sescho a écrit :(...)
La sagesse commune peu de chose ? Elle, infiniment précieuse et pourtant rarissime ? Ce n'est pas du tout mon point de vue (ni du tout celui de Spinoza à mon point de vue.) J'ajoute que l'essence de genre Homme est quand-même pour moi de toute évidence l'essentiel de chaque homme (et je préfèrerait sans la moindre hésitation infiniment être un homme sage identique aux plus grands sages historiques, qu'un cheval – malgré sa majesté – dans toute sa particularité...)
Bonjour Serge,
je crois avoir trouvé comment dire en moins de mots ce que je veux dire :
chacun, en tant que mode particulier, vit dans son temps et dans son lieu, dans sa relation propre aux autres modes particuliers, et c'est chacun qui dans sa vie même est "instrument" de production de ce que la Nature produit en elle-même notamment l'entendement infini.
On ne peut pas aujourd'hui concevoir les corps sans prendre en compte les 3 siècles de physique qui nous séparent de Spinoza, on ne peut pas faire de la politique en oubliant la Révolution Française, la Terreur, le colonialisme, le nazisme ou encore le féminisme, l'islamisme (au sens neutre de "référence à l'Islam") etc.
L'entendement infini, il se construit aussi aujourd'hui par la compréhension aujourd'hui de ce qu'hier Spinoza ne pouvait connaître.
Là, c'est pour le commun.
Pour le singulier, on ne peut pas, pour moi, prétendre à la sagesse quand on ne sait pas voir Pierre ou Paul comme une personne et plutôt qu'un cas particulier d'Homme en général, quand on ne voit pas que l'essentiel chez lui est ce qui fait son caractère unique sans référence nécessaire à une certaine idée de l'Homme. Si le biologiste ou le médecin peuvent s'intéresser à quelqu'un comme à un homo sapiens parmi d'autre parce que leur pratique est basée sur le commun, la relation éthique exige pour moi une attention particulière au singulier. Au nom de "bons principes", on peut facilement se voir investi de la mission de changer l'autre pour le faire aller vers sa propre idée de l'"Homme accompli" ("Al-insan al-Kamil" dans l'Islam, idée qui n'est sans doute pas tout à fait celle de Spinoza).
Le "colonialisme" des idées, la tendance à vouloir que l'autre soit comme soi, est pour moi un affect à manier avec prudence. La sagesse est dans l'identification de ce qui convient à l'autre et dans la promotion chez lui de ce qui lui convient même si ça ne nous correspond pas vraiment (et bien sûr à condition que cela ne nous soit pas nuisible).
On ne force pas les gauchers à écrire de la main droite, on n'oblige pas un Spinoza à faire des salamalecs à la synagogue "pour son bien", on n'essaie pas de faire abandonner à un Korto son inoffensif "point Omega" si il est nécessaire à son plaisir.
Les sages se retrouveront sur nombre de points, par exemple sur tout ce qui fait qu'on peut s'accorder sur une certaine humanité, et je pense qu'ils s'accorderont sur le point que cette humanité implique le respect de la différence, je dirais même le respect maximal de la différence, c'est-à-dire celui qui ne nuit pas à l'accord tout en permettant l'expression maximale de la diversité de la Nature, l'expression maximale de réalités.
C'est tout le combat du Traité Théologico-Politique, fonder la liberté de penser et dire.
sescho a écrit :Sur la connaissance du troisième genre, je ne voudrais pas qu’on balaye d’un mot ce qui pour moi a été prouvé et sur-prouvé par une grande quantité d’extraits, un travail significatif et de nombreux débats sur ce forum : elle porte sur les mêmes « choses » que le deuxième genre, mais vues instantanément, intuitivement, dans le monde réel (autrement dit, assez indifféremment dans toutes les circonstances réelles.) C’est tout-à-fait explicite chez Spinoza, l’exemple (triple) de la proportion étant déjà parfaitement clair par lui-même. Les extraits sont rassemblés ici.
