Spinoza et les femmes / le "parallélisme"

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 23 déc. 2007, 21:56

Cher Sescho-
Je ne crois pas que l’infinité d’attributs vienne de ce qu’il ne peut y avoir qu’un seul attribut, mais de ce que l’on en pose deux


.
Je pense que l’idée de l’infinité des attribut (comme théorie) vient de l’infinité c’est à dire de la perfection de Dieu .
Mais cela ne suffit sans doute pas , car après tout Dieu pourrait n’être que pensée et néanmoins considéré comme parfait, dans la tradition occidentale on connait cette option .
Maintenant il est évident que nous distinguons
1) la pensée ou ce qui tombe sous la conscience , ce qui nous semble à la fois le plus proche de nous même et en même temps caché au monde ( à autrui) et
2) le corps et les corps . Nous distinguons. De là à penser à deux attributs et à les concevoir il n’y a qu’un pas à franchir celui de la théorie.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 23 déc. 2007, 22:51

Chère Louisa je reviens sur la seconde partie de votre message

(c'est en effet Descartes qui a lancé cette idée-là etc …)

Si vous voulez que le corps soit une seule et même chose , quand l’esprit dort alors le corps dort ,il ne se promène pas sur les toits .
Mais ce n’est pas ce dont je parle .

Je pars de ce que dis Spinoza « """ de la il appert que encore que l’on conçoive deux attributs réellement distincts nous ne pouvons en conclure qu’ils constituent deux étants existants"""(scolie prop 10 part 1) »
Je ne dis pas qu’il n 'y a que de la pensée ou que de l’étendue ni même les deux ( pas objectivement les deux ) mais que nous concevons ainsi .

Objectivement et sans que je la pense ou la regarde un corps comme la lune est peut être aussi une expression de la pensée (en Dieu) et expression d’une infinité d’autres attributs ( et tout cela en Dieu ).
Mais en Dieu quel peut être la distinction telle que nous nous la faisons ? Si la substance est indivisible, les attributs( qui sont ce comment nous concevons dieu), les attributs ont quel genre d’existence ?

Spinoza est ambigu à nous dire qu’ils se sont toujours trouvé ensemble sans être produit l’un par l’autre.
La substance ne semble- t elle pas être alors divisée ?

S’il s’agissait d’une puissance être objective il faudrait admettre une vertu magique à l’expression laquelle produirait le multiple sans diviser la substance .

Pour sauver l’indivisibilité de la substance on est obligé de partir de notre position subjective de sujet pensant et de dire que l’ expression(comme idée ) est un effet de l’esprit humain .
Lequel est dans l’illusion d être divisé ou séparé de son corps.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 24 déc. 2007, 10:01

Cher Hokousai,

Louisa:
Il faudrait d'abord me montrer en quoi ma démonstration n'est pas spinoziste (puisque vous semblez la contester).
(...)
DEMO.
Les corps singuliers, autrement dit tel et tel corps, sont des manières, qui expriment la nature de Dieu de manièr précise et déterminée (par le corollaire d'E1P25: "Les choses particulières ne sont rien que des affections des attributs de Dieu, autrement dit des manières par lesquelles les attributs de Dieu s'expriment de manière précise et déterminée"). Appartient donc à Dieu (par la définition 5 p.1) un attribut, dont tous les corps singuliers enveloppent le concept, et par lequel aussi ils se conçoivent. Donc l'Etendue est un parmi l'infinité des attributs de Dieu, qui exprime l'essence éternelle et infinie de Dieu (voir la définition 6 p.1), autrement dit, Dieu est chose étendue. CQFD.

Hokousai:
Ce que vous démontrez est que parce que nous concevons des choses étendues alors l’étendue peut être conçue ..Ce n’est pas l’étendue qui est démontrée mais que nous pouvons la concevoir ( on est d’accord nous pouvons la concevoir )


je ne vois pas très bien comment transformer la démonstration en ce que vous dites ici. La démonstration commence par mentionner les CORPS singuliers. Elle se base donc non pas sur l'IDEE ou le concept d'un corps singulier, mais sur ces corps singuliers eux-mêmes.

Puis en effet, ce n'est pas l'étendue qui est démontrée: elle est dès le début de la démo présente, et cela justement parce que Spinoza commence bel et bien par les CORPS. Ce qui est démontré, c'est que, constatant qu'IL Y A des corps SINGULIERS, il doit y avoir un ATTRIBUT qu'ils expriment tous. Ce qui est démontré est donc l'existence même d'un attribut de l'Etendue, d'une part sur base du constat de l'existence de corps singuliers, et d'autre part sur base des définitions du livre I et de l'E1P25.

Autrement dit, la démo démontre l'existence d'un attribut, pour ce qui concerne l'Etendue. Cela n'a plus rien à voir avec la possibilité de démontrer qu'il y a de l'étendue, car ce dont il s'agit ici, c'est de démontrer la thèse tout de même tout à fait révolutionnaire qui est que Dieu lui-même est chose étendue. Cette thèse est tellement inconcevable pour un monothéïsme (donc pour quasiment toute la culture occidentale) qui a appris à identifier Dieu à un esprit et à (dans le langage spinoziste) un simple MODE de l'Etendue (Dieu comme homme avec une barbe longue etc.), que beaucoup de lecteurs de Spinoza encore aujourd'hui ne l'intègrent pas dans leur compréhension de la pensée spinoziste, il me semble.

Donc: Dieu n'est pas un seul MODE particulier de l'Etendue, il est l'ATTRIBUT Etendue, voici ce que démontre cette démo.

Mais peut-être votre présupposition (qu'in fine tout ce que Spinoza dit ici peut être réduit à des CONCEPTIONS, qu'il n'y a pas de PERCEPTION directe de l'Etendue, chez Spinoza) est-elle justifiée dès que l'on regarde les passages cités et sur lesquels la démo est construite? Peut-être qu'en E1P25, et en E1 Déf 5 et 6, Spinoza a déjà réduit toute Etendue, mode ou attribut, à des conceptions?

Or voici que l'on ne peut que constater qu'il n'en est rien. On peut prendre chaque définition de l'E1 (et même les axiomes), on retrouve systématiquement le parallélisme. Déf 5: "Par manière, j'entends les affections d'une substance, autrement dit ce qui est en autre chose" (il s'agit bien de l'être ici, et non pas de la conception), "et se conçoit AUSSI par cette autre chose".

Si un mode (par exemple un corps singulier) est une affection d'une substance, qui est donc en autre chose, OÙ se trouve l'idée que ce mode serait une simple CONCEPTION et se réduirait à cela? Idem en ce qui concerne la définition de l'attribut.

Bref, là où Spinoza dédouble systématiquement son discours en parlant d'une part des choses et d'autre part de ce que l'on conçoit par rapport à elles, il me semble que vous ôtez aussi systématiquement la part des choses pour réduire la pensée spinoziste à ce qu'il dit des conceptions. J'avoue que je ne comprends pas très bien pourquoi on le ferait?

Hokousai a écrit :Ou bien on ne peut pas démontrer comme pour la pensée( et en terme de corps ) ou bien les corps sont des pensées.


Que les corps soient des pensées est impossible dans un spinozisme, pour la simple raison que les attributs sont définis par le fait de n'avoir rien en commun l'un avec l'autre. Deux attributs peuvent constituer une seule et même chose, ils n'en demeurent pas moins radicalement différents.

