Peut-on être un spinoziste modéré, ou spinoziste athée ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar sescho » 21 sept. 2012, 17:58

hokousai a écrit :
Les attributs SONT des substances, en fait

non , non ce sont des actes . C 'est à dire des affirmations d' une essence éternelle et infinie ( une ,deux et une infinité).
L'essence éternelle infinie , si elle est affirmée ( exprimée) alors nous avons l'essence et l'attribut qui l 'exprime.

Je pense que nous sommes d'accord, mais que nous n'utilisons pas les mêmes mots pour le dire. Vous convenez qu'une substance à un seul attribut dénie le sens à "attribut". Donc imaginez qu'il n'y ait en réalité "qu'un seul attribut" (je parle au niveau de la nature naturante) tel que vous l'entendez ; Pensée-Matière ou même Matière si l'on veut ici. Il n'en reste pas moins substance en acte : c'est le concept d'attribut qui disparaît, pas l'actualité de la substance, et pas l'infinité.

Note : l'infinité tient autant à un seul attribut qu'à plusieurs ou une infinité dénombrable. Il y a deux infinités (voir la discussion avec int ci-dessus) : l'infinité de l'attribut, et l'infinité d'attributs (à partir du moment où Spinoza pose les attributs, il est conduit à en poser l'infinité en nombre pour respecter l'infinité absolue globale.) C'est pourquoi Spinoza dit "une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie." S'il n'y a "qu'un attribut", l'infinité reste (mais sans le deuxième infini dénombrable d'attributs, puisque la notion même d'attribut n'a plus de sens... il ne manque rien.) Je pense en outre que Spinoza ajoute "absolument" à "infini" pour Dieu précisément pour tenir compte de ce qu'un attribut est déjà infini mais seulement "en son genre" (et il y en a forcément plusieurs, sinon la notion disparaît purement et simplement, à nouveau.) Si la notion d'attribut saute, le "absolument" devrait sauter aussi (le "infini en son genre" n'ayant plus de sens non plus). La définition de "fini" comme "limité par une chose de même nature" (c'est-à-dire de même attribut...) saute aussi en l'état. L'avantage de "absolument" est de couper court à toute supputation au sujet de mondes parallèles, etc., cependant.
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Messagepar hokousai » 21 sept. 2012, 20:09

cher Serge

Je prends la question par en bas ( et Spinoza le fait ) quand il écrit: <b>chaque étant doit se concevoir sous quelque attribut( pro 10/1).</b> On ne peut pas concevoir une table comme étant de même nature que l'idée d'une table. La distinction entre l'étendue et la pensée est plutôt incontournable . Comme le dit Berkeley: il est incongru de dire que nous buvons des idées.
Berkeley conclut à une sorte de mixte ou les corps étendus sont privés de matière mais où les idées sont sensorialisées. Il parvient à un monisme.
Spinoza garde la distinction entre corps étendue et idées tout en ne les substantialisant pas .

............................
J' associe Berkeley et Spinoza sur cette question, parce qu'ils sont différents des autres de l ''époque :

RIchard Glauser dans son étude sur le scepticisme et Berkeley écrit
"" <b>à l exception de Spinoza</b> ils ( les philosophes de l époque ) considèrent tous que les corps sont des substances matérielles finies . Berkeley ne fait pas exception sur ce point . S' il existait des objets matériels selon lui ce séraient des substances. Et l'argumentation par laquelle il conclut que la notion de matière est contradictoire dépend de la définition d' un objet matériel comme substance ""page 15
http://books.google.fr/books?id=UBE36pZYvicC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
.................................................
Une grande par de la rupture entre Spinoza et les monothéistes est d'intégrer la <b>nature corporelle</b> en Dieu.
Soit on la nie ( et Berkeley suit cette pente en aménageant avec peine ses "Idées" ) soit on lui (à la corporéité) conserve une certaine différence d' avec la pensée et on a besoin de deux attributs.

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Messagepar sescho » 22 sept. 2012, 09:22

hokousai a écrit :cher Serge

Je prends la question par en bas ( et Spinoza le fait ) quand il écrit: <b>chaque étant doit se concevoir sous quelque attribut( pro 10/1).</b> On ne peut pas concevoir une table comme étant de même nature que l'idée d'une table.

Mais il y a un problème dans votre expression : quand vous dites "concevoir" vous faites forcément référence à la pensée. Votre phrase pourrait ainsi être réécrite : "on ne peut pas avoir l'idée d'une table comme étant de même nature que l'idée d'une table"...

Ce n'est pas un jeu de mots : c'est exact, tout le problème est contenu là (nous en avons déjà discuté), et la portée de cela est très élevée. En effet, nous sentons que l'idée d'un corps nous le montre objectivement, et donc de même l'être-étendu auquel il se rapporte en tout premier lieu (avant que d'être dit "fini", même si sa finitude est indispensable pour percevoir l'étendue) et enfin de l'union de tout. Pourquoi dans ces conditions séparer l'idée de ce corps de ce corps ? L'objectivation d'un corps est l'idée même. Après, il y a différentes formes de pensée, dont la pensée discursive verbalisée, les mots étant les auxiliaires de l'imagination, etc., mais l'idée d'un corps est quelque chose de beaucoup plus simple et direct, et Spinoza y fait bien attention, en la distinguant bien de ce reste que nous recouvrons aussi du terme "pensée". L'idée pure n'est rien d'autre que la saisie directe et objective (d'un corps, de l'étendue, et de l'union du tout, sujet compris). Nous nous apercevons aussi de la limite de nos sens qui ne nous offre pas une vision infiniment précise d'un corps particulier, etc., mais cela n'est pas essentiel à ce propos.