(...)
il s’agit de voir d’abord Dieu comme ayant une infinité d’attributs, puis par exemple l’Etendue sans forme, puis le Mouvement, puis la chose singulière, le corps, comme effet du Mouvement dans l’Etendue. Il faut voir dans cet ordre et sans rien oublier, le tout dans un seul mouvement.
Nous n'avons jamais été vraiment d'accord sur ce qu'impliquait le passage au 3e genre de connaissance par rapport à l'appréhension du singulier. Connaître différemment, n'est pas pour moi connaître les "mêmes choses".
Le 3e genre annule notamment le processus successif d'exposition, celui qui va des attributs à Dieu ou des attributs aux modes.
Celui qui fait un calcul en vertu de la Démonstration de la Proposition 19 du 7e livre d'Euclide, c'est-à-dire en vertu d'une propriété générale des proportions, ne voit certainement pas la même chose que celui qui voit instantanément le rapport entre 2 nombres. Le premier est concentré sur une propriété générale et s'efforce de l'appliquer, l'autre est concentré sur la réalité concrète des 2 nombres et voit leur rapport sans avoir besoin d'Euclide.
C'est là que je vois la différence éthique : être concentré sur des propriétés générales et en chercher des cas particuliers, ou être concentré sur la réalité concrète et y voir des propriétés générales mais aussi singulières (4/2 n'est pas 8/4 même si les deux rapports donnent 2).
Au cas où ça n'aurait pas été clair : il ne s'agit pas pour moi de dire qu'il faut partir du singulier pour fonder Dieu, il s'agit pour moi de dire que c'est en un seul concept, d'un seul coup, que l'Un et le Multiple sont Dieu, que la Communauté et la Singularité sont Dieu, unique multiplicité ou communauté de singularités.
Négliger la généralité au profit de la singularité, ce serait négliger l'accord des choses, mais négliger la singularité au profit de la généralité ce serait négliger la vitalité, la dynamique interne de la Nature.
Tout cela forme un seul objet-concept où chaque composante à son importance.
Par exemple, dans le souci du détail, je remarque que dans la sélection (ta sélection ?) de citations auxquelles tu renvoies, il manque E5p29 et son scolie, ainsi que E5p30.
C'est pourtant important : Notre âme, en tant qu'elle connaît son corps et soi-même sous le caractère de l'éternité, possède nécessairement la connaissance de Dieu, et sait qu'elle est en Dieu et est conçue par Dieu.
La connaissance de soi-même sub specie aeternitatis va conditionner le 3e genre de connaissance.
sescho a écrit :(...)
Ceci n’est pas un exemple (ce n’est qu’une homonymie) au sens d’une illustration parmi d’autre, mais un exemple au sens d’un idéal-guide, qui entre dans la nature de tout homme et représente l’idéal de perfection de tout homme. Je pense que le contexte du texte le montre clairement.
A mon sens, il faut distinguer entre l'"être-raisonnable" qui est le véritable objet de la béatitude, indépendamment de son caractère humain, et le modèle humain proposé qui s'appuie sur une étude anthropologique sujette à variation. Les affects divergeant avec les essences, ce ne sont pas forcément les mêmes voies "affectives", les mêmes expériences, qui conduiront l'un ou l'autre vers l'"être-raisonnable" ou même qui les conduiront à un accord sur l'"être-raisonnable" pour tel ou tel homme.
Les définitions que Spinoza donne des affects, la manière dont il mène son étude anthropologique, traduisent sa propre sensibilité et on peut sans grande conséquence en diverger.
Pour l'exemple, dans l'appendice de E4, j'aurais des réserves sur la valeur de rationalité universelle des chap. XX (mariage) et XXVI (rapport aux autres êtres qu'humains). Un citadin célibataire comme Spinoza n'est pas forcément du meilleur conseil pour les rapports conjugaux ou ceux avec le monde animal et végétal.
sescho a écrit :(...) Et ce n’est pas « la sagesse de Spinoza », c’est la Sagesse, déduite de la considération de la nature humaine prise dans toute sa généralité.