Puis il FAUT démontrer comme pour la pensée, ET DONC montrer AUSSI bien que les corps sont des AFFECTIONS de l'attribut Etendue que montrer que les corps enveloppent le CONCEPT de cet attribut. C'est parce que déjà dans la définition des attributs on retrouve systématiquement les deux niveaux (l'aspect formel et l'aspect objectif (celui-ci relevant de la conception)) qu'il faut bien mentionner ces deux niveaux également dans une démonstration qui vise à démontrer l'existence d'un attribut spécifique, attribut de la Pensée, de l'Etendue ou autre.

Autrement dit, c'est PARCE QUE il est propre à l'idée d'avoir non pas un être objectif mais un être FORMEL comme objet, que tous les êtres formels, qu'ils soient des idées ou AUTRE CHOSE que des idées, sont forcément l'objet d'une idée. Mais là où chaque idée est une conception, les objets des idées, étant des être formels, peuvent être n'importe quel être formel, pas seulement des idées. Et donc aussi l'être formel propre au corps. Si vous voulez enlever la dimension formelle du spinozisme, il me semble que vous lui ôtez son essence, non?

Louisa:
vous définissez le rapport corps-esprit par une DISTANCE, c'est-à-dire par une propriété corporelle.

Hokousai:
Ah mais non . C’est la distance qui définit l’espace et non l’espace qui définit la distance.


d'accord, mais dans les deux cas, la distance est un terme spatial. Et tout ce qui est spatial est de l'ordre de l'Etendue, non?

Hokousai a écrit : La distance est une impuissance (je ne suis pas au-delà d’une certaine puissance d être moi-même ) et au-delà je pâtis ( je suis passif , je subis , je n’ y suis pas libre et puissant comme dans mon empire )
Mon corps est ce sur quoi j’agis


ok, vous pouvez bien sûr penser en tant que cartésien ou autre, si vous voulez. Ce que je me demande, c'est dans quelle mesure vous croyez que ceci soit compatible avec le spinozisme ou non. Car Spinoza dit littéralement que nous ne sommes PAS des empires. Le seul empire naturel est divin, chez lui. Le corps peut donc agir ou pâtir, et une partie du corps peut bien sûr agir sur une autre partie du même corps. Or vous identifiez sans cesse le "moi" à l'esprit, et le corps à quelque chose d'autre que ce "moi". J'y reconnais facilement une pensée monothéïste classique, mais comment y reconnaître un spinozisme?

Hokousai a écrit :il est déjà à distance de moi-même pensant


si vous posez cela, j'avoue que je ne vois pas comment NE PAS voir alors dans l'esprit ou le "moi" quelque chose de l'ordre de l'Etendue. Car qu'est-ce qui peut se trouver à une certaine DISTANCE d'un corps, sinon un autre corps ou une partie du corps?

Donc même si vous dites qu'il s'agit plutôt d'une thèse non spinoziste, j'ai du mal à comprendre ce que vous voulez dire. D'une part il existerait quelque chose de non corporel qui serait plus essentiellement "moi" que mon corps, mais d'autre part il y a tout de même un espace (donc de l'Etendue) entre mon corps et moi-même ... . Dans ce cas, OÙ est-ce que je me trouve, "moi" ... ??? L'esprit doit forcément se trouver dans un LIEU, s'il est à une certaine distance avec mon corps. Dans quel lieu? Et pourquoi ce qui a un lieu ne serait PAS de l'ordre de l'Etendue?

A bientôt pour des réponses aux autres messages,
Louisa

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 24 déc. 2007, 12:25

Cher Hokousai

hokousai a écrit :Je pense que l’idée de l’infinité des attribut (comme théorie) vient de l’infinité c’est à dire de la perfection de Dieu .
Mais cela ne suffit sans doute pas, ...

Sur ce premier point, un seul attribut c'est : pas d'attribut du tout (les attributs étant la substance même vue suivant une dimension particulière de l'être). Il reste dans ce cas toujours l'infinité, et non pas "en son genre" puisqu'il n'y rien en dehors (de "Penmat", suivant mon raisonnement.)

C'est lorsque l'on pose deux attributs que le "en son genre" tend à apparaître, car ce cardinal fini sent le partiel : pourquoi deux ? Deux serait-il le nombre de Dieu ? L'infinité des attributs est nettement plus conforme à l'idée que l'on se fait de Dieu. Pour autant, le côté discret de l'affaire reste (il s'agit d'un ensemble discret de cardinal infini), ce qui choque un peu. Toutefois, le parallélisme (qui pour moi est strict selon Spinoza) rend la chose moins tranchée (il s'agit en fait de "facettes" de la même chose.) Finalement, en se demandant comment ce qui est peut apparaître suivant différentes facettes, on en revient à mettre l'hypothèse "Penmat" en avant (et à se demander en même temps de quel "entendement" il s'agit vraiment dans la définition de l'Attribut... Pour Spinoza il semble clair que c'est tout entendement clair, celui de Dieu en première instance.)

Pour le reste je vous suis parfaitement. C'est bien en ces termes que le problème se pose (et l'"hypothèse Penmat" ne nous mène pas loin, car elle est sinon contraire du moins décalée par rapport à l'intuition la plus immédiate ; une autre façon de le dire serait que nos limites sont indépassables et qu'il faut donc faire avec, et que nous pouvons - dans une certaine mesure - faire avec.)


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 25 déc. 2007, 01:23

à Louisa


Que les corps soient des pensées est impossible dans un spinozisme, pour la simple raison que les attributs sont définis par le fait de n'avoir rien en commun l'un avec l'autre. Deux attributs peuvent constituer une seule et même chose, ils n'en demeurent pas moins radicalement différents.


Je ne vous dis pas que les corps sont des pensées mais que les pensées des corps sont des pensées .Or la pensé de Spinoza n’a pas accès à d’autre chose qu 'à de la pensée .

(puisque les attributs sont théoriquement distincts on en est conduit à cela …théoriquement )

Les corps sont déduits on ne sait pas ce que sont les corps du point de vue d un autre attribut que la pensée ..mais on déduit de ce que la substance s’exprime par une infinité d’ attribut que les corps sont exprimés par l’étendue .


En fait l’étendue vient d’ailleurs on ne voit pas la déduire sans une expérience antérieure à la théorie .
Alors d’ où vient-elle ( l’idée de l’étendue )?

Vous dîtes que parce qu’il y a des corps cela suffit pour que nous les percevions (ce qui es la positions aristotélicienne , dite réaliste ).
Cela ne suffit pas
Il pourrait ne pas y avoir de corps et que nous en percevions néanmoins parce que ce que nous percevons ce ne sont pas des corps mais des perceptions .
Il pourrait y avoir des corps sans que nous les percevions ( dans votre dos il y a des corps )

L’existence objective des corps ( que vous posez ) ne suffit pas à expliquer que nous percevions des corps .
Voila pourquoi je ramène la question de l’étendue et des corps non pas à une existence objective mais à une relative puissance d’ agir .

Vous travaillez sur des bases dualistes assez strictes
Spinoza ne cesse pourtant de redire que les idées que nous avons de notre corps et plus encore des corps extérieures sont des idées confuses , cela je le comprends parfaitement . Ma puissance d’agir décroît et la clarté des idées décroît d’autant .

