La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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sescho
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Messagepar sescho » 22 déc. 2008, 17:32

PhiPhilo a écrit :... je ne vois pas, à moins de renoncer à l'immanence spinozienne, ce qui permet d'affirmer qu'il y a, chez Spinoza, une puissance D (disons "divine" ou absolue) distincte d'une puissance h (respectivement, "humaine" ou relative) comme corrélat d'une soi-disant impuissance, sauf dans une acception purement rhétorique, comme je l'ai souligné plus haut.

Dieu s'exprime en tout, et donc en toute chose singulière. De ce point de vue il n'y a que de la puissance. Toutefois, dans l'interdépendance qui caractérise l'ensemble de la nature naturée (la face de l'univers entier, qui change en permanence : impermanence), dans le continuum de l'Etendue par exemple, une chose singulière entre en interaction avec d'autres choses singulières ; dans ce cadre son essence (qui se traduit dans l'existence en acte par le conatus) est affectée par celles des autres. Pour l'homme ceci se traduit par les idées inadéquates, la confusion, l'impuissance relative, le "mal."

Spinoza a écrit :E2P11C : Il suit de là que l’âme humaine est une partie de l’entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l’âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’il s’exprime par la nature de l’âme humaine, ou bien en tant qu’il en constitue l’essence, a telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non plus seulement en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine, mais en tant qu’il a en même temps l’idée d’une autre chose, nous disons alors que l’âme humaine perçoit une chose d’une façon partielle ou inadéquate.

E3P1 : Notre âme fait certaines actions et souffre certaines passions ; savoir : en tant qu’elle a des idées adéquates, elle fait certaines actions ; et en tant qu’elle a des idées inadéquates, elle souffre certaines passions.

Démonstration : Les idées d’une âme quelconque sont, les unes adéquates, les autres mutilées et confuses (par le Schol. de la Propos. 40, partie 2). Or, les idées qui sont adéquates dans une certaine âme, sont adéquates en Dieu, en tant qu’il constitue l’essence de cette âme (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2) ; et quant à celles qui, dans l’âme, sont inadéquates, elles sont, comme les autres, adéquates en Dieu (par le même Corollaire), non pas, il est vrai, en tant seulement qu’il contient l’essence de cette âme, mais en tant qu’il contient aussi en même temps les autres âmes de l’univers.

Maintenant, une idée quelconque étant donnée, quelque effet doit nécessairement s’ensuivre (par la Propos. 36, partie 1) ; et cet effet, Dieu en est la cause adéquate (voyez la Déf. l, part. 3), non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’affecté de l’idée donnée (voyez la Propos. 9, partie 2). Or, ce même effet dont Dieu est la cause, en tant qu’affecté d’une idée qui est adéquate en une certaine âme, cette âme en est aussi cause adéquate (par le Coroll. de la Propos. 11, partie 2). Donc notre âme, en tant qu’elle a des idées adéquates, doit (par la Déf. 2, partie 3) nécessairement opérer quelque action. Et c’est là le premier point qu’il fallait démontrer. De plus, tout effet qui suit nécessairement d’une idée qui est adéquate en Dieu, en tant qu’il contient en soi non pas seulement l’âme d’un seul l’homme, mais avec elle en même temps les autres âmes de l’univers, tout est de cette espèce, dis-je, l’âme de cet homme n’en est pas la cause adéquate (par le même Corollaire de la Propos. 11, part. 2), mais seulement la cause partielle ; et en conséquence (par la Déf. 2, partie 3), l’âme, en tant qu’elle a des idées inadéquates, est nécessairement affectée de quelque passion ; c’est le second point que nous voulions établir. Donc enfin, etc. C. Q. F. D.

Corollaire : Il suit de là que l’âme est sujette à d’autant plus de passions qu’elle a plus d’idées inadéquates ; et au contraire, qu’elle produit d’autant plus d’actions qu’elle a plus d’idées adéquates.

E3P3 : Les actions de l’âme ne proviennent que des idées adéquates, ses passions que des idées inadéquates.

