Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 27 nov. 2008, 19:49

Sinusix a écrit :Je crains que la divergence entre nous soit en partie liée à votre excès de connaissances scolastiques, que je n'ai pas, et qui libère quelque peu ma pensée à la lecture de Spinoza.


Bonjour Sinusix,

d'abord désolée de cette réponse tardive.

Quant à la scolastique: puisque Spinoza utilise un tas de notions qui viennent directement de la philosophie du Moyen Age (cause immanente, cause transitive, substance, attribut, mode, cause de soi, connaissance intuitive, nature naturante et naturée, degré de puissance, causa essendi, et ainsi de suite), à mon sens essayer de comprendre ce qu'il veut dire signifie que tôt ou tard il faut s'intéresser aussi aux philosophies médiévales. En ce qui me concerne je crois que dans ce domaine je suis tout à fait "débutante". Je suis vraiment très loin d'avoir déjà une grande connaissance de la scolastique. Par conséquent, je ne suis pas certaine que cela puisse expliquer certaines divergences. Ou en tout cas, j'ai plutôt l'impression que si divergence il y a, elle concerne plutôt la conception de ce que c'est que la philosophie en tant que telle (voir à ce sujet le message promis depuis maintenant déjà quelques semaines et que je n'oublie pas).

Sinusix a écrit : Je résume donc brièvement.
1/ Oui, il n'existe, chez Spinoza, dans ma compréhension, d'essences que singulières de même qu'il n'existe de choses que singulières. Le parallélisme ne l'impose-t-il pas ?.
2/ Oui, la majorité des commentateurs que j'ai lus (dont Martial Guéroult)classent Spinoza parmi les nominalistes, dans le sens scolastique où vous l'entendez.


Ok, dans ce cas nous sommes d'accord là-dessus.
(Puisque pas tous sur ce forum sont convaincus de la singularité de l'essence: en quoi le parallélisme est-il pour vous un argument pro cette thèse?)

Sinusix a écrit :Aussi bien ne me placè-je pas sur le même terrain, mais fais simplement cette remarque logique de matérialiste que je suis (et dont telle est la lecture de Spinoza) : à partir du moment où il n'y a d'essences, dont de choses, que singulières une propriété acquiert son caractère réel au travers de la chose singulière qui la porte.


j'ai du mal à concevoir le spinozisme comme un matérialisme (en vertu même du parallélisme, l'attribut de la Pensée étant chez Spinoza tout aussi réel que celui de l'Etendue), mais sinon je crois que je suis d'accord avec ce que vous dites: toute propriété n'existe réellement qu'en tant que propriété inhérente à telle ou telle chose particulière.

Sinusix a écrit :Toute la confusion vient de l'utilisation ontologique binaire (être ou ne pas être) que l'on fait d'une propriété présente dans la réalité. Le fait de dire que l'interfécondité (autrement dit la capacité de deux choses singulières - version non hermaphrodite - d'être par leur "union" momentanée spécifique cause efficiente d'une ou plusieurs choses singulières qui vont leur ressembler étrangement, donc de participer à la chaîne de la vie) est une réalité des êtres animés.


en effet.

Sinusix a écrit : En en reconnaissant l'évidence, je ne vois pas que j'ai conclu à la réalité d'une chose qui s'appellerait interfécondité (autrement dit il ne s'agit pas de rentrer dans la binarité éculée de l'idéalisme ou du réalisme des concepts, et par conséquent de rester collé à la définition scolastique de l'espèce que personnellement, sur ce chapitre, je n'ai considérée que comme taxonomique), j'ai en revanche réclamé le caractère réel du phénomène sous-jacent, ou explicité par ce terme.


si l'on laisse un instant de côté la scolastique, je crois que je vous avais tout à fait compris et que nous pensons la même chose: dès qu'il n'y a que de la singularité, une propriété n'est pas une chose singulière "en soi", elle n'existe que dans la chose qui la possède.

Sinusix a écrit :Or, que je sache, l'interfécondité est une idée adéquate pour démontrer (les yeux de l'âme) un mode spécifique de causalité, et comme toute idée adéquate, elle est vraie. Une idée vraie enveloppe bien de la réalité.


tout à fait d'accord (sauf pour l'expression "les yeux de l'âme", qui elle aussi semble avoir toute une histoire derrière elle, et que je n'ai pas encore très bien comprise).

Sinusix a écrit :Qu'il faille, avec Spinoza, sortir des blocages scolastiques me paraît donc nécessaire, mais peut-être finalement pas fondamental, ce qui fait que nous pourrions discuter pendant des lustres sur le sexe des anges.


pouvoir démontrer un "blocage scolastique" à mon sens relève d'un exercice philosophique fort difficile. En tout cas, moi-même je ne me sens pas capable de le faire. On peut bien sûr se dire que tout ce qui de prime abord aujourd'hui pour un non philosophe ("philosophe" non pas au sens de "diplômé de philosophie" mais au sens de "ayant fréquenté longtemps les textes philosophiques et acquis une méthode proprement philosophique de lecture") n'a pas de sens lorsqu'on lit des textes du Moyen Age doit être rejeté comme étant faux, mais pour moi c'est y aller trop vite. Spinoza en réalité reprend certaines notions scolastiques, en adapte d'autres à son vocabulaire à lui, et en rejette d'autres encore (comme celle des Universaux). Juste pour bien pouvoir connaître quelle position il prend par rapport à quelle philosophie scolastique demande déjà des années d'étude.
Mais peut-être que ce que nous trouvons de la scolastique n'est pas très important pour ce dont nous discutons ici.

Sinusix a écrit :Car, au final, je ne vois pas qu'une lecture de l'Ethique "pratique" soit bouleversée par la qualification que l'on donne aux propriétés.
Si aucun ordonnancement des connaissances humaines n'est possible, dans quelque domaine que ce soit, sans que revienne cette confusion, nous resterons sur un dialogue de sourds, ce qui prouve au demeurant que le spinozisme s'applique avec autant de pertinence dans le domaine des idées, chacun finalement n'ayant accès qu'à la lecture correspondant à sa propre nature, sans pouvoir accéder à celle de l'autre.
C'est bien pourquoi l'échanges d'arguments, à partir d'un certain moment, est totalement stérile, et pour ce qui me concerne je l'arrêterai là sur ce sujet, si la compréhension de la "subjectivité" de l'autre relève du 3ème genre.


justement, à mon sens le but d'une discussion argumentée concernant le spinozisme ne porte pas sur la subjectivité de l'interlocuteur, mais sur le spinozisme lui-même. Le but est de mieux comprendre l'Ethique, d'avancer dans sa compréhension en la confrontant aux commentaires, interrogations et critiques d'autres lecteurs.

Ici par exemple la question par rapport à l'interfécondité me semble être la suivante: à partir du moment où l'on dit qu'il n'y a de réel que singulier dans le spinozisme (y compris l'essence de Dieu, puisqu'il n'y a qu'une seule essence divine, et pas deux dans le même "genre"), et que les propriétés n'existent pas "en soi", ne sont pas des choses singulières elles-mêmes, faut-il dire que l'interfécondité est la même dans toutes les choses où on la trouve, ou est-elle un peu différente selon les deux êtres vivants concrets qui produisent un enfant non stérile? Si elle est toujours différente, peut-elle appartenir à l'essence de chaque membre d'une espèce? Si non (donc si l'interfécondité est la même chez tous), on peut parler aussi bien d'interfécondité que d'espèces, au sens où dans ce cas les deux termes réfèrent au même aspect du réel. Mais alors, qu'est-ce qui nous empêche de dire qu'il appartient à l'essence d'une espèce de posséder la propriété d'interfécondité (et alors, me semble-t-il, on s'approche de la lecture que nous propose Sescho)?. Or dans ce cas on aboutit au problème suivant: si toute essence est singulière, celle d'une espèce devrait l'être aussi, et alors l'essence de l'espèce X ne peut pas avoir en commun avec l'essence de l'espèce Y la propriété de l'interfécondité, bref dans ce cas on ne peut pas prendre le critère de l'interfécondité comme ce qui distingue deux espèces, tandis que c'est précisément ce que cette notion nous permet de faire.

Bref, à mon avis il est difficile de s'en sortir juste en regardant ce qu'on fait en science aujourd'hui. Il faudrait plutôt poursuivre nos efforts pour approfondir nos lectures du texte de Spinoza lui-même pour essayer de davantager clarifier les choses et pour essayer de trouver l'interprétation et les arguments capables de résister à toute critique.
Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 27 nov. 2008, 20:42

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Si toute essence (singulière) enveloppe un certain nombre de rapports de mouvements et de repos spécifiques (plus la chose a de réalité et de complexité, plus le nombre de ces rapports est grand),


de prime abord, je dirais que ceci n'est pas la façon dont Spinoza définit l'essence singulière. Il parle plutôt d'un rapport de mouvement et de repos. Chaque chose est caractérisée par un rapport qui lui est propre, et qui ne caractérise que cette chose et aucune autre. Je veux bien essayer de chercher les passages précis si ce que je dis vous semble être incorrecte. En attendant, serait-il possible de préciser pourquoi vous croyez que chez Spinoza, une essence singulière a plus qu'un rapport de mouvement et de repos?


Effectivement, il apparaît que nous n'avons pas la même lecture du singulier que vous employez. Deux façons donc d'aborder le problème :
1/ Confronter une lecture des textes et la raison qui m'amène à penser ainsi. Prenons par exemple E2Lemme VI : il évoque bien la communication de mouvements des uns aux autres corps constitutifs d'un Individu, avant et après, selon le même rapport. Dans le même esprit E2Lemme VII. Puis vient E2Postulat I : Le corps humain est composé d'un très grand nombre d'individus (de nature diverse), dont chacun est très composé.
J'en conclus, tout en me rappelant le caractère "naïf" assumé par Spinoza de cette parenthèse physiologique, que le corps humain est le siège d'autant de rapports de mouvements et de repos qu'il contient d'individus.