La clarté et la distinction est au niveau des idées dans un registre assez étroit de certitudes au delà c‘est la confusion .
Poser l’existence objective des corps me parait relever des idées confuses si cette existence n’est pas soutenue pat la théorie des attributs .
Mais c’est alors une existence théorique .. c'est-à-dire liée à la façon que nous avons de concevoir .

hokousai

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 25 déc. 2007, 13:56

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :Je ne vous dis pas que les corps sont des pensées mais que les pensées des corps sont des pensées .Or la pensé de Spinoza n’a pas accès à d’autre chose qu 'à de la pensée .


ok, les pensées des corps sont, comme les pensées de n'importe quel objet, des pensées. Cela va de soi.

Hormis cette évidence, il y une deuxième question que l'on peut se poser par rapport aux pensées/idées, et qui est celle du rapport entre l'idée et son objet. Alors ce que vous semblez dire, c'est qu'aussi bien pour vous que dans le spinozisme, l'idée n'a pas "accès" à son objet quand cet objet n'est pas de l'ordre de la pensée, autrement dit si l'objet n'est pas une idée lui aussi. Or dans ce cas, COMMENT concevez-vous le rapport entre une telle idée et son objet (donc un objet qui est tout sauf une idée)? Comment une idée peut-elle avoir un objet et en même temps ne pas y avoir "accès"?

Hokousai a écrit :(puisque les attributs sont théoriquement distincts on en est conduit à cela …théoriquement )


Spinoza n'utilise pas le mot "théorie" pour ce genre de choses. L'Ethique est avant tout un livre, un corps donc. On y trouve des idées, dont une partie, d'après Spinoza lui-même, se base entièrement sur "l'expérience", c'est-à-dire sur ce qu'on appelle traditionnellement la "pratique", et non pas la théorie. Comme j'ai déjà dit ici, à mon sens c'est bel et bien PARCE QUE on réduit, en tant que lecteur, l'Ethique à une théorie que l'on est quasiment obligé de ne pas sentir le côté "pratique", qui lui demande d'être "mise en oeuvre" avant que l'on puisse le sentir.

Sinon en effet, pour Spinoza les attributs sont REELLEMENT distinct. Mais cela n'est qu'une part de l'histoire. L'autre, c'est qu'ils constituent une UNION indivisible. Ou comme le dit Robert Misrahi: "les deux Attributs constituant l'humain au sein de la Nature (la Pensée et l'Etendue) n'ont pas cessé d'être essentiellement distincts quant à leur définition et leur domaine, et pourtant ontologiquement un et identiques quant à leur réalité ultime."

Si l'idée est définie comme quelque chose qui est essentiellement constituée par son objet, alors cet objet n'est plus la chose extérieure perçue par le corps. L'objet est la modification qui se produit dans le corps. Ce qui est perçu par le corps est un aspect de la chose extérieure (ou plutôt du corps extérieur), ce qui est perçu simultanément par l'esprit est l'affection produite dans mon corps. La séparation moderne entre sujet connaissant et objet connu (et que vous semblez ressentir comme étant une idée évidente) n'est plus pertinente ici, parce que l'objet n'est plus une chose extérieure à mon corps, c'est une partie de mon corps même. Il suffit de penser au fait qu'effectivement, aucune idée ne peut exister sans avoir un objet, pour comprendre combien ce lien entre objet et idée est ESSENTIEL. L'objet n'est pas ajouté de l'extérieur à l'idée, il CONSTITUE l'idée, de l'intérieur.

Que les attributs sont réellement distincts n'empêche donc pas que l'attribut de la pensée a comme caractéristique principale d'être INTIMEMENT lié à son objet (= n'importe quel attribut formel). Si l'on s'en tient à l'aspect distinct, alors on peut retomber dans un solipsisme à la Berkeley. Mais il me semble que réduire Spinoza à celui-ci devient beaucoup plus difficile dès que l'on tient compte d'un autre aspect crucial chez lui, le fait que l'objet constitue, de l'intérieur, l'idée, et n'est plus une chose extérieure perçue par l'esprit ou le corps. Là tout se complique. J'y vois une invitation de s'adonner à une petite "expérience de pensée": celle d'abandonner notre point de vue habituel, qui est entièrement moderne, et d'essayer de penser et donc de percevoir les choses autrement.

Hokousai a écrit :Les corps sont déduits on ne sait pas ce que sont les corps du point de vue d un autre attribut que la pensée ..


pourtant, Spinoza dit exactement l'inverse: il faut étudier le corps pour comprendre quelque chose de l'esprit. Et cela précisément parce que appliquer la méthode scientifique inventée par Galilée et co est beaucoup plus facile quand l'objet étudié est un corps que quand l'objet est un esprit. La méthode de connaissance la plus fiable qui existait à l'époque (et encore largement aujourd'hui, je dirais) était celle de la science physique.

Sinon je ne vois pas OÚ Spinoza déduirait les corps. Corps et pensée figurent au MÊME titre déjà dans les toutes premières définitions de l'E1 ("un corps n'est pas borné par une pensée, ni une pensée par un corps", E1 Déf.2). Corps et esprit sont donc dès le début présents comme des "évidences", des "notions communes". Si je parcours rapidement le début de l'Ethique (rapidement, donc je peux me tromper), il faut attendre l'E1P11 avant qu'apparaisse de nouveau l'une des deux notions. Et de nouveau, on y parle de corps sans AUCUNE déduction. Spinoza y dit simplement que "la raison qui fait qu'un cercle, ou un triangle, existe ou n'existe pas, ne suit pas de leur nature, mais de l'ordre de la nature corporelle tout entière (...) . Et ces choses-là sont par soi manifeste".

Occurrence suivante: il s'agit encore une fois de corps, corps posés comme existant de façon évidente, manifeste (toujours pas d'esprit qui apparaît ...). E1P12 corollaire: "De là suit qu'aucune substance, et par conséquent aucune substance corporelle, en tant qu'elle est substance, n'est divisible". L'esprit n'intervient qu'à l'E1P14, et cela non pas déjà sous son nom propre. Il ne s'y agit que de la "chose pensante": "Il suit: (II) que la chose étendue et la chose pensante sont ou bien des attributs de Dieu, ou bien (par l'axiome 1) des affections des attributs de Dieu".

E1P15 sc: "Il y en a qui se figurent Dieu à l'instar de l'homme, composé d'un corps et d'un esprit". Ici aussi, Spinoza part de l'évidence que l'homme est composé d'un corps et d'un esprit, il ne le déduit pas.

On peut bien sûr interroger cette évidence, je voulais seulement souligner qu'à mon sens NULLE PART Spinoza "déduit" les corps. A fortiori, pas de déduction de l'existence du corps à partir de la pensée, chez Spinoza.

Hokousai a écrit :mais on déduit de ce que la substance s’exprime par une infinité d’ attribut que les corps sont exprimés par l’étendue .


j'espère avoir montrer que Spinoza, cela n'est pas le cas. Il ne déduit pas les corps ou l'étendue de l'infinité de la substance. L'infinité de la substance est, quant à elle, déduite des définitions et axiomes de la première partie de l'Ethique. Mais les corps et les pensées figurent DEJA dans ces définitions mêmes. Il s'agit donc pour Spinoza d'évidences, de notions communes, pas de choses que l'on peut ou doit déduire. C'est que pour Spinoza, nous SOMMES aussi bien des corps que des esprits. Impossible donc de ne pas trouver ces deux aspects de nous-mêmes tout à fait "manifeste par soi".

Hokousai a écrit :En fait l’étendue vient d’ailleurs on ne voit pas la déduire sans une expérience antérieure à la théorie .
Alors d’ où vient-elle ( l’idée de l’étendue )?


