COURT TRAITÉ
PARTIE II
CHAPITRE VIII
DE L’ESTIME ET DU MÉPRIS.
(1) Nous traiterons
maintenant de l'estime et du mépris, de la générosité
et de l'humilité (vraie), de l'orgueil et de l'humilité
basse, ou abjection.
Pour démêler ce qu'il y a de bon ou de mauvais
dans ces passions, nous les prendrons l’une après l'autre comme
elles se présentent devant nous.
(2) L’estime et le mépris
se rapportent à quelque objet, qui nous parait ou grand ou petit,
soit en dedans soit en dehors de nous.
(3) La générosité
ne s'étend pas au-delà de nous-mêmes, et appartient
seulement à celui qui, n'ayant aucune autre passion et sans exagérer
l'estime le soi, juge sa propre perfection d'après sa vraie valeur.
(4) L'humilité a lieu lorsque
quelqu'un, sans aller jusqu'au mépris de soi-même, connaît
sa propre imperfection ; cette passion ne s'étend pas non plus
au-delà de nous-mêmes.
(5) L'orgueil est la passion par
laquelle l'homme s'attribue une perfection qu'il n'a pas.
(6) L'abjection est celle par
laquelle il s'attribue une imperfection qu’il n'a pas. Je ne parle pas
ici des hypocrites, qui ne pensent réellement pas ce qu'ils disent
et qui ne s'humilient que pour tromper les autres, mais seulement de ceux
qui croient trouver en eux les imperfections qu’ils s'attribuent.
(7) Cela posé, il est facile de
voir ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans chacune de ces passions.
Quant à la générosité et
à l'humilité, elles manifestent elles-mêmes leur excellence
: car celui qui est animé de ces passions connaît sa perfection
et son imperfection, selon leur vraie valeur, ce qui, comme la raison
nous l'enseigne, est le seul moyen de nous conduire à la perfection
véritable. En effet, dès que nous connaissons bien notre
puissance et notre perfection, nous voyons clairement ce que nous avons
à faire pour atteindre à notre vraie fin ; et de même,
connaissant notre impuissance et nos défauts, nous voyons ce que
nous devons éviter.
(8) Pour l'orgueil et l'abjection, leurs
définitions nous font voir assez qu'elles naissent évidemment
de l'opinion, car l'une consiste à s'attribuer une perfection qu'on
n'a pas, et l'autre au contraire.
(9) Il résulte donc de là
que la générosité et l'humilité sont des passions
bonnes, et l'orgueil et l'abjection des passions mauvaises. Par les premières,
l'homme n'est pas seulement déjà en bon état ;
mais encore ce sont des degrés qui nous conduisent à notre
salut ; celles-là, au contraire, non-seulement nous détournent
de notre perfection, mais elles nous conduisent à notre ruine.
L'abjection nous empêche de faire ce que nous devons faire pour
devenir parfaits, comme nous le voyons dans les sceptiques, qui, niant
que l'homme puisse atteindre aucune vérité, renoncent eux-mêmes,
par cette négation, à toute vérité ; tandis
que l'orgueil, au contraire, nous pousse à rechercher des choses
qui nous conduisent tout droit à notre ruine, comme on le voit
dans ceux qui ont pensé ou qui pensent être en commerce surnaturel
avec la Divinité, et qui, ne craignant aucun péril, prêts
à tout, bravant le feu et l’eau, périssent ainsi misérablement.
(10) Quant à l'estime et au mépris,
nous n’avons rien de plus à en dire, sinon qu'on veuille bien se
souvenir de ce que nous avons dit précédemment de l’amour.
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