Louisa a écrit : Durtal a écrit :1) de ce que le terme de "moi" ne se trouve pas dans le corpus de l'éthique, ne s'en suit pas que la chose n'y soit pas.
Louisa a écrit : tout à fait d'accord. Mais alors il faut commencer à définir "la chose". Or il n'y a pas de définition du "moi" sur lequel aujourd'hui tout le monde est d'accord. On peut donc tout aussi bien dire que le moi, c'est l'ensemble des désirs inconscients, réfoulés car trop "inadéquates", que que le moi, c'est l'ensemble de tout ce qui est éternel en nous, donc surtout pas toutes nos idées inadéquates. Il me semble que vous préférez d'abord cette deuxième hypothèse, et l'injectez ensuite chez Spinoza. Mais je ne vois pas ce qui justifie le choix pour cette hypothèse en tant que telle, puis je ne vois pas très bien non plus sur quels passages de Spinoza se baser pour lui faire dire cela.
On peut isoler, dans l'Ethique, deux sortes de caractérisations du "moi" ou de "la conscience de soi" si tu préfères. Analyse de l'Orgueil E4: "un très grand Orgueil ou une très grande Bassesse sont une très grande ignorance de Soi". On remarque ici la symétrie avec les formulations terminales de l'Ethique: ignorance de soi, de Dieu et des autres choses. A la limite la figure inversée du sage c'est l'Orgueilleux. Or A) L'orgueil est la passion qui prend le soi pour objet, c'est la passion de "l'ego" par excellence B) pour cette raison même elle a un effet "démultiplicateur" sur les affects, et celui qui est soumis à l'orgueil est soumit à tous les affects (scolie). C) enfin naturellement c'est un moi "imaginaire", car en réalité entièrement causé et alimenté par l'extérieur c'est une conscience de soi qui est en fait totale inconscience de soi. Et Spinoza en fait une espèce du
délire.
Louisa a écrit : Certes, on pourrait rappeler que Spinoza dit tout de même que "nous" ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Est-ce de là que vous déduisez que dès lors mes idées inadéquates, cela ne peut pas être "moi" ... ? Si oui, je l'ai pensé assez longtemps moi-même aussi (on pourra donc sans doute trouver des messages à moi sur ce forum où je dis "oui mais les Passions, ce n'est pas ce qui me caractérise moi, je ne me définis que par mes Actions"). Mais aujourd'hui j'en suis moins convaincue. Je crois qu'il s'agit de nouveau d'une confusion de cause et effet. En effet, nous ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Mais ces idées n'en constituent pas moins notre esprit à nous (effet), et même l'ESSENCE de notre Esprit. Et partant, je commence à penser qu'il faudra néanmoins inclure les idées inadéquates dans notre essence. Si alors on essaie d'identifier le "moi" à l'un de ses caractéristiques que l'on retrouve dans le spinozisme, la singularité, le "moi" serait l'essence singulière d'une chose. Et aussi longtemps que la chose existe dans la durée, cette essence contient aussi bien des idées adéquates qu'inadéquates. Je ne suis qu'à moitié "responsable" de mes idées inadéquates (vu que je n'en suis la cause que partiellement), mais je ne suis pas moins mes idées inadéquates que mes idées adéquates.
Je reviendrai plus bas là dessus. Mais pour dire les choses de façon un peu approximative d'abord: ce qui fait partie de notre esprit, (je suis désolé pour la trivialité) est… par la force des choses, la partie de la cause partielle qui en fait partie! Pas l'autre. C'est juste une conséquence de ce que signifie "partiel", "en partie". Et à moins que je fasse partie de ce dont je ne fais pas partie, ton argument est sans objet. Les idées inadéquates ont un caractère littéralement aliénant (cad: elles rendent autre). De plus la caractérisation des idées adéquates indique bien, par contraste, que l'esprit les tire de
lui-même et qu'elles ne sont pas produites par autre chose que lui. En effet:
Scol.E2pXXIX.
"Chaque fois en effet que c'est du dedans que (l'esprit) se trouve disposé de telle ou telle manière, alors il contemple les choses de manière claire et distincte".