Comme je viens de le montrer, ce n'est pas seulement le corps ou l'étendue qui "vient d'ailleurs", mais tout aussi bien et en même temps l'esprit ou l'idée (puisqu'ils figurent tous les deux dans la deuxième définition de l'Ethique, sans être défini eux-mêmes).

Il faut donc en conclure, à mon sens, que pour le spinozisme l'étendue et l'idée de l'étendue surgissent simultanément, et cela antérieurement à l'Ethique. Il faut sans doute remonter aux plus lointaines origines de la culture occidentale pour pouvoir comprendre comment est né ce dualisme, mais il se fait que depuis lors, nous baignons dedans. Encore aujourd'hui, les sciences de l'homme se divisent en "médecine" et "psychologie". Le corps et l'âme ou le mental demeurent des catégories tout aussi évidentes qu'à l'époque de Spinoza ou d'Aristote. Dès la petite enfance, nous apprenons qu'il faut attribuer tels phénomènes qui nous arrivent à notre "corps", et tels phénomènes à notre "esprit" ou "psychè".

Hokousai a écrit :Vous dîtes que parce qu’il y a des corps cela suffit pour que nous les percevions (ce qui es la positions aristotélicienne , dite réaliste ).
Cela ne suffit pas
Il pourrait ne pas y avoir de corps et que nous en percevions néanmoins parce que ce que nous percevons ce ne sont pas des corps mais des perceptions .
Il pourrait y avoir des corps sans que nous les percevions ( dans votre dos il y a des corps )


il me semble que vous confondez de nouveau la perception avec ce qui est perçu. Nous ne percevons pas des perceptions, nous percevons des choses (qui en l'occurrence peuvent être des perceptions, mais cela ne vaut guère pour toutes nos perceptions).

Hokousai a écrit :L’existence objective des corps ( que vous posez ) ne suffit pas à expliquer que nous percevions des corps .


ni moi-même (pour rappel: je parle peu de ce que je pense moi-même dans cette discussion, je parle de ce que je crois être le spinozisme) ni Spinoza ne posons une "existence objective des corps", du moins pas au sens traditionnel du mot. Remarquons que Spinoza utilise rarement le mot "objet" (obiectum). Il parle le plus souvent de l'ideatum, tandis que ce qui est perçu du monde extérieur est systématiquement appelé "chose" (res). Or depuis la modernité une "existence objective" signifie une existence un peu étrange: une existence en tant qu'objet de notre idée, ET en même temps une existence tout à fait indépendamment de nous, tout à fait extérieure à nous. Il me semble que ce type d'existence pour Spinoza relève plutôt d'une idée confuse. Ou bien une chose est objet de notre idée, ou bien elle est extérieure à nous (exception faite du 3e genre de connaissance, je suppose).

Puis que notre corps perçoit d'autres corps est de nouveau une évidence pour Spinoza, je crains. Donc pas quelque chose dont l'existence nécessite une explication. On peut essayer de comprendre COMMENT se fait cette perception (ce que Spinoza fait amplement), mais pour lui il est hors de doute qu'il y ait des corps extérieurs à nous, parce qu'il s'agit tout simplement d'une expérience quotidienne.

Hokousai a écrit :Voila pourquoi je ramène la question de l’étendue et des corps non pas à une existence objective mais à une relative puissance d’ agir .


Et comment ramenez-vous la question des corps à une relative puissance d'agir?

Hokousai a écrit :Vous travaillez sur des bases dualistes assez strictes
Spinoza ne cesse pourtant de redire que les idées que nous avons de notre corps et plus encore des corps extérieures sont des idées confuses , cela je le comprends parfaitement . Ma puissance d’agir décroît et la clarté des idées décroît d’autant .


Il me semble que ceci relève d'une lecture fort "partielle" de Spinoza. En effet, toute une partie de l'Ethique montre en quoi consistent nos idées inadéquates, et souligne qu'au DEPART, en tant que bébé, nous en avons en grande quantité. Cela n'empêche que pour Spinoza, la vérité existe (toute sa pensée en a besoin), et existe même de façon "donnée" (voir le TIE, qui prend l'idea vera data comme quelque chose qui est évident). Nous avons TOUS au moins UNE idée vraie, adéquate. Et toute une partie de l'Ethique nous montre en quoi nous pouvons en avoir même beaucoup. Ces idées constituent notre "essence", cette partie de nous qui est éternelle (de nouveau, Spinoza nous dit que cette éternité, nous la "sentons et expérimentons" ... pas de "théorie" ici non plus donc). Essence spirituelle aussi bien que corporelle, bien sûr (puisque l'essence de l'esprit est éternelle, et a toujours l'essence du corps comme objet, même après la mort du corps).

Si donc vous pensez que pour Spinoza nous n'avons QUE des idées inadéquates, jamais nous pourrions avoir une essence. Nous serions strictement RIEN. Or on sait bien que pour Spinoza, toute chose singulière a une essence. Tout Individu a une essence. Et cette essence existe de façon éternelle. Il faut enlever tout cela du spinozisme pour commencer à croire que selon Spinoza nous n'avons que des idées inadéquates du corps.

Sinon que voulez-vous dire par "ma puissance d’agir décroît et la clarté des idées décroît d’autant" ????

Hokousai a écrit :La clarté et la distinction est au niveau des idées dans un registre assez étroit de certitudes au delà c‘est la confusion .


On PEUT en effet avoir beaucoup d'idées inadéquates. Mais donc on peut également s'y appliquer un peu, et alors on sait parfaitement augmenter le nombre d'idées adéquates. Le sage en a tellement qu'ils forment même la plus grande partie de son esprit, et non plus un "registre étroit".

Hokousai a écrit :Poser l’existence objective des corps me parait relever des idées confuses si cette existence n’est pas soutenue pat la théorie des attributs .
Mais c’est alors une existence théorique .. c'est-à-dire liée à la façon que nous avons de concevoir .


En effet, s'il fallait déduire l'existence des corps de l'une ou l'autre théorie, elle ne serait pas "donnée". Seulement, ci-dessus j'ai donc essayé de démontrer que cette déduction, on ne la trouve PAS, chez Spinoza. Que notre corps existe et que les corps extérieurs existent est pour lui une évidence absolue, qui ne demande pas à être démontré ou déduite.

D'autre part, je crois qu'il faut également bien tenir compte du fait qu'au XVIIe (mais encore au XIXe, voir p.ex. Frege) l'on a en général une conception de la vérité fort différente de celle, "psychologisante", que nous avons tendance à avoir aujourd'hui. Le propre d'une idée vraie c'est d'être éternelle. Toute idée adéquate que j'ai se base sur une conception sub quadam specie aeternitatis, ce qui est tout à fait l'inverse d'une conception "personnelle" (qui elle est inévitablement liée à un temps et un lieu précis, tandis que l'éternité se définit par le fait d'être hors temps).

Ainsi l'opposition que vous construisez ici entre d'une part une idée claire et distincte et d'autre part une idée que vous appelez "théorique" et qui serait liée à notre façon de concevoir (qui serait donc "subjective") me semble être assez anachronique par rapport à ce qu'écrit Spinoza.

Car toute idée confuse, chez lui, est une idée formée sub specie durationis, c'est-à-dire est liée à un temps et un lieu précis (aux affections ici et maintenant de notre corps). Or cela Spinoza ne l'appelle pas encore 'théorique", il l'appelle "imaginaire". C'est assez différent. Car une idée inadéquate est par définition confuse, et n'est jamais une déduction rationnelle opérée sur base d'autres idées. Seule une déduction rationnelle correcte permet de surmonter la confusion. Tandis que cette confusion signifie justement que l'idée inadéquate enveloppe davantage la nature de celui qui l'a que la nature du corps extérieur qui a affecté la personne en question.