Scholie : Nous voyons par là que les passions ne se rapportent à l’âme qu’en tant qu’elle a en soi quelque chose qui enveloppe une négation, en d’autres termes, qu’en tant qu’elle est une partie de la nature, laquelle, prise en soi et indépendamment des autres parties, ne peut se concevoir clairement et distinctement ; et par cette raison, je pourrais montrer que les passions ont avec les choses particulières le même rapport qu’avec l’âme, et ne se peuvent concevoir d’aucune autre manière ; mais mon objet est de traiter seulement de l’âme humaine.

E4P28 : Le bien suprême de l’âme, c’est la connaissance de Dieu ; et la suprême vertu de l’âme, c’est de connaître Dieu.

Démonstration : L’objet suprême de notre intelligence, c’est Dieu, en d’autres termes (par la Déf. 6, part. 1), l’être absolument infini et sans lequel (par la Propos. 15, part. 1) rien ne peut être ni être conçu ; et par conséquent (en vertu des Propos. 26 et 27. part. 4) l’intérêt suprême de l’âme ou son suprême bien (par la Déf. 1, part. 4), c’est la connaissance de Dieu. Or, l’âme (par les Propos. 1 et 3, part. 3) n’agit qu’en tant qu’elle comprend ; et ce n’est aussi qu’à ce même titre qu’on peut dire d’une manière absolue que l’âme agit par vertu (en vertu de la Propos. 23, part. 4). Comprendre, voilà donc la vertu absolue de l’âme. Or, le suprême objet de notre intelligence, c’est Dieu (comme on l’a déjà démontré). Donc la suprême vertu de l’âme, c’est de comprendre ou de connaître Dieu. C. Q. F. D.

E4P36 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.

Démonstration : Agir par vertu, c’est agir sous la conduite de la raison (par la Propos. 24, part. 4), et tout l’effort des actions que la raison dirige ne va qu’à un seul objet qui est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4), et conséquemment (par la propos. 28, part. 4), le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire (par la Propos. 47, part. 2, et son Schol.) un bien qui est commun à tous les hommes, et que tous, en tant qu’ils ont même nature, peuvent également posséder.

Scholie : On m’adressera peut-être cette question : Si le souverain bien de ceux qui suivent la vertu n’était pas commun à tous, ne s’ensuivrait-il pas, comme plus haut (par la Propos. 25, part. 4), que les hommes, en tant qu’ils vivent suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 35, part. 4), en tant qu’ils sont en conformité parfaite de nature, sont contraires les uns aux autres ? Je réponds à cela que ce n’est point par accident, mais par la nature même de la raison, que le souverain bien des hommes leur est commun à tous. Le souverain bien, en effet, est de l’essence même de l’homme en tant que raisonnable, et l’homme ne pourrait exister ni être conçu s’il n’avait pas la puissance de jouir de ce bien souverain, puisqu’il appartient à l’essence de l’âme humaine (par la Propos. 47, Part. 2) d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.

E5P42S : J’ai épuisé tout ce que je m’étais proposé d’expliquer touchant la puissance de l’âme sur ses passions et la liberté de l’homme. Les principes que j’ai établis font voir clairement l’excellence du sage et sa supériorité sur l’ignorant que l’aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu’il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l’âme, vit dans l’oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. Au contraire, l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. La voie que j’ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu’il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j’avoue qu’un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s’il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu’il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.

Pour le lien entre "passions" et "impuissance" voir les extraits que j'ai donnés précédemment. En fait c'est les trois quart de l'Ethique que j'aurais pu mettre en "exemple". Non Spinoza ne fait pas de la rhétorique, mais développe la Raison. Oui il y a un enjeu éthique dans l'Ethique... malgré la perfection de la Nature en tout.

Pour le reste, il y a plusieurs acceptions de "bon" et "mauvais" chez Spinoza comme je l'ai déjà dit plusieurs fois. Il y a en particulier une différence colossale entre "juger bon" et "souverain bien."

