PhiPhilo a écrit :... je ne vois pas, à moins de renoncer à l'immanence spinozienne, ce qui permet d'affirmer qu'il y a, chez Spinoza, une puissance D (disons "divine" ou absolue) distincte d'une puissance h (respectivement, "humaine" ou relative) comme corrélat d'une soi-disant impuissance, sauf dans une acception purement rhétorique, comme je l'ai souligné plus haut.
Dieu s'exprime en tout, et donc en toute chose singulière. De ce point de vue il n'y a que de la puissance. Toutefois, dans l'interdépendance qui caractérise l'ensemble de la nature naturée (la face de l'univers entier, qui change en permanence : impermanence), dans le continuum de l'Etendue par exemple, une chose singulière entre en interaction avec d'autres choses singulières ; dans ce cadre son essence (qui se traduit dans l'existence en acte par le conatus) est affectée par celles des autres. Pour l'homme ceci se traduit par les idées inadéquates, la confusion, l'impuissance relative, le "mal."
Spinoza a écrit :E2P11C : Il suit de là que l’âme humaine est une partie de l’entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l’âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’il s’exprime par la nature de l’âme humaine, ou bien en tant qu’il en constitue l’essence, a telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non plus seulement en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine, mais en tant qu’il a en même temps l’idée d’une autre chose, nous disons alors que l’âme humaine perçoit une chose d’une façon partielle ou inadéquate.
E3P1 : Notre âme fait certaines actions et souffre certaines passions ; savoir : en tant qu’elle a des idées adéquates, elle fait certaines actions ; et en tant qu’elle a des idées inadéquates, elle souffre certaines passions.
Démonstration : Les idées d’une âme quelconque sont, les unes adéquates, les autres mutilées et confuses (par le Schol. de la Propos. 40, partie 2). Or, les idées qui sont adéquates dans une certaine âme, sont adéquates en Dieu, en tant qu’il constitue l’essence de cette âme (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2) ; et quant à celles qui, dans l’âme, sont inadéquates, elles sont, comme les autres, adéquates en Dieu (par le même Corollaire), non pas, il est vrai, en tant seulement qu’il contient l’essence de cette âme, mais en tant qu’il contient aussi en même temps les autres âmes de l’univers.
Maintenant, une idée quelconque étant donnée, quelque effet doit nécessairement s’ensuivre (par la Propos. 36, partie 1) ; et cet effet, Dieu en est la cause adéquate (voyez la Déf. l, part. 3), non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’affecté de l’idée donnée (voyez la Propos. 9, partie 2). Or, ce même effet dont Dieu est la cause, en tant qu’affecté d’une idée qui est adéquate en une certaine âme, cette âme en est aussi cause adéquate (par le Coroll. de la Propos. 11, partie 2). Donc notre âme, en tant qu’elle a des idées adéquates, doit (par la Déf. 2, partie 3) nécessairement opérer quelque action. Et c’est là le premier point qu’il fallait démontrer. De plus, tout effet qui suit nécessairement d’une idée qui est adéquate en Dieu, en tant qu’il contient en soi non pas seulement l’âme d’un seul l’homme, mais avec elle en même temps les autres âmes de l’univers, tout est de cette espèce, dis-je, l’âme de cet homme n’en est pas la cause adéquate (par le même Corollaire de la Propos. 11, part. 2), mais seulement la cause partielle ; et en conséquence (par la Déf. 2, partie 3), l’âme, en tant qu’elle a des idées inadéquates, est nécessairement affectée de quelque passion ; c’est le second point que nous voulions établir. Donc enfin, etc. C. Q. F. D.
Corollaire : Il suit de là que l’âme est sujette à d’autant plus de passions qu’elle a plus d’idées inadéquates ; et au contraire, qu’elle produit d’autant plus d’actions qu’elle a plus d’idées adéquates.
E3P3 : Les actions de l’âme ne proviennent que des idées adéquates, ses passions que des idées inadéquates.
