Définition

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Une '''définition''' (''definitio'') est une proposition expliquant l'[[essence]] intime d'une chose et rien d'extérieur ou de second (par exemple, une [[propriété]]) par rapport à cette essence ([[TIE95]] et [[E1P8]], scolie II). Une définition sera uniquement '''nominale''' si elle consiste à ne retenir qu'un élément apparamment marquant de la chose à définir : a) elle utilise des [[abstraction]]s comme les [[genre]]s et [[différence]]s spécifiques (ex. l'homme comme "animal raisonnable"), b) elle procède par des [[propre]]s (ex. [[Dieu]], être infiniment parfait), c) par une [[propriété]] (ex. le cercle, figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales).  
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Une '''définition''' (''definitio'') est une proposition expliquant l'[[essence]] intime d'une chose et rien d'extérieur ou de second (par exemple, une [[propriété]]) par rapport à cette essence<ref>Cf. le [[Traité de la réforme de l'entendement#XIII. Les conditions de la définition|Traité de la réforme de l'entendement, § 95]] et [[E1P8|Éthique, proposition 8]], [[éthique I#p8s2|scolie II]])</ref>.
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Une définition sera uniquement '''nominale''' si elle consiste à ne retenir qu'un élément apparemment marquant de la chose à définir :
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# elle utilise des [[abstraction]]s comme les [[genre]]s et [[différence]]s spécifiques (ex. l'homme comme "animal raisonnable"),
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# elle procède par des [[propre]]s (ex. [[Dieu]], être infiniment parfait),
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# par une [[propriété]] (ex. le cercle, figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales).  
  
 
Pour être '''réelle''' ou génétique, une définition devra énoncer la [[cause]] immédiate de la chose (ex. un cercle est une figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile) et pouvoir ainsi rendre compte des propriétés qui appartiennent à la chose.
 
Pour être '''réelle''' ou génétique, une définition devra énoncer la [[cause]] immédiate de la chose (ex. un cercle est une figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile) et pouvoir ainsi rendre compte des propriétés qui appartiennent à la chose.
  
== Précisions ==  
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== Les espèces de définitions ==  
  
 
Une définition [[Philosophie|philosophique]] consiste à énoncer ce qui caractérise essentiellement une chose, ce qui fait que la chose à définir est ce qu'elle est. Il s'agit d'aller au cœur même de la chose et non pas de se contenter de donner des synonymes – comme c'est souvent le cas avec un simple dictionnaire – ou encore de renvoyer à des mots qui supposent eux-mêmes qu'on connaisse déjà ce qui est à définir.
 
Une définition [[Philosophie|philosophique]] consiste à énoncer ce qui caractérise essentiellement une chose, ce qui fait que la chose à définir est ce qu'elle est. Il s'agit d'aller au cœur même de la chose et non pas de se contenter de donner des synonymes – comme c'est souvent le cas avec un simple dictionnaire – ou encore de renvoyer à des mots qui supposent eux-mêmes qu'on connaisse déjà ce qui est à définir.
  
=== Exemple de définition nominale ===
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=== La définition nominale ===
  
 
Prenons par exemple la notion d'[[amour]] : le Larousse le définit comme "sentiment très intense, attachement englobant la tendresse et l'attirance physique, entre deux personnes." Si on y réfléchit bien, il n'y a ici que des mots faisant référence à des notions voisines de l'amour qui mènent plus à des confusions qu'à une véritable clarification : un sentiment peut être très intense sans être de l'amour, au contraire : la haine peut être un sentiment très intense. Ensuite, on peut aimer de façon modérée. L'attachement peut faire penser à de l'amour mais on peut être attaché à nos vieilles pantoufles parce qu'on y est habitué sans éprouver un sentiment d'amour particulier pour celles-ci. En disant que cet attachement englobe la tendresse et l'attirance physique, on ne précise pas mieux les choses, car l'amour dépasse souvent le cadre de l'apparence physique. Enfin, on peut aimer autre chose que des personnes : un animal, une œuvre d'art, un plat cuisiné… même si à chaque fois, on n'aime pas de la même façon, il y a toujours de l'amour. La définition du Larousse n'est donc que nominale, elle se contente de mots qui ne permettent qu'une approche extérieure de la chose à définir.
 