Je suis en fait tout simplement sidéré qu'on puisse soutenir votre position compte tenu de son décalage monumental avec le texte de Spinoza. Mais comme je l'ai dit, on ne comprend rien à Spinoza si l'on confond le plan divin avec le plan humain (alors même que l'homme est en Dieu, il n'est pas Dieu.) Toutefois, comme cette ignorance n'a d'égale que la prétention de l'emballage, j'ai peur qu'il n'y ait pas d'issue positive possible à court terme.


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Messagepar hokousai » 22 déc. 2008, 17:48

à PhiPhilo

Et pourtant, c'est bien ce que dit Spinoza :


ah mais je n'en doute pas !
Je connais bien mon Spinoza , aussi pointais- je certaines difficultés quand on m’en donne l’occasion .

Je dis seulement que l’expérience montre que les corps faibles voire en mauvaise santé n’en sont pas moins parfois habités par des esprits fertiles . Nietzsche en est un excellent exemple il s expliquait ainsi comme un point de vue possible de la maladie sur la santé .

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Messagepar PhiPhilo » 22 déc. 2008, 18:14

...
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Messagepar sescho » 22 déc. 2008, 18:19

A Hokousai

hokousai a écrit :A ce régime les femmes (le sexe faible dit- on ) les enfants et les vieillards n’ auront pas beaucoup d’ idées ( tout court )

Je pense voir ce que voulez signifier, et l'extrait produit de Spinoza sur l'enfant et l'adulte n'y contredit en rien :

Pour Spinoza puissance et connaissance claire (à commencer par la reconnaissance de Dieu, la Nature parfaite qui s'impose en tout) sont synonymes. Cela n'a strictement rien à voir avec la force physique. Si pour Spinoza un enfant est incomplet en principe c'est parce qu'il n'a pas encore développé la Raison. Mais ce n'est qu'une tendance : un enfant bien configuré est autrement plus puissant qu'un adulte ruisselant de vanité, fut-il médaille d'or du Décathlon. Ne disons rien du sexe.

Je crois qu'il faut faire attention lorsque Spinoza parle du corps. C'est souvent un effet du parallélisme posé en principe, et non une relation précise entre une partie du corps et une facette de l'esprit.

Note : j'ai même tendance à penser que parfois il traîne le parallélisme un peu comme un boulet, tenant par son souci de justesse - rappelons que les idées adéquates du deuxième genre doivent s'enchaîner de façon parfaite suivant la Logique - à ne rater aucune marche dans le déroulement des démonstrations, d'où des allers-et-retours entre le corps et l'esprit, alors qu'on se serait contenté de suivre les lois de l'esprit - mais il est vrai que les interactions corporelles sont incontournables dans ce cadre malgré tout.

La mention du corps, donc, est souvent une simple conséquence tout à fait générale du parallélisme et ne désigne rien de particulier dans le Corps. Un cil sur un neurone, pourquoi pas ?


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Messagepar PhiPhilo » 22 déc. 2008, 18:23

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Messagepar hokousai » 22 déc. 2008, 18:33

à Philophilo

Spinoza dit que la puissance de l’homme est extrêmement limitée et infiniment surpassée par la puissance des cause extérieures .

iI nous arrive parfois quelque chose qui est en contradiction avec ce qu’exige la règle de notre utilité (hélas hélas !!!)

si nous sommes conscient de deux choses
1) que nous avons accomplit notre tache
2) que nous sommes une partie de la nature tout entière , dont nous suivons l’ordre

alors la meilleure part de nous convient avec l’ordre de la nature tout entière (chap 32/4)
..........................................................

Cela dit , on a le même problème avec Aristote . Savoir si la scolastique chrétienne ne l 'a pas interprété à sa manière ( évident me direz vous ) , certes , mais savoir aussi dans quelles mesures une certaine modernité n'a pas interprété Spinoza à ses manières .

Que Nietzsche s'enthousiasme de s'être trouvé un précurseur en voila au moins un de convaincu .