à mon sens, il faut distinguer l'expression "rapport de mouvement et de repos" de l'expression "communication de mouvements".

La communication de mouvements correspond à ce qu'étudie la physique mécanique: un corps A se meut avec une vitesse x, et touche à un certain moment un corps B qui se meut avec une vitesse y. En fonction de certains paramètres de A et de B, suite à ce choc B se mouvra avec une vitesse z et dans une autre direction. Une partie de l'énergie du mouvement exercé par A sera ainsi transmise à B.

Spinoza reprend ces idées, pour expliquer ce qu'est une affection d'un corps. C'est une transmission ou une communication de mouvement du corps affectant au corps affecté. Une fois une partie du corps affecté touché, cette partie ne restera pas immobile, elle communiquera ses mouvements aux autres parties du corps, non touchées (tout comme la vague qui se produit à l'endroit où une pierre tombe dans un étang, mettra en mouvement des endroits non touchés de la surface de l'étang). Les affections spinozistes ressemblent donc, mutatis mutandis, à des effets Doppler (Doppler effect en anglais; en français ... ?): un choc entre deux corps (pierre et étang) en général ne change rien à l'étang en tant qu'étang, mais crée un mouvement qui se propage dans l'étang. De même, une affection d'un corps spinoziste se propage dans d'autres endroits du corps que celle qui a été touché par le corps extérieur affectant. Puis Spinoza constate simplement que dans beaucoup de cas, le corps affecté reste "essentiellement" inchangé, demeure le même corps. Bref, jusqu'ici je ne vois rien de choquant ou de naïf, ce que Spinoza dit de la physique mécanique me semble être toujours correcte aujourd'hui.

Or au sein même de cette physique il introduit un concept méta-physique: certa quadam ratio motûs et quietis, traduit par Pautrat par "un certain rapport précis de mouvement et de repos". Le rapport dont il s'agit est un rapport entre d'une part du mouvement, d'autre part du repos. Il ne s'agit pas de deux corps ou de parties de corps qui chacun sont en mouvement et qui se communiquent leur mouvement, il s'agit d'un rapport, d'une proportion. A mon avis, cette expression elle aussi vient de la philosophie contemporaine voire antérieure au spinozisme. En tout cas, ce n'est pas très clair ce que Spinoza voulait dire par là. En revanche, il définit un Individu par un certain rapport précis de mouvement et de repos. Rapport qui est différent chez un autre Individu. A partir de ce moment-là, le Corps humain étant effectivement composé de beaucoup d'autres Individus, on doit dire que chacun de ces Individus se caractérise par un rapport de mouvement et de repos à lui (c'est son essence singulière), tandis que le Corps humain composé de tels Individus se caractérise lui par un autre rapport de mouvement et de repos encore, différent de ceux qui caractérisent chaque Individu qui le compose.

Sinusix a écrit :2/ A supposer que vous n'accédiez pas à cette lecture, il suffit, compte tenu de la complexité du corps humain et du très grans nombre de manières dont il peut être affecté de considérer que, par rapport au singulier, nous entendons en fait un complexe de rapports propres à chaque individu constitutif du corps humain.


ce qui "constitue" un Corps humain, c'est un ensemble d'autres corps, donc des "modifications de l'attribut de l'Etendue". Je ne vois pas où Spinoza dirait que ce qui constitue un Corps humain, c'est un rapport de mouvement et de repos. L'essence du Corps humain est ce rapport de mouvement et de repos (ou plutôt, est exprimée par).

Bien sûr, on peut aussi décider de quitter un instant le vocabulaire spinoziste, et alors on peut très bien dire ce que vous dites, cela me semble être tout à fait vrai. Mais vous pensez que c'est néanmoins spinoziste de dire cela, c'est-à-dire qu'on peut le faire correspondre à la façon dont Spinoza parle de rapport de mouvement et de repos? Si oui, comment voyez vous cela plus précisément?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :il est bien évident (et si Spinoza n'en dit rien c'est qu'il s'agit alors, dans son esprit, d'une telle évidence qu'elle relève des notions communes, donc de la connaissance adéquate) qu'un certain nombre de ces rapports sont identiques entre l'individu A et l'individu B, faute de quoi (au minimum sur la base de E1P3) ils n'auraient aucune chose en commun.


Je crois que ce que deux Individus dans le spinozisme ont toujours déjà en commun, c'est précisément le fait d'être des modes de l'attribut de l'Etendue (ou plutôt d'envelopper le concept de cet attribut). Mais comme à mon sens chaque essence ne se caractérise que par un rapport de mouvement et de repos déterminé et précis, je ne vois pas comment ces rapports pourraient être de l'ordre de la propriété commune.


Il me paraît peu opératoire de ne conserver sempiternellement pour seule propriété commune que le fait d'être des modes de l'Etendue, puisqu'il s'agit là de la propriété commune "universelle" des étants.


ah mais ce n'était qu'un exemple. Il y a bien sûr beaucoup plus de propriétés communes que juste le fait d'être un mode de l'attribut. Ce que je voulais dire, c'est que si on est d'accord pour dire que toute essence est singulière, alors par définition elle ne peut pas être constituée de propriétés communes, même pas en partie. Or vous dites ici que selon vous un Individu est constitué de plusieurs rapports de mouvement et de repos, et ce que certains de ces rapports seraient présents dans plus qu'un Individu, tout en constituant l'essence de tel ou tel Individu. C'est là que j'ai un problème, simplement parce que par définition une essence ne peut pas être constitué de propriétés communes (sinon elle ne serait pas singulière).

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Si donc, pour reprendre mon raisonnement ensembliste, entre l'essence singulière de Pierre et l'essence singulière de Claudette, enveloppantes chacune d'un nombre "infini" de rapports de mouvements et de repos, j'extrais, par l'entendement (idée vraie = idée en Dieu), l'ensemble des rapports de mouvements et de repos identiques entre eux et qui permettent, par exemple, l'interfécondation, mais aussi l'échange par la parole et la promenade main dans la main, je conçois bien un "ensemble de rapports spécifiques" constitutif d'un classement vrai (donc en Dieu) que j'appelle X, Y ou Z.


ceci me semble être parfaitement cohérent, mais tout dépend de la réponse à la question "est-ce qu'une essence singulière chez Spinoza se définit par un rapport de mouvement et de repos précis, ou par une infinité de ces rapports?". A mon avis cela n'est clairement pas le cas, mais je chercherai des preuves dans le texte très prochainement (et en attendant, je ne vous demande bien sûr pas de me croire sur parole).


Je vous ai précisé mon raisonnement. Le reste s'ensuit.


c'est-à-dire, sauf erreur de ma part, vous n'avez pas vraiment montré en quoi il serait possible, chez Spinoza, qu'un Individu se caractérise par plus qu'un seul rapport de mouvement et de repos (il y a bien sûr une infinité de mouvements en lui, mais on parle de rapport). Bref, à mon avis il faudrait pouvoir montrer sur base du texte même qu'on peut dire que chez Spinoza une essence singulière s'exprime dans plusieurs rapports de mouvement et de repos à la fois, avant que tout ce que vous déduisez de cette proposition ne puisse correspondre au spinozisme.

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Je conclus donc avec Sescho, si vous l'avez bien cité, que connaître les propriétés communes c'est déjà connaître 90% (par exemple) de leur essence singulière, étant précisé là qu'il s'agit d'une connaissance du 2ème genre, donc adéquate, donc vraie, donc en Dieu.


ok, mais alors vous admettez que ce qui constitue une essence peut être commun à plusieurs choses. Ce qui est contraire à l'E2P37, non?


Non, je dis que ce qui est commun à plusieurs choses, dans mon exemple c'est 90% des rapports spécifiques de mouvement et de repos propres à chacune des essences singulières (ou 90% du contenu du complexe de rapports dans la version 2, 90% étant lui-même un rapport)


j'avoue que je ne vois pas très bien la différence. Ne répétez-vous pas, ici, que ce qui selon vous est commun à plusieurs choses, c'est 90% de xxxx propre à chaque essence singulière, donc à une essence singulière? C'est tout de même dire que ce qui est propre à une essence singulière peut se trouver néanmoins aussi dans une autre essence singulière? Si c'est le cas, cela contredit l'idée qu'une essence singulière est singulière parce que ce qui la constitue est supprimé dès que la chose est supprimée, autrement dit n'appartient qu'à cette essence singulière et à aucune autre, non?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Pour le 1/, je suis entièrement d'accord sur le fait que nous ne pouvons avoir de connaissance adéquate des essences singulières, seule la connaissance du 3ème genre nous permet de les contempler, pas de les connaître (nous arriverons peut-être à revenir enfin sur les phénomènes de conscience sur ce fil).


oui si vous voulez. Mais Spinoza appelle bel et bien le troisième genre de connaissance une "connaissance". Seriez-vous d'accord pour dire que refuser le statut de connaissance au troisième genre de connaissance, ce n'est pas spinoziste? Si non, pour quelles raisons?


Sur ce dernier point, j'employais à dessein le terme de "contemplation" pour marquer le caractère particulier de la connaissance intuitive, dont nous reparlerons peut-être un jour en parlant des problèmes de conscience, pour la distinguer de la connaissance du 2ème genre, intuitivo- déductive, qui repose sur la partie consciente, stricto sensu, de nos facultés cognitives (donc à fonctionnement sériel). La connaissance du 3ème genre, qui est certes une connaissance, n'étant pas "mise en animation" par les mêmes voies conscientes et sérielles.


ah d'accord. En fait, Spinoza parle tout aussi bien de contemplation pour le 2e que pour le 3e genre de connaissance (exemple: E2P44 démo du corollaire II: "il est de la nature de la Raison de contempler les choses (...)"). Puis il dit bien que les idées du troisième genre sont elles aussi des idées adéquates (E2P41 démo: "à la connaissance du deuxième et du troisième appartiennent, nous l'avons dit, celles qui sont adéquates"), tandis que le scolie de l'E2P47 dit que nous pouvons connaître un très grand nombre de choses selon le troisième genre de connaissance.

