ShBJ a écrit :Une expression me pose cependant problème dans ta dernière intervention, qui soit est un lapsus, soit mérite explication, pour ce que je ne vois pas sur quel passage de l'Ethique elle pourrait s'appuyer, ni où elle nous mène, c'est à savoir que "l'essence de l'Esprit a l'essence du corps comme objet".
1) Je ne connais aucune référence explicite (ou ne me la rappelle pas), qui affirmerait une telle chose. Que l'esprit est l'idée du corps, et ce qui en découle (E, II, 11 et sq.), ça je l'ai lu.
2) Je ne saisis pas en quoi une essence, fût-elle celle de l'esprit, pourrait avoir une autre essence pour objet. Qu'une même essence singulière puisse être considérée selon l'attribut pensée et selon l'attribut étendue, ça je l'entends. Il semblerait que tu réintègres au sein même de l'essence considérée comme esprit le caractère intrinsèquement représentatif que Spinoza écarte pour les idées (E, II, 43, scolie).
Bonjour ShBJ!
merci beaucoup de ta remarque fort intéressante.
D'abord, après avoir vérifié je crois qu'on doit effectivement constater que jamais dans l'Ethique (à moins que j'aie raté le passage concerné) Spinoza ne parle d'une essence ayant une autre essence comme objet.
Pourtant, esprit et corps continuent à former une "union", que l'on voie la chose sous l'aspect de la durée ou sous l'aspect de l'éternité. La question du rapport entre les deux essences se pose dès lors. Comment Spinoza le désigne-t-il?
Je trouve principalement des indications dans l'E5. Exemples:
- E5P22: "
En Dieu pourtant il y a nécessairement une idée qui exprime sous l'aspect de l'éternité l'essence de tel ou tel Corps humain."La démo dit que l'essence du corps se conçoit par l'essence même de Dieu. Dieu a donc l'idée de l'essence du corps, en tant qu'il est essence pensante. En quoi serait-il alors erronné de parler d'une essence mentale/spirituelle ayant l'essence du corps comme objet (car avoir une idée de x n'est-ce pas la même chose que de dire que x est l'objet de l'idée en question?)? Il est vrai qu'on voit mal une essence avoir un objet, mais en Dieu il n'y a que des essences, et pas d'idées inadéquates. C'est ce qui oblige, je crois, de supposer que le propre des essences appartenant à l'attribut de la Pensée, c'est d'avoir un objet. Mais j'avoue que j'hésite, néanmoins.
- E5P23 sc: "
Cette idée qui exprime l'essence du Corps sous l'aspect de l'éternité est, comme nous l'avons dit, une manière de penser précise, qui appartient à l'essence de l'Esprit". Le rapport de l'essence de l'Esprit et l'essence du Corps est donc un rapport d'EXPRESSION.
- E5P23 sc: "
(...) notre Esprit, en tant qu'il enveloppe l'essence du Corps sous l'aspect de l'éternité, est éternel". Le rapport de l'essence de l'Esprit et l'essence du Corps est donc également un rapport d'ENVELOPPEMENT.
- E5P29 démo: "
(...) il appartient aussi à la nature de l'Esprit de concevoir l'essence du Corps sous l'aspect de l'éternité". Or quand l'Esprit conçoit quelque chose (x, disons), il a x en tant qu'objet. Or cette idée, ayant l'essence du Corps comme objet, appartient, comme le dit E5P23, à l'essence de l'Esprit. Peut-on en conclure que l'objet de l'essence de l'Esprit est l'essence du Corps? Peut-être pas. Mais pourquoi pas? Je n'y vois pas encore très clair, c'est-à-dire je ne vois pas encore très clairement ce qu'on pourrait objecter à cela.
- TIE B33-34 semble en tout cas n'avoir aucun problème avec l'idée qu'une essence est objet d'une autre essence: "
(...) l'idée, quant à son essence formelle, peut être l'objet d'une autre essence objective, et, en retour, cette autre essence objective, considérée en elle-même, sera aussi quelque chose de réel et d'intelligible, et ainsi indéfiniment."