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Messagepar PhiPhilo » 22 déc. 2008, 18:35

...
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Messagepar Louisa » 22 déc. 2008, 19:11

Sescho a écrit :Dieu s'exprime en tout, et donc en toute chose singulière. De ce point de vue il n'y a que de la puissance. Toutefois, dans l'interdépendance qui caractérise l'ensemble de la nature naturée (...), dans le continuum de l'Etendue par exemple, une chose singulière entre en interaction avec d'autres choses singulières; dans ce cadre son essence (qui se traduit dans l'existence en acte par le conatus) est affectée par celles des autres. Pour l'homme ceci se traduit par les idées inadéquates, la confusion, l'impuissance relative, le "mal."


en ce qui me concerne j'ai toujours dû mal à voir le lien entre ce type de thèses interprétatives et le texte de Spinoza lui-même.

1. Supposons par exemple que ce qui caractérise la nature naturée, donc les modes, c'est le fait d'avoir une essence qui peut être affectée. Je ne crois pas que ce soit vraiment le propre d'un mode que d'avoir une telle essence, puisque justement, par définition les modes sont eux-mêmes des affections de l'essence de Dieu. L'essence de Dieu elle-même affecte et est affectée. La différence entre la nature naturante et la nature naturée ne consiste pas dans l'affection, elle a trait à ce qui est affecté: la nature naturante ne s'affecte toujours qu'elle-même, tandis que les modes de la nature naturée peuvent, hormis le fait de pouvoir s'affecter eux-mêmes, peuvent aussi affecter d'autres choses qu'eux-mêmes, et être affectés par d'autres choses qu'eux-mêmes.

Or en quoi le fait de pouvoir affecter d'autres choses que soi-même et le fait de pouvoir être affecté par d'autres choses que soi-même serait-il un "signe d'impuissance"? A mon avis, Spinoza dit exactement l'inverse, lorsqu'il dit que "ce qui dispose le Corps humain à pouvoir être affecté de plus de manières, ou ce qui le rend apte à affecter les corps extérieurs de plus de manières, est utile à l'homme; et d'autant plus utile qu'il rend le Corps plus aptie à être affecté, et à affecter les corps extérieurs, de plus de manière; et est nuisible, au contraire, ce qui y rend le Corps moins apte." (E4P38). On sait que pour Spinoza, ce qui est utile à l'homme est nécessairement bon, c'est-à-dire ne peut qu'augmenter sa puissance. Par conséquent, le fait même d'être un mode, d'appartenir à la nature naturée, rend possible l'augmentation de la puissance, et celle-ci est nécessairement équivalent à la mesure dans laquelle un mode peut être affecté. C'est la raison même pour laquelle Spinoza dit que l'homme peut être un dieu pour l'homme, et pas nécessairement un loup, comme ceux qui ne voient que de l'impuissance et de l'inadéquation dans la nature naturée sont obligés à le penser. Par conséquent, on ne peut pas déduire du fait même d'appartenir à la nature naturée, du fait même d'être un mode, que celui-ci serait impuissant, puisque être un mode en tant que tel est "neutre", c'est avoir une puissance, qui peut diminuer aussi bien qu'augmenter. L'impuissance ne peut pas se déduire du fait même d'être un mode, elle a à voir avec quelque chose de plus précis.

2. Deuxième problème: la nature naturée, dit Spinoza en E1P29 scolie, ce sont tous les modes produits par les attributs, c'est-à-dire produits par l'essence divine. La nature naturée exprime l'essence divine d'une infinité de manières déterminées et précises. Or comment cette essence divine aurait-elle pu ne produire que de l'impuissance et de l'inadéquation ... ? Dieu s'exprimerait-il de manière inadéquate, de manière impuissante ... ? On admettra aisément que cela est impossible. Comment Spinoza peut-il alors parler de l'impuissance? En quel sens faut-il comprendre le terme "impuissance" dans le spinozisme? Spinoza l'explique au tout début de l'E4. Essayons d'analyser ce passage.

D'abord il y a déjà le titre: "De la Servitude Humaine, autrement dit, des forces des Affects". L'E4 portera donc avant tout sur ... des forces, et non pas sur des "manques" ou "défauts".