En fait, avec une idée simple, on ne pense pas qu'on pense ; on ne pense pas, même : on voit objectivement. C'est un des principaux enseignements spirituels, d'ailleurs...

hokousai a écrit :La distinction entre l'étendue et la pensée est plutôt incontournable . Comme le dit Berkeley: il est incongru de dire que nous buvons des idées.
Berkeley conclut à une sorte de mixte ou les corps étendus sont privés de matière mais où les idées sont sensorialisées. Il parvient à un monisme.

Je ne connais pas Berkeley, et ceci ne m'est pas suffisant pour bien comprendre, mais il semble bien être en plein dans le sujet.

Il est bien clair que si l'on ""substantialise les modes"" - parce qu'on les considère, de fait sinon en dire, comme premiers - on tourne radicalement le dos à la vraie philosophie exposée par Spinoza. C'est bien pourquoi aussi le Bouddhisme insiste lourdement sur ce point, et en particulier sur l'interdépendance et l'impermanence qui va avec : il en est nécessairement comme cela, le Mouvement - et donc la vie - étant donné. Ce n'est pas parce que les modes expriment une essence (forcément) - ou Forme - qu'ils la "possèdent" ; ils sont des manifestations dépendantes et impermanentes d'une unique essence, éternelle, qui est celle de Dieu-Nature.

hokousai a écrit :Une grande par de la rupture entre Spinoza et les monothéistes est d'intégrer la <b>nature corporelle</b> en Dieu.
Soit on la nie ( et Berkeley suit cette pente en aménageant avec peine ses "Idées" ) soit on lui (à la corporéité) conserve une certaine différence d' avec la pensée et on a besoin de deux attributs.

Il est bien évident que ce qu'on nomme "Matière" ou "Étendue" fait partie de la nature de Dieu-Nature. Maintenant qu'on ait besoin pour autant d'en faire des attributs de la substance (encore une fois : c'est de placer cette distinction - mais est-elle si claire que cela ? - au niveau même de la nature naturante, et non au niveau du mode conscient, qui est seule en cause ici) je ne le pense pas (et encore une fois, la position de Spinoza, globalement, ne tient pas l'examen ; on ne peut faire semblant de l'ignorer dans une discussion sérieuse.)
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Messagepar hokousai » 22 sept. 2012, 12:29

à Serge

Mais il y a un problème dans votre expression : quand vous dites "concevoir" vous faites forcément référence à la pensée. Votre phrase pourrait ainsi être réécrite : "on ne peut pas avoir l'idée d'une table comme étant de même nature que l'idée d'une table".


Vous me tirez toujours vers lidéalisme. Spinoza est réaliste, une idée a un objet qui n est pas l 'idée mais l'objet de l'idée. En l'occurrence l 'idée d un corps à un objet qui est un corps ( et non une idée )

Si je comprends Spinoza, le corps n'est pas substantiel ( bien qu'il parle de substance matérielle, parfois). Pas dune substantialité telle que l'étendue serait une substance (ou bien la matière (chez d' autres) ). S' il n' y a qu'une substance, il ne peut y en avoir deux autres incluses dans la seule et unique ( deux qui seraient pensée et étendue ) donc pensée et étendue ne sont pas des substances.


En fait, avec une idée simple, on ne pense pas qu'on pense ; on ne pense pas, même : on voit objectivement. C'est un des principaux enseignements spirituels, d'ailleurs...

Là il y a un problème le " objectivement "est en trop. Mais si on le comprend on ne fait plus de philosophie du tout . Or ce nest pas l objectif de Spinoza lequel pense que l'intellection est active dans l' accès à la béatitude.

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Messagepar jacqueslek » 26 sept. 2012, 12:33

Bonjour,

Merci pour cet article très intéressant, cela est beaucoup plus clair maintenant.

Jacques

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Messagepar cess » 07 oct. 2012, 12:50

Juste une remarque ou plutôt une digression et à la fois un écho aux sujets abordés dans ce fil..


Il y a cette phrase d'Harry A.Wolfson (la philosophie de Spinoza, chap13, p399, Gallimard) qui résume à elle seule , je trouve, toute la logique de Spinoza lorsqu'il évoque la question de Dieu :
"Dieu est ce que les preuves de son existence démontrent qu'il est."....et j'ai envie de rajouter: ces preuves sont accessibles sans jamais imaginer, sans jamais croire mais par construction mentale et l'ordonnancement des idées vraies.

Est alors sous-jacente la question des attributs pensée et étendu ou comment l'essence de Dieu vient se condenser dans l'homme, ce que notre entendement peut percevoir de lui.