Donc le contraste entre idées adéquates et idées inadéquate passe bien par le contraste soi/non soi.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :
a) Spinoza a la particularité d'introduire très souvent ses définitions par "J'entends"= "Moi" Baruch de Spinoza j'appelle ceci: cela. Et il n'y a rien de fortuit là dedans seul celui qui est libre sait ce qu'il dit quand il dit "moi":
Louisa a écrit : s'il voulait vraiment parler de lui-même en tant que "moi", il aurait dû écrire ego entendo. Il ne l'a pas fait. Sachant que le latin laisse le choix entre activement insérer la référence au sujet, et juste utiliser le verbe (la personne s'indique tout aussi bien par la forme du verbe seul), le fait qu'il n'ajoute pas de ego aux formules (d'ailleurs rares; il écrit plus en 1e personne plurielle, et de nouveau sans ajouter un nos) ferait à mon sens plutôt pencher pour l'idée qu'il n'y aucune référence à un "moi" précis. Ce n'est pas l'ego de Spinoza qui est important dans ces définitions, c'est plutôt le fait que le lecteur doit tenir compte du sens des mots tels qu'ils sont définis dans ce livre-ci, s'il veut comprendre de quoi ce livre parle. Idem en ce qui concerne d'autres livres écrits more geometrico, comme Les éléments d'Euclide: les définitions ne suggèrent pas qu'il y aurait un "moi", un "sujet" etc. qui aurait "librement" choisi de définir ceci ainsi etc. Les définitions sont purement pragmatiques, nécessaires pour savoir de quoi on parle quand on rencontre tel ou tel mot, sans plus.
Chicane sans intérêt…. Car tu sais parfaitement en vertu du corps même de mon message que je mets la conscience de soi en relation avec les idées adéquates: donc il ne saurait s'agir d'un "ego" au sens courant, ou "psychologique" du terme. Ensuite si j'ajoutais : "seul le sage sait ce qu'il dit quand il dit "moi" ou "je"" (ou tout ce que tu voudras), c'est évidemment parce qu'il n'y a pas de sagesse sans action, et pas d'action au sens propre sans agent et pas d'agent sans quelqu'un qui soit pleinement fondé à dire "je". C'est à dire sans quelqu'un qui puisse être dit l'Auteur de ce qu'il fait. L'action en question ici étant la construction de définitions ou la réappropriation des signes linguistiques reçus passivement (réminiscence cartésienne de Spinoza dans le thème de la connaissance par "ouï-dire", les préjugés de l'enfance, de l'école, des définitions apprises à l'école, et dont il faut maîtriser les effets en contrôlant la signification des mots, c'est à dire en se réappropriant les signes qui véhiculent les représentations inadéquates). J'ajoute que tu n'as pas l'air très sensible à l'effort authentique de pensée que réclame la construction d'une définition et aux décisions philosophiques qui les rendent possibles.
Et si tu crois plus particulièrement dans le cas de Spinoza, qu'il s'agit d'un simple impératif "pragmatique, sans plus" tu te goures méchamment. Les définitions Spinozistes ne définissent pas des mots, mais des choses, et par conséquent elles requièrent et dérivent de concepts adéquats des choses dont il est question. Et la liberté du sage est absolument le contraire de l'arbitraire, ce que fait celui qui raisonne, que ce soit Euclide ou Spinoza (pour autant que et si, ils raisonnent effectivement) est absolument libre en même temps qu'absolument nécessaire. Et contrairement à toi, à ce qu'il semble, je n'oublie pas cela, et donc il n'est pas du tout question d'"arbitraire" quoi qu'il soit question de liberté et aussi d'appropriation de ses actes.
Louisa a écrit : Bref, dire qu'il y a une philosophie du moi dans le spinozisme parce qu'il écrit les verbes par lesquels il commence les définitions en première personne singulier me semble plutôt relever d'une décision de la part du commentateur que de se baser déjà dans le texte même. .
Je n'ai jamais dit que le Spinozisme était une "philosophie du moi" ce qui serait franchement absurde. J'ai dit qu'on pouvait reconstruire une
problématique philosophique du moi chez Spinoza, et que le thème de la conscience de soi y avait une place (entre Orgueil et Sagesse, passion et action). Il y a là, tout de même, une nuance importante.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :
2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable
"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".