Prenons par exemple la notion d'[[amour]] : le Larousse le définit comme "sentiment très intense, attachement englobant la tendresse et l'attirance physique, entre deux personnes." Si on y réfléchit bien, il n'y a ici que des mots faisant référence à des notions voisines de l'amour qui mènent plus à des confusions qu'à une véritable clarification : un sentiment peut être très intense sans être de l'amour, au contraire : la haine peut être un sentiment très intense. Ensuite, on peut aimer de façon modérée. L'attachement peut faire penser à de l'amour mais on peut être attaché à nos vieilles pantoufles parce qu'on y est habitué sans éprouver un sentiment d'amour particulier pour celles-ci. En disant que cet attachement englobe la tendresse et l'attirance physique, on ne précise pas mieux les choses, car l'amour dépasse souvent le cadre de l'apparence physique. Enfin, on peut aimer autre chose que des personnes : un animal, une œuvre d'art, un plat cuisiné… même si à chaque fois, on n'aime pas de la même façon, il y a toujours de l'amour. La définition du Larousse n'est donc que nominale, elle se contente de mots qui ne permettent qu'une approche extérieure de la chose à définir.
  
=== Exemple de définition génétique ===
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=== La définition génétique ===
  
Une véritable définition est "génétique", c'est-à-dire qu'elle met en évidence la [[cause]] suffisante de son objet. Qu'est-ce alors que l'amour ? C'est, dit Spinoza, "une joie accompagnée de l'idée d'une cause" (cf [[E3P13S|E3P13, scolie]]) Lorsque nous éprouvons une joie et qu'en même temps nous nous représentons un objet comme étant la cause de cette joie, nous l'aimons. Par exemple, j'éprouve un sentiment de bien-être et j'attribue ce sentiment à la présence de mon chien pour qui j'ai l'air si important, j'éprouverai alors naturellement de l'amour pour celui-ci. Un être dont je m'imaginerais qu'il ne me cause que de la tristesse ne provoquerait en moi que de l'[[aversion]] ou de la [[haine]].
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Pour les "choses créées", c'est-à-dire tout ce qui doit avoir été produit par autre chose que soi-même, tout ce qui n'est pas [[cause de soi]], la définition devra être "génétique", c'est-à-dire mettre en évidence la [[cause]] suffisante de son objet de telle sorte que considérée en elle-même, toute les propriétés qu'on lui attribue pourront en être déduites<ref>Cf. [[TRE#96|Traité de la réforme de l'entendement, §96]]</ref>. Ainsi la définition génétique du cercle n'est pas "figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales" parce que cela peut se rapporter à une définition plus fondamentale : "figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile".
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Prenons un autre exemple : qu'est-ce que l'amour ? C'est, dit Spinoza, "une joie accompagnée de l'idée d'une cause"<ref>cf [[éthique III#Proposition 13|E3P13, scolie]]</ref>. Lorsque nous éprouvons une joie et qu'en même temps nous nous représentons un objet comme étant la cause de cette joie, nous l'aimons. Par exemple, j'éprouve un sentiment de bien-être et j'attribue ce sentiment à la présence de mon chien pour qui j'ai l'air si important, j'éprouverai alors naturellement de l'amour pour celui-ci. Un être dont je m'imaginerais qu'il ne me cause que de la tristesse ne provoquerait en moi que de l'[[aversion]] ou de la [[haine]].
  
 
Ensuite on peut déduire de cette définition un [[propre]] et des [[propriété]]s. Le propre de l'amour est de m'amener à désirer m'unir à l'être aimé : il est naturel que je cherche la présence de ce qui me procure de la joie. Une des propriétés de l'amour est de pouvoir se changer en haine : quand par exemple j'imagine que l'être aimé ne m'aime pas autant que je l'aime, j'en tire l'idée d'une dévalorisation de ma personne, c'est-à-dire une tristesse et éprouver une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure conduit à un état de haine plus ou moins intense. Les définitions de l'Éthique sont donc génétiques, c'est-à-dire qu'elles vont au cœur même de la chose à penser en donnant son essence, ce qui suffit à faire qu'elle est ce qu'elle est, sa "cause prochaine".
 