Autrement dit, s'il fallait injecter le couple conceptuel sujet-objet dans le spinozisme (ce qui serait bien sûr absurde, puisque tout le spinozisme est construit sur une toute autre base), il faudrait appeler les idées confuses plutôt des idées "subjectives", tandis que les idées claires et distinctes seraient des idées "objectivement vraies" (puisqu'il s'agit d'un regard d'un point de vue de l'éternité, et non pas d'un point de vue "personnel" ou subjectif). Ainsi déduire correctement l'existence de quelque chose d'autres idées serait, pour le spinozisme, ce qui permet de quitter le registre purement subjectif/imaginaire. Ce que vous appelez "théorique" chez Spinoza devient exactement l'inverse de ce qui se réduit à une conception subjective.

C'est pourquoi ce que vous écrivez ici me semble être tout à fait "moderne" et non pas spinoziste: il faut penser la connaissance sur base d'une opposition sujet-objet pour pouvoir comprendre ce que vous dites. Or justement, une fois que l'on suppose que ce qui connaît est subjectif, et que ce qui est connu est tout à fait extérieur à ce qui connaît, il faut d'abord faire le pas que Kant a fait: finalement, nous ne connaissons rien vraiment "objectivement", car la chose en soi, ce que l'on veut connaître, est inconnaissable, puisque la connaissance exige un point de vue SUBJECTIF et non plus éternel, comme c'est le cas chez Spinoza. Puis bon, une fois que l'on a posé un tel gouffre entre le sujet et l'objet, la porte est grande ouverte à toutes sortes de solipsismes et de postmodernismes: car finalement, TOUTE connaissance devient "suspecte", devient avant tout le produit d'un sujet, d'un esprit personnel et censé être isolé dans sa bulle subjective voire spirituelle. Pourquoi parler de "suspecte"? Parce que justement, concevoir la connaissance en termes de sujet-objet impliquait hélas immédiatement une conception de la connaissance qui exige un véritable accès du sujet à l'objet avant de pouvoir être dite "vraie". Dès que l'on a posé une extériorité absolue entre le corps du sujet et le corps de l'objet, une connaissance qui se définit par l'accès de l'un à l'autre devient du même coup tout à fait impossible. Idéalisme, solipsisme, postmodernisme deviennent alors des conséquences logiques.

Mais donc ce que j'essaie de dire, c'est que ces conséquences ne sont pas "inévitables". Ce sont des conséquences très précises, ayant une cause très précise: la conception de la connaissance et du rapport au monde en termes de sujet-objet. Conception que justement Spinoza rejette et remplace par une autre théorie de la connaissance. Si cela me semble être intéressant d'essayer d'y entrer quelques instants, c'est précisément parce que l'alternative, la conception moderne avec laquelle nous vivons tous d'office, aujourd'hui, est vouée à l'échec, comporte en soi-même son impossibilité. Le spinozisme est en ce sens une pensée radicalement A-MODERNE: il s'agit d'une théorie de la connaissance qui prolonge des conceptions bien plus anciennes, développées avant la naissance du sujet. Maintenant que nous sommes arrivés au constat de l'impossibilité logique de penser une connaissance vraie en tant que connaissance "objective", il nous faudra bien une autre conception de la connaissance pour fonder le sentiment de vérité. Spinoza me semble figurer parmi ces philosophes qui ont travaillé à la construction d'une telle alternative.
louisa

PS à Serge: merci de ton message chaleureux et intéressant. J'y reviens bientôt j'espère.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 26 déc. 2007, 00:35

à Louisa


COMMENT concevez-vous le rapport entre une telle idée et son objet (donc un objet qui est tout sauf une idée)?


L’objet de l’idée est une idée .
Il n’y a pas de rapports .(d’ où le parallélisme)

Ce qui est perçu par le corps est compris comme extérieur .Mais comme extérieur à quoi ? Ne faut-il pas que vous compreniez aussi un intérieur ?Je veux dire que l’affection du corps est celle de mon corps distinguable de moi même qui suis conscient de lui (et aussi du monde extérieur à mon corps .L’affection de mon corps est à une certaine distance d’une conscience qui perçoit cette affection comme un objet .
Si je dis ""j’ ai mal"" la distinction entre moi /je et mon mal est évidente et encore plus si je dis ""mon corps a mal """

...........................................

et d'essayer de penser et donc de percevoir les choses autrement !!

je vois surtout que vous commencez à penser par moment
comme moi . Pour le reste vous restez réaliste et dualiste .Aussi réaliste qu 'Aristote aussi dualiste que Descartes (et sa glande pinéale ).Moi je ne distingue pas l'esprit et le corps .Je pense (à peu près )comme le scolie de la prop 13 partie 2)

…………………………………………………………………………………………………

Spinoza dit exactement l'inverse: il faut étudier le corps pour comprendre quelque chose de l'esprit.

Ah bon ! il dit ça …. mais où ? En tout cas pas dans son commentaire sur la glande pinéale .

………………………………………………………….................

Je n’aime guère citer mais quand même

Dès la petite enfance, nous apprenons qu'il faut attribuer tels phénomènes qui nous arrivent à notre "corps", et tels phénomènes à notre "esprit" ou "psychè".


Vous estimez que ces distinctions s’enseignent . Voila un enseignant qui vous dit ""là c’est de la pensée mon petit et là c’est de la douleur corporelle , ne confonds surtout pas"" .
Quelle ostension ( le montrer quelque chose ) peut-elle intervenir dans la conscience de soi comme dans la douleur .
""Je vais te montre ce que c’est que ma migraine ! ""Mais quel échos cela peut-il avoir chez quelqu'un , un enfant, qui jamais n’a eu de migraine ou jamais conscience de soi même .

……………………………………………………….

En effet, s'il fallait déduire l'existence des corps de l'une ou l'autre théorie, elle ne serait pas "donnée". Seulement, ci-dessus j'ai donc essayé de démontrer que cette déduction, on ne la trouve PAS, chez Spinoza.


Ce qu’on ne trouve pas c’est la démonstration de l’étendue en revanche l’ étendue est déduite comme attribut , de la considération de Dieu comme substance constituant en une infinité d’ attributs.

....................................

Que spinoza ait conscience des corps et de son corps nul n'en doute . Qu'il ait pensé que les corps existaient on n'en doute pas plus . Mais de savoir ce que c'est que l'existence (l'exister des corps ) on cherche encore à comprendre ce qu'il en pensait et surtout jusqu où il s'aventurait de le penser ..

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 26 déc. 2007, 12:23

Cher Hokousai,

Louisa:
COMMENT concevez-vous le rapport entre une telle idée et son objet (donc un objet qui est tout sauf une idée)?

Hokousai:
L’objet de l’idée est une idée .
Il n’y a pas de rapports .(d’ où le parallélisme)


désolée, mais à mon sens vous vous trompez sérieusement. Un tas de propositions de l'Ethique le montrent, donc prenons-en une à titre d'exemple:

"L'objet de l'idée constituant l'Esprit humain est le Corps, autrement dit une manière de l'Etendue précise et existant en acte, et rien d'autre."
E2P13.

Voici donc un objet d'une idée qui est bel et bien un corps.

