser d'emblée que Spinoza, il y a 4 siècles et dans un tout autre contexte sociopolitique et culturel, le pensait aussi, d'autre part il me semble que des passages cruciaux du texte lui-même s'y opposent et nous obliger à repenser à nouveaux frais ce qu'est l'essence non pas en général, mais chez Spinoza (je viens d'en donner quelques-un ci-dessus et dans mes messages précédents à ce sujet; toute critique non pas de ces idées en tant que telles mais de leur adéquation au texte est la bienvenue).
Sinusix a écrit :Autrement dit, avoir l'idée d'une chose singulière, c'est bien pour l'entendement concevoir son essence objective, laquelle n'est pas encore percevoir son essence formelle. Par conséquent, en raison du parallélisme, s'il n'y a que des choses singulières, il n'y a que des essences singulières, l'essence étant le reflet isomorphe, dans la pensée, de la chose singulière, dans l'Etendue.
je ne crois pas qu'on puisse dire que dans le spinozisme il n'y a que des choses singulières. Les choses singulières, dans le spinozisme, sont finies et déterminées (E1P28), tandis qu'il y a d'autres choses encore qui ne le sont pas (les attributs sont infinis, les modes immédiats et médiats sont infinis). Spinoza ne dit pas que Dieu n'est qu'un ensemble de modes (comment le pourrait-il, puisque par définition un mode est une affection d'une essence d'autre chose que lui-même?), il dit que Dieu est un ensemble d'attributs et de modes. Autrement dit, là où Sescho me semble restreindre la divinité aux seuls attributs, il me semble que vous faites l'opération inverse: vous la limitez aux seuls modes ou choses singulières.
Puis même s'il n'y avait que des choses singulières, je ne vois pas en quoi cela nous obligerait en tant que tel d'abandonner l'idée d'essence de genre. Surtout que vous adoptez la position où l'essence n'est qu'une idée, n'existe que dans l'entendement. A partir de ce moment-là, vous pouvez très bien dire que l'essence de l'espèce humaine n'est qu'une idée, et alors toute essence est non pas singulière, mais générale (générique ou spécifiante). Si à mon sens il n'y a que des essences singulières dans le spinozisme, c'est parce que la définition 2 de l'
Ethique ne laisse pas d'autre possibilité (raison pour laquelle j'espère qu'un jour quelqu'un va réfuter l'analyse que j'ai proposée de cette définition, car c'est là que tout commence; on peut bien sûr opter pour une autre méthode de lecture, plus globale, moins basée sur des analyses détaillées, mais je crains que dans ce cas on risque d'en rester principalement à ses propres préjugés, sans trop pénétrer le texte et donc la pensée même du spinozisme (puisqu'on peut toujours se dire que si telle ou telle interprétation est contradictoire avec ce qui se déduit de prime abord de telle ou telle proposition, alors c'est notre déduction ou analyse qui doit être fausse, sans plus, c'est-à-dire sans preuve)).
Sinusix a écrit :Comme j'utilise une fois encore le terme isomorphe sur lequel un contresens m'apparaît possible, j'en précise l'utilisation que j'en fais, en fonction de la définition mathématique du terme.
En effet, dire que le parallélisme (E2P7) est un isomorphisme entre l'Attribut Pensée et l'attribut Etendue signifie ceci :
1/ Si j'appelle X la loi de composition des corps dans l'Etendue (le commerce des corps) ;
2/ Si j'appelle + la loi de composition des idées dans la Pensée (le commerce des idées),
on dit qu'il y a isomorphisme si : idée de (corps A X corps B) = idée de corps A + idée de corps B. S'agissant d'un isomorphisme, la relation est bijective, mais à manier avec prudence pour ne pas tomber dans le créationisme.
J'observe d'ailleurs que, toujours en termes mathématiques, ces relations sont un automorphisme de la substance unique.
ici aussi j'avoue que j'ai un problème plutôt d'ordre méthodologique. Inventer un nouveau sens pour un mot, à mon avis c'est tout un art, et il faut toute une philosophie pour pouvoir donner à ce nouveau sens une quelconque consistance. C'est donc précisément cela, le métier du philosophe. Cela a deux conséquences:
- pour comprendre telle ou telle philosophie, il faut être prêt à abandonner le sens que l'on donne soi-même d'habitude ou par décision aux mots, il faut devenir attentif au sens que le texte, au fur et à mesure qu'il se déploie, leur donne
- on peut soi-même redéfinir les sens des mots, mais sans y ajouter une nouvelle pensée philosophique, on risque de ne pas être clair du tout.