Crois-tu alors que le mariage n'est raisonnable que si il est "accompagné du désir d'avoir des enfants" (E4 appendice chap. XX) ? Un couple ne peut se former raisonnablement sans ce désir ?
sescho a écrit :Pas de raccourci autorisé !
Je ne reviens pas là-dessus. Tu mets des prescriptions de priorité que j'élimine par ma science intuitive

sescho a écrit :Non le commun est l’essentiel de l’essence. Le reste, c’est le détail.
Alors pourquoi Spinoza précise que les notions communes sont insuffisante pour la détermination d'essences singulières ?
Ou alors, par "essentiel de l'essence", tu veux dire la "majeure partie", une partie mineure servant à singulariser. Auquel cas, je dirais que c'est la partie mineure l'essentiel puisque c'est ce qui détermine l'essence singulière.
Une notion commune pourrait être : l'essence est dans les détails.
sescho a écrit :Certes, mais ce que tout le monde voit c’est la singularité.
Je dirais plutôt que tout le monde voit des images, des opinions communes et des idées vagues, qu'avec un peu de sciences certains voient des vérités communes, et qu'avec de la science intuitive on voit l'essentiel d'une chose, sa singularité dans la communauté.
sescho a écrit : c’est la Sagesse accessible à l’Homme, à tout homme, qu’il nous décrit en prenant la nature humaine dans toute sa généralité. Et s’il y a un alpha et un omega, c’est de relier toute chose – quelle qu’elle soit en détail , peu importe finalement comme déjà dit : la variété est comme une cerise sur le gâteau, accessible de façon confuse – à Dieu et au Mouvement. La rareté est tentante c’est sûr ; mais Spinoza dit bien partout que le Bien qu’il décrit est commun et potentiellement accessible à tous.
(...) rapporter, en conscience vive, tout quel qu’il soit, y compris soi-même, comme simple manifestation, temporaire en tant qu’étant en acte, de l’éternel Dieu en mouvement, voilà tout (mais c’est ce qui est rarissime comme fait.) C’est cela la claire intelligence des choses.
La Sagesse négligeant ce retour aux êtres particuliers qu'invoque la partie 5 de l'Ethique, c'est pour moi une demi-sagesse, une sagesse "platonique" dont on saura parler en général mais dont rien ne garantit qu'on en verra la réalité dans le comportement d'un être particulier. Certes Spinoza parle en général et on pourrait se dire que la Sagesse se suffit de 200 pages de texte, mais tu connais la morale de l'histoire : "comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare."
Pourquoi est-ce si rare ? Peut-être pour des questions sur la manière de prendre conscience de soi-même, de Dieu et des choses. Peut-être que se considérer comme une "simple manifestation, temporaire" conduit à se renvoyer soi-même à un être "agité en mille sens divers par les causes extérieures" empêchant de se voir sub specie aeternitatis, en tant qu'essence éternelle.
Je ne doute pas que se préoccuper principalement de ce qui est communément vu comme éternel soit apaisant, mais je doute que ce soit le stade ultime de ce que propose Spinoza. La perception de soi-même et de chacun comme directement intégré à la production éternelle donne une stimulation vitale, joyeuse, la satisfaction de voir dans les différences la dynamique de la production immanente. On est tranquille non seulement dans l'idée de lois éternelles communes, dans la régularité, mais aussi face à l'expression de lois éternelles singulières, dans la catastrophe ou les surprises de la liberté de pensée.
A mon sens, il y a au moins 2 manières de voir cette béatitude promise : soit comme une unique Lune que tout un chacun pourrait contempler éclairé par l'entendement divin (version "platonicienne" ?) soit comme des sommets à atteindre par chacun sur sa voie propre, la Terre étant l'entendement divin constitué de ces montagnes (version "nietzschéenne" ?).
Pour ma part, je suis sur la 2e option, je ne suis pas très confiant quand on me promet la Lune et je préfère la considérer comme une de ces choses que tout le monde voit mais que personne n'habite, ne vit.
P.S. : au cas où tu ferais une réponse, désolé si je n'y réponds pas mais j'ai d'autres obligations pour les semaines à venir. Et puis je risque de me répéter sans nécessité.