Nous pouvons donc avoir des idées adéquates et vraies des essences singulières, dans le spinozisme, et le cinquième livre montre même (annonce Spinoza déjà en l'E2P47) la grande utilité de ces idées, précisément pour la conscience de soi et de Dieu et des choses.

Enfin, je ne vois pas ce qui permet d'appeler le deuxième genre de connaissance "intuitive-déductive: voyez-vous un passage qui parle de la connaissance intuitive non seulement concernant le troisième genre de connaissance, mais aussi par rapport au deuxième?
Amicalement,
L.

PS: je reviens bientôt sur les messages d'Enegoid, de Bardamu, de Hokousai et de Sescho (et de Bruno dans l'autre fil)... il me faudra juste le temps de rattraper le retard causé par mon absence de quelques jours.

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Messagepar Louisa » 28 nov. 2008, 00:58

Enegoid a écrit :
Louisa a écrit :
cela fait quelque temps que j'essaie de démontrer pourquoi selon moi chez Spinoza ce qui est commun à tout ne constitue l'essence de quoi que ce soit (E2P37),


Vous « essayez de démontrer» !. Selon moi, et pardonnez-moi, vous enfoncez des portes ouvertes ! La plupart des intervenants sur ce site connaissent la proposition de Spinoza. Et je ne crois pas qu’elle pose question. Elle est assez claire.
De même, les deux propositions suivantes que vous répétez souvent (pour faire vite, je les exprime en langage courant) :
o Il ne faut pas confondre l’essence avec les propriétés
o Le genre est un être de raison, il n’y a que des choses singulières (des corps, des idées). Le genre n’existe pas.

Toutes ces propositions sont connues et il n’y a pas, je crois, de discussion sur leur contenu. Le problème n’est donc pas là.
Il est dans les conséquences à en tirer.


Bonjour Enegoid,
à mon sens pas mal d'intervenants dans ce débat reviennent néanmoins régulièrement sur ce que vous venez d'écrire ci-dessous et trouvent qu'il y a de bonnes raisons pour le remettre en question (exemple parmi d'autres: Sinusix qui dit que 90% d'une essence singulière est constitué de propriétés communes). Mais il est bon à savoir que ce n'est pas ce que vous pensez vous-mêmes, du moins cela devrait me permettre de répondre de façon plus pertinente à ce que vous dites.

Enegoid a écrit :1 Vous tirez de E2p37, et de la définition de l’essence, l’idée que l’essence de genre n’existe pas. Parce que cette essence serait commune à tout et ainsi ne pourrait constituer l’essence d’aucune chose.


je dirais que le fait que ce qui constitue une essence ne peut pas être commun à une autre essence, se déduit de l'E2Déf.2 seule (raison pour laquelle la proposition qui le démontre explicitement, l'E2P37, peut se baser que sur cette définition). Par conséquent, toute essence est singulière. Et donc en effet, à mon sens dans le spinozisme une essence de genre n'existe pas réellement.

Enegoid a écrit :Pour moi E2P37 peut s’interpréter, par rapport à l’homme, de la façon suivante :

o L’essence de l’homme est commune à tous les hommes, mais, comme elle est commune à tous les hommes, elle ne peut constituer l’essence d’aucun homme particulier.


ok, mais alors si je vous comprends bien vous dites qu'il peut y avoir des essences qui sont communes à plusieurs Individus (tout en ne constituant l'essence d'aucun de ces Individus).
Donc:
- nous sommes d'accord pour dire qu'aucune propriété commune ne peut constituer une essence
- mais pour vous il y a des essences qui sont elles-mêmes des propriétés communes.

Si je vous ai bien compris: une essence qui est une propriété commune, doit être une essence qui est prédiqué de plusieurs choses. L'idée serait alors de dire que l'essence A par exemple est constitué de x, y et z, mais peut être prédiqué aussi bien de la chose B que de la chose C, tout en ne constituant ni l'essence de B ni l'essence de C.

En fait, l'idée me semble être assez intéressante. J'y réfléchis.

Enegoid a écrit :o S’il y a quelque chose de commun à tous les hommes, et qui ne se retrouve dans aucun autre corps de la nature (votre exemple, qui utilise de façon totalement équivalente, les notions d’animal et de raisonnable, est ambigu), alors ce quelque chose constitue l’essence de l’homme (du genre homme). Ce quelque chose ne serait pas commun à toutes choses, mais concernerait l'homme seulement.


j'ai l'impression que tu touches peut-être à quelque chose d'important dont pour l'instant je ne tiens pas compte, mais je ne suis pas certaine ... . Ce qui me pose de prime abord problème, c'est le fait même de donner une "essence" à quelque chose qui est un genre, alors que Spinoza dit clairement que les genres n'existent que dans notre tête, et que dire que x a une essence c'est nécessairement attribuer une existence "singulière" à x, non? A partir de ce moment-là, l'Homme existe aussi, en tant que chose singulière (ne fût-ce que dans les différents hommes individuels). A mon sens c'est cette possibilité même que Spinoza écarte (par l'E2P40).

Bref, pour moi ce qui me semble être important dans ce que tu dis, c'est qu'il faut qu'on se pose la question suivante: si dire que toute essence est singulière implique que ce qui la constitue ne peut constituer aucune autre essence, est-ce que cela implique aussi que cette même essence ne peut être attribuée qu'à une seule chose singulière, ou peut-elle être attribuée à/prédiquée de plusieurs choses singulières (quitte à ne pas constituer l'essence singulière de ces choses)? Si je t'ai bien compris tu dis: oui, une essence singulière peut néanmoins être attribué à plusieurs individus. Pourquoi le penses-tu? En ce qui me concerne, je vais y réfléchir...

Enegoid a écrit :2 Ce n’est pas parce que le genre n’existe pas en tant que corps qu’il n’existe pas en tant qu’idée, dont on peut parler. Ce que fait Spinoza quand il écrit « essence de l’homme ».


oui en effet, il me semble que j'ai dit cela dès le début. Le nominalisme n'interdit pas du tout de parler d'un genre, il demande juste de considérer tout genre comme une abstraction intellectuelle, à laquelle rien de réel ne correspond hors de l'entendement humain.

Enegoid a écrit :Et, du fait qu’il en parle (de l’essence de l’homme, cad de l’essence du genre « homme »), il y a bien, d’une certaine manière, essence de genre chez Spi. Ce que vous refusez d’admettre formellement, tout en en parlant vous-même, ce qui rend pour moi la discussion impossible, ou trop « technique » philosophiquement, du fait du recours à la problématique nominaliste.


il doit s'agir d'un malentendu, puisque j'ai l'impression d'avoir dit cela dès le début, puis répété plusieurs fois ("cela" = qu'il parle de l'essence de l'homme). Or le problème n'est pas de parler d'espèces (pour autant que je sache, Spinoza parle de l'espèce "homme", et non pas du genre? enfin, cela n'est pas très important), le problème est plutôt quel statut donner aux espèces. En principe, dans un nominalisme parler de l'espèce homme, c'est parler d'une catégorie purement abstraite. Cela doit donc aussi être le cas chez Spinoza (en vertu de l'E2P40). Ce qui rend les choses plus compliquées, à mon sens, c'est que chez lui on a un nominalisme tout à fait particulier, où toute essence elle-même devient singulière. Parler de l'essence de l'homme, en général, c'est donc parler de l'essence d'une catégorie abstraite. Cette catégorie abstraite peut, en tant qu'idée, en effet avoir une essence. Mais alors on ne dit rien des individus réels, on ne parle que de nos catégories abstraites. C'est là que j'ai plus de difficultés à vous suivre, puisque vous semblez néanmoins attribuer cette catégorie abstraite aux choses réelles, et faire correspondre une propriété réelle dans les choses à cette catégorie.

Enfin, en abordant les choses ainsi, je crois qu'on a peut-être trouvé une meilleure façon de poser la question. Finalement, trois options sont peut-être possibles:
1. une espèce ("Homme") existe réellement, c'est-à-dire il y a une chose réelle, un Individu "Homme", qui existe séparément des hommes individuels particuliers
2. une espèce réfère à des propriétés communes à plusieurs individus, et n'existe pas séparément de ces individus
3. une espèce n'est qu'un concept, une abstraction, qui ne réfère à rien de réel, c'est juste une façon de penser qui aide les hommes à interagir adéquatement avec leur environnement. Il n'y a donc même pas de propriétés communes réelles qui seraient la "référence" du terme" espèce".

Où situer Spinoza par rapport à ces trois possibilités ... ?

Enegoid a écrit :il y a quelque chose dans l'essence singulière de "Louisa", ainsi que dans l'essence du genre "interlocuteur de Louisa" quelque chose qui fait que les Dialogues tournent facilement à l'épreuve d'endurance un peu surréaliste...c'est peut-être le charme du forum ?


oui peut-être .. :? .
Mais on touche peut-être ici aussi aux "conséquences pratiques/éthiques" de la possibilité de travailler avec la notion d'essence de genre. Car Spinoza ne dit-il pas quelque part que selon l'essence les choses conviennent toujours les unes avec les autres, que ce n'est qu'en tant qu'ils sont soumis aux passions qu'il peut y avoir de la "discorde" (ce qui n'a rien avoir avec une divergence par rapport aux opinions défendues)? Si oui, il faudrait partir de l'idée qu'en réalité, l'essence singulière de quiconque sur ce forum convient toujours déjà avec l'essence singulière de quiconque d'autre, et que ce ne peut être qu'à cause de choses "accidentelles" que des problèmes entre interlocuteurs surgissent. Des "similitudes" entre des passions de plusieurs intervenants ne pourraient alors suffire pour déjà constituer un "genre" réel, encore moins une "essence de genre"?