Pourquoi? Il suffit de RELIRE le corollaire de E2p11 ou Spinoza explique dans quelles conditions l'esprit humain est dit avoir des idées inadéquates ou confuses:
Spinoza a écrit:
"(...)et quand nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non seulement en tant qu'il constitue la Nature de l'esprit humain, mais en tant qu'il a en même temps l'Esprit Humain également l'idée d'une autre chose , alors nous disons que l'Esprit humain perçoit une chose en partie, autrement dit de manière inadéquate".
Par où il appert que par définition les idées inadéquates impliquent un confusion de notre esprit avec un autre, autrement dit un état du monde mental tel qu'une seule nature (la mienne par exemple) n'est pas en jeu, mais plusieurs qui sont partiellement confondues entre elles .
rappelons qu'on n'était pas du tout d'accord quant à la compréhension de ce corollaire, et que pour l'instant ni toi, ni moi n'avons trouvé les arguments convaincants permettant de trancher.
Par exemple, lorsque nous avons une idée inadéquate, l'idée enveloppe la nature du corps extérieur. Mais cette idée, elle n'est nulle part ailleurs que dans MON Esprit à moi!
Rappelons surtout que tu as été incapable de présenter une version claire et intelligible de ta fameuse "interprétation" de ce corollaire. (Enfin d'après moi en tout cas, pour les autres je ne sais pas).
Et je doute que tu puisses le faire vu qu'en l'occurrence n'y a pas à être "d'accord ou pas d'accord" (oui, oui je sais je suis très méchant et très dogmatique). Spinoza dit "Dieu a en même temps que l'idée de l'esprit humain, l'idée d'une autre chose". Il n'est donc pas question ici d'une idée qui aurait pour objet mon corps seul, à la différence des idées adéquates, mais de ce que Dieu forme pour une idée donnée l'idée de deux (ou plusieurs) esprits simultanément. Par définition donc l'idée adéquate sera "dans" les deux esprits (parce que deux corps échangent des affections sans avoir le contrôle de cet échange), Dieu enveloppe dans une même pensée deux esprits et c'est pour cela qu'ils se conçoivent mutuellement de manière inadéquate, parce qu'ils se mettent à exprimer chacun la nature de l'autre et que ces natures diffèrent entre elles. C'est pour cela qu'il y a mixte et confusion.
Tu as du mal à admettre cette thèse parce qu'elle est contre intuitive, elle s'oppose évidemment à l'idée naïve que nous sommes des "sujets" (et que nous partageons tous, hein… je ne veux pas dire que tu en as l'exclusivité) et que notre esprit est un univers clôt, qu'il y a une distinction pertinente et essentielle entre extériorité et intériorité etc… Bref tu as de la difficulté à admettre les conséquences qui suivent de la définition de la pensée ou de l'esprit comme attribut de la substance.
Je veux bien comprendre que ça laisse perplexe, et ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Spinoza fait un avertissement au lecteur juste après ce corollaire, mais cela ne doit pas empêcher
de lire ce qui est écrit. Ou alors j'attends
tes arguments contre cette "interprétation" et non l'inlassable répétition de l'expression de ton désaccord qui peut tout aussi bien montrer que tu as du mal à admettre et à comprendre ce que Spinoza veut dire. (Ce qui encore une fois est naturel et compréhensible et il n'est pas question de te reprocher
cela)
Louisa a écrit : Puis si on suit ton raisonnement, il suffirait d'avoir des idées inadéquates pour "s'unir" à la nature entière (puisqu'elles effacerait toute frontière entre mon Esprit et l'esprit des corps extérieur), là où Spinoza dit très clairement que la seule façon de nous unir mentalement à la nature, c'est par les idées adéquates.
Encore faudrait-il que tu suives
effectivement mon raisonnement…. Il y a deux modalités de "l'union" avec la nature, parce que de toute façon nous sommes, que nous le voulions ou non, "unis" avec elle, nous en faisons partie. Action et passion, ce sont les deux façons par lesquelles peut être réalisée cette union et elles ne sont pas équivalentes. Dans un cas elle se fait en quelque sorte contre nous , dans l'autre avec nous… Pour être précis il faudrait réserver le terme "d'union" aux rapports que nous établissons avec le reste de la nature par la voie des actions et des idées adéquates, dans les passions et les idées inadéquates je me
confonds avec les autres choses, au lieu de m'unir avec elles au sens propre.