Pourtant, en principe on est habitué à concevoir la servitude précisément comme un manque ou un défaut. Défaut par rapport à quoi? Par rapport au "modèle", à l'idée qu'on se forme des choses, modèle qui nous dit comment les choses "devraient" être, dit Spinoza un peu plus loin dans la préface. Or penser ainsi, c'est penser en termes d'une "finalité". C'est prendre le modèle ou "l'idéal" que l'on souhaite voir réaliser comme s'il s'agit d'une cause finale. A partir de ce moment-là, on peut concevoir toutes les causes "intermédiaires" qui nous "empêchent" de réaliser ce désir comme étant des "obstacles" qui rendent impossible ce qu'on imagine néanmoins avoir été possible. En ce sens, on dit d'habitude qu'on est incapable de réaliser notre objectif, et en ce sens on est "impuissant", idée que Spinoza reprend dès les premières lignes de la préface de l'E4. On n'est donc jamais "impuissant" en tant que tel, chez Spinoza, on est toujours "impuissance à (faire ceci ou cela)". C'est en tant qu'on ne peut pas faire x ou y qu'on peut dire qu'on est impuissant, jamais en tant qu'on est, tout simplement.

En effet, la préface commence par définir la Servitude ainsi: "L'impuissance humaine à maîtriser et à contrarier les affects, je l'appelle Servitude". C'est donc en tant que l'homme désire "acquérir une autre nature", comme Spinoza l'appelle dans le TIE, qu'il va s'imaginer soi-même comme étant "imparfaite". Mais ce faisant, il s'imagine que la Nature n'a pas "bien" fait les choses, qu'elle ne lui a pas donner les forces que pourtant elle aurait dû lui donner, forces qu'on va maintenant essayer de trouver tout seul, "malgré" ce manque dans la Nature.

Or en réalité, y dit Spinoza, l'idée de manquer de puissance (donc d'être impuissant) n'est pas une cause finale qui nous pousse à nous dépasser nous-mêmes. Ce qui se passe en réalité, c'est que l'Esprit humain s'imagine d'abord avoir une plus grande puissance qu'elle ne l'a, et cette idée va ensuite être la cause efficiente d'une série d'action, actions dont on espère qu'on va obtenir ce qu'on désire. En réalité, on n'a donc qu'un seul et même déployement de puissance, une seule et même production d'effets. Notre essence est sans cesse cause de ces effets, seulement, de certains d'entre eux elle n'est pas la seule cause, d'autres oui. Le fait même de parler dans ces cas de "cause partielle" ou "cause inadéquate" montre bien que notre essence continue à être la cause, continuer à s'exercer, à produire des effets. Etre passif chez Spinoza ne signifie pas subir sans rien faire, cela signifie plutôt agir sous l'influence de sa propre puissance combinée avec la puissance d'un autre mode.

Inversement, être passif ne signifie pas être dans l'impuissance au sens où pour par exemple Durtal dans la Passion notre puissance ne peut que diminuer (être passif ne signifie donc ni absence de puissance, ni diminution de puissance). On sait que dans le spinozisme il existe des "Joies-Passions", c'est-à-dire des augmentations tout à fait réelles de notre puissance, mais dont nous ne sommes pas la seule cause. Ce qui à mes yeux constitue une autre raison pour laquelle on ne peut pas identifier puissance et Liberté, comme l'a proposée Durtal, ou nature naturée et impuissance, comme le propose ci-dessus Sescho, hormis les raisons déjà mentionnées par Phiphilo (PS: ce message a été envoyé avant d'avoir lu les derniers messages de Phiphilo, Hokousai et Sescho ci-dessus).
L.

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Messagepar hokousai » 22 déc. 2008, 23:02

à PhilPhilo


Bien sûr que si, que cela a à voir avec la force physique, c'est-à-dire avec la puissance physique d'un corps. Et comme le corps et l'esprit sont une seule et même chose tantôt considéré sous un attribut, tantôt sous un autre, il revient au même de dire qu'un enfant est faible physiquement ou qu'il est faible intellectuellement.