Ensuite on peut déduire de cette définition un [[propre]] et des [[propriété]]s. Le propre de l'amour est de m'amener à désirer m'unir à l'être aimé : il est naturel que je cherche la présence de ce qui me procure de la joie. Une des propriétés de l'amour est de pouvoir se changer en haine : quand par exemple j'imagine que l'être aimé ne m'aime pas autant que je l'aime, j'en tire l'idée d'une dévalorisation de ma personne, c'est-à-dire une tristesse et éprouver une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure conduit à un état de haine plus ou moins intense. Les définitions de l'Éthique sont donc génétiques, c'est-à-dire qu'elles vont au cœur même de la chose à penser en donnant son essence, ce qui suffit à faire qu'elle est ce qu'elle est, sa "cause prochaine".
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=== La définition absolue ===
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Le précédent type de définition convient pour les choses "crées", qu'en est-il des choses incréées ? Il s'agit encore d'une sorte de définition génétique mais ici la cause ne saurait être extérieure. Ainsi, pour définir [[Dieu]], la [[substance]] ou la [[nature]], on devra appliquer les règles suivantes :
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# '''Ne faire référence à aucune cause extérieure''', sans quoi ce ne serait plus une chose auto-suffisante, et ainsi n'intégrer dans la définition que ce qui concerne son être.
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# '''La question de son existence ne doit pas être engagée''' : si on peut douter de son existence, comme par exemple pour une sirène ou un cercle qu'on déclarerait éternel, c'est qu'elle suppose une autre chose, indépendante d'elle-même, qu'elle même pour pouvoir [[existence|exister]] ou être conçue, comme la mer ou plus fondamentalement encore l'[[étendue]]. C'est pourquoi probablement, dans le [[Court traité]], Spinoza commence par prouver l'existence de Dieu avant d'en expliquer la nature. L'''Éthique'' semble au contraire partir des définitions de la substance et de Dieu avant d'en déduire l'existence<ref> Cf. Définitions [[éthique I#d3]] et [[éthique I#d6|6]] et propositions [[éthique I#Proposition 7|7]] et [[éthique I#Proposition 11|11]]</ref> mais ce n'est pas sans remarquer au sujet de l'existence de la substance que "si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus, elle serait pour tous un axiome, et on la compterait parmi les [[notions commune]]s de la raison"<ref>Cf. [[éthique I#p8s2|scolie 2]] de la [[éthique I#Proposition 8|prop. 8]].</ref>, la même remarque pouvant être faite en ce qui concerne Dieu<ref>Cf. [[éthique I#p11s|scolie]] de la [[éthique I#Proposition 11|prop. 11]].</ref>.
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# '''Ne pas expliquer l'objet par des adjectifs substantivés''', c'est-à-dire des notions [[abstrait]]es, car un substantif qui peut être adjectivé se rapporte à autre chose que lui-même : ainsi les notions comme "bonté", "beauté", "justice" devront en être exclus, ces notions supposant toutes un être qu'on pourrait qualifier de bon, beau, juste.
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# '''Toutes les propriétés qui la caractérisent doivent pouvoir en être conclues'''.
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== Toute définition doit-elle être justifiée ? ==
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Une objection courante consiste à remarquer que Spinoza ne justifie pas ses définitions, notamment celles de la [[substance]] et de [[Dieu]]. Il en découlerait l'incertitude pour toutes les conséquences qui en découlent. Spinoza répond à cette objection dans la lettre 9 à Simon de Vries en distinguant plusieurs sortes de définitions.
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Il y a d'abord les définitions qui portent sur des objets qui existent hors de notre intellect. Soit par exemple, le temple de Salomon, dit Spinoza, il faudra en donner une définition qui décrive exactement l'essentiel de sa réalité. Pour cela, on est en droit de supposer qu'il faudra s'appuyer sur une enquête empirique permettant de justifier le contenu de la définition et ainsi ce qui pourra en découler.
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Mais il y a aussi les définitions qui portent sur des objets de l'intellect en tant que tel. Par exemple, dit encore Spinoza, si je conçois le plan d'un temple, je pourrai en déduire logiquement un certain nombre de conséquences : il faudra acheter tant de tonnes de pierres et autres matériaux etc. Personne ne pourra alors affirmer que ces conséquences sont fausses ou incertaines puisque la définition serait fausse ou incertaine également car cela reviendrait à dire que je n'ai pas conçu la définition que j'ai conçue, ce qui est [[absurde]].
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Seulement, toute définition de ce genre n'est pas forcément correcte. Il faut qu'elle soit cohérente avec elle-même ainsi qu'avec celles qu'on veut y associer. Ainsi, si je dis que deux lignes droites enfermant un espace forment une figure, cela ne peut être correct qu'à condition d'entendre par "ligne droite" ce qu'ordinairement on entend plutôt par ligne, pouvant être droite ou courbe, auquel cas il n'y aura pas de contradiction interne. Mais si l'on entend par ligne droite une longueur sans largeur également placée entre ses points, alors la définition de la figure comme pouvant être formée de deux lignes droites est contradictoire.
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<!--Ainsi, ou bien ma définition fait connaître une chose telle qu’elle est hors de l’entendement et alors elle doit être vraie et ne diffère pas d’une proposition ou d’un axiome, sauf en ce que la définition s’applique seulement aux essences des choses ou des affections des choses, tandis que l’axiome a une extension plus grande comprenant les vérités éternelles. Ou bien une définition fait connaître une chose telle qu’elle est conçue par nous ou peut l’être. En pareil cas, une définition diffère d’un axiome et d’une proposition en ce qu’on doit exiger seulement qu’elle soit conçue absolument et non, à la manière d’un axiome, comme une vérité. Une mauvaise définition est donc une définition qui ne se conçoit pas. Pour le faire entendre, je prendrai l’exemple de Borelli : deux lignes droites enfermant un espace sont dites lignes formant une figure. Si, quand on a parlé ainsi, on entend par ligne droite ce que tous entendent par ligne courbe, la définition est bonne (on entendrait par cette définition une figure telle que ( ) ou d’autres semblables), pourvu que par la suite on n’entende pas des carrés ou d’autres figures. Mais si par ligne droite on entend ce que l’on entend communément, la chose est entièrement inconcevable et il n’y a donc point de définition. Tout cela est confondu par Borelli dont vous êtes disposés à admettre l’opinion. J’ajoute un autre exemple, celui que vous proposez vers la fin. Si je dis que chaque substance n’a qu’un seul attribut, c’est une simple proposition et une démonstration est nécessaire. Mais si je dis : j’entends par substance ce qui se compose d’un attribut unique, la définition sera bonne, pourvu qu’ensuite les choses composées de plusieurs attributs soient désignées par un nom autre que celui de substance.
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Spinoza, Lettre IX à Simon de Vries-->
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== Notes ==
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[[Catégorie:Concepts du spinozisme]]
 