Pourquoi existe-t-il pour Spinoza des objets d'idées qui sont des corps? Parce que Dieu est omniscient, il a donc des idées de tous les corps et de toutes les affections des corps. L'attribut de la pensée est ESSENTIELLEMENT (mais non pas seulement) composé par des idées qui ont un être formel d'un AUTRE attribut comme objet. Les modes de l'attribut de la pensée sont donc en partie des idées qui ont un mode d'un AUTRE attribut comme objet.

C'est précisément ICI qu'il faut situer le parallélisme. Il l'explique dans le scolie. Le parallélisme concerne l'UNION de l'esprit et du corps, et donc précisément le RAPPORT entre esprit et corps, ou entre l'idée qu'est l'esprit, et l'objet de cette idée qu'est le corps. Le parallélisme signifie qu'il y a un seul et même ordre de connexion entre les objets d'idées (les mouvements corporels) et ces idées elles-mêmes. Le parallélisme désigne donc avant tout ce RAPPORT entre corps et esprit. Le scolie le formule ainsi:

"plus un Corps l'emporte sur les autres par son aptitude à agir et pâtir de plus de manières à la fois, plus son Esprit l'emporte sur les autres par son aptitude à percevoir plus de choses à la fois"

Si un Corps est plus puissant qu'un autre, de façon tout à fait PARALLELE son Esprit c'est-à-dire l'idée ayant ce Corps comme objet, sera également plus puissant que l'Esprit qui est l'idée de cet autre corps. Il n'y a rien qui arrive dans l'idée sans que cela arrive également dans l'objet de cette idée. Il n'y a rien qui arrive dans l'Esprit/l'idée qui n'arrive également dans le Corps/son objet. C'est cela, pour autant que je sache, le parallélisme. Je l'ai déjà dit, mais je le répète: si vous ôtez ce rapport esprit-corps en tant que rapport entre une idée et son objet du spinozisme, vous en faites un idéalisme, bref vous laissez tomber un tas de propositions démontrées. C'est du spinozisme "tronqué", comme le disait Deleuze.

Je n'ai rien contre ceux qui optent pour ce type de spinozisme, bien sûr. La seule chose qui m'intéresse, c'est de savoir si vous êtes d'accord pour dire que vous enlevez tout un pan de l'Ethique pour faire du spinozisme un idéalisme ou non. Car si ce n'est pas le cas, si vous prétendez que ce que vous écrivez ci-dessus est bel et bien le spinozisme, alors il faut qu'un de nous deux se trompe. Et alors j'aimerais bien voir OÙ je suis en train de me tromper, moi ... ?

Hokousai a écrit :Ce qui est perçu par le corps est compris comme extérieur .


euh ... pas forcément. Le corps perçoit également un tas de choses qui lui sont intérieures (la proprioception, le fait de sentir qu'on a faim etc).

Hokousai a écrit :Mais comme extérieur à quoi ? Ne faut-il pas que vous compreniez aussi un intérieur ?Je veux dire que l’affection du corps est celle de mon corps distinguable de moi même qui suis conscient de lui (et aussi du monde extérieur à mon corps .L’affection de mon corps est à une certaine distance d’une conscience qui perçoit cette affection comme un objet .
Si je dis ""j’ ai mal"" la distinction entre moi /je et mon mal est évidente et encore plus si je dis ""mon corps a mal """


Extérieur et intérieur sont des termes SPATIALES. Ils ne peuvent que désigner de la matière, de l'étendue, du corporel. Cela n'a aucun sens, à mes yeux, de créer un rapport CORPOREL entre mon corps et mon esprit, puisque celui-ci se définit par le fait même de n'avoir RIEN de corporel.

Comme déjà dit, il faut faire de l'esprit un type particulier de corps avant qu'une distance, donc un rapport qui appartient entièrement à l'étendue, puisse s'installer entre le corps et l'esprit.

Cette distance disparaît ENTIEREMENT dès que l'on pose le rapport corps-idée autrement. Si l'on n'a plus un dualisme mais un parallélisme, alors le rapport esprit-corps n'est plus un rapport qui ressemble à nos phrases grammaticales, où effectivement entre le sujet ("moi") et le prédicat ("mal") il y a littéralement une distance (celle créée par le verbe "avoir", dans ce cas-ci). On peut donc tirer une conception tout à fait dualiste, telle que vous la défendez ici, d'une contemplation philosophique de la structure grammaticale de la phrase. Je n'ai rien contre cela. Le seul problème qu'il y a, c'est que Spinoza nous invite à essayer à penser un AUTRE rapport entre corps et esprit que celui que vous décrivez ici.

Il n'y a pas d'EXTERIORITE entre le corps et l'esprit chez Spinoza, mais UNION. Cela change tout. Le corps et l'esprit sont une seule et même chose, pas deux choses corporelles qui se trouve à une certaine distance/extériorité l'une par rapport à l'autre. Si je dis "moi", chez Spinoza je désigne TOUT AUTANT mon Esprit que mon Corps. C'est ce "tout autant" qui indique le parallélisme. Le parallélisme ne dit absolument pas qu'il n'y a AUCUN RAPPORT entre les attributs. Le parallélisme montre un rapport TRES spécifique: celui où il n'y a pas de COMMUNICATION entre les attributs. Cela implique qu'il faut concevoir le rapport esprit-corps autrement que sur base d'un rapport CAUSAL, où l'un peut produire un effet chez l'autre. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de rapport causal qu'il n'y a plus aucun rapport!!

Louisa:
et d'essayer de penser et donc de percevoir les choses autrement !!

Hokousai:
je vois surtout que vous commencez à penser par moment
comme moi .


nous sommes bien sûr d'accord sur certaines choses. Mais j'essaie de rendre présent, de faire exister le rapport très spécifique que Spinoza propose entre esprit et corps, et j'ai l'impression que vous restez sur votre conception idéaliste. Je ne veux pas du tout vous convaincre d'une éventuelle "fausseté" de l'idéalisme car je ne crois pas que l'on peut démontrer cela. Je veux juste vous faire ressentir qu'à mon sens, le spinozisme est tout sauf un idéalisme et que donc l'on peut apprendre à penser autrement que ce qu'on fait d'habitude en étudiant Spinoza.

Hokousai a écrit :Pour le reste vous restez réaliste et dualiste .Aussi réaliste qu 'Aristote aussi dualiste que Descartes (et sa glande pinéale ).Moi je ne distingue pas l'esprit et le corps .Je pense (à peu près )comme le scolie de la prop 13 partie 2)


je vous ai déjà répété quelques fois que je ne parle PAS de mon opinion personnelle ici, j'essaie de comprendre la conception spinoziste. A quoi bon, dans ce cas, faire comme si je parle néanmoins de moi-même ... ???

Sinon bien sûr que quand on accepte l'existence de corps et d'esprit sans les définir, comme le fait Spinoza, il s'agit d'un certain réalisme. Mais je ne vois pas comment vous pouvez faire de Spinoza un dualiste, puisque justement, corps et esprit ne sont pas deux choses mais une seule. Là où vous voyez extériorité, il n'y en a pas. Comment parler de deux choses différentes, si en vérité, chez Spinoza il s'agit de deux expressions différentes d'UNE SEULE ET MÊME chose ... ? Vous diriez que le spinozisme est non pas un monisme (comme le montrent tous les commentateurs, pour autant que je sache), mais un dualisme? Si oui, pourquoi?

Hokousai a écrit :Louisa:
Spinoza dit exactement l'inverse: il faut étudier le corps pour comprendre quelque chose de l'esprit.