Scholie : Nous voyons par là que les passions ne se rapportent à l’âme qu’en tant qu’elle a en soi quelque chose qui enveloppe une négation, en d’autres termes, qu’en tant qu’elle est une partie de la nature, laquelle, prise en soi et indépendamment des autres parties, ne peut se concevoir clairement et distinctement ; et par cette raison, je pourrais montrer que les passions ont avec les choses particulières le même rapport qu’avec l’âme, et ne se peuvent concevoir d’aucune autre manière ; mais mon objet est de traiter seulement de l’âme humaine.
E4P28 : Le bien suprême de l’âme, c’est la connaissance de Dieu ; et la suprême vertu de l’âme, c’est de connaître Dieu.
Démonstration : L’objet suprême de notre intelligence, c’est Dieu, en d’autres termes (par la Déf. 6, part. 1), l’être absolument infini et sans lequel (par la Propos. 15, part. 1) rien ne peut être ni être conçu ; et par conséquent (en vertu des Propos. 26 et 27. part. 4) l’intérêt suprême de l’âme ou son suprême bien (par la Déf. 1, part. 4), c’est la connaissance de Dieu. Or, l’âme (par les Propos. 1 et 3, part. 3) n’agit qu’en tant qu’elle comprend ; et ce n’est aussi qu’à ce même titre qu’on peut dire d’une manière absolue que l’âme agit par vertu (en vertu de la Propos. 23, part. 4). Comprendre, voilà donc la vertu absolue de l’âme. Or, le suprême objet de notre intelligence, c’est Dieu (comme on l’a déjà démontré). Donc la suprême vertu de l’âme, c’est de comprendre ou de connaître Dieu. C. Q. F. D.
E4P36 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.
Démonstration : Agir par vertu, c’est agir sous la conduite de la raison (par la Propos. 24, part. 4), et tout l’effort des actions que la raison dirige ne va qu’à un seul objet qui est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4), et conséquemment (par la propos. 28, part. 4), le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire (par la Propos. 47, part. 2, et son Schol.) un bien qui est commun à tous les hommes, et que tous, en tant qu’ils ont même nature, peuvent également posséder.
Scholie : On m’adressera peut-être cette question : Si le souverain bien de ceux qui suivent la vertu n’était pas commun à tous, ne s’ensuivrait-il pas, comme plus haut (par la Propos. 25, part. 4), que les hommes, en tant qu’ils vivent suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 35, part. 4), en tant qu’ils sont en conformité parfaite de nature, sont contraires les uns aux autres ? Je réponds à cela que ce n’est point par accident, mais par la nature même de la raison, que le souverain bien des hommes leur est commun à tous. Le souverain bien, en effet, est de l’essence même de l’homme en tant que raisonnable, et l’homme ne pourrait exister ni être conçu s’il n’avait pas la puissance de jouir de ce bien souverain, puisqu’il appartient à l’essence de l’âme humaine (par la Propos. 47, Part. 2) d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.
E5P42S : J’ai épuisé tout ce que je m’étais proposé d’expliquer touchant la puissance de l’âme sur ses passions et la liberté de l’homme. Les principes que j’ai établis font voir clairement l’excellence du sage et sa supériorité sur l’ignorant que l’aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu’il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l’âme, vit dans l’oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. Au contraire, l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. La voie que j’ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu’il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j’avoue qu’un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s’il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu’il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.
Pour le lien entre "passions" et "impuissance" voir les extraits que j'ai donnés précédemment. En fait c'est les trois quart de l'Ethique que j'aurais pu mettre en "exemple". Non Spinoza ne fait pas de la rhétorique, mais développe la Raison. Oui il y a un enjeu éthique dans l'Ethique... malgré la perfection de la Nature en tout.
Pour le reste, il y a plusieurs acceptions de "bon" et "mauvais" chez Spinoza comme je l'ai déjà dit plusieurs fois. Il y a en particulier une différence colossale entre "juger bon" et "souverain bien."
Je suis en fait tout simplement sidéré qu'on puisse soutenir votre position compte tenu de son décalage monumental avec le texte de Spinoza. Mais comme je l'ai dit, on ne comprend rien à Spinoza si l'on confond le plan divin avec le plan humain (alors même que l'homme est en Dieu, il n'est pas Dieu.) Toutefois, comme cette ignorance n'a d'égale que la prétention de l'emballage, j'ai peur qu'il n'y ait pas d'issue positive possible à court terme.
Serge