Enfin, encore une fois, je crois qu'avec ce que votre message ici ouvre, comme questions, on est en ce qui me concerne arrivé à l'endroit où de nouveaux points d'interrogation quant à l'essence spinoziste surgissent, donc voilà ce qui est intéressant.
Amicalement,
L.

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Julien_T
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Messagepar Julien_T » 28 nov. 2008, 08:29

A Louisa,

Les alternatives que tu poses à la problématique du nominalisme sont fausses. Comme le dit Leibniz, qui est en accord avec Spinoza sur ce point, les notions générales (que l’on exprime par des définitions soit « simplement nominales et provisionnelles » pour les choses physiques en tant qu’on épuise jamais la description de toutes leurs propriétés apparentes et internes, dont dépendent les premières, soit par des définitions réelles qui montrent « la possibilité idéale » de la chose) sont « fondées sur la réalité », c’est-à-dire sur « la structure interne des choses ». Une notion ou idée générale, abstraite, exprime un contenu idéal d’essence spécifique de quelque degré de généralité, du genre le plus « général » à « l’espèce la plus infime » ou dernière. Si quelque chose est dit de quelque chose, alors un signe est utilisé qui par essence peut servir à référer à une réalité ou propriété semblable instanciée dans un autre individu, c’est-à-dire peut signifier une chose similaire dans une autre occurrence, sans quoi il n’y a pas communication, et d’usage de signe. Et cela est soutenu par un des plus grands, si ce n’est le, représentants du principe des indiscernables, selon lequel toute monade est toujours absolument singulière, d’une unité et unicité qui ne sauraient jamais être en rien « parfaitement semblables à une autre ». Ca ne te dis rien ? Cela devrait sérieusement ébranler les convictions que tu nous exposes sur ce sujet depuis un moment ! Tu rabâches sans cesse qu’une propriété commune ne constitue pas l’essence singulière de la chose, et nous te répondons qu’effectivement, cela est un truisme, et nous ajoutons alors pour préciser : une propriété commune ne saurait à elle seule constituer une essence singulière. Mais cette formulation est risquée, car ce n’est pas non plus un ensemble de propriétés communes qui constitue une essence singulière, comme un sac contiendrait une somme de déterminations hétérogènes, indépendantes et juxtaposées. Tu dois te défaire de cette image inadéquate à exprimer les relations essentielles de nos idées aux choses. Il te faut comprendre que la singularité même de la chose, dans son unicité pure de toute abstraction ou propriété commune tirée de, doit bien avoir un contenu pour être dite être une forme riche de quelque manière et matière. Sinon c’est une pure forme vide, un X vide dont tu ne peux qu’assener la singularité comme tu le fais dans tous tes posts. Quand quelqu’un te demande, « tiens, toi qui connaît Pierre, tu l’aimes bien ? Il est comment ? », tu lui réponds : « Pour dire vrai, Pierre est une absolue singularité dont je ne peux rien te dire qui soit constitutif de son essence singulière, ni même de l’essence singulière de chacune de ses actions, habitudes, passions, de ses dispositions apparentes, de ses centres d’intérêts et types de comportements. Quoi que je dise de quoi que ce soit de Pierre, propriété essentielle ou accidentelle, je manquerai toujours la singularité de la chose que je vise. Je préfère donc ne rien dire, si ce n’est que toute chose est singularité, et que je ne peux pas plus exprimer ce qui constitue l’essence de Pierre que celle d’une amibe.
Donc la connaissance intuitive du troisième genre selon Spinoza est pour toi la connaissance chaque fois d’une forme vide susceptible d’aucun contenu, aucun remplissement.
Seulement tu reconnais qu’il nous est nécessaire de continuer de parler des choses, de communiquer certaines de leur propriétés pour interagir avec elles. Si tu veux pouvoir être aidée dans ton déménagement par Pierre, tu as intérêt à savoir qu’il est doté d’une forte constitution physique. Et là, tu fais de nos idées générales, par lesquelles nous exprimons toujours imparfaitement, et de manière jamais exhaustive, quelque facette partielle d’une réalité, juste une « façon de penser qui ne réfère à rien de réel ». Mais qui peut soutenir une telle ineptie ? Cela fait partie de l’essence même de la signification, et du parler qui l’actualise, de référer à quelque réalité extérieure au signe ou à l’idée. Comme je te l’ai déjà dit sur un autre topic, en signifiant, pensant, parlant ou communiquant, tu ne peux que viser chaque fois quelque chose qui est. Avec un nom propre, tu vises une chose singulière existant factuellement. Avec une idée abstraite, tu vises des structures internes aux choses, des rapports (de mouvement et de repos par exemple), des propriétés internes des choses : la composition moléculaire de l’or, la pression d’un type de gaz corrélée à telle température circonstancielle, la capacité pour Louisa et ses semblables de réfléchir convenablement à la problématique des abstractions… Mais chaque idée générale censée déterminer une facette, une perspective, une esquisse de la chose singulière fait à son tour intervenir d’autres idées pour être comprise et définie, jusqu’aux idées les plis simples, primitives dont le contenu est immédiatement donné par l’intuition. Et là, tu ne peux rien dire d’autres que le nom qui exprime cette intuition, comme l’idée simple de bleu par exemple, bien que Leibniz affirme cette idée claire mais non distincte en elle même, c’est-à-dire confuse puisque nous n’avons pas connaissance distincte des éléments qui la compose, aussi bien ceux de la chose physique que les petites perceptions inconscientes de notre réception. Mais diantre, laisse nous espérer que la substance monadique de Louisa est autrement plus riche que l’idée de bleu, et qu’il nous est possible d’apercevoir certaines causes en elle des phénomènes qu’elle manifeste, qu’ainsi il est possible en s’approchant toujours progressivement de ses rapports et structures internes de conjecturer certaines capacités ou facultés en elle qui répondent plus ou moins semblablement à celles de l’espèce d’humaine. Sinon je ne vois pas de raison de t’écrire ce post et de nourrir quelque expectation.
Modifié en dernier par Julien_T le 28 nov. 2008, 20:17, modifié 3 fois.

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Messagepar Louisa » 28 nov. 2008, 15:15

Julien_T a écrit :Il te faut comprendre que la singularité même de la chose, dans son unicité pure de toute abstraction ou propriété commune tirée de, doit bien avoir un contenu pour être dite être une forme riche de quelque manière et matière. Sinon cest une pure forme vide, un X vide dont tu ne peux quassener la singularité comme tu le fais dans tous tes posts.


Bonjour Julien,

merci de tes remarques. En fait, je crois qu'il y a un malentendu. Dire que de la Définition 2 de l'E2 se déduit qu'aucune propriété commune ne peut constituer une essence, ce n'est pas dire que toute essence est vide. C'est juste dire qu'elle n'est pas "remplie" par des propriétés communes.

A mon avis Spinoza est tout à fait explicite lorsqu'il s'agit de dire de quoi est constitué l'essence singulière de tel ou tel homme: de modifications précises de l'attribut de la Pensée et de l'attribut de l'Etendue. Ce qui constitue Pierre, comme il le dit dans le TIE(B33-36, G14-15), c'est l'essence formelle de Pierre et l'essence objective de Pierre, ou comme il le reprend dans l'Ethique, tel corps et tel esprit (E2P10 corollaire), autrement dit tel mode précis et déterminé de l'Etendue et tel mode précis et déterminé de la Pensée (sachant que dans le cas de l'homme il s'agit de modes "composés" d'un grand nombre d'autres modes). Ce qui constitue l'Esprit de Pierre, c'est donc non pas une propriété commune mais une idée, idée composée de nombreuses autres idées, si bien qu'en l'E3P11 démo Spinoza peut dire que:

"L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates".

Idem en ce qui concerne le Corps humain (E2 Postulat 1, par ex.).
Cordialement,
L.

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Messagepar Julien_T » 28 nov. 2008, 19:58

(J'ai reposté mes remarques rendues illisibles par la disparition des apostrophes à cause d'une connexion via mon portable)

C'est toujours pareil Louisa, "ce qui constitue [l'essence singulière] de Pierre, c'est l'essence formelle et l'essence objective de Pierre" nous dis-tu. Ce qui constitue l'essence de l'esprit de l'homme, c'est d'être un esprit, une modification spirituelle; ce qui constitue l'essence singulière d'un corps, c'est d'être une modification corporelle singulière. C'est parfait comme ça? Tu as de quoi déterminer le singulier plus qu'un rustre réaliste des espèces? Tu as tout ce qu'il te faut avec ça pour les "constituer" tes essences singulières? Je ne vois pourtant que des idées très générales, potentiellement très vagues, incertaines et confuses, chacun de nous remplissant ces significations par des intuitions très différentes. Que tu prennes l'expression "mode précis et déterminé de l'attribut Pensée" pour une idée générale abstraite référant à une réalité générale, ou bien pour une idée particulière référant à l'idée singulière réelle du mode existant, dans tous les cas, tu dois te rendre compte que tu ne dis rien de l'essence singulière en question. A la limite, tu peux nous dire que tout se passe dans ta tête, dans tes intuitions qui te donnent l'objet singulier dans toute sa plénitude concrète sans aucune médiation de signification, image, idées ou expression. Mais rien ne nous oblige à te croire, et même nous pouvons t'opposer notre expérience: quand je pense à Pierre, chaque fois il me vient à l'esprit des déterminations particulières, fût-ce de manière fugace et anté-langagière, non exprimée.
Modifié en dernier par Julien_T le 02 déc. 2008, 13:43, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 29 nov. 2008, 00:40

Julien_T a écrit :Ce qui constitue l'essence de l'esprit de l'homme, c'est d'être un esprit, une modification spirituelle; ce qui constitue l'essence singulière d'un corps, c'est d'être une modification corporelle singulière. C'est parfait comme ça? Tu as de quoi déterminer le singulier plus qu'un rustre réaliste des espèces? Tu as tout ce qu'il te faut avec ça pour les "constituer" tes essences singulières? (...) A la limite, tu peux nous dire que tout se passe dans ta tête, dans tes intuitions qui te donnent l'objet singulier dans toute sa plénitude concrète sans aucune médiation de signification, image, idées ou expression. Mais rien ne nous oblige à te croire,(...)