Appliqué à la façon dont vous traitez ici le mot "isomorphe": d'abord ce mot n'est pas dans le texte de Spinoza, puis le mot "forme" ("morphè"), qui en philosophie a une longue histoire de sens fort différents selon telle ou telle pensée, acquiert dans le spinozisme (comme dans toutes les autres philosophies) un sens tout à fait propre, propre au spinozisme. Spinoza oppose ainsi l'essence objective à l'essence "formelle", et ne parle de "forme" que lorsqu'il s'agit d'une union de "corps". Dans les deux cas, la notion de forme sert donc à désigner quelque chose qui n'est pas une idée. A partir de ce moment-là, on ne peut plus l'utiliser pour désigner le rapport entre une idée et quelque chose qui n'est pas une idée (un corps par exemple), ou le rapport entre l'attribut de la Pensée et l'attribue de l'Etendue, puisque justement, Spinoza nous invite à
changer de vocabulaire, afin de pouvoir penser les choses autrement que ce qu'on pense déjà soi-même. Le parallélisme se fait entre quelque chose qui a une forme d'une part, et une idée d'autre part. Parler d'une quelconque "isomorphie", dans ces circonstances, me semble être difficile.
Sinusix a écrit :A cet égard, puisque vous m'opposez plus bas que le spinozisme n'est pas un matérialisme, et sans entrer dans les détails qui me le font considérer comme tel, je crains d'entrevoir dans certaines de vos formulations que loin d'être moniste, vous ne soyez en fait dualiste, excipant du caractère effectivement réel de l'Attribut Pensée, pour lui donner une réalité "autonome", ce que le spinozisme interdit (et c'est en cela que je me dit matérialiste en tant que me fixant sur une substance absolument unique), au travers d'un dualisme de propriétés, lequel conduit à ce que d'aucuns appellent panpsychisme et vous fait accorder une conscience de soi à la pierre ou au sac papier.
dans le spinozisme, les attributs ont bel et bien une réalité autonome, puisqu'ils se conçoivent par soi (E1P10). Seulement, dans le spinozisme cette multiplicité infinie d'attributs n'est pas le contraire d'une unité (ou plutôt unicité) de la substance. Donner autant de réalité (à savoir une réalité infinie, un être éternel et infini) à chaque attribut considéré seul ne s'oppose nullement au monisme. Bien sûr, il faut tout un travail avant de pouvoir bien saisir en quoi consiste ce genre de monisme, travail que les commentateurs poursuivent jusqu'à présent. Mais à mon sens cela signifie qu'on ne peut pas comprendre le spinozisme lorsqu'on pense d'une telle façon qu'ou bien il ne peut y avoir qu'un seul attribut (celui de l'Etendue; matérialisme) ou bien on doit être dans un dualisme. Donc encore une fois, je crois qu'ici aussi lire Spinoza signifie apprendre à penser autrement.
Sinon rappelons que je ne parle pas ici de "ma" position à moi. On peut très bien être matérialiste et constater que le spinozisme quant à lui n'est pas un matérialisme. Les "croyances personnelles" n'ont pas grand-chose à voir avec une explication de texte. C'est la raison pour laquelle pour moi c'est beaucoup plus utile de lire une objection contre l'une ou l'autre idée que je propose par rapport au spinozisme et qui réfère au texte que de juste entendre des objections contre tout ce qui ne serait pas un matérialisme, car dans ce dernier cas on parle tout simplement de deux questions différentes (première question: "le spinozisme est-il un matérialisme?", deuxième question: "faut-il croire ou non dans le matérialisme?").
Sinusix a écrit :Louisa a écrit :Sinusix a écrit :Car, au final, je ne vois pas qu'une lecture de l'Ethique "pratique" soit bouleversée par la qualification que l'on donne aux propriétés.
Si aucun ordonnancement des connaissances humaines n'est possible, dans quelque domaine que ce soit, sans que revienne cette confusion, nous resterons sur un dialogue de sourds, ce qui prouve au demeurant que le spinozisme s'applique avec autant de pertinence dans le domaine des idées, chacun finalement n'ayant accès qu'à la lecture correspondant à sa propre nature, sans pouvoir accéder à celle de l'autre.
