C'est un texte très difficile. Ce que je peux en dire, c'est que j'ai vraiment buté sur l'emploi du mot "Idée" qui apparaît très vite. Je voyais pas trop pourquoi parler "d'idée" pour dire le reste (en fait "pensée" me semble meilleur). Mais la raison est sans doute que le mot "pensée" ne convenait pas à Deleuze et qu'il n'avait peut-être pas à l'époque (ça vient de Différence et Répétition - 1968) le concept "actuel/virtuel" qui lui aurait permis de remplacer Idée par "pensée virtuelle". Enfin, faut voir...
Quant à Llores, sans doute qu'il laisse le mot tel quel déjà pour être fidèle au vocabulaire employé par Deleuze, mais aussi parce qu'il considère (ce cochon) que la première partie qui traite de l'idée platonicienne - comme quoi la pensée est indissociable de la morale - suffit à expliquer son emploi ultérieur.
Je ne dis tout ça que pour faciliter une lecture d'un texte magistral je trouve, mais euh... coton, hum.
Donc voilà :
Stéphane Llores a écrit :Pour la tradition philosophique, penser se déploie selon la double dimension morale et spéculative. Elle considère toute tentative de penser au-delà de la morale, selon un modèle autre que celui de la connaissance, comme vouée aux contradictions du subjectivisme, chez Deleuze, l’idée selon laquelle l’ouverture à autrui est au contraire amorale, et permet de dégager la pensée de son image traditionnelle sans tomber dans les écueils évoqués. Selon la tradition philosophique, « penser » se déploie selon la double dimension morale et spéculative. La pensée ainsi conçue implique une ouverture à autrui, qui rend possible la morale, définie comme le domaine du devoir. Le devoir est un motif autre que mon intérêt particulier, sa simple présence révèle la possibilité pour moi d’envisager un motif qui ne m’est pas propre, valable pour d’autres, la possibilité d’envisager d’autres perspectives, la perspective d’autrui. Elle est aussi ce qui rend possible la connaissance en ceci que le vrai est ce qui doit donner lieu à un accord de toutes les perspectives.
De là, on croit pouvoir conclure en sens inverse : être ouvert à autrui, ce serait entrer dans la perspective morale du devoir et de la vérité, de sorte qu’il ne serait de pensée qui ne se développe comme morale ou connaissance. C’est précisément cette idée qui est contestée à travers toute l’œuvre de Deleuze. Sa philosophie pourrait se résumer en ces termes : construire une nouvelle image de la pensée, qui n’aurait plus rien à voir avec la morale : "Faire de la pensée quelque chose d’agressif, d’actif et d’affirmatif" ; ni avec la connaissance : "Une nouvelle image de la pensée signifie d’abord que le vrai n’est pas l’élément de la pensée. L’élément de la pensée est le sens et la valeur".
Deleuze montre que si penser se joue bien dans l’ouverture à autrui, c'est sans nous faire entrer ni dans la morale, ni dans la connaissance, sans faire naître en nous la voix du devoir, ni l’exigence d’une vérité. Il faut donc comprendre comment il conçoit cette ouverture à autrui. Il nous faudra d’abord examiner ce qu’est l’individu dans la perspective deleuzienne pour, dans un second temps, voir comment cet individu se trouve ouvert à autrui. Alors seulement que nous essaierons de savoir en quoi l’ouverture à autrui n’a à voir ni avec la morale, ni avec la connaissance.
L’individu et l’individuation
L’individu est le résultat d’un processus d’individuation. Celui-ci doit être compris comme processus de résolution d’un état problématique, état problématique que Deleuze décrit comme Idée.
Selon lui, l’Idée peut se définir comme un ensemble dont les termes ne se définissent que par leur différence les uns avec les autres, ne sont rien d’autre que leur différence avec les autres. Les termes ne préexistent pas à leurs relations, ce sont les relations qui définissent leurs termes, et qui par conséquent leur restent extérieures.
Ainsi chaque terme, en tant qu’il s’affirme comme différence, fait revenir du même coup tous les autres termes comme différences aussi. Chaque terme enveloppe ou implique tous les autres et se trouve impliqué dans tous les autres. Ainsi l’Idée est ce qui complique les termes dont elle est composée. En tant que telle, l’Idée est multiplicité : ni le seul multiple, ni une combinaison d’un et de multiple, mais le multiple en tant qu’il ne fait aucunement appel à une unité pour former système, puisque chacun de ses termes se complique avec tous les autres.
La logique de l’Idée comme multiplicité est la logique de la disjonction incluse ou synthèse disjonctive : les termes divergents ou incompossibles coexistent, se compliquant ensemble - à l’inverse de ce qui est en acte, où une possibilité ne s’effectue qu’au détriment de toutes les autres. La logique de l’actualité est en un sens celle de la disjonction exclusive : une possibilité ou une autre, mais pas les deux. Dès lors, l’Idée ne peut être que virtuelle. Elle est multiplicité virtuelle, ce en quoi des hétérogènes coexistent par leur différence elle-même.