Hokousai:
Ah bon ! il dit ça …. mais où ? En tout cas pas dans son commentaire sur la glande pinéale .


euh ... ben justement, il le dit dans le scolie de l'E2P13, ce même scolie dont vous venez de dire que vous pensez à peu près de la même façon ... . Je l'ai déjà mentionné ici quelques fois, je l'ai également cité (à la page 2 ou 3, je crois ... je n'ai pas vérifié). Donc bon, je ne peux que le citer encore une fois (NB: il s'agit de la MÊME proposition que celle que j'ai citée ci-dessus, et qui montre que pour Spinoza, c'est bel et bien le corps qui est l'objet de l'idée):

"Par là, nous comprenons non seulement que l'Esprit humain est uni au Corps, mais aussi ce qu'il faut entendre par union de l'Esprit et du Corps. Mais nul ne pourra comprendre l'Esprit humain lui-même de manière adéquate, autrement dit distincte, s'il ne connaît d'abord de manière adéquate la nature de notre Corps."


Louisa:
Dès la petite enfance, nous apprenons qu'il faut attribuer tels phénomènes qui nous arrivent à notre "corps", et tels phénomènes à notre "esprit" ou "psychè".

Hokousai:
Vous estimez que ces distinctions s’enseignent . Voila un enseignant qui vous dit ""là c’est de la pensée mon petit et là c’est de la douleur corporelle , ne confonds surtout pas"" .
Quelle ostension ( le montrer quelque chose ) peut-elle intervenir dans la conscience de soi comme dans la douleur .
""Je vais te montre ce que c’est que ma migraine ! ""Mais quel échos cela peut-il avoir chez quelqu'un , un enfant, qui jamais n’a eu de migraine ou jamais conscience de soi même .


si ces choses vous intéressent, je ne peux que vous conseiller Le monde interpersonnel du nourrisson de Daniel Stern, qui décrit en détail comment le "sens de soi" se construit chez le bébé. Ce n'est effectivement pas DU TOUT d'une façon semblable à la construction d'un savoir scolarisé (qui d'ailleurs ne passe que très rarement par le fait de MONTRER ce dont on parle, sauf si l'on est dans l'enseignement professionnel).

Prenons Platon pour le côté plus philosophique de votre remarque: quand on explique à quelqu'un comment il peut aller d'Athène à Larisse, on ne lui MONTRE pas le chemin, on le décrit, avec des mots. C'est le savoir par ouï-dire. De la même façon, un bébé né en Occident entend très vite que dans l'explication des choses, les adultes pensent par le biais d'une distinction entre ce qui est corporel et ce qui est censé être psychologique, et qu'ils supposent qu'il y a un lien causal entre les deux.

Tout comme celui qui se rend à Larisse dans le Ménon, le bébé va AUTOMATIQUEMENT prendre ces schémas de pensée comme la grille d'analyse de ce qui lui arrive. Il faut un philosophe pour pouvoir se rendre compte du fait que la grille que nous utilisons habituellement (et que dès lors nous ne voyons même pas, nous ne voyons que la réalité vue à travers elle) est bel et bien une GRILLE, puis n'est point la SEULE grille possible. Les grands philosophes se sont occupés à construire d'autres grilles. Une de ces nouvelles grilles, que nous ne rencontrons pas du tout comme ça dans la nature, c'est celle de Spinoza, c'est le parallélisme et non plus le dualisme corps-esprit.

Louisa:
En effet, s'il fallait déduire l'existence des corps de l'une ou l'autre théorie, elle ne serait pas "donnée". Seulement, ci-dessus j'ai donc essayé de démontrer que cette déduction, on ne la trouve PAS, chez Spinoza.

Hokousai:
Ce qu’on ne trouve pas c’est la démonstration de l’étendue en revanche l’ étendue est déduite comme attribut , de la considération de Dieu comme substance constituant en une infinité d’ attributs.

....................................

Que spinoza ait conscience des corps et de son corps nul n'en doute . Qu'il ait pensé que les corps existaient on n'en doute pas plus . Mais de savoir ce que c'est que l'existence (l'exister des corps ) on cherche encore à comprendre ce qu'il en pensait et surtout jusqu où il s'aventurait de le penser ..


oui bien sûr. Je ne prétends pas du tout avoir trouvé l'essence même du spinozisme. J'ai simplement l'impression que vous sautez un problème important si vous dites que chez Spinoza des idées seules peuvent être des objets d'idées. Je viens de montrer que cela est faux. Du coup, le parallélisme n'est plus réductible à un dualisme, la pensée de Spinoza n'est pas un idéalisme, il faut repenser le rapport corps-esprit à nouveaux frais. Qu'est-ce que cela peut être, une UNION corps et esprit? Comment s'imaginer cette union dès qu'aucun rapport causal entre les deux est possible?
Cordialement,
louisa

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 26 déc. 2007, 14:45

à Louisa


Le parallélisme concerne l'UNION de l'esprit et du corps, et donc précisément le RAPPORT entre esprit et corps, ou entre l'idée qu'est l'esprit, et l'objet de cette idée qu'est le corps.


Il me semble qu’un parallélisme s’impose parce que justement il n’y a pas de rapport .(pas de relation causale entre les corps et les idées )
S’il y a union c’est que l’esprit et le corps sont la même choses .Vous le dites parfois et je le souligne parce que je pense que les deux sont la même choses vue selon deux optiques ( pensée et étendue )
s’il y a union , pour moi, il n’y a pas de distinction objective entre l’esprit et le coprs .

Spinoza n’est pas du tout clair sur ce sujet ( et vous non plus ) Il parle d’union de ce qui est distinguable objectivement (car il parle bien d’ attributs ayant toujours été présent en Dieu . C’ est contradictoire . Ce qui est uni est UN ( pour moi ) il n’y a donc pas objectivement une distinction de l’un et de l’autre .

La mêmeté de l’ordre ne peut constituer une unité bien au contraire elle affirme la distinction .
exemple vous attribuez le chiffre 1 à la lettre A et ainsi de suite . (a b c se suivent dans le même ordre que 1 2 et 3 ) je vois très bien que l’alphabet et les chiffres soient distincts , je ne vois pas qu’ils soient la même chose.
ce qui est UN alors c’est l’ordre et on a un ensemble de séries toujours distinctes .L’ordre n’annihile pas du tout la distinction .

.................................................

Je ne fais pas d’idéalisme .penser que les idées et les corps c’est la même chose ne signifie pas que la chose en question soit l’ un ou l’autre ou les deux (encore moins ni l’un l’autre mais simplement la même chose vue selon l' étendue ou selon la pensée .

Mais vue et apprécié par qui ? par quoi ? Dans le cas présent vous et moi et Spinoza) je suis bien obligé d’avouer que c’est par l’esprit humain , lequel pense un peu mieux que mes pieds ou que la table devant moi . Ce n'est peut-être pas l'esprit humain qui pense mais c'est ce qui se dit usuellement .Voila tout mon idéalisme ...en rester au sens comun ..


Ce qui vous perturbe c’est que les choses soient vues du point de vue de quelque part et pas du point de vue de nulle part .

Ce qui est une philosophie tronquée c’est celle qui se dispense du point de vue de quelque part c’est à dire de l’évidence du lieu d’où elle parle

…………………………………………………………………..

Cela n'a aucun sens, à mes yeux, de créer un rapport CORPOREL entre mon corps et mon esprit, puisque celui-ci se définit par le fait même de n'avoir RIEN de corporel.