[[Catégorie:Concepts du spinozisme]]
 
[[Catégorie:Gnoséologie]]
 
[[Catégorie:Gnoséologie]]

Version du 8 janvier 2012 à 18:10

Une définition (definitio) est une proposition expliquant l'essence intime d'une chose et rien d'extérieur ou de second (par exemple, une propriété) par rapport à cette essence[1].

Une définition sera uniquement nominale si elle consiste à ne retenir qu'un élément apparemment marquant de la chose à définir :

  1. elle utilise des abstractions comme les genres et différences spécifiques (ex. l'homme comme "animal raisonnable"),
  2. elle procède par des propres (ex. Dieu, être infiniment parfait),
  3. par une propriété (ex. le cercle, figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales).

Pour être réelle ou génétique, une définition devra énoncer la cause immédiate de la chose (ex. un cercle est une figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile) et pouvoir ainsi rendre compte des propriétés qui appartiennent à la chose.

Sommaire

Les espèces de définitions

Une définition philosophique consiste à énoncer ce qui caractérise essentiellement une chose, ce qui fait que la chose à définir est ce qu'elle est. Il s'agit d'aller au cœur même de la chose et non pas de se contenter de donner des synonymes – comme c'est souvent le cas avec un simple dictionnaire – ou encore de renvoyer à des mots qui supposent eux-mêmes qu'on connaisse déjà ce qui est à définir.

La définition nominale

Prenons par exemple la notion d'amour : le Larousse le définit comme "sentiment très intense, attachement englobant la tendresse et l'attirance physique, entre deux personnes." Si on y réfléchit bien, il n'y a ici que des mots faisant référence à des notions voisines de l'amour qui mènent plus à des confusions qu'à une véritable clarification : un sentiment peut être très intense sans être de l'amour, au contraire : la haine peut être un sentiment très intense. Ensuite, on peut aimer de façon modérée. L'attachement peut faire penser à de l'amour mais on peut être attaché à nos vieilles pantoufles parce qu'on y est habitué sans éprouver un sentiment d'amour particulier pour celles-ci. En disant que cet attachement englobe la tendresse et l'attirance physique, on ne précise pas mieux les choses, car l'amour dépasse souvent le cadre de l'apparence physique. Enfin, on peut aimer autre chose que des personnes : un animal, une œuvre d'art, un plat cuisiné… même si à chaque fois, on n'aime pas de la même façon, il y a toujours de l'amour. La définition du Larousse n'est donc que nominale, elle se contente de mots qui ne permettent qu'une approche extérieure de la chose à définir.

La définition génétique

Pour les "choses créées", c'est-à-dire tout ce qui doit avoir été produit par autre chose que soi-même, tout ce qui n'est pas cause de soi, la définition devra être "génétique", c'est-à-dire mettre en évidence la cause suffisante de son objet de telle sorte que considérée en elle-même, toute les propriétés qu'on lui attribue pourront en être déduites[2]. Ainsi la définition génétique du cercle n'est pas "figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales" parce que cela peut se rapporter à une définition plus fondamentale : "figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile".

