Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 18 mars 2016, 22:21

Vanleers a écrit :Au fond, vous posez les questions : peut-on être spinoziste et marxiste (ou marxien) ? et peut-on être spinoziste et heideggérien ?
humm !! non je ne pose pas ces questions.

Vanleers a écrit :Je n’en sais rien mais je constate, par expérience, qu’il est fructueux de confronter Spinoza à d’autres penseurs, par exemple à Marx et Heidegger, pour essayer de mieux comprendre Spinoza.

Chacun trouve ses fruits où il le peut.
Cela dit la confrontation de Spinoza avec ceux qui l'on précédé où/et avec de ses contemporains semble prioritaire pour comprendre comment il pensait (question de contexte).
Et c'est ce qui est le plus difficile, parce que nous, nous avons accès à des critiques ou des manières de penser postérieures à Spinoza, ignorées de lui, et qui nous influencent fortement.

C’est également au lecteur d’évaluer la querelle entre les thuriféraires de Heidegger et ses détracteurs qui soutiennent que cette philosophie est une philosophie nazie et de voir aussi comment Heidegger et ceux qui s’en inspirent se situent par rapport aux Lumières et à Spinoza.


Certes, mais c'est une question annexe.
J' ai été étonné par l' irruption de Heidegger dans vos messages.
Parce que je pense que les deux écoles s' ignorent en fait.(Heidegger n'a jamais parlé de Spinoza...une fois peut-être ).
.............

Vanleers a écrit :Comme Spinoza propose un salut par la connaissance, je ne nie pas l’importance du débat d’idées mais celui-ci doit être ordonné à la recherche d’un art de vivre jugé plus satisfaisant par les interlocuteurs.

Il faudrait m'éclaircir cette thèse à double entrée .
car on a:
1)un salut par la connaissance,
2)la recherche d’un art de vivre.

Si l'art de vivre jugé plus satisfaisant ordonne la connaissance, le salut ne vient pas en première instance de la connaissance mais de l'art de vivre.

Je veux bien que l'art de vivre jugé plus satisfaisant soit celui de l'état de connaissance (ou une progression vers).
Mais parce que la connaissance dépend étroitement du débat d'idées, c'est l'art de vivre qui est ordonné au débat d'idées .

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 22 mars 2016, 16:51

A hokousai

Je parlais d’un art de vivre jugé plus satisfaisant, ce qui rejoint la tradition antique qui considérait que « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements nous procure la vie heureuse » (propos attribué à Epicure par Sextus Empiricus – Contre les mathématiciens).

Je parlais aussi d’un salut par la connaissance. Or, selon Spinoza :

« Connaître désigne l’activité même de l’esprit, il ne s’agit donc pas de l’exercice d’une ou plusieurs facultés qui produiraient la connaissance. La connaissance est constitutive de l’esprit qui s’accomplit dans et par l’acte de connaître qui consiste dans la prise de conscience par le corps de son union à Dieu en tant qu’il ne pourrait ni être ni conçu sans lui. C’est donc par l’acte de connaître que l’esprit se constitue comme idée du corps, et plus cette activité progresse dans les différents genres de connaissance, plus l’esprit progresse vers la liberté. » (Eric Delassus, Spinoza p. 107 – Ellipses 2016)

Je parlais enfin du débat d’idées comme de ce qui peut entrer dans un processus de libération si on le conçoit, non comme un combat d’ego mais comme la recherche d’un meilleur art de vivre grâce et à travers la progression des interlocuteurs dans les différents genres de connaissance.

J’ajoute, et c’est capital même si on l’oublie souvent, qu’un débat de style spinoziste se place dans la perspective de l’union à Dieu, ce que rappelle E. Delassus, ci-dessus.
Dans une telle perspective, il n’y a pas de questions subalternes mais des questions qui demandent à être replacées dans un cadre plus vaste ; il n’y a pas de positions fausses mais seulement des positions incomplètes et confuses qu’il convient de compléter et clarifier.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 22 mars 2016, 23:31

vanleers a écrit :Dans une telle perspective, il n’y a pas de questions subalternes mais des questions qui demandent à être replacées dans un cadre plus vaste ; il n’y a pas de positions fausses mais seulement des positions incomplètes et confuses qu’il convient de compléter et clarifier.


Un débat d' idées ce n'est pas pour moi un combat d'idées.
Je le vois plus comme un échange (un commerce) que comme une lutte.

C 'est pourquoi il convient, me semble-t-il d' être très prudent dans le débat d'idées.
Il convient à mon avis de se prémunir de formes et même de formalités.
C'est à dire respecter les règles d 'un corps de politesse et de courtoisie, c'est plus l'art du diplomate que celui du joueur d'échecs.
Ce sans quoi le débat d 'idées tourne vite à l'expression d'affects passionnels.