Cher Julien,
je ne crois pas que nous parlons de la même chose. Pour moi, la question est de savoir si chez Spinoza les essences sont, en tant qu'essences, singulières ou "générales" (c'est-à-dire s'appliquent à plusieurs Individus à la fois). Tout ce que j'ai dit était une recherche de réponse à cette question. Je ne suis pas en train de parler de moi, ou de ce que moi je trouverais de la singularité. Et bien sûr rien n'oblige qui que ce soit à me croire (notamment parce que je cherche encore moi-même, puis bon, en général il ne faut pas aller sur un forum de discussion si ce qu'on cherche ce sont des adeptes ...).
Si donc tu trouves que non, chez Spinoza les essences ne sont pas singulières, je ne peux que te demander ce qui dans le texte te le fait penser et pourquoi, et ce qui selon toi cloche dans l'analyse de l'E2 Définition 2 telle que je l'ai proposée et qui à mon sens oblige à ne reconnaître chez Spinoza que des essences singulières. Si en revanche tu voulais simplement dire que tu préfères travailler personnellement avec des essences au sens traditionnel du terme, alors très bien, cela ne me dérange aucunement.
L.

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Messagepar Sinusix » 30 nov. 2008, 17:42

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit : Je résume donc brièvement.
1/ Oui, il n'existe, chez Spinoza, dans ma compréhension, d'essences que singulières de même qu'il n'existe de choses que singulières. Le parallélisme ne l'impose-t-il pas ?.
2/ Oui, la majorité des commentateurs que j'ai lus (dont Martial Guéroult)classent Spinoza parmi les nominalistes, dans le sens scolastique où vous l'entendez.


Ok, dans ce cas nous sommes d'accord là-dessus.
(Puisque pas tous sur ce forum sont convaincus de la singularité de l'essence: en quoi le parallélisme est-il pour vous un argument pro cette thèse?)


Je vais essayer d'être bref, étant précisé que Julien_T me paraît avoir été percutant sur le sujet.
Pour les besoins de la chose, je me permets de faire un retour en arrière "scolaire" en empruntant à Lucien Sève (Une introduction à la philosophie marxiste) quelques truismes.
La consistance véritable des choses se situe au delà de ce qu'en reflète la connaissance sensible, et ne peut être atteinte que par une connaissance d'un autre ordre : celle non plus des sens mais de l'intellect (ou entendement selon les traducteurs). La pensée conceptuelle marque donc bien un détachement par rapport à la réalité empirique, c'est-à-dire telle qu'elle m'apparaît dans l'expérience sensible, mais c'est un détachement fécond, car par ce détour elle saisit, semble-t-il, au sein de l'existence sensible encore confuse et superficielle une réalité intelligible plus précise et plus profonde : son essence. Puisque les sens nous trompent, on ne peut atteindre les choses sans s'élever à l'intelligence de leur essence.
Je m'arrêterai donc à ce simple niveau, qui hante plus de deux mille ans de réflexion, à savoir la distinction entre existence sensible et essence intelligible. Au terme de cette position classique du problème, l'auteur,
définit l'essence comme l'ensemble des propriétés nécessaires et invariables d'une réalité.
Cette définition m'apparaît logique (et autorise donc une analyse de l'essence, tant en extension qu'en compréhension) et place donc bien l'essence comme contenu accessible à l'entendement (l'intelligible) d'une chose singulière. Autrement dit, avoir l'idée d'une chose singulière, c'est bien pour l'entendement concevoir son essence objective, laquelle n'est pas encore percevoir son essence formelle. Par conséquent, en raison du parallélisme, s'il n'y a que des choses singulières, il n'y a que des essences singulières, l'essence étant le reflet isomorphe, dans la pensée, de la chose singulière, dans l'Etendue.
Comme j'utilise une fois encore le terme isomorphe sur lequel un contresens m'apparaît possible, j'en précise l'utilisation que j'en fais, en fonction de la définition mathématique du terme.
En effet, dire que le parallélisme (E2P7) est un isomorphisme entre l'Attribut Pensée et l'attribut Etendue signifie ceci :
1/ Si j'appelle X la loi de composition des corps dans l'Etendue (le commerce des corps) ;
2/ Si j'appelle + la loi de composition des idées dans la Pensée (le commerce des idées),
on dit qu'il y a isomorphisme si : idée de (corps A X corps B) = idée de corps A + idée de corps B. S'agissant d'un isomorphisme, la relation est bijective, mais à manier avec prudence pour ne pas tomber dans le créationisme.
J'observe d'ailleurs que, toujours en termes mathématiques, ces relations sont un automorphisme de la substance unique.
A cet égard, puisque vous m'opposez plus bas que le spinozisme n'est pas un matérialisme, et sans entrer dans les détails qui me le font considérer comme tel, je crains d'entrevoir dans certaines de vos formulations que loin d'être moniste, vous ne soyez en fait dualiste, excipant du caractère effectivement réel de l'Attribut Pensée, pour lui donner une réalité "autonome", ce que le spinozisme interdit (et c'est en cela que je me dit matérialiste en tant que me fixant sur une substance absolument unique), au travers d'un dualisme de propriétés, lequel conduit à ce que d'aucuns appellent panpsychisme et vous fait accorder une conscience de soi à la pierre ou au sac papier.

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Car, au final, je ne vois pas qu'une lecture de l'Ethique "pratique" soit bouleversée par la qualification que l'on donne aux propriétés.
Si aucun ordonnancement des connaissances humaines n'est possible, dans quelque domaine que ce soit, sans que revienne cette confusion, nous resterons sur un dialogue de sourds, ce qui prouve au demeurant que le spinozisme s'applique avec autant de pertinence dans le domaine des idées, chacun finalement n'ayant accès qu'à la lecture correspondant à sa propre nature, sans pouvoir accéder à celle de l'autre.


Ici par exemple la question par rapport à l'interfécondité me semble être la suivante: à partir du moment où l'on dit qu'il n'y a de réel que singulier dans le spinozisme (y compris l'essence de Dieu, puisqu'il n'y a qu'une seule essence divine, et pas deux dans le même "genre"), et que les propriétés n'existent pas "en soi", ne sont pas des choses singulières elles-mêmes, faut-il dire que l'interfécondité est la même dans toutes les choses où on la trouve, ou est-elle un peu différente selon les deux êtres vivants concrets qui produisent un enfant non stérile? Si elle est toujours différente, peut-elle appartenir à l'essence de chaque membre d'une espèce? Si non (donc si l'interfécondité est la même chez tous), on peut parler aussi bien d'interfécondité que d'espèces, au sens où dans ce cas les deux termes réfèrent au même aspect du réel. Mais alors, qu'est-ce qui nous empêche de dire qu'il appartient à l'essence d'une espèce de posséder la propriété d'interfécondité (et alors, me semble-t-il, on s'approche de la lecture que nous propose Sescho)?. Or dans ce cas on aboutit au problème suivant: si toute essence est singulière, celle d'une espèce devrait l'être aussi, et alors l'essence de l'espèce X ne peut pas avoir en commun avec l'essence de l'espèce Y la propriété de l'interfécondité, bref dans ce cas on ne peut pas prendre le critère de l'interfécondité comme ce qui distingue deux espèces, tandis que c'est précisément ce que cette notion nous permet de faire.

Bref, à mon avis il est difficile de s'en sortir juste en regardant ce qu'on fait en science aujourd'hui. Il faudrait plutôt poursuivre nos efforts pour approfondir nos lectures du texte de Spinoza lui-même pour essayer de davantager clarifier les choses et pour essayer de trouver l'interprétation et les arguments capables de résister à toute critique.
Amicalement,
L.