Louisa a écrit : Les idées inadéquates en revanche nous "éloignent" du monde qui nous entoure, puisqu'elles indiquent avant tout l'état de notre corps à nous, et non pas la nature du corps extérieur. Etre conscient des choses, cela n'est possible qu'en ayant une idée adéquate. L'idée inadéquate au contraire ne nous unit quasiment pas au monde, puisqu'elle dit avant tout quelque chose de notre corps à nous. (Si de nouveau tu trouves tout ce que j'écris ici révoltant, il suffit de le dire, et j'y ajoute les références exactes - car je ne fais quasiment rien d'autre ici que citer littéralement Spinoza).
Les idées inadéquates nous "éloignent" du monde…Comment veux tu que nous nous "éloignons" du monde ? Quel pourrait être l'espace "hors du monde" vers lequel nous nous éloignerions? Je sais bien "c'est une image"…Mais cette image ne signifie rien en l'occurrence.
Que nous soyons actif ou passif, nous agissons, opérons, comme des choses naturelles et sous l'effet, le contact, des autres choses naturelles. Les idées inadéquates indiquent l'état de notre corps, non pas parce que notre corps serait "éloigné" des choses (qu'est ce que c'est que cette idée?) mais tout simplement parce que nous ne pouvons estimer les choses qu'au point de vue de NOTRE corps. Mais l'autre corps, (celui qui, par hypothèse, nous affecte) quant à lui percevra plus notre nature par la sienne que la sienne par la nôtre et donc ce n'est pas parce qu'il n'y a pas "d'union" entre ces deux corps qu'il y a des idées inadéquates. Au contraire Dieu forme nécessairement une idée adéquate de cette union tandis qu'elle est inadéquate dans l'esprit de chacun des termes unis. C'est parce qu'il y a des
points de vues unilatéraux ("conséquence sans ses prémisses") sur cette union et c'est ce caractère unilatéral de la perception du rapport qu'expriment les idées inadéquates et la raison pour laquelle elles le sont.
Si ce que tu veux dire est que les idées inadéquates nous éloignent de la
compréhension ou de la connaissance de cette union, alors oui bien sûr, c'est ce qu'elles font par définition. Car si je suis à même de comprendre mon union avec le corps qui m'affecte, comme Dieu en forme l'idée, je connais cette union, je la comprends, et j'ai en ai une idée adéquate.
Et je ne doute pas que tu puisses produire de multiples citations à l'appui de tes assertions, le problème est que tu as une nette tendance à y lire
ce que tu veux au lieu de ce qui y est réellement exprimé.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable
Louisa a écrit :"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".
Louisa a écrit : Pourquoi?
Parce que je pense que c'est extrêmement superficiel et que cela repose sur un contresens tant sur E2p11 cor. que sur ce qu'est une idée inadéquate en général. Voir plus bas pour ceci.
Louisa a écrit : E3P7:
"L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates (...)".
C'est aussi une des raisons pour lesquelles cela ne peut PAS être l'essence de Dieu qui constitue l'essence de notre Esprit, puisque Dieu n'a pas d'idées inadéquates ...
E2p11 corollaire. Et cela
qu'est ce que ça dit? "Dieu en tant qu'il
constitue la nature de notre esprit etc."
Les impossibilités que tu crois percevoir dans cela ne viennent
que de ce que tu comprends toutes ces choses de travers et uniquement de cela. En effet, la pensée que Dieu forme et qui enveloppe la nature des deux esprits, lorsque ces esprits sont dits avoir des idées inadéquates, est bien entendu (cette pensée que Dieu forme)
adéquate. Elle ne l'est néanmoins pas (adéquate) pour les deux esprits en question, précisément parce qu'ils constituent chacun pour soi deux esprits, là où en Dieu il n'y en a qu'un (
le sien en tant qu'il enveloppe les deux esprits dans une seule et même pensée). Les idées inadéquates expriment la différence du point de vue
du tout sur ses parties et
des parties sur le tout dont elle sont des parties. Donc Dieu constitue bien la nature des esprits (c'est à dire : c'est Lui qui produit les idées qui les forment) et n'a pas d'idées inadéquates quand ceux ci en ont. Ton objection vient seulement de ce que tu ne comprends pas vraiment ce qu'est une idée inadéquate.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :Il suit de cela que bien que dans l'esprit humain il y ait des idées inadéquates, ce qui caractérisera la nature de cet esprit, c'est à dire ce qu'il est lui et ce qu'il peut lui ce seront les idées adéquates seules, et certainement pas les idées inadéquates. Puisque les idées inadéquates impliquent toujours la caractérisation d'un autre esprit que lui en même temps que lui et donc ne posent pas ce qui dérive de sa puissance seule, et par conséquent on ne pourra non plus définir sa nature par elles.
Louisa a écrit : le rapport entre les termes "nature" et "essence" est fort compliqué chez Spinoza. C'est pourquoi je n'ai parler que d'essence. Il ne dit rien, pour autant que je sache, quant à la relation nature humaine - idées inadéquates. Par contre, il DEMONTRE l'idée que les idées inadéquates CONSTITUENT l'essence même de mon Esprit ... .
a) Je ne parle pas de Nature humaine que je sache, je parle de la nature d'un esprit humain, et je ne fais que suivre l'usage de Spinoza qui entend toujours par là tel ou tel esprit humain.
b) cela ne sert pas à grand chose de me dire que "c'est compliqué" si c'est pour en rester là (ça nous sommes d'accord: Spinoza "c'est compliqué"). Si cette identification est problématique, ce qui est possible, c'est à toi de me montrer en quoi elle l'est. Pour moi "nature" désigne la loi constitutive d'un être, ou d'une essence: le cadre à l'intérieur duquel peuvent s'effectuer des variations sans que la chose variante soit détruite. L'essence par contraste est soumise à des variations, elle varie à proportion des variation de la puissance. Si cette variation est telle qu'on ne peut plus en rendre compte par la nature de la chose (que ce soit sa nature seule ou par sa nature plus la nature d'autres choses), alors cette variation est équivalente à une transformation. Ce qui signifie en pratique que la chose sera détruite. "Essence" et "Nature" ne diffèrent pas par la chose désignée (ce qui est constitutif d'une nature est aussi constitutif de son essence), mais par la perspective conceptuelle adoptée. La nature est une loi, l'essence est l'application de cette loi à chaque instant.
A part ça c'est simplement une
plaisanterie de dire que Spinoza ne parle pas du rapport entre idées adéquates et nature de l'esprit:
(def II, E3 ) "Je dis que nous agissons quand il se fait en nous ou hors de nous quelque chose dont nous sommes cause adéquate, c'est à dire, quand de notre nature il suit, en nous ou hors de nous, quelque chose qui peut se comprendre clairement et distinctement par elle seule".
Ensuite, pour ce qui est du rapport des idées inadéquates, donc des passions de l'esprit, et de ce qui en résulte quant à l'essence de l'esprit: voici ce que nous apprends E3p3 scolie:
"Nous voyons donc que les passions ne se rapportent à l'Esprit qu'en tant qu'il a quelque chose qui enveloppe négation, autrement dit, en tant qu'on le considère comme une partie de la nature
qui par soi, sans les autres ne peut se percevoir clairement et distinctement".
Ce qui est important là dedans c'est:
les idées inadéquates enveloppent négation. Et si elles constituent notre essence ce sera de la même façon: négativement, c'est à dire en marquant ses limites propres. Qu'est ce que ça veut dire? D'abord pour savoir de quoi il est question avec un esprit humain il faut qu'il en existe (de cet esprit) une idée adéquate, ou une idée claire et distincte. Mais qui forme toujours et nécessairement l'idée adéquate de l'esprit humain? C'est Dieu. Or le passage de E3 que je viens de reproduire implique que lorsqu'un esprit conçoit inadéquatement quelque chose, SI par impossible, Dieu ne pouvait pas rapporter cet esprit à l'action
d'autres esprits que lui, alors Dieu ne pourrait pas avoir un concept
clair et distinct de cet esprit humain, c'est à dire ne pourrait pas concevoir adéquatement son essence.
Note bien ici que ce qui permet de concevoir l'essence de l'esprit humain pour autant qu'il a des idées inadéquates, c'est bien l'essence
de certaines autres choses que lui, puisqu'il ne s'agit en somme que de concevoir cet essence en tant que et sous le rapport où elle est affectée, affaiblie ou fortifiée, en un mot modifiée par d'autres. Et c'est en ce sens que je dis que les idées inadéquates constituent "négativement" l'essence d'un esprit humain: au sens donc où elles intègrent l'essence de l'esprit humain au sein d'autres essences de choses qui ne sont pas lui. Elles définissent l'esprit humain non comme un tout par rapport à ses propres parties mais comme une partie à l'intérieur d'un tout qui n'est pas lui. L'idée inadéquate est la marque d'une extériorité de l'Esprit sur "mon" esprit, ou le non recouvrement de l'un par l'autre.
Ce qui ne me va pas dans ta présentation des choses, est que tu fais une erreur de catégorie: tu présentes ce qui est une caractérisation négative comme un constituant positif. Comme s'il y avait dans l'esprit humain certaines idées qui sont dites inadéquates, en vertu d'un certain contenu, ou d'un certain objet qui leur serait propre (l'idée inadéquate est telle parce qu'elle est la représentation spécifique "de quelque chose d'inadéquat"). Mais les idées inadéquates ne sont pas appelées telles à raison de leur contenu (ou parce qu'elles auraient un contenu particulier qui justifierait cette dénomination), mais à cause de ce que la considération seule de l'esprit humain, en tant qu'il se représente une telle idée,
ne suffit pas à rendre compte
de son contenu réel et véritable, lequel en revanche est pensé dans les idées que Dieu forme du complexe de choses (d'esprits et donc de corps) qui sont en jeu dans la relation .
Ton interprétation du verbe "constituer" dans ce contexte, est telle par exemple quelle entraîne que Dieu pour avoir l'idée claire et distincte d'un esprit humain, concevra les idées inadéquates "comme telles" dans l'esprit humain, sans avoir égard à d'autres choses. (Et oui: si elles sont "dans" l'esprit humain au sens où tu l'entends, Dieu pourra donc avoir une idée adéquate de l'esprit humain en tant que celui là a des idées inadéquates, sans qu'il soit nécessaire de considérer autre chose que lui). Mais, outre qu'ainsi tu fais concevoir à Dieu des idées inadéquates, tu te trompes en croyant qu'une idée inadéquate est quelque chose de ce genre: Une idée inadéquate
est en réalité une idée adéquate dont mon esprit considéré seul ne peut pas rendre compte, ce n'est pas le nom d'une idée complète "en elle même" que mon esprit a ou se représente et qui aurait, spécifiquement (je veux dire par différenciation d'avec les idées adéquates, mais symétriquement) un contenu "représentationel inadéquat". C'est cela que Spinoza dit quand il explique que rien de positif ne constitue la forme de la fausseté. Il y a une dissymétrie fondamentale entre idées inadéquates et idées adéquates: au contraire des dernières les idées inadéquates ne se définissent (car elle ne peuvent l'être) par
leur contenu .
Louisa a écrit : Spinoza a écrit:
L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates, et par suite, tant en tant qu'il a les unes qu'en tant qu'il a les autres, il s'efforce de persévérer dans son être (...) .
Durtal a écrit :Très belle citation, mais les idées inadéquates sont des passions de l'esprit et les idées adéquates des actions de l'esprit. Or ce qui définit la nature ou l'essence d'une chose est ce par quoi elle agit (l'essence pose ce que peut la chose et non ce qu'elle ne peut pas). Par conséquent il ne faut pas comprendre cette formule comme si il y avait une chose, l'esprit comme un "cadre" neutre et vide qui contiendrait la juxtaposition de deux items: les idées adéquates et les idées inadéquates. Mais comme quelque chose qui décrit une dynamique, un procès: la tendance à l'individuation et à l'affirmation de soi (idées inadéquates) en permanence contrarié par une tendance inverse à la désindividualisation, la perte de soi dans les autres choses (idées inadéquates).
ok, mais tout ce raisonnement est basé sur ce que tu viens de dire ci-dessus, c'est-à-dire sur ta façon d'interpréter l'E2P11 cor.: il dépend entièrement de l'idée que notre esprit peut "se confondre" avec les autres esprits, et que ce genre d'union avec la Nature ne se fait que dans le cas des idées inadéquates. Or je ne vois pas comment fonder cela dans les textes.
Je rêve… Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre….Tu ne vois pas comment fonder cela "dans les textes"?!!!! J'ai peur que rien dans ce cas ne vaille pour toi "fondation dans les textes"… Alors on va changer l'expression, peut être sait-on jamais, est-ce la formulation du cor. E2p11 qui te gêne. Vois donc comment Spinoza
explicite lui même ce fameux corollaire en E3:
E3p1: "(Les idées) qui sont inadéquates dans l'Esprit, sont elles aussi adéquates en Dieu (par le Corollaire prop.11), non en tant qu'il contient seulement l'essence de cet Esprit, mais aussi en tant qu'il contient en soi en même temps les Esprits d'autres choses". Et nota bene, ce rappel intervient dans la démonstration qui vise à établir l'identité entre idée inadéquate et passion, donc dans un contexte où il est question des effets que les choses extérieures ont sur moi.
Mais qu'est ce que signifie une telle phrase à ton avis, si ce n'est que Dieu forme simultanément les pensées de plusieurs esprits pour une idée donnée (celle qu'on dit inadéquate pour ces esprits)?
D'autre part comment veux tu qu'ils ne soit pas question d'interaction ou de confusion de nature dès lors qu'une idée inadéquate, se définit comme celle qui enveloppe la nature d'un corps extérieur en même temps que le mien? C'est bien que ce corps laisse sa trace en moi, donc que ma nature retient quelque chose de la sienne comme la sienne retient quelque chose de la mienne, il y a échange de propriétés, modification réciproque…Mais je ne sais pas pourquoi je m'épuise à exposer des choses aussi élémentaires...
Je répète, concernant cette question j'attends
autre chose que l'expression de ta propre perplexité. Louisa a écrit : Pour Spinoza on ne peut se lier à ce qui est extérieur à nous que par le biais d'idées adéquates. Prenons par exemple l'E4 ch.XII: "Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations, et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul, plus apte, et, absolument parlant, de faire ce qui contribue affermir les amitiés". Or ce qui contribue à l'amitié, cela naît des idées adéquates, et surtout pas des idées inadéquates. .
Encore une fois tu n'as pas compris ce que je dis. Et je fais, je pense, toute la différence qui doit être faite entre les actions de l'esprit et les passions de l'esprit.
Louisa a écrit : Durtal a écrit : L'essence de l'esprit humain est non pas un complexe figé et défini d'idées inadéquates et inadéquates, mais un optimum ou un équilibre (une loi de variation) entre adéquation et inadéquation.
Louisa a écrit : une définition doit nous dire ce qu'est l'essence d'une chose. Or Spinoza dit que l'essence de l'Esprit est constituée d'idées inadéquates et adéquates. Dès lors, comment NE PAS définir l'essence de l'Esprit par les deux ... ?
Bien sûr, aussi longtemps que cette essence existe dans le temps, elle varie, ce qui ne signifie rien d'autre que le fait qu'elle acquièrt des idées adéquates et inadéquates.
Si en revanche tu pars de l'idée d'un "optimum" entre les deux pour définir l'essence de tel ou tel homme (ainsi que le font pas mal de commentateurs), on tombe immédiatement, me semble-t-il, dans l'idée d'une essence "virtuelle" qui peut être plus ou moins actualisée. Or Spinoza dit très vite qu'il n'y a aucune virtualité chez lui, tout est actuel. C'est pourquoi il n'y a pas de "norme", de "moi" qui cherche à se réaliser, il y a à chaque moment une essence ayant tel ou tel degré de puissance, et c'est tout.