Non mais par exemple , là, sur ce que vous dîtes , supposons je vous vois faible intellectuellement, je ne vais rien en déduire de votre force physique et avec raison parce que à la limite ça na rien à voir .

Tantôt considéré sous un attribut !
La nature est tantôt considéré sous l’aspect de corps et puis tantôt sous l’aspect des idées, idées des corps ou autres idées . Est- ce qu’on ne fait pas une différence entre les corps et les idées ? Est ce que mon esprit transpire ?
Si j’achète une bouteille de vin j’achète du verre et du vin c’est une bouteille de vin ,c’est une seule et même chose . Il n’empêche que sous un aspect je vais boire le vin pas le verre .

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Messagepar sescho » 23 déc. 2008, 00:58

C'est une leçon de vie, un forum, et comme le Dalaï Lama le dit : je remercie mes ennemis, car eux seuls me permettent de me tester.

On revient sur des choses que je considère traitées profondément sinon à fond depuis des années, et répétées depuis, et je me vois recevoir des "leçons" avec grande pompe sur le B-A BA. Toutes les précisions dûment faites rayées, les propos caricaturés pour pouvoir être démentis (ah ! sacré Schopenhauer, s'il n'était pas mort je croirais qu'il a écrit son bouquin en visitant notre site), les tenants de la positivité et de la puissance en tout... qui ont de fait la haine au bord des lèvres, d'ampleur égale à celle de leur vanité, comme il se doit... Mais bon, même au niveau professionnel je vois passer des TdC qui ne connaissent pas un millionième du métier et se croient pourtant autorisés à prendre le monde de haut. Prétentions et compétence sont opposées. C'est ainsi... E. Tolle raconte que certains lui écrivent en lui disant qu'il n'a rien compris. Alors, pourquoi me plaindrais-je...

Mais en fait il semble qu'il n'y ait là-derrière, le monceau de scories ôté, qu'une querelle de mots (mise à part la configuration mentale qui sous-tend lourdement tout cela.)

On se demande qui nous commentons. Car les termes impuissance, inadéquation, confusion, bien, mal, haineux, vulgaire, esclave, ignorant, orgueilleux, ne méritant pas le nom d'homme, etc. etc. sont utilisés à foison par Spinoza lui-même (plusieurs centaines d'occurrences au total, je pense.) Et je ne vois pas où j'aurais donné à ces mots un autre sens que celui qu'il leur donne. Ou alors en fait nous ne commentons pas Spinoza mais quelqu'un d'autre ; autant le dire, cela évitera les problèmes (seul Spinoza m'intéresse et ceux qui échangent positivement à son sujet et conjointement au sujet de la vie.)

On nous dit : il n'y a que de la puissance, en plus ou en moins, mais pas d'impuissance (corrigeant donc Spinoza lui-même.) D'accord au plan de Dieu (comme déjà répété cent fois) : Dieu est pure positivité et est tout ce qui existe (y compris donc tout individu humain tel qu'il est.) Tout marque la puissance de Dieu et il n'y a en Dieu aucune impuissance. Dans ce cadre entrent par exemple le viol d'un enfant suivi d'étranglement, les camps de la mort, les massacres à l'arme blanche, la torture, l'agonie par la faim, par la soif, par la chaleur, par le froid, par la maladie qui ronge, etc., la dépression aggravée avec prostration et suicide, la perversion narcissique et son cortège de prétentions à la supériorité sur autrui, de dévaluations d’autrui, de harcèlement moral, toute autre forme de folie, etc., etc., etc. : tout cela appartient à la puissance de la Nature et est parfait de ce point de vue. Dieu n'a pas faim, pas soif, ne souffre pas. Nickel.

Si on en reste là, alors pour le coup autant ne rien faire (ou quelque chose, ou une autre, c'est égal), aucune éthique dans l'Ethique, aucun sens, rien. C'est Spinoza cela ??? !!!