Votre deuxième réponse ci-dessous me confirme que nos approches semblent inconciliables parce que vous semblez raisonner comme une Idéaliste (au sens philosophique), à savoir que pour vous, sinon pourquoi ces blocages et retours en arrière, l'essence existe objectivement comme réalité spirituelle à part des choses (car en effet, si on n'y prend garde, ambiguïté de lecture possible du spinozisme, tout étant en Dieu et les essences étant éternelles, on risque de réintroduire une substantialisation distincte de la pensée, donc des essences, "quelque part", et donc finalement être Cartésien et/ou Chrétien sans le savoir). Ce n'est pas mon point de vue.
A partir du moment où l'essence est ce que l'entendement conçoit de la chose singulière, nous devons rester dans la pensée et, par construction, manier des concepts de l'entendement dont il nous appartient de vérifier qu'ils constituent des idées adéquates donc vraies. A ce titre, et dans ce contexte, et comme spinoza/Descartes ne cessent de le dire du triangle, les propriétés du triangle se déduisent génétiquement de son essence. Il est donc pour moi absurde, toute révérence gardée, de dire qu'une essence singulière ne peut être constituée de propriétés communes, même en partie, sinon elle ne serait pas singulière. J'ajoute que penser autrement fait s'effondrer tout le spinozisme, sinon comment Pierre et Marie, après un moment d'extase que je dédie volontiers à Korto que je comprends chaque jour un peu mieux, pourraient-ils engendrer Paul ou Caroline, compte tenu de E1P3 !!
Que dire alors de l'essence de n'importe quel code d'accès en banque dont il suffit que vous modifiiez une seule donnée sur un ensemble pour être rejetée. L'essence singulière du code, comme le code génétique de n'importe quel être vivant, est d'être distinct sur quelques loci, et cela suffit pour singulariser l'être concerné. Donc oui, je le redis une énième fois, et pour moi le spinozisme s'effondre, et pas que lui j'en suis sûr à cet instant, si une essence singulière n'est pas constituée, par exemple celle de l'homme Pierre par rapport à l'homme Paul, d'avantage de propriétés communes (donc de concepts de l'entendement qui reflètent des réalités de rapports de mouvement et de repos selon votre langage) que de propriétés distinctes, propriétés qui elles-mêmes, particularité humaine, sont programmées pour reposer essentiellement sur des faits de culture que sur des faits de nature.
Il ne faut donc pas, à partir du moment où on ne fait pas de l'essence une réalité spirituelle "autonome", opposer leur caractère "d'abstraction intellectuelle" pour refuser l'utilisation desdits concepts à la définition de l'essence, parce que nous sommes dans le domaine de l'entendement. Il importe en revanche d'être assurés que lesdits concepts ne relèvent pas de l'imagination mais reflètent bien la réalité des rapports concernés (comme l'interfécondité).
A partir de ce moment, il n'est pas logique d'isoler le concept d'interfécondité comme vous le faîtes (qui laisse donc penser que vous donnez à chaque concept, pour vous opposer à leur placement logique, une réalité substantielle de même nature que celle que vous semblez attribuer à l'essence). Le concept, s'agissant d'un concept, est utilisable, selon l'embranchement dans lequel on l'utilise à un niveau variable tout en décrivant le même processus réel.
C'est pourquoi il ne m'apparaît pas fécond de vouloir rester, en 2008, sur la lettre de la démarche explicative mécaniciste (que je continue de qualifier de naïve) de Spinoza, mais d'en comprendre l'esprit, à la lumière des découvertes sientifiques ultérieures (chimiques et biologiques). Essayez d'appliquer une seule loi de mécanique au fonctionnement du corps humain, à part malheureusement la défenestration ou la mort de Cyrano. Et surtout, ne citez pas l'effet Doppler, qui n'a rien à faire dans l'histoire et n'est que la manifestation de la modification du signal reçu par un récepteur "fixe" par rapport à un émetteur "mobile" et qui permet par exemple de savoir que la voiture de pompiers s'éloigne ou s'approche et que l'univers est en expansion, solide problème philosophique) !
Je persiste encore dans ce que j'ai dit sur la multiplicité des rapports constitutifs de l'être humain, fait d'une multitude d'individus. L'extraction que vous faites du Lemme VI, comme il vous arrive parfois, est incomplète. Or, il est bien écrit, au niveau de l'individu : "..... de telle sorte qu'ils puissent continuer leurs mouvements, et se les communiquer les uns aux autres selon le même rapport qu'avant...."
Enfin, et dernier point, je dis que la connaissance du 2ème genre est intuitive-déductive parce que Spinoza, comme Descartes, le dit lui-même
partout, ce que tous les mathématiciens savent, et que toute l'Ethique est construite sur ce principe à partir des définitions : Toute démonstration aboutissant à une idée vraie part d'un premier temps qui, si on devait reprendre l'enchaînement depuis le début, sans tenir compte des résultats intermédiaires "définitivement acquis" (merci à la culture et vive la noosphère) repose sur une première idée vraie, laquelle n'est pas démontrable, mais relève de l'intuition directe de l'idée vraie. Au reste, et comme le dit Alain dans son petit opuscule sur Spinoza, toute démonstration n'avance que parce que, à chaque pas nouveau, nous avons l'intuition de la vérité de ce que nous continuons à exprimer. Bref, aucune déduction ne peut être faite sans qu'elle repose sur une première intuition ou idée commune directement accessible à l'entendement, et tel est le sens de la majorité des définitions et Axiomes de l'Ethique.
En espérant que nous puissions passer à autre chose.
Amicalement

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Messagepar Louisa » 03 déc. 2008, 20:48

Sinusix a écrit :Pour les besoins de la chose, je me permets de faire un retour en arrière "scolaire" en empruntant à Lucien Sève (Une introduction à la philosophie marxiste) quelques truismes.
La consistance véritable des choses se situe au delà de ce qu'en reflète la connaissance sensible, et ne peut être atteinte que par une connaissance d'un autre ordre : celle non plus des sens mais de l'intellect (ou entendement selon les traducteurs). La pensée conceptuelle marque donc bien un détachement par rapport à la réalité empirique, c'est-à-dire telle qu'elle m'apparaît dans l'expérience sensible, mais c'est un détachement fécond, car par ce détour elle saisit, semble-t-il, au sein de l'existence sensible encore confuse et superficielle une réalité intelligible plus précise et plus profonde : son essence. Puisque les sens nous trompent, on ne peut atteindre les choses sans s'élever à l'intelligence de leur essence.
Je m'arrêterai donc à ce simple niveau, qui hante plus de deux mille ans de réflexion, à savoir la distinction entre existence sensible et essence intelligible.


Bonjour Sinusix,
à mon sens, cette conception du sensible et de l'intelligible est avant tout une conception parmi d'autres, conception qui comme toute idée humaine ne hante que ceux qui y adhèrent. Spinoza me semble précisément être un excellent exemple du fait que l'on peut tout aussi bien penser les choses fort différemment. Au lieu de mettre l'essence dans l'intelligible (ou dans le spirituel, ou dans la pensée), et l'existence dans le sensible (ou dans le corporel), Spinoza nous offre l'occasion de penser les choses radicalemen différemment: une chose singulière a aussi bien une essence objective (= idée, appartenant à l'attribut de la Pensée) qu'une essence formelle (= par exemple le corps, appartenant à l'attribut de l'Etendue). Les deux, essence objective ou idée ou Esprit, et essence fomelle ou Corps, expriment exactement la même chose (res) singulière. Exit la dramaturgie chrétienne qui a décidé de faire du corps la source de tous les maux et de l'esprit ce qui constituerait l'aspect "noble" de l'être humain. Dans le spinozisme, cette hierarchie corps-esprit est remplacé par le parallélisme. Ici, pour pouvoir être plus dans le vrai, il faut cultiver son corps au lieu de le mépriser, il faut le rendre "apte à être affecté de plus de manières" (E4P38), si bien que "qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses, a un Esprit dont la plus grande part est éternelle" (E5P39). D'ailleurs, notre éternité n'est pas purement "spirituelle" chez Spinoza, puisqu'il s'agit d'une chose que nous "sentons et expérimentons".

Bref, à mon sens il faut être très prudent lorsqu'on lit un philosophe, car on a tous tendance à supposer que les idées dont on ne doute pas soi-même sont également défendues par le philosophe en question, tandis que lire de la philosophie de manière philosophique permet précisément de se rendre compte du fait qu'absence de doute ne signifie pas encore vérité, qu'il y a un tas d'autres manières de penser possibles, et tout aussi indémontrables que ce que l'on tient aujourd'hui communément pour vrai.

Sinusix a écrit : Au terme de cette position classique du problème, l'auteur,
définit l'essence comme l'ensemble des propriétés nécessaires et invariables d'une réalité.


ma question serait donc:
- où est-ce que selon vous Spinoza reprend la position qui vous semble être la plus évidente? Quels passages du texte vous le font penser et pourquoi?
- où Spinoza définit-il l'essence comme un ensemble de propriétés?

Sinusix a écrit :Cette définition m'apparaît logique (et autorise donc une analyse de l'essence, tant en extension qu'en compréhension) et place donc bien l'essence comme contenu accessible à l'entendement (l'intelligible) d'une chose singulière.


ok, mais pour moi d'une part ceci correspond trop à l'opinion commune d'aujourd'hui pour pouvoir déjà penser d'emblée que Spinoza, il y a 4 siècles et dans un tout autre contexte sociopolitique et culturel, le pensait aussi, d'autre part il me semble que des passages cruciaux du texte lui-même s'y opposent et nous obliger à repenser à nouveaux frais ce qu'est l'essence non pas en général, mais chez Spinoza (je viens d'en donner quelques-un ci-dessus et dans mes messages précédents à ce sujet; toute critique non pas de ces idées en tant que telles mais de leur adéquation au texte est la bienvenue).

Sinusix a écrit :Autrement dit, avoir l'idée d'une chose singulière, c'est bien pour l'entendement concevoir son essence objective, laquelle n'est pas encore percevoir son essence formelle. Par conséquent, en raison du parallélisme, s'il n'y a que des choses singulières, il n'y a que des essences singulières, l'essence étant le reflet isomorphe, dans la pensée, de la chose singulière, dans l'Etendue.


je ne crois pas qu'on puisse dire que dans le spinozisme il n'y a que des choses singulières. Les choses singulières, dans le spinozisme, sont finies et déterminées (E1P28), tandis qu'il y a d'autres choses encore qui ne le sont pas (les attributs sont infinis, les modes immédiats et médiats sont infinis). Spinoza ne dit pas que Dieu n'est qu'un ensemble de modes (comment le pourrait-il, puisque par définition un mode est une affection d'une essence d'autre chose que lui-même?), il dit que Dieu est un ensemble d'attributs et de modes. Autrement dit, là où Sescho me semble restreindre la divinité aux seuls attributs, il me semble que vous faites l'opération inverse: vous la limitez aux seuls modes ou choses singulières.

Puis même s'il n'y avait que des choses singulières, je ne vois pas en quoi cela nous obligerait en tant que tel d'abandonner l'idée d'essence de genre. Surtout que vous adoptez la position où l'essence n'est qu'une idée, n'existe que dans l'entendement. A partir de ce moment-là, vous pouvez très bien dire que l'essence de l'espèce humaine n'est qu'une idée, et alors toute essence est non pas singulière, mais générale (générique ou spécifiante). Si à mon sens il n'y a que des essences singulières dans le spinozisme, c'est parce que la définition 2 de l'Ethique ne laisse pas d'autre possibilité (raison pour laquelle j'espère qu'un jour quelqu'un va réfuter l'analyse que j'ai proposée de cette définition, car c'est là que tout commence; on peut bien sûr opter pour une autre méthode de lecture, plus globale, moins basée sur des analyses détaillées, mais je crains que dans ce cas on risque d'en rester principalement à ses propres préjugés, sans trop pénétrer le texte et donc la pensée même du spinozisme (puisqu'on peut toujours se dire que si telle ou telle interprétation est contradictoire avec ce qui se déduit de prime abord de telle ou telle proposition, alors c'est notre déduction ou analyse qui doit être fausse, sans plus, c'est-à-dire sans preuve)).