D’abord je ne crée rien ensuite je ne parle pas d’un rapport corporel mais d’une distance entre moi -même ( la conscience de moi même comme sujet conscient et mon corps ) cette distance est évidente ,je pense mes mains, mes pieds je ne suis pas à ces endroits là . Et cette distance ne disparaît pas tant que j’ai conscience .Tout le spinozisme du monde ne me fera pas aller dans ma main alors que je suis plutôt au niveau de la tête on en a déjà parlé )

…………………………………………………………

.
Si je dis "moi", chez Spinoza je désigne TOUT AUTANT mon Esprit que mon Corps.


si vous voulez, et aussi ma famille , ma maison , ma ville etc ….. mais c’est assez théorique et pour le coup nous éloigne de l’expérience intime de la conscience du corps .

……………………………………………………..

je vous ai déjà répété quelques fois que je ne parle PAS de mon opinion personnelle ici, j'essaie de comprendre la conception spinoziste.


Je vous ai dit plusieurs foi qu’on ne peut se faire le répétiteur impartial d’aucune pensée ,d’aucun philosophe. Le commentateur idéal est celui qui recopie au mot près le texte , ce qui est sans intérêt .
....................................................

Mais expliquez- moi donc par une autre grille comme je peux rendre compte de cet événement » j ai mal à l 'épaule droite «
Peut- être que ce n’est pas moi mais ma femme qui a mal et sans doute pas à l’épaule ou bien à une épaule parallèle , la gauche .

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 26 déc. 2007, 18:44

cher Hokousai,

juste une petite réponse à ceci, la suite arrive sous peu:

Louisa:
je vous ai déjà répété quelques fois que je ne parle PAS de mon opinion personnelle ici, j'essaie de comprendre la conception spinoziste.

Hokousai:
Je vous ai dit plusieurs foi qu’on ne peut se faire le répétiteur impartial d’aucune pensée ,d’aucun philosophe. Le commentateur idéal est celui qui recopie au mot près le texte , ce qui est sans intérêt .


ben justement, à quoi bon définir le rôle du commentateur d'une telle manière qu'en effet, cela n'a aucun sens ... ?

Le commentateur n'est PAS l'auteur. C'est pourquoi il est absurde de d'abord se donner un idéal de commentateur qui consisterait en un genre de coïncidence miraculeuse entre deux personnes, pour ensuite se dire que que puisque nous ne vivons pas dans un monde idéal, un commentateur peut de fait sans aucun problème passer de ses propres idées à celles de celui qu'on est en train de commenter, sans l'indiquer.

En réalité, nous ne vivons pas seulement dans un monde imparfait, nous vivons surtout aussi dans un monde il y a des auteurs et des commentateurs d'auteurs. Parmi ces commentateurs, il y en a de très bons et d'assez médiocres. Pour savoir quel est le rôle effectif d'un commentateur, il faut peut-être essayer de comprendre en quoi un bon commentateur est différent d'un mauvais commentateur?

Alors à mon sens, un commentateur est non pas quelqu'un recopie l'auteur, mais est quelqu'un qui AJOUTE quelque chose à ce que l'auteur a écrit.

Seulement, il n'ajoute pas n'importe quoi. Ce qu'il ajoute est le fruit d'un travail très spécifique et pas facile (mais tout à fait faisable, avec un peu d'effort): il essaie d'EXPLIQUER la pensée de l'auteur (ce qui est tout à fait différent que de la copier).

Comment le faire? En énonçant des thèses non pas sur le monde (ayant comme objet le monde) ni sur sa propre pensée à lui (ayant donc comme objet les opinions du commentateur sur le monde), mais sur la pensée de l'auteur (ayant donc cette pensée comme objet, et rien d'autre).

Comment savoir qu'un commentateur a bien compris sa tâche et est en train de présenter des idées produites par lui-même et ayant la pensée de l'auteur comme objet (et non pas des idées produites par l'auteur et ayant le monde comme objet, tel que devrait le faire votre commentateur idéal)?

Un commentateur y arrive d'une part en citant maximalement l'auteur commenté, et d'autre part en démontrant par des moyens logiques pourquoi ses idées (ses thèses explicatives) sont cohérentes avec le texte de l'auteur.

C'est pourquoi un commentateur de Spinoza qui dit que chez Spinoza, seules des idées et non pas des corps peuvent être des objets d'idées, fait une erreur. Il énonce une thèse contraire à celle énoncée explicitement par l'auteur commenté. C'est une faute de commentateur.

De même, un commentateur qui attribue une idée à Spinoza tandis qu'il omet toute tentative de montrer un lien logique entre cette idée et le texte, risque d'être en train de parler non pas du texte (comme objet de ses propos), mais de ses propres opinions. En parlant DE ses propres idées au lieu de prendre le texte comme objet, le commentateur quitte son rôle de commentateur pour adopter celui d'auteur: il dit ce qu'il pense lui-même sur le monde. Cela n'est bien sûr pas un problème en tant que tel, cela ne devient une erreur qu'à partir du moment où l'on n'indique pas clairement qu'ici on n'essaie pas de donner une thèse par rapport à Spinoza (ici on n'essaie donc PAS de commenter), mais qu'ici on parle simplement de ses propres conceptions.

Je crois qu'ainsi défini le commentateur a un rôle non seulement tout à fait réaliste à jouer (la preuve: beaucoup y réussissent brillamment), mais également tout à fait intéressant (commenter et discuter entre commentateurs peut précisément permettre de MIEUX comprendre en quoi consiste l'autre grille de lecture du monde que propose l'auteur commenté.

Mais donc c'est aussi la raison pour laquelle il est important que nous, quand nous discutons sur ce forum, nous faisons la distinction entre parler du monde (quitte à se servir un peu d'un langage spinoziste) et parler de la pensée de Spinoza.

C'est en ce sens que je vous dis que je ne parle pas de mes idées à moi: je ne vous ai jamais dit, tout au long de cette discussion ici, quelles sont MES opinions sur le rapport esprit et corps. J'ai uniquement essayé de déterminer quelle est l'opinion de Spinoza à ce sujet. La différence est de taille, car dans le premier cas, notre discussion porte sur nos propres opinions sur le MONDE (vous pouvez alors essayer de me convaincre de votre conception de l'esprit et du corps, et moi je peux essayer de vous convaincre de la mienne). Dans le deuxième cas, l'objet de la discussion n'est plus de savoir ce que l'interlocuteur pense à ce sujet, l'objet est d'essayer de trouver ensemble ce qu'un TIERS (Spinoza) pense à ce sujet.

Ce n'est pas que ce que vous pensez vous-même à ce sujet ne m'intéresse pas, c'est simplement que si vous sautez sans l'indiquer de l'un (ce que vous croyez que Spinoza pense concernant l'esprit-corps) à l'autre (ce que vous pensez vous-même concernant l'esprit-corps), on peut discuter sans fin, car on mélange sans cesse DEUX sujets de discussion différents. Je voudrais simplement vous demander de me dire quand les idées que vous écrivez ici (VOS idées, bien sûr), ont comme objet VOS opinions sur le monde, et quand les idées que vous écrivez ici (toujours VOS idées, bien sûr) ont les opinions de SPINOZA comme objets. Car il me faut vous répondre tout autre chose dans l'un ou l'autre cas, vous voyez?

Enfin ... je ne sais pas dans quelle mesure ce que je voulais dire est clair ... ?
louisa


Retourner vers « Anthropologie »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 7 invités