Mais non, l'homme, lui, n'est pas la nature dans son entier, il n'en est qu'une partie, et les lois qui le concernent lui fixent un sens, une direction, ce qui implique automatiquement un bien véritable, et a contrario sa négation : le mal. Un axe avec un sens positif et un sens négatif. L’Homme a faim, soif, chaud, froid, il souffre et il est éventuellement confus, ignorant, haineux, vaniteux, méchant, ... (mots de Spinoza toujours, qui ne sont pas des insultes - penser en insulte c'est encore être attaché au libre arbitre en fait, à l'accusation, comme par ailleurs la vanité l'est - mais dénomment des états réels, qui effectivement sont des manifestations de la Nature en aucun cas critiquables.)

Spinoza a écrit :E4P37S1 : … l’impuissance consiste en ce seul point que l’homme se laisse gouverner par les objets du dehors et déterminer par eux à des actions qui sont en harmonie avec la constitution commune des choses extérieures, mais non avec sa propre nature, considérée en elle-même. …

E4P57S : ... certes les passions humaines marquent l’art et la puissance de la nature, sinon celle de l’homme, non moins que beaucoup d’autres choses que nous admirons et dont la contemplation nous enchante. ...


On nous dit : il n'y a pas d'impuissance (mot employé de nombreuses fois par Spinoza, donc), il n'y a que plus ou moins de puissance. Ah ! si la pompe ne tient qu'à cela, concédons-le : comme on met l'origine où l'on veut nous pouvons remplacer "impuissance" par "bas niveau de puissance." Ou alors il ne faut plus parler de puissance du tout, puisque le terme n'aurait en fait, à l'encontre de toute échelle, aucun sens. Cela rassurera ceux qui ne tolèrent pas qu'on puisse détecter chez eux des défauts (manques, que pourtant Spinoza décrit en termes fleuris.) Les mots auraient donc un réel pouvoir... Ils ne sont pas pervers mais non totalement accomplis (à ajouter au lexique politiquement correct), pas (encore) en pleine puissance ; nuance...

Pour ceux qui ont froid par les temps qui courent : convertissez les températures dans l'échelle Kelvin, qui vous montre qu'il y a toujours de l'énergie thermique (positive.) Le froid n'existe pas. A -5 °C vous avez froid ? Vous aurez chaud à 268 K ! En slip à –70 °C ? Aucun problème : c’est encore 203 K, pensez donc !

L’éthique et la morale, pour être sous certaine acception distinguables (comme je le fais moi-même généralement), relèvent quand-même largement du même secteur (d’où : « Philosophie morale », « moraliste », « sens moral », etc.) L’éthique c’est la morale non moralisante, c’est-à-dire sans aucune accusation (qui implique la croyance au libre arbitre), ni coercition (encore que celle-ci soit admissible au niveau politique.) Il semble, comme déjà mentionné ci-dessus, que certains soient tentés par jeter l’éthique avec la morale moralisante, en fait. Par assimiler moralisme et moralisation. C’est ce que Paul Diel (que certains jugent "moralisateur", précisément, car ils ne supportent pas qu'on leur associe une quelconque imperfection et que, comme Spinoza, Diel nomme les choses à hauteur de la souffrance qu'elles représentent) appelle banalisation : non pas se corriger mais éteindre la culpabilité. Ils n’ont pas de défauts, ils sont une puissance naturelle qui éventuellement peut atteindre un niveau encore plus grand. Donc tout va mieux…

Si tout est toujours positif, c’est à se demander comment le suicide peut exister.

Sauf que la tristesse, la haine, l’envie, la vanité, etc., etc., la confusion, la souffrance, en particulier, comme la faim et la soif, sont des réalités, pas des êtres de raison, et Spinoza les nomme comme il se doit. Quand on est vaniteux, on est vaniteux ; ce n’est pas de changer les mots qui y change quoi que ce soit. Les passions sont la puissance de la Nature, certes, la faim aussi, la souffrance aussi, la haine aussi, l’orgueil aussi… Et de l’autre côté la béatitude n’est donnée qu’au sage ; il ne suffit pas de se dire très bien comme on est pour y atteindre, bien au contraire.

Spinoza appelle les passions par leur nom, et l’impuissance relative par le sien, car son phare est le sage, pas le fou.


Serge
Connais-toi toi-même.


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