Sinusix a écrit :Comme j'utilise une fois encore le terme isomorphe sur lequel un contresens m'apparaît possible, j'en précise l'utilisation que j'en fais, en fonction de la définition mathématique du terme.
En effet, dire que le parallélisme (E2P7) est un isomorphisme entre l'Attribut Pensée et l'attribut Etendue signifie ceci :
1/ Si j'appelle X la loi de composition des corps dans l'Etendue (le commerce des corps) ;
2/ Si j'appelle + la loi de composition des idées dans la Pensée (le commerce des idées),
on dit qu'il y a isomorphisme si : idée de (corps A X corps B) = idée de corps A + idée de corps B. S'agissant d'un isomorphisme, la relation est bijective, mais à manier avec prudence pour ne pas tomber dans le créationisme.
J'observe d'ailleurs que, toujours en termes mathématiques, ces relations sont un automorphisme de la substance unique.


ici aussi j'avoue que j'ai un problème plutôt d'ordre méthodologique. Inventer un nouveau sens pour un mot, à mon avis c'est tout un art, et il faut toute une philosophie pour pouvoir donner à ce nouveau sens une quelconque consistance. C'est donc précisément cela, le métier du philosophe. Cela a deux conséquences:
- pour comprendre telle ou telle philosophie, il faut être prêt à abandonner le sens que l'on donne soi-même d'habitude ou par décision aux mots, il faut devenir attentif au sens que le texte, au fur et à mesure qu'il se déploie, leur donne
- on peut soi-même redéfinir les sens des mots, mais sans y ajouter une nouvelle pensée philosophique, on risque de ne pas être clair du tout.

Appliqué à la façon dont vous traitez ici le mot "isomorphe": d'abord ce mot n'est pas dans le texte de Spinoza, puis le mot "forme" ("morphè"), qui en philosophie a une longue histoire de sens fort différents selon telle ou telle pensée, acquiert dans le spinozisme (comme dans toutes les autres philosophies) un sens tout à fait propre, propre au spinozisme. Spinoza oppose ainsi l'essence objective à l'essence "formelle", et ne parle de "forme" que lorsqu'il s'agit d'une union de "corps". Dans les deux cas, la notion de forme sert donc à désigner quelque chose qui n'est pas une idée. A partir de ce moment-là, on ne peut plus l'utiliser pour désigner le rapport entre une idée et quelque chose qui n'est pas une idée (un corps par exemple), ou le rapport entre l'attribut de la Pensée et l'attribue de l'Etendue, puisque justement, Spinoza nous invite à changer de vocabulaire, afin de pouvoir penser les choses autrement que ce qu'on pense déjà soi-même. Le parallélisme se fait entre quelque chose qui a une forme d'une part, et une idée d'autre part. Parler d'une quelconque "isomorphie", dans ces circonstances, me semble être difficile.

Sinusix a écrit :A cet égard, puisque vous m'opposez plus bas que le spinozisme n'est pas un matérialisme, et sans entrer dans les détails qui me le font considérer comme tel, je crains d'entrevoir dans certaines de vos formulations que loin d'être moniste, vous ne soyez en fait dualiste, excipant du caractère effectivement réel de l'Attribut Pensée, pour lui donner une réalité "autonome", ce que le spinozisme interdit (et c'est en cela que je me dit matérialiste en tant que me fixant sur une substance absolument unique), au travers d'un dualisme de propriétés, lequel conduit à ce que d'aucuns appellent panpsychisme et vous fait accorder une conscience de soi à la pierre ou au sac papier.


dans le spinozisme, les attributs ont bel et bien une réalité autonome, puisqu'ils se conçoivent par soi (E1P10). Seulement, dans le spinozisme cette multiplicité infinie d'attributs n'est pas le contraire d'une unité (ou plutôt unicité) de la substance. Donner autant de réalité (à savoir une réalité infinie, un être éternel et infini) à chaque attribut considéré seul ne s'oppose nullement au monisme. Bien sûr, il faut tout un travail avant de pouvoir bien saisir en quoi consiste ce genre de monisme, travail que les commentateurs poursuivent jusqu'à présent. Mais à mon sens cela signifie qu'on ne peut pas comprendre le spinozisme lorsqu'on pense d'une telle façon qu'ou bien il ne peut y avoir qu'un seul attribut (celui de l'Etendue; matérialisme) ou bien on doit être dans un dualisme. Donc encore une fois, je crois qu'ici aussi lire Spinoza signifie apprendre à penser autrement.

Sinon rappelons que je ne parle pas ici de "ma" position à moi. On peut très bien être matérialiste et constater que le spinozisme quant à lui n'est pas un matérialisme. Les "croyances personnelles" n'ont pas grand-chose à voir avec une explication de texte. C'est la raison pour laquelle pour moi c'est beaucoup plus utile de lire une objection contre l'une ou l'autre idée que je propose par rapport au spinozisme et qui réfère au texte que de juste entendre des objections contre tout ce qui ne serait pas un matérialisme, car dans ce dernier cas on parle tout simplement de deux questions différentes (première question: "le spinozisme est-il un matérialisme?", deuxième question: "faut-il croire ou non dans le matérialisme?").

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Car, au final, je ne vois pas qu'une lecture de l'Ethique "pratique" soit bouleversée par la qualification que l'on donne aux propriétés.
Si aucun ordonnancement des connaissances humaines n'est possible, dans quelque domaine que ce soit, sans que revienne cette confusion, nous resterons sur un dialogue de sourds, ce qui prouve au demeurant que le spinozisme s'applique avec autant de pertinence dans le domaine des idées, chacun finalement n'ayant accès qu'à la lecture correspondant à sa propre nature, sans pouvoir accéder à celle de l'autre.


Ici par exemple la question par rapport à l'interfécondité me semble être la suivante: à partir du moment où l'on dit qu'il n'y a de réel que singulier dans le spinozisme (y compris l'essence de Dieu, puisqu'il n'y a qu'une seule essence divine, et pas deux dans le même "genre"), et que les propriétés n'existent pas "en soi", ne sont pas des choses singulières elles-mêmes, faut-il dire que l'interfécondité est la même dans toutes les choses où on la trouve, ou est-elle un peu différente selon les deux êtres vivants concrets qui produisent un enfant non stérile? Si elle est toujours différente, peut-elle appartenir à l'essence de chaque membre d'une espèce? Si non (donc si l'interfécondité est la même chez tous), on peut parler aussi bien d'interfécondité que d'espèces, au sens où dans ce cas les deux termes réfèrent au même aspect du réel. Mais alors, qu'est-ce qui nous empêche de dire qu'il appartient à l'essence d'une espèce de posséder la propriété d'interfécondité (et alors, me semble-t-il, on s'approche de la lecture que nous propose Sescho)?. Or dans ce cas on aboutit au problème suivant: si toute essence est singulière, celle d'une espèce devrait l'être aussi, et alors l'essence de l'espèce X ne peut pas avoir en commun avec l'essence de l'espèce Y la propriété de l'interfécondité, bref dans ce cas on ne peut pas prendre le critère de l'interfécondité comme ce qui distingue deux espèces, tandis que c'est précisément ce que cette notion nous permet de faire.

Bref, à mon avis il est difficile de s'en sortir juste en regardant ce qu'on fait en science aujourd'hui. Il faudrait plutôt poursuivre nos efforts pour approfondir nos lectures du texte de Spinoza lui-même pour essayer de davantager clarifier les choses et pour essayer de trouver l'interprétation et les arguments capables de résister à toute critique.


Votre deuxième réponse ci-dessous me confirme que nos approches semblent inconciliables parce que vous semblez raisonner comme une Idéaliste (au sens philosophique), à savoir que pour vous, sinon pourquoi ces blocages et retours en arrière, l'essence existe objectivement comme réalité spirituelle à part des choses (car en effet, si on n'y prend garde, ambiguïté de lecture possible du spinozisme, tout étant en Dieu et les essences étant éternelles, on risque de réintroduire une substantialisation distincte de la pensée, donc des essences, "quelque part", et donc finalement être Cartésien et/ou Chrétien sans le savoir). Ce n'est pas mon point de vue.


idem. Je ne parle pas de moi, je parle du texte de Spinoza. Comment dire que dans le spinozisme l'essence n'existe pas objectivement, si Spinoza dit que toute idée vraie est une essence objective, et que les idées ne sont que des modes d'un attribut ayant chacunes leur propre degré de réalité? Tandis qu'à côté des essences objectives, il y a des essences formelles, qui eux aussi ont une existence actuelle (dans les deux sens que Spinoza donne à ce mot: elles existent "en Dieu", et elles existent "dans un temps et un lieu précis" (du moins pendant une certaine durée)).

Si vous croyez que les essences chez Spinoza ne sont "que" des idées, et n'existeraient pas en dehors de l'entendement humain, sur quels passages du texte vous basez-vous, et comment en déduisez-vous cette hypothèse interprétative?