Ici par exemple la question par rapport à l'interfécondité me semble être la suivante: à partir du moment où l'on dit qu'il n'y a de réel que singulier dans le spinozisme (y compris l'essence de Dieu, puisqu'il n'y a qu'une seule essence divine, et pas deux dans le même "genre"), et que les propriétés n'existent pas "en soi", ne sont pas des choses singulières elles-mêmes, faut-il dire que l'interfécondité est la même dans toutes les choses où on la trouve, ou est-elle un peu différente selon les deux êtres vivants concrets qui produisent un enfant non stérile? Si elle est toujours différente, peut-elle appartenir à l'essence de chaque membre d'une espèce? Si non (donc si l'interfécondité est la même chez tous), on peut parler aussi bien d'interfécondité que d'espèces, au sens où dans ce cas les deux termes réfèrent au même aspect du réel. Mais alors, qu'est-ce qui nous empêche de dire qu'il appartient à l'essence d'une espèce de posséder la propriété d'interfécondité (et alors, me semble-t-il, on s'approche de la lecture que nous propose Sescho)?. Or dans ce cas on aboutit au problème suivant: si toute essence est singulière, celle d'une espèce devrait l'être aussi, et alors l'essence de l'espèce X ne peut pas avoir en commun avec l'essence de l'espèce Y la propriété de l'interfécondité, bref dans ce cas on ne peut pas prendre le critère de l'interfécondité comme ce qui distingue deux espèces, tandis que c'est précisément ce que cette notion nous permet de faire.
Bref, à mon avis il est difficile de s'en sortir juste en regardant ce qu'on fait en science aujourd'hui. Il faudrait plutôt poursuivre nos efforts pour approfondir nos lectures du texte de Spinoza lui-même pour essayer de davantager clarifier les choses et pour essayer de trouver l'interprétation et les arguments capables de résister à toute critique.
Votre deuxième réponse ci-dessous me confirme que nos approches semblent inconciliables parce que vous semblez raisonner comme une Idéaliste (au sens philosophique), à savoir que pour vous, sinon pourquoi ces blocages et retours en arrière, l'essence existe objectivement comme réalité spirituelle à part des choses (car en effet, si on n'y prend garde, ambiguïté de lecture possible du spinozisme, tout étant en Dieu et les essences étant éternelles, on risque de réintroduire une substantialisation distincte de la pensée, donc des essences, "quelque part", et donc finalement être Cartésien et/ou Chrétien sans le savoir). Ce n'est pas mon point de vue.
idem. Je ne parle pas de moi, je parle du texte de Spinoza. Comment dire que dans le spinozisme l'essence n'existe pas objectivement, si Spinoza dit que toute idée vraie est une essence objective, et que les idées ne sont que des modes d'un attribut ayant chacunes leur propre degré de réalité? Tandis qu'à côté des essences objectives, il y a des essences formelles, qui eux aussi ont une existence actuelle (dans les deux sens que Spinoza donne à ce mot: elles existent "en Dieu", et elles existent "dans un temps et un lieu précis" (du moins pendant une certaine durée)).
Si vous croyez que les essences chez Spinoza ne sont "que" des idées, et n'existeraient pas en dehors de l'entendement humain, sur quels passages du texte vous basez-vous, et comment en déduisez-vous cette hypothèse interprétative?
Sinusix a écrit :A partir du moment où l'essence est ce que l'entendement conçoit de la chose singulière, nous devons rester dans la pensée et, par construction, manier des concepts de l'entendement dont il nous appartient de vérifier qu'ils constituent des idées adéquates donc vraies. A ce titre, et dans ce contexte, et comme spinoza/Descartes ne cessent de le dire du triangle, les propriétés du triangle se déduisent génétiquement de son essence. Il est donc pour moi absurde, toute révérence gardée, de dire qu'une essence singulière ne peut être constituée de propriétés communes, même en partie, sinon elle ne serait pas singulière. J'ajoute que penser autrement fait s'effondrer tout le spinozisme, sinon comment Pierre et Marie, après un moment d'extase que je dédie volontiers à Korto que je comprends chaque jour un peu mieux, pourraient-ils engendrer Paul ou Caroline, compte tenu de E1P3 !!