Il faut se contraindre à lâcher du terrain si nécessaire.

Mes remarques ne vous visent pas personnellement .
Je m'inclus dans la critique.
Je sais que quand le ton monte, je fais fausse route.
Cela dit nobody is perfect.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 23 mars 2016, 10:58

A hokousai

Je suis d’accord sur l’essentiel.
Je pense toutefois qu’il n’est ni réaliste ni souhaitable de vouloir supprimer la dimension agonistique du débat d’idées.
Un individu est une puissance qui se déploie autant qu’il est en elle de le faire. Il faut seulement éviter que la puissance (potentia) ne dégénère en désir de pouvoir (potestas) sur l’interlocuteur.
Spinoza n’hésite pas à employer parfois un langage quelque peu guerrier (E IV 46 sc.) :

« Qui veut se venger des offenses par une Haine réciproque vit à coup sûr misérablement. Tandis que qui au contraire s’emploie à triompher de la Haine par l’Amour, combat tout joyeux et sans inquiétude, tient tête avec autant de facilité à plusieurs hommes qu’à un seul, et n’a pas le moins du monde besoin du secours de la fortune. Et ceux qu’il vainc perdent joyeux, non pas, certes, d’avoir perdu leurs forces, mais d’en avoir gagné ; toutes choses qui suivent si clairement des seules définitions de l’Amour et de l’intellect qu’il n’est pas besoin d’en faire la démonstration pas à pas. »

J’ajouterai encore que, pour devenir spinoziste (le sujet de ce fil), il est utile de participer à des débats d’idées fondés sur la lecture de l’œuvre de Spinoza.
A ce propos, je cite Pierre Hadot (Exercices spirituels et philosophie antique pp. 73-74 – Albin Michel 2002) :

« […] mais nous ne savons plus lire, c’est-à-dire nous arrêter, nous libérer de nos soucis, revenir à nous-mêmes, laisser de côté nos recherches de subtilité et d’originalité, méditer calmement, ruminer, laisser les textes nous parler. C’est un exercice spirituel, un des plus difficiles : « Les gens, disait Goethe, ne savent pas ce que cela coûte de temps et d’effort pour apprendre à lire. Il m’a fallu quatre-vingts ans pour cela et je ne suis même pas capable de dire si j’ai réussi. »

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 23 mars 2016, 13:09

Vanleers a écrit :J’ajouterai encore que, pour devenir spinoziste (le sujet de ce fil),


C'est à dire que personnellement je n'ai pas le désir de devenir spinoziste.
Il y a quelque chose de l'ordre du désir d'affiliation qui me trouble. Spinoziste ce n'est pas un terme à connotation éthique, pas en première instance.

Je vois en première instance un champ lexical éthique :joie , bonheur de vivre, amour, vertu, courage et/ou autres ), de l'éthique comprise comme manière de vivre.

Introduire des mots comme spinoziste ou kantien ou autres, dénote, certes, de manière de vivre et se rapporte à l'éthique, mais pas en première instance.

Vouloir devenir spinoziste ou kantien ou hégélien...oui peut- être... mais c'est globalement désirer s'affilier (le fils cherche le père).

Je n'ai a priori rien contre...
mais a postériori peut- être :!:
Car ce désir d'affiliation va quelque part subordonner l' éthique à une présence exogène.

En clair je ne serai toujours pas libre puisque je ne le suis jamais... mais je le serai néanmoins moins.
En effet il y a des degrés même dans l' absence de liberté.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 25 mars 2016, 10:20

A hokousai

Je pense que la vraie question est plutôt : « Quel effet cela fait-il de se placer dans la perspective spinoziste ? »
Qu’éprouvons-nous lorsque nous voyons les choses, nous-même, les autres « à la Spinoza » ?
Si c’est la joie, une joie plutôt du genre hilaritas, c’est-à-dire complète, et non du genre titillatio, c’est-à-dire partielle, alors je dirai que nous avons trouvé notre voie.
Car une telle joie est un critère sûr, le signe que notre puissance d’être (puissance d’agir du corps et puissance de penser de l’esprit) s’accroît lorsque nous nous plaçons dans la perspective spinoziste.
En quelque sorte, nous avons touché les alizés et il n’y a plus qu’à se laisser porter par un courant puissant et constant.
Le résultat aussi, c’est que nous devenons davantage actifs, au sens de Spinoza, c’est-à-dire plus libres.
Disons également que ce qui est éprouvé, c’est une satisfaction de soi accrue (acquiescentia in se ipso) qui pourra déboucher sur l’acquiescentia, autre nom de la béatitude
A propos de l’amour de soi et de la satisfaction de soi, voir :

viewtopic.php?f=11&t=1547

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 25 mars 2016, 18:44

Vanlers a écrit :« Quel effet cela fait-il de se placer dans la perspective spinoziste ? »

Admettons... c'est déjà nettement moins doctrinal.