Sinusix a écrit :A partir du moment où l'essence est ce que l'entendement conçoit de la chose singulière, nous devons rester dans la pensée et, par construction, manier des concepts de l'entendement dont il nous appartient de vérifier qu'ils constituent des idées adéquates donc vraies. A ce titre, et dans ce contexte, et comme spinoza/Descartes ne cessent de le dire du triangle, les propriétés du triangle se déduisent génétiquement de son essence. Il est donc pour moi absurde, toute révérence gardée, de dire qu'une essence singulière ne peut être constituée de propriétés communes, même en partie, sinon elle ne serait pas singulière. J'ajoute que penser autrement fait s'effondrer tout le spinozisme, sinon comment Pierre et Marie, après un moment d'extase que je dédie volontiers à Korto que je comprends chaque jour un peu mieux, pourraient-ils engendrer Paul ou Caroline, compte tenu de E1P3 !!


il est évident qu'un enfant a quelque chose en commun avec ses parents, dans le spinozisme, notamment en effet en vertu de l'E1P3. Mais la question est: ce qu'il a en commun est-ce que cela "constitue" son essence objective et formelle ou non? Pour moi on ne peut pas répondre "en général" à cette question, il faut d'abord se demander ce que Spinoza veut dire par ces notions (essence, objective, formelle, constituer) avant de pouvoir savoir ce qu'il y en est dans le spinozisme. Autrement dit, j'ai un peu le même problème avec ce que vous écrivez qu'avec pas mal de messages de Hokousai. Votre façon d'aborder spinozisme est bien sûr tout à fait respectable et intéressante etc., et pouvoir discuter avec vous est toujours un plaisir, mais pour moi vous mélangez sans cesse vos propres opinions avec le texte, et injectez ainsi un tas d'idées dans le spinozisme sans vérifier si c'est légitime ou non. Cela ne signifie pas que moi-même je ne fais pas cela. Bien entendu, je le fais aussi (et beaucoup trop). Mais pour moi le sens d'une discussion philosophique réside précisément dans la tentative d'apprendre ce qui relève d'une idée personnelle et ce qui peut vraiment être fondé dans le texte, alors que, à tort ou à raison, il me semble que pour vous et pour Hokousai (et pour certains autres) cela a l'air d'être non souhaitable ou inconcevable ou absurde?

Sinusix a écrit :Que dire alors de l'essence de n'importe quel code d'accès en banque dont il suffit que vous modifiiez une seule donnée sur un ensemble pour être rejetée. L'essence singulière du code, comme le code génétique de n'importe quel être vivant, est d'être distinct sur quelques loci, et cela suffit pour singulariser l'être concerné.


ok, vous pouvez décider d'appeler cela "essence". Mais pourquoi prendre cette décision-là? Et comment la concilier avec le sens que l'E2 définition 2 décide de donner au même mot .. ?

Sinusix a écrit :Donc oui, je le redis une énième fois, et pour moi le spinozisme s'effondre, et pas que lui j'en suis sûr à cet instant, si une essence singulière n'est pas constituée, par exemple celle de l'homme Pierre par rapport à l'homme Paul, d'avantage de propriétés communes (donc de concepts de l'entendement qui reflètent des réalités de rapports de mouvement et de repos selon votre langage) que de propriétés distinctes, propriétés qui elles-mêmes, particularité humaine, sont programmées pour reposer essentiellement sur des faits de culture que sur des faits de nature.


j'aurais tendance à dire: votre propre conception de l'essence s'effondre dès qu'on donne à ce mot un autre sens que celle que lui donne cette conception. Or vraiment, pour moi vous pouvez tout à fait adhérer à cette conception là, à ce sujet je n'ai aucune objection à faire, au contraire même. Mais que dire de Spinoza ... ? Comment faites-vous pour identifier votre conception de l'essence avec celle de Spinoza? Comment déduire votre conception du texte spinoziste? C'est cela que pour l'instant je ne vois pas trop, et sans explicitation des propositions sur lesquelles vous vous basez et sans argumentation qui permet d'aller de ces propositions à votre conclusion, j'aurai beaucoup de difficultés à comprendre en quoi votre conception de l'essence a quelque chose à voir avec la conception spinoziste de l'essence.

Sinusix a écrit :Il ne faut donc pas, à partir du moment où on ne fait pas de l'essence une réalité spirituelle "autonome", opposer leur caractère "d'abstraction intellectuelle" pour refuser l'utilisation desdits concepts à la définition de l'essence, parce que nous sommes dans le domaine de l'entendement. Il importe en revanche d'être assurés que lesdits concepts ne relèvent pas de l'imagination mais reflètent bien la réalité des rapports concernés (comme l'interfécondité).
A partir de ce moment, il n'est pas logique d'isoler le concept d'interfécondité comme vous le faîtes (qui laisse donc penser que vous donnez à chaque concept, pour vous opposer à leur placement logique, une réalité substantielle de même nature que celle que vous semblez attribuer à l'essence). Le concept, s'agissant d'un concept, est utilisable, selon l'embranchement dans lequel on l'utilise à un niveau variable tout en décrivant le même processus réel.


dire que les "étants universels" ne sont que des concepts qui n'existent pas hors de notre entendement, ce n'est pas leur donner une "réalité substantielle", puisque dans le spinozisme il n'y a qu'une seule substance, c'est Dieu. Mais comme déjà dit, Spinoza n'établit pas de hiérarchie entre l'infinité des attributs, l'attribut de la Pensée n'a pas moins de réalité que les autres attributs. Les modes de l'attributs de la Pensée, ou les idées, sont donc, en tant qu'entités, tout aussi réelles que les modes des autres attributs.

Sinusix a écrit :C'est pourquoi il ne m'apparaît pas fécond de vouloir rester, en 2008, sur la lettre de la démarche explicative mécaniciste (que je continue de qualifier de naïve) de Spinoza, mais d'en comprendre l'esprit, à la lumière des découvertes sientifiques ultérieures (chimiques et biologiques). Essayez d'appliquer une seule loi de mécanique au fonctionnement du corps humain, à part malheureusement la défenestration ou la mort de Cyrano. Et surtout, ne citez pas l'effet Doppler, qui n'a rien à faire dans l'histoire et n'est que la manifestation de la modification du signal reçu par un récepteur "fixe" par rapport à un émetteur "mobile" et qui permet par exemple de savoir que la voiture de pompiers s'éloigne ou s'approche et que l'univers est en expansion, solide problème philosophique) !


les explications de la mécanique classique et de la mécanique quantique s'appliquent à tout l'univers, aussi aux corps humains. Seulement, il s'agit d'explications propre à la discipline scientifique qui s'appelle "physique". Les physiciens n'expliquent pas la vie, ils expliquent le mouvement. Pour avoir une explication des êtres vivants en tant qu'ils sont vivants, il faut quitter la physique pour étudier la biologie. Donc oui, on ne va pas saisir ce qui caractérise un être humain juste en étudiant la mécanique. Mais je ne vois pas en quoi cela rendrait la mécanique fausse dès qu'on l'applique aux mouvements de corps vivants?

Sinusix a écrit :Je persiste encore dans ce que j'ai dit sur la multiplicité des rapports constitutifs de l'être humain, fait d'une multitude d'individus. L'extraction que vous faites du Lemme VI, comme il vous arrive parfois, est incomplète. Or, il est bien écrit, au niveau de l'individu : "..... de telle sorte qu'ils puissent continuer leurs mouvements, et se les communiquer les uns aux autres selon le même rapport qu'avant...."


la question était de savoir si l'on peut dire que dans le spinozisme un Individu est caractérisé par plus d'un rapport de mouvement et de repos ou par un seul. A mon sens, chaque Individu n'est caractérisé que par un seul rapport de mouvement et de repos, tandis que bien sûr, de multiples mouvements traversent cet Individu, et il peut en opérer beaucoup lui-même aussi. Il faudrait donc que vous démontriez sur base du texte où Spinoza dit qu'un Individu a plusieurs rapports de mouvement et de repos (et non pas où il dit que les parties du corps sont en mouvement ou continuent leurs mouvements) avant de pouvoir abandonner l'idée qu'il n'y en a qu'un (pour les raisons qui me font penser qu'il n'y en a qu'un: voir mon message précédent).

Sinusix a écrit :Enfin, et dernier point, je dis que la connaissance du 2ème genre est intuitive-déductive parce que Spinoza, comme Descartes, le dit lui-même
partout, ce que tous les mathématiciens savent, et que toute l'Ethique est construite sur ce principe à partir des définitions : Toute démonstration aboutissant à une idée vraie part d'un premier temps qui, si on devait reprendre l'enchaînement depuis le début, sans tenir compte des résultats intermédiaires "définitivement acquis" (merci à la culture et vive la noosphère) repose sur une première idée vraie, laquelle n'est pas démontrable, mais relève de l'intuition directe de l'idée vraie.
Au reste, et comme le dit Alain dans son petit opuscule sur Spinoza, toute démonstration n'avance que parce que, à chaque pas nouveau, nous avons l'intuition de la vérité de ce que nous continuons à exprimer. Bref, aucune déduction ne peut être faite sans qu'elle repose sur une première intuition ou idée commune directement accessible à l'entendement, et tel est le sens de la majorité des définitions et Axiomes de l'Ethique.
En espérant que nous puissions passer à autre chose.


Spinoza dit plutôt qu'une première idée vraie est toujours déjà "donnée" (le fameux "habemus enim ideam veram", TIE B33-G14). Les principes d'une science rationnelle sont appelées chez Spinoza "notions communes", mais pour autant que je sache il ne dit jamais que nous les connaissons par "intuition" (si vous pensez que cela est faux, où en parle-t-il en ces termes?). Il dit bien plutôt explicitement qu'il va appeler "connaissance intuitive" la connaissance du troisième genre.

Bref, pour moi vous injectez ici de nouveau des sens propres au langage commun dans un texte philosophique, qui par définition redéfinit les mots qui appartient au langage commun. Ce n'est pas parce que communément on dit que ce dont on ne doute pas c'est ce dont on "intuitionne" la vérité que toute philosophie est d'accord avec cela, ou devrait comprendre ainsi l'intuition.

Enfin, si vous préférez passer à un autre sujet de discussion au lieu de prolonger cette réflexion-ci, en ce qui me concerne il n'y a pas de problème. Dans ce cas merci de vos remarques!
Amicalement,
L.

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Messagepar Durtal » 03 déc. 2008, 21:15

Elle est gentille....

ça pas de doute....


D.


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