il est évident qu'un enfant a quelque chose en commun avec ses parents, dans le spinozisme, notamment en effet en vertu de l'E1P3. Mais la question est: ce qu'il a en commun est-ce que cela "constitue" son essence objective et formelle ou non? Pour moi on ne peut pas répondre "en général" à cette question, il faut d'abord se demander ce que Spinoza veut dire par ces notions (essence, objective, formelle, constituer) avant de pouvoir savoir ce qu'il y en est dans le spinozisme. Autrement dit, j'ai un peu le même problème avec ce que vous écrivez qu'avec pas mal de messages de Hokousai. Votre façon d'aborder spinozisme est bien sûr tout à fait respectable et intéressante etc., et pouvoir discuter avec vous est toujours un plaisir, mais pour moi vous mélangez sans cesse vos propres opinions avec le texte, et injectez ainsi un tas d'idées dans le spinozisme sans vérifier si c'est légitime ou non. Cela ne signifie pas que moi-même je ne fais pas cela. Bien entendu, je le fais aussi (et beaucoup trop). Mais pour moi le sens d'une discussion philosophique réside précisément dans la tentative d'apprendre ce qui relève d'une idée personnelle et ce qui peut vraiment être fondé dans le texte, alors que, à tort ou à raison, il me semble que pour vous et pour Hokousai (et pour certains autres) cela a l'air d'être non souhaitable ou inconcevable ou absurde?
Sinusix a écrit :Que dire alors de l'essence de n'importe quel code d'accès en banque dont il suffit que vous modifiiez une seule donnée sur un ensemble pour être rejetée. L'essence singulière du code, comme le code génétique de n'importe quel être vivant, est d'être distinct sur quelques loci, et cela suffit pour singulariser l'être concerné.
ok, vous pouvez décider d'appeler cela "essence". Mais pourquoi prendre cette décision-là? Et comment la concilier avec le sens que l'E2 définition 2 décide de donner au même mot .. ?
Sinusix a écrit :Donc oui, je le redis une énième fois, et pour moi le spinozisme s'effondre, et pas que lui j'en suis sûr à cet instant, si une essence singulière n'est pas constituée, par exemple celle de l'homme Pierre par rapport à l'homme Paul, d'avantage de propriétés communes (donc de concepts de l'entendement qui reflètent des réalités de rapports de mouvement et de repos selon votre langage) que de propriétés distinctes, propriétés qui elles-mêmes, particularité humaine, sont programmées pour reposer essentiellement sur des faits de culture que sur des faits de nature.
j'aurais tendance à dire: votre propre conception de l'essence s'effondre dès qu'on donne à ce mot un autre sens que celle que lui donne cette conception. Or vraiment, pour moi vous pouvez tout à fait adhérer à cette conception là, à ce sujet je n'ai aucune objection à faire, au contraire même. Mais que dire de Spinoza ... ? Comment faites-vous pour identifier votre conception de l'essence avec celle de Spinoza? Comment déduire votre conception du texte spinoziste? C'est cela que pour l'instant je ne vois pas trop, et sans explicitation des propositions sur lesquelles vous vous basez et sans argumentation qui permet d'aller de ces propositions à votre conclusion, j'aurai beaucoup de difficultés à comprendre en quoi votre conception de l'essence a quelque chose à voir avec la conception spinoziste de l'essence.
Sinusix a écrit :Il ne faut donc pas, à partir du moment où on ne fait pas de l'essence une réalité spirituelle "autonome", opposer leur caractère "d'abstraction intellectuelle" pour refuser l'utilisation desdits concepts à la définition de l'essence, parce que nous sommes dans le domaine de l'entendement. Il importe en revanche d'être assurés que lesdits concepts ne relèvent pas de l'imagination mais reflètent bien la réalité des rapports concernés (comme l'interfécondité).
A partir de ce moment, il n'est pas logique d'isoler le concept d'interfécondité comme vous le faîtes (qui laisse donc penser que vous donnez à chaque concept, pour vous opposer à leur placement logique, une réalité substantielle de même nature que celle que vous semblez attribuer à l'essence). Le concept, s'agissant d'un concept, est utilisable, selon l'embranchement dans lequel on l'utilise à un niveau variable tout en décrivant le même processus réel.
dire que les "étants universels" ne sont que des concepts qui n'existent pas hors de notre entendement, ce n'est pas leur donner une "réalité substantielle", puisque dans le spinozisme il n'y a qu'une seule substance, c'est Dieu. Mais comme déjà dit, Spinoza n'établit pas de hiérarchie entre l'infinité des attributs, l'attribut de la Pensée n'a pas moins de réalité que les autres attributs. Les modes de l'attributs de la Pensée, ou les idées, sont donc, en tant qu'entités, tout aussi réelles que les modes des autres attributs.