ShBJ a écrit :3) Tu en tires la conclusion que Dieu connaît l'essence des corps singuliers par la médiation de la connaissance des esprits singuliers, c'est-à-dire en tant qu'il a l'idée de l'idée du corps singuliers, ou, dans tes propres termes, en tant qu'il a l'idée de l'essence qui a pour objet l'essence du corps.
en effet, dieu connaît l'essences des corps singuliers en connaissant les esprits singuliers. Sinon comment interpréter la proposition que je viens de citer? Que Dieu a l'idée de l'ESSENCE du corps singulier, n'est-ce pas exactement ce que l'E5P22 veut prouver? Seulement, je ne vois pas en quoi il faudrait parler de "médiation", puisque l'idée que Dieu a de l'essence de mon Corps n'est rien d'autre que l'idée qu'est mon Esprit lui-même.
Prenons aussi la démo de l'E5P23: "
En Dieu il y a nécessairement un concept ou idée qui exprime l'essence du Corps humain, laquelle idée pour cette raison est nécessairement quelque chose qui appartient à l'essence de l'Esprit humain".
ShBJ a écrit : Je puis éventuellement t'accorder cette médiation, pour cette raison qu'il n'y a de différence que de raison entre l'idée et l'idée de l'idée, mais :
en effet, mais pour la même raison il n'y a PAS de médiation. L'idée en Dieu n'est pas l'idée ayant mon Esprit comme objet, Esprit qui est de nouveau une idée ayant mon Corps comme objet. L'idée qu'est l'essence de mon Esprit, C'EST l'idée qui est en Dieu. Dieu n'est rien d'autre que l'ensemble de toutes les idées qui existent, en tant qu'il est constitué par l'attribut de la Pensée. Dieu EST mon Esprit, il n'y a aucune médiation entre celui-ci et celui-là pensable, dans le spinozisme.
ShBJ a écrit :a) elle me semble inutile : l'entendement de Dieu a pour objet (idéat) l'étendue infinie, y compris en chacun de ses détails, et n'a pas besoin de passer par la connaissance des esprits singuliers pour en avoir l'idée adéquate...
Dieu ne "passe" effectivement pas par les esprits singuliers pour en avoir une idée adéquate, il EST, en tant qu'il est Pensée lui-même, l'ensemble de ces esprits. Voir par exemple l'E2P4 démo: "
L'intellect infini de dieu n'embrasse rien d'autres que les attributs de Dieu et ses affections", et la démo de l'E2P1: "
Les pensées singulières, autrement dit telle et telle pensée, sont des manières, qui expriment la nature de Dieu de manière précise et déterminé", sachant que l'Esprit n'est rien d'autre qu'une telle idée ou pensée singulière, car, dit la démo de l'E2P11, "
(...) le premier à constituer l'essence de l'Esprit humain, c'est l'idée."C'est dans le corollaire de la même proposition que Spinoza dit que "
l'Esprit humain est une partie de l'intellect infini de Dieu", ce qui confirme le fait que notre Esprit n'est rien d'autre que l'idée que Dieu a de notre corps, qu'il n'y a pas deux idées différentes, donc l'une serait en Dieu et l'autre "hors" de lui (= celle qui constituerait notre Esprit).
C'est donc précisément parce qu'il n'y a aucune différence entre l'idée qui constitue l'essence de mon Esprit et cette même idée dans l'intellect de Dieu qu'il n'y a aucune médiation.
ShBJ a écrit :b) je ne vois pas tu puisses légitimement conclure des essences singulières à la connaissance de Dieu précisément dans le domaine de l'adéquation - ça me paraît même aller à l'encontre de ce que tu entends démontrer à hokousai touchant la différence entre idées adéquates et idées indéquates : "Ce ne sont que des choses singulières qui ont des idées inadéquates, et en ce sens ne connaissent pas parfaitement leur corps". On pourrait dès lors en déduire que si Dieu a immédiatement une idée adéquate de la raison pourquoi tel esprit singulier a telle idée inadéquate (idée de la composition des deux corps), il n'a que médiatement l'idée de l'idée inadéquate (idée de la manière dont le corps A et le corps B sont affectés par leur recontre). Derechef, je ne suis pas convaincu que ce soit utile (vide supra, a) mais ce serait à tout le moins cohérent - le "donc" dont tu uses serait davantage justifié, dans la mesure où il permettrait de montrer comment Dieu, qui pourtant n'est soumis à aucune passion, sait concrètement ce que c'est qu'être jaloux, orgueilleux, etc.
je ne comprends pas très bien quel problème tu veux signaler ici. Pourrais-tu peut-être reformuler autrement?
Porte-toi bien,
louisa