Cette "fusion" Dieu-Homme est aisément représentable si on se munit d'un vieil appareil théorique mobilisant les analogies du microcosme et du macrocosme. Wolfson , encore une fois , l'a senti et entend démontrer que Spinoza s"y réfère.
Cette théorie est d'un genre particulier , une sorte de lecture très large de l'homme et de ses rapports avec l'univers ou comment le grand théâtre de la vie extérieure viendrait curieusement se jouer en chacun de nous.Elle se promène dans différents courants philosophiques depuis Pythagore, influença de nombreux penseurs de la Renaissance flirtant souvent avec l'ésotérisme ambiant de l'époque, de nombreux philosophes juifs l'ont aussi utilisée..

Théorie suspecte et pourtant, elle a un pouvoir explicatif évident lorsqu’il s'agit de balayer toutes les représentations que nous a légué notre civilisation judéo-chrétienne.
Elle vient littéralement anéantir ce dualisme philosophique qui a donné son schéma représentatif à la religion révélée: le haut et le bas, la métaphysique et la physique.Avec elle, ce qui est en haut se fond avec le bas.

Si j'ai pointé cette théorie , c'est qu'à mon sens elle est en mesure de démystifier ce mot "Dieu" en lui lui donnant une nouvelle dimension.

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Messagepar hokousai » 07 oct. 2012, 17:45

à Cess

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'interprétation que donne Wolfson du scolie 2 de la proposition 1/partie 2.

Relisez et Spinoza et Wolfson.
Spinoza n'emploie pas un argument ontologique. Il emploie l'argument suivant : plus le perfection ou réalité implique que nous estimions qu'un être pensant plus il pense plus il contient de réalité. Cet étant sera infini dans l'ordre de la pensée.
Or( par ailleurs ) nous concevons un étant infini .
Il y en a pas deux . Donc à cet étant infini et l'étant infini qui pense infiniment c'est le même . C' est lui .

il ne s'agit pas comme le dit Wolfson de : "alors le fait que nous ayons une idée claire et distincte d 'un être pensant infini prouve son existence ( comme pensant je suppose) """
ce que Spinoza ne cherche pas à prouver, il cherche à prouver que la pensée est un attribut de Dieu.

L'argument de Spinoza est donc plus subtil :
1) penser infiniment c'est perfection (réalité ) et infinité .
et parce que nous avons (( par ailleurs )une idée d ' étant infini, comme il n y en a pas deux (unicité de Dieu ) alors la pensée ne peut être un attribut que de cet étant là .)

mais vous pouvez en débattre.
......................................

Je ne suis pas vraiment d'accord avec Wolfson ( ici du moins )
Wolfson écrit:""" la nature de Diue doit être établie par les mêmes preuves qui sont employée pour établir son existence de son existence """".

Car dans le cas de la pensée, ce qui il faut c 'est une intuition de la pensée. Dans le cas de l'étendue c'est pire, il faut une expérience corporelle ce qu'aucun raisonnement ne produit .
Il faut ensuite un un raisonnement quant à la perfection possible de la pensée et de l'étendue . Ce ui n'a rien d'évident. Voir les remises au point de Spinoza sur l'indivisibilité de l' étendue .

La démonstration de la nature de Dieu dans la première partie de l Ethique se fait a priori , certes, hors de toute expérience . Encore que la pensée soit employée sans être pointée comme intuition préexistente, ce que Spinoza pointe dans la demonstr de prop 1/2( les pensées singulières !!!)

Pour l' étendue Spinoza dit procéder comme pour la pensée ...ie par les expériences singulières .
Me semble -t il .

bien à vous
hokousai

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Messagepar cess » 07 oct. 2012, 18:38

Hokousai

Excusez-moi , je ne fais pas le lien: en quoi cela à voir avec l'éclairage des analogies entre microcosme et macrocosme pour comprendre la jonction homme-divin??

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Messagepar cess » 07 oct. 2012, 18:55

Bon dans tous les cas, je vais reprendre et Spinoza et Wolfson dès que possible et vais essayer de vous répondre sur ce point.

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Messagepar hokousai » 07 oct. 2012, 23:54

à Cess

Excusez-moi , je ne fais pas le lien: en quoi cela à voir avec l'éclairage des analogies entre microcosme et macrocosme pour comprendre la jonction homme-divin?


Cela n' a rien à voir parce que je ne percevais pas que ce que dit Wolfson ( tel que cité par vous ) a à voir avec l' analogie entre "microcosme et macrocosme ".
C' est à vous de me montrer le lien en me renvoyant à tels passages de Wolfson.

J'avoue ne pas comprendre Spinoza à travers cette grille hermétique ( table d 'émeraude ) à résonance platonicienne. De nos jours on peut penser aussi aux fractales. Je vois plus le monde compris par Spinoza comme chaotique.

Et puis je vous renvoie à l 'analogie du chien céleste. Il me semble qu' entre micocosme et macrocosme il n y a d'autre convenance que de nom .

Mais je suppose bien que vous devez avoir quelques arguments .

hokousai


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