Prenons un autre exemple : qu'est-ce que l'amour ? C'est, dit Spinoza, "une joie accompagnée de l'idée d'une cause"[3]. Lorsque nous éprouvons une joie et qu'en même temps nous nous représentons un objet comme étant la cause de cette joie, nous l'aimons. Par exemple, j'éprouve un sentiment de bien-être et j'attribue ce sentiment à la présence de mon chien pour qui j'ai l'air si important, j'éprouverai alors naturellement de l'amour pour celui-ci. Un être dont je m'imaginerais qu'il ne me cause que de la tristesse ne provoquerait en moi que de l'aversion ou de la haine.

Ensuite on peut déduire de cette définition un propre et des propriétés. Le propre de l'amour est de m'amener à désirer m'unir à l'être aimé : il est naturel que je cherche la présence de ce qui me procure de la joie. Une des propriétés de l'amour est de pouvoir se changer en haine : quand par exemple j'imagine que l'être aimé ne m'aime pas autant que je l'aime, j'en tire l'idée d'une dévalorisation de ma personne, c'est-à-dire une tristesse et éprouver une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure conduit à un état de haine plus ou moins intense. Les définitions de l'Éthique sont donc génétiques, c'est-à-dire qu'elles vont au cœur même de la chose à penser en donnant son essence, ce qui suffit à faire qu'elle est ce qu'elle est, sa "cause prochaine".

La définition absolue

Le précédent type de définition convient pour les choses "crées", qu'en est-il des choses incréées ? Il s'agit encore d'une sorte de définition génétique mais ici la cause ne saurait être extérieure. Ainsi, pour définir Dieu, la substance ou la nature, on devra appliquer les règles suivantes :

  1. Ne faire référence à aucune cause extérieure, sans quoi ce ne serait plus une chose auto-suffisante, et ainsi n'intégrer dans la définition que ce qui concerne son être.
  2. La question de son existence ne doit pas être engagée : si on peut douter de son existence, comme par exemple pour une sirène ou un cercle qu'on déclarerait éternel, c'est qu'elle suppose une autre chose, indépendante d'elle-même, qu'elle même pour pouvoir exister ou être conçue, comme la mer ou plus fondamentalement encore l'étendue. C'est pourquoi probablement, dans le Court traité, Spinoza commence par prouver l'existence de Dieu avant d'en expliquer la nature. L'Éthique semble au contraire partir des définitions de la substance et de Dieu avant d'en déduire l'existence[4] mais ce n'est pas sans remarquer au sujet de l'existence de la substance que "si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus, elle serait pour tous un axiome, et on la compterait parmi les notions communes de la raison"[5], la même remarque pouvant être faite en ce qui concerne Dieu[6].
  3. Ne pas expliquer l'objet par des adjectifs substantivés, c'est-à-dire des notions abstraites, car un substantif qui peut être adjectivé se rapporte à autre chose que lui-même : ainsi les notions comme "bonté", "beauté", "justice" devront en être exclus, ces notions supposant toutes un être qu'on pourrait qualifier de bon, beau, juste.
  4. Toutes les propriétés qui la caractérisent doivent pouvoir en être conclues.


Toute définition doit-elle être justifiée ?

Une objection courante consiste à remarquer que Spinoza ne justifie pas ses définitions, notamment celles de la substance et de Dieu. Il en découlerait l'incertitude pour toutes les conséquences qui en découlent. Spinoza répond à cette objection dans la lettre 9 à Simon de Vries en distinguant plusieurs sortes de définitions.

Il y a d'abord les définitions qui portent sur des objets qui existent hors de notre intellect. Soit par exemple, le temple de Salomon, dit Spinoza, il faudra en donner une définition qui décrive exactement l'essentiel de sa réalité. Pour cela, on est en droit de supposer qu'il faudra s'appuyer sur une enquête empirique permettant de justifier le contenu de la définition et ainsi ce qui pourra en découler.

Mais il y a aussi les définitions qui portent sur des objets de l'intellect en tant que tel. Par exemple, dit encore Spinoza, si je conçois le plan d'un temple, je pourrai en déduire logiquement un certain nombre de conséquences : il faudra acheter tant de tonnes de pierres et autres matériaux etc. Personne ne pourra alors affirmer que ces conséquences sont fausses ou incertaines puisque la définition serait fausse ou incertaine également car cela reviendrait à dire que je n'ai pas conçu la définition que j'ai conçue, