Idée

De Spinoza et Nous.
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Une idée (idea) est «un concept du Mental que le Mental forme parce qu'il est une chose pensante» (E2D3). Spinoza précise que le choix du terme de concept s'oppose à celui de perception parce que ce dernier indiquerait une passivité de l'esprit dans la formation de ses idées alors qu'il s'agit au contraire ici de comprendre l'idée elle-même comme acte de l'esprit. L'enjeu d'une telle définition est de comprendre l'autonomie ontologique de l'idée par rapport au corps et à l'attribut Extension en général, afin de la situer dans la nature comme expression immanente de la puissance d'exister de Dieu, ce qui permet de comprendre rien moins que la possibilité du troisième genre de connaissance, de la béatitude et de l'amour intellectuel de Dieu.

Sommaire


Explication de la définition

En effet, une idée est d'abord un mode de la Pensée, c'est-à-dire non pas une substance close sur elle-même mais une expression singulière de la substance unique et infinie. À ce titre, elle ne saurait être une simple représentation au sens d'une copie de quelque chose de déjà existant, comme si par nature, quoique ce soit pouvait par essence être passif dans une nature où la puissance infinie d'exister de Dieu est immanente en toute chose. Ainsi l'idée de mon bras gauche, comme mode de la substance en tant qu'elle est pensante, n'a rien d'étendue, de longue, de large, de profonde... ce ne saurait donc être l'impression physique exercée par le corps sur mon mental, comme le croient de concert les empiristes et bien des idéalistes, puisque seul ce qui est étendu peut recevoir une quelconque impression physique. Une telle idée ne peut donc, en son essence, qu'être une présentation ou présence de mon bras dans la Pensée, c'est mon bras considéré sous l'angle de la Pensée, totalement autonome par rapport à mon bras en tant qu'il est effectivement étendu.[1] Quant à l'existence même d'une telle idée dans mon mental, il n'y aura nullement à l'expliquer par l'intervention du corps sur le mental, ce qui relèverait d'une transsubstantiation miraculeuse équivalant à une renonciation à toute compréhension rationnelle de soi : il suffira de se référer à d'autres idées singulières, s'expliquant elles-mêmes par d'autres idées singulières (E1P28). Ainsi, j'ai en ce moment l'idée de mon bras gauche posé sur la table parce qu'auparavant j'ai mentalement cherché un exemple d'objet physique proche : l'idée ici ne s'explique que par une autre idée.

Mais de même qu'un mouvement accompli physiquement ne se comprend que comme modification de mon état corporel, qui est lui-même mode de l'extension, une pensée particulière ou idée est une modification de mon état mental. Cette modification peut n'être que partiellement active, elle peut comporter une part de passivité : si on me pousse, je tombe - de même si j'ai l'idée qu'on me pousse, je ne vais pas savoir pour autant pourquoi et comment on m'a poussé - mais cette modification n'est jamais totalement passive : cela reste le corps qui chute comme le mental qui se trouve dans un état de confusion, voire de doute ; c'est le corps qui forme ses mouvements, comme c'est le mental qui forme ses idées.

Ainsi pourra-t-on dire qu'une idée est un concept du Mental, comme un mouvement est «conçu», généré, par le corps à partir de sa propre matière, c'est-à-dire ici son étendue. On le voit, "concevoir" ici, est à prendre d'abord au sens biologique du terme, comme acte de génération. C'est parce qu'un tel concept - produit de l'acte de conception du mental - est lui-même un acte, que l'idée vraie est possible : "Avoir une idée vraie ne signifie rien d'autre en effet que connaître une chose parfaitement, de façon optimale. On ne peut en douter raisonnablement, à moins de s'imaginer qu'une idée est une chose muette et inanimée, comme une peinture, et non un mode de la pensée, l'acte même de comprendre" (E2P43S).

On notera dans ce cadre que le Mental n'est pas une source transcendante des idées mais lui-même une idée, c'est-à-dire un mode de la Pensée, dont l'objet n'est autre qu'un corps singulier.


Les idées adéquates

"Par idée adéquate, j'entends une idée, qui en tant qu'elle est considérée en soi, sans relation à un objet, a toutes les propriétés ou dénominations intrinsèques d'une idée vraie. Explication : je dis "intrinsèques", afin d'exclure celle qui est extrinsèque, à savoir la convenance de l'idée avec l'objet qu'elle représente". (E2D4)
On ne peut chercher une correspondance exacte entre une idée et un objet (par ex. un corps), c'est-à-dire la vérité (E1A6) en sortant miraculeusement de la représentation pour percevoir le réel, car l'idée d'une affection du corps humain n'enveloppe pas sa connaissance adéquate (E2P27) et il ne peut y avoir d'interaction entre le mental et le corps (E3P2). Il s'agit alors de s'intéresser à ce qui dans l'idée est adéquat à l'idée en elle-même (intrinsèque) et non à son objet (extrinsèque). Il s'agit ici de s'en tenir strictement à la pensée, sans se référer à aucun autre attribut.

Quelles sont les propriétés ou dénominations intrinsèques d'une idée vraie ? Soit une sphère et l'idée de sphère comme demi-cercle en rotation autour de son centre (TIE §72), admettons que cette idée est absolument vraie. Étant égale à son objet, cette idée doit être unique (il ne peut y avoir qu'une seule idée vraie pour une réalité donnée), nécessaire (on ne peut penser une sphère autrement que comme formée d'un demi-cercle en rotation autour de son centre, on ne peut par exemple penser une sphère carrée ou ovale), claire (l'idée vraie doit être présente et manifeste à un esprit attentif à l'objet), distincte (elle est clairement différenciée d'autres idées peut-être voisines : rond, globe ovoïde etc.), et entièrement déterminée (l’idée inadéquate est essentiellement une idée incomplète, tronquée). L'idée de substance, également, est une idée adéquate : en tant qu'idée de ce qui est en soi et par soi (E1D3) cette idée n'est déterminée que par elle-même, elle ne peut donc être qu'entièrement déterminée. Toute idée dont on ne connaît que partiellement la détermination (les autres idées qui la déterminent) ne pourra qu'être inadéquate. Autres dénominations intrinsèques de l'idée vraie : fécondité ou enchaînement avec d'autres idées adéquates (concatenatio) (étant nécessaire et distincte, une idée adéquate doit pouvoir être rapportée adéquatement à ses effets). - Voir Détermination.

A partir du moment où une idée adéquate a bien "toutes les propriétés d'une idée vraie", elle équivaut à une idée vraie (E2P34). Les idées adéquates sont donc des idées vraies, des connaissances des choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais par la logique intrinsèque de la représentation, non par une impossible sortie hors de la pensée. Ainsi, penser par exemple que "tous les corps sont en mouvement ou au repos" (E2P11, axiomes), c'est avoir une idée à laquelle il ne peut rien être ajouté, c'est-à-dire une idée parfaite ou complète, sachant que la notion de corps enveloppe celle d'existence, qui sera ainsi claire et distincte, car toute détermination supplémentaire supposerait soit le mouvement, soit le repos. De même que nous saurions à coup sûr avoir affaire à un triangle, même sans en connaître directement la présence, dès lors que nous aurions la connaissance d'une de ses propriétés ; de même nous savons que nous avons affaire à l'objet en lui-même et non à une simple représentation mutilée dès lors que nous en avons l'idée adéquate. Ainsi, lorsqu'on ne peut rien ajouter à une idée de telle sorte qu'elle pourra être considérée comme "parfaite" en nous, nous pourrons être assurés qu'il ne peut rien exister de plus en dehors de nous, dans le réel.

Ainsi, "Celui qui a une idée vraie sait, en même temps, qu'il a cette idée et ne peut douter de la vérité de la chose qu'elle représente." (E2P43)

Notes


  1. Spinoza emploie cependant le terme de représentation (E2P17S et E2P40S2), mais au sens de ce qui serait présent aussi bien dans la pensée que dans l'étendue, doublement présent, non comme l'imitation de quelque chose de déjà existant.
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