Sinusix a écrit :C'est pourquoi il ne m'apparaît pas fécond de vouloir rester, en 2008, sur la lettre de la démarche explicative mécaniciste (que je continue de qualifier de naïve) de Spinoza, mais d'en comprendre l'esprit, à la lumière des découvertes sientifiques ultérieures (chimiques et biologiques). Essayez d'appliquer une seule loi de mécanique au fonctionnement du corps humain, à part malheureusement la défenestration ou la mort de Cyrano. Et surtout, ne citez pas l'effet Doppler, qui n'a rien à faire dans l'histoire et n'est que la manifestation de la modification du signal reçu par un récepteur "fixe" par rapport à un émetteur "mobile" et qui permet par exemple de savoir que la voiture de pompiers s'éloigne ou s'approche et que l'univers est en expansion, solide problème philosophique) !
les explications de la mécanique classique et de la mécanique quantique s'appliquent à tout l'univers, aussi aux corps humains. Seulement, il s'agit d'explications propre à la discipline scientifique qui s'appelle "physique". Les physiciens n'expliquent pas la vie, ils expliquent le mouvement. Pour avoir une explication des êtres vivants en tant qu'ils sont vivants, il faut quitter la physique pour étudier la biologie. Donc oui, on ne va pas saisir ce qui caractérise un être humain juste en étudiant la mécanique. Mais je ne vois pas en quoi cela rendrait la mécanique fausse dès qu'on l'applique aux mouvements de corps vivants?
Sinusix a écrit :Je persiste encore dans ce que j'ai dit sur la multiplicité des rapports constitutifs de l'être humain, fait d'une multitude d'individus. L'extraction que vous faites du Lemme VI, comme il vous arrive parfois, est incomplète. Or, il est bien écrit, au niveau de l'individu : "..... de telle sorte qu'ils puissent continuer leurs mouvements, et se les communiquer les uns aux autres selon le même rapport qu'avant...."
la question était de savoir si l'on peut dire que dans le spinozisme un Individu est caractérisé par plus d'un
rapport de mouvement et de repos ou par un seul. A mon sens, chaque Individu n'est caractérisé que par un seul rapport de mouvement et de repos, tandis que bien sûr, de multiples mouvements traversent cet Individu, et il peut en opérer beaucoup lui-même aussi. Il faudrait donc que vous démontriez sur base du texte où Spinoza dit qu'un Individu a plusieurs rapports de mouvement et de repos (et non pas où il dit que les parties du corps sont en mouvement ou continuent leurs mouvements) avant de pouvoir abandonner l'idée qu'il n'y en a qu'un (pour les raisons qui me font penser qu'il n'y en a qu'un: voir mon message précédent).
Sinusix a écrit :Enfin, et dernier point, je dis que la connaissance du 2ème genre est intuitive-déductive parce que Spinoza, comme Descartes, le dit lui-même
partout, ce que tous les mathématiciens savent, et que toute l'Ethique est construite sur ce principe à partir des définitions : Toute démonstration aboutissant à une idée vraie part d'un premier temps qui, si on devait reprendre l'enchaînement depuis le début, sans tenir compte des résultats intermédiaires "définitivement acquis" (merci à la culture et vive la noosphère) repose sur une première idée vraie, laquelle n'est pas démontrable, mais relève de l'intuition directe de l'idée vraie.
Au reste, et comme le dit Alain dans son petit opuscule sur Spinoza, toute démonstration n'avance que parce que, à chaque pas nouveau, nous avons l'intuition de la vérité de ce que nous continuons à exprimer. Bref, aucune déduction ne peut être faite sans qu'elle repose sur une première intuition ou idée commune directement accessible à l'entendement, et tel est le sens de la majorité des définitions et Axiomes de l'Ethique.
En espérant que nous puissions passer à autre chose.
Spinoza dit plutôt qu'une première idée vraie est toujours déjà "donnée" (le fameux "
habemus enim ideam veram", TIE B33-G14). Les principes d'une science rationnelle sont appelées chez Spinoza "notions communes", mais pour autant que je sache il ne dit jamais que nous les connaissons par "intuition" (si vous pensez que cela est faux, où en parle-t-il en ces termes?). Il dit bien plutôt explicitement qu'il va appeler "connaissance intuitive" la connaissance du troisième genre.
Bref, pour moi vous injectez ici de nouveau des sens propres au langage commun dans un texte philosophique, qui par définition redéfinit les mots qui appartient au langage commun. Ce n'est pas parce que communément on dit que ce dont on ne doute pas c'est ce dont on "intuitionne" la vérité que toute philosophie est d'accord avec cela, ou devrait comprendre ainsi l'intuition.
Enfin, si vous préférez passer à un autre sujet de discussion au lieu de prolonger cette réflexion-ci, en ce qui me concerne il n'y a pas de problème. Dans ce cas merci de vos remarques!
Amicalement,
L.