Maintenant la question « Quel effet cela fait-il de se placer dans la perspective spinoziste ? »semble escompter une réponse, donc un effet.
SI on n'a pas l'effet c'est que ... quoi ?
Qu' on ne s'est pas placé exactement dans la perspective ?

Ou bien alors pour d'autres raisons/causes ?

Car puisque certains atteignent la béatitude sans se placer la dans la perspective spinoziste,
il suit que la béatitude (comme son absence) peuvent dépendre d'autres causes/raisons.

Je ne sais pas dans quelle mesure l'effet est du à : se mettre dans la perspective spinoziste .

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 25 mars 2016, 21:53

Si, malgré ses efforts, le candidat spinoziste ne trouve pas la joie, c’est que la philosophie de Spinoza n’est pas sa voie.

Il vaut mieux qu’il tente autre chose, qu’il essaie, selon le cas, une autre philosophie, le jardinage, une religion, les mots croisés… et, plus généralement toutes pratiques qui, de facto, augmentent son acquiescentia in se ipso.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 25 mars 2016, 23:02

Si, malgré ses efforts, le candidat spinoziste ne trouve pas la joie, c est que la philosophie de Spinoza n’est pas sa voie.


Vous admettez alors que cette voie correspond à certains tempéraments et pas à d'autres.

Encore faudrait-il s'entendre sur la joie . On se demande à voir le monde s il n'est qu'une sorte de joie ( la spinoziste )
La recherche de la joie parait certes bien une affaire d'éthique ...non universelle cependant. Elle correspond aussi à certaines cultures.
D' emblée pour diverses raisons certains ne voudront pas emprunter cette voie parce que la béatitude n'est pas ce qu'ils recherchent.

Je comprends bien que la voie de Spinoza prétende conduire à la béatitude (c'est clairement exprimé )
Mais comment persuader que la voie du bonheur est supérieure à celle du malheur ?
Ou à d'autres.(voie du devoir ou voie de l' honneur, la voie martiale du guerrier, la voie de l' ascète ... par exemple)

exemple :Carnets 1914-1916
Wittgenstein a écrit : – J’en reviens toujours à ceci : que, simplement, la vie heureuse est bonne, et mauvaise la vie malheureuse. Et si maintenant je me demande pourquoi je devrais être heureux, la question m’apparaît de soi-même être tautologique; il semble que la vie heureuse se justifie par elle-même, qu’elle est l’unique vie correcte.
Le jeune Wittgenstein- tolstoien.

Si on a des formes de vie qui se justifient par elles- mêmes, elles ne se justifient pas par un apport exogène.

Conclusion: on ne devient pas spinoziste on l'est (d' emblée) ou on ne l'est pas.

Vous vous sentez bien, d'emblée, dans la voie parce que vous tendez à une certaine forme de béatitude.
Le logos de Spinoza se développe du début à la fin dans une certaine forme psychologique.
Vous participez d' emblée de cette forme ou pas.
Rien n'est acquis, tout est déjà là.
Modifié en dernier par hokousai le 26 mars 2016, 16:10, modifié 1 fois.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 26 mars 2016, 15:30

A hokousai

1) Comme je l’ai suggéré dans mon post précédent, par joie, je vise plus particulièrement, l’acquiescentia in se ipso, telle que définie par Spinoza :

« La satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso) est une joie née de ce qu’un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d’agir » (E III déf. aff. 25)

Si la philosophie de Spinoza ne donne pas satisfaction (au sens de ne pas procurer de satisfaction de soi), alors il vaut mieux aller voir ailleurs. Comme on dit : satisfait ou remboursé.
Pourquoi viser l’acquiescentia in se ipso ? Car elle peut être l’antichambre de l’acquiescentia, autre nom de la béatitude que l’on atteint en reliant l’acquiescentia in se ipso à Dieu.

2) Tout est déjà là en effet et je cite une nouvelle fois Henrique :

« Par conséquent, la béatitude ne s'atteint pas, elle existe déjà de toute éternité. Mais, si elle existe déjà, nous n'en avons pas clairement conscience. On peut donc s'interroger sur les moyens non d'atteindre la béatitude mais une conscience suffisamment claire et distincte de cet état. »

C’est en :

http://www.spinozaetnous.org/article14.html

Avec Spinoza, on est dans le rationalisme qui affirme qu’il suffit de clarifier nos esprits embrouillés et confus pour avoir conscience que notre béatitude existe déjà.
A chacun de voir si c’est vrai.


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