L’Idée est l’état problématique dont la solution constitue le processus d’individuation : toute Idée est porteuse de singularités, qui sortent des rapports des hétérogènes, et sont tout autant de potentiels divergents ou disparates. La solution est la courbe qui va intégrer les potentiels divergents en un tout. La solution du problème posé par l’Idée - c’est-à-dire l’individuation - consistera donc en l’intégration des potentiels divergents. Ainsi, Gilbert Simondon montre comment la vision binoculaire est la solution d’un problème posé par la coexistence de dimensions divergentes (les visions de l’œil droit et de l’œil gauche) dont les singularités – les potentiels divergents, disparates – sont intégrées dans une troisième dimension, la profondeur, qui englobe les deux premières. Cette solution requiert que les dimensions de l’Idée soient mises en communication. Dans l’Idée, les hétérogènes coexistent mais ne communiquent pas, ne se rencontrent pas. Cette mise en communication est intensive. En ce sens, l’intensité doit être comprise comme ce qui individue, et toute individuation comme intensive : "L’individuation est l’acte de l’intensité qui détermine les rapports différentiels à s’actualiser, d’après des lignes de différenciation, dans les qualités ou l’étendue qu’elle crée".
L’intensité est différentielle, se définit comme rapport entre disparates, en ce sens elle exprime l’Idée. Mais ce sous deux régimes : celui de l’Idée virtuelle, la perplication et celui de l’intensité, l’implication : "Les Idées sont des multiplicités virtuelles, problématiques ou faites de rapports différentiels. Les intensités sont des multiplicités qui dirigent le cours d’actualisation des Idées et déterminent les cas de solution des problèmes". C’est parce que l’intensité fait passer les rapports différentiels de la perplication à l’implication qu’elle est ce qui individue : les rapports différentiels, en s’impliquant les uns dans les autres, s’emboîtent, et donc s’ordonnent, s’intègrent en un tout, et par là se résout le problème constitué dans l'Idée par la coexistence perpliquée des hétérogènes les uns dans les autres.
L’individu doit donc se penser comme rapport intensif dont chaque terme implique, ou emboîte, un sous-rapport intensif, lui-même constitué de termes impliquant chacun un rapport intensif de niveau inférieur, etc. L’individu est donc fondamentalement intensif, comme l’individuation est le propre de l’intensité :
"Toute individualité est intensive : donc cascadante, éclusante, communicante, comprenant et affirmant en soi la différence dans les intensités qui la constituent". La différence est donc au principe de l’individu. Cependant, dans l'expérience, nous ne saisissons pas d’individu purement intensif. Empiriquement, l’intensité ne peut au contraire se saisir qu’à travers une extension. L’individu est un ensemble de parties extensives concourant à l’unité d’un même tout ; il n’y a plus d’hétérogènes ou de disparate, mais des parties concourant à un même tout.
C’est que, si l’individu est fondamentalement intensif, l’intensité s’explique. L’explication est l’opération par laquelle les singularités portées par les rapports différentiels impliqués les uns dans les autres sont mises les unes hors les autres. Expliquer, c’est mettre les singularités les unes à côté des autres, de sorte qu’elles puissent constituer un tout. L’intensité est différence impliquée, mais en s’expliquant, la différence s’annule.
L’explication relève en ce sens de ce que Deleuze nomme le bon sens (raison). Le bon sens est ce qui ne reconnaît la différence que dans la mesure où elle s’annule, qu’à l’horizon de l’identité. Il distribue, répartit les parts différentes de sorte qu’elles s’égalisent. Les maximes du bon sens sont "d’une part, d’autre part", "d’un côté, d’un autre côté", etc. Aussi le bon sens peut-il être défini par Hegel comme la vérité partielle en tant que s’y joint le sentiment de l’absolu. Le bon sens est un sens, une direction, qui va de la différence à son annulation, du rapport des hétérogènes au même. Le sens commun lui, donne valeur de vérité à cette fonction de rapporter la diversité au même. Subjectivement, il est l’organisation de la concorde des facultés, concourant à l’unité d’un même sujet, le "Je pense". Objectivement, il est ce qui impose à une diversité sensible la forme d’identité de l’objet quelconque, la forme d’objet. Évidemment l’un ne va pas sans l’autre. C’est en imposant la forme d’identité objective à une diversité sensible qu'il organise le travail de la sensibilité, de l’imagination ou de la raison sous la présidence de l’entendement. Aussi le "Je pense", dans cette situation, n’est rien d’autre que la forme d’identité de l’objet. L’individu empirique extensif est l’individu du sens commun, à savoir une diversité ramenée à la forme du même.
Si l’individu est fondamentalement intensif, alors bon sens et sens commun sont des dégradations de l’individuation. C’est pourquoi l’individu, selon Deleuze, n’est ni le "Je" ni le "Moi". En tant que principe du sens commun, le "Je" n’exprime aucune authentique individualité : il est la forme du même sous laquelle une diversité est rapportée ; il est le terme même du travail du bon sens, de l’explication : la différence totalement annulée en extension. Le Moi est lui la matière subjective pensée par le "Je", un organisme psychique dont la diversité, soit les facultés, est ramenée à la forme du même par le Je qui la pense. L’individu n’est ni "Je" ni moi : "L’individu se distingue du Je et du moi, comme l’ordre intense des implications se distingue de l’ordre extensif et qualitatif de l’explication".
http://www.multitudes.net/Autrui-et-l-i ... la-pensee/
EDIT : désolé, j'ai envoyé par erreur un résumé que j'en avais fait. Je crois qu'il est correct, donc je le laisse
EDIT du 02 février : la suite de la discussion va montrer que ce résumé n'est pas si bien fait que ça. J'en avertis par avance un éventuel lecteur qui suivrait le fil de cette discussion : le début est grammaticalement mal foutu et il manque ensuite quelque liaison qui rende grâce au texte original, suite a des lacunes qui ne font que me concerner. Milles excuses donc. J'espère que réparation est faite par la suite.
Il reste lisible dans l'ensemble pour ce que j'en pense