Epuisant. Tu n'as pas l'air de saisir cette idée d'"optimum" qui précisément définit toujours l'état d'une chose à un moment donné, la tendance à l'équilibre qui implique justement perpétuelle
réactualisation. De même l'intérêt de parler d'une loi, est de rendre compte de la variation, de l'existence en acte, dans la constance. Et il n'y a rien de "virtuel" la dedans. De plus il y a des "natures": un cheval n'est pas un homme, ni un insecte: il y a différentes lois de constitutions des individus. Enfin l'essence est "effort" "tendance" et tu ne sais manifestement pas de quoi tu parles en évoquant tes "degrés de puissance et puis c'est tout", puisque cette puissance exprime une norme ou une règle : la conservation de notre être. C'est d'ailleurs pourquoi cette puissance est en même temps et immédiatement constitutive d'un droit. (le droit de nature). Et toutes les normes juridiques, fondées dans l'Etat, qui sécrète le droit pour persévérer dans son être, en dérivent.
Louisa a écrit : Durtal a écrit : Il est en perpétuelle redéfinition de lui même parce que le mode de la pensée qui constitue l'esprit humain est en permanence affecté par d'autres modes de la pensée, tout comme le mode qui constitue le corps humain est en permanence affecté par d'autres modes de l'étendu.
en effet, tout à fait d'accord.
D'après ce qui précède je doute que tu puisses être "tout à fait d'accord" avec cela, ou plutôt je doute que tu comprennes ce que je veux réellement dire par là.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :Tu penses l'esprit comme un univers clos sur lui même, et "dans lequel" il y a des trucs: voilà on compte ce qu'il y a dedans et c'est ça "l'essence de l'esprit". Mais ça ne fonctionne pas comme ça, l'esprit est un rapport d'idée adéquates et d'idées inadéquates, qui toutes in fine expriment évidemment et uniquement l'activité pensante de DIEU.
je ne vois pas pourquoi tu m'attribues une telle idée.
Par exemple (voir plus haut): "Mais cette idée, elle n'est nulle part ailleurs que dans MON Esprit à moi!". Et milles autres choses… Ce que je veux dire est que tu ne sembles ne pas parvenir à entériner (autrement que verbalement) le fait que chez Spinoza ce n'est pas les idées qui sont "dans mon esprit à moi", mais tout juste le contraire: c'est "mon esprit"
qui est dans les idées de DIEU. Les idées n'ont pas besoin de mon esprit pour exister, en revanche mon esprit pour exister dépend de l'existence des idées que Dieu forme des choses. Tu me donnes sans arrêt l'impression de maîtriser le
vocabulaire de Spinoza mais pas
ses concepts.Louisa a écrit : Rappelons que c'est moi qui ai repris la citation de Spinoza où il dit que l'essence de l'Esprit se constitue aussi bien des idées inadéquates que des idées adéquates. Pour pouvoir penser cette fluctuation dans le temps, il FAUT ne pas définir le "moi" par les idées adéquates seules, comme vous le faites, car celles-ci sont éternelles, donc ne changent pas.
Autrement dit: comme j'ai mentionné déjà ci-dessus, c'est PARCE QUE l'Esprit est un rapport, une proportion entre idées adéquates et inadéquates, que la sagesse se définit par une majorité relative d'idées adéquates, et non pas par l'érudition, par exemple.
Les idées inadéquates ne doivent pas être comprises comme des "constituants" de l'esprit (c'est un pur et simple contre sens), mais comme ce qui le définit par sa "bordure extérieure". Comme ce qui situe l'état d'une essence au milieu des autres, qui fait qu'il est une partie de certaines autres. Ensuite, sur la question des caractérisations "du moi" voir haut du message.
Louisa a écrit : Durtal a écrit :Et plus les conditions dans lesquelles la pensée humaine se forme sont proches des conditions dans lesquelles Dieu forme les idées de toutes les choses et plus l'esprit humain est conscient de soi, de Dieu et des autres choses. Plus il agit conduit par une "libre nécessité" qui n'est autre que la façon dont Dieu se pense lui même.
je dirais: lui-même en tant qu'il s'explique par tel ou tel mode, et non pas lui-même en tant qu'essence divine?
Quand Dieu forme l'idée de son essence, alors il forme l'idée de tout ce qui suit de cette essence. C'est la même chose de faire l'un et de faire l'autre. Si je forme l'idée de l'essence d'un triangle, alors je forme l'idée des propriétés qui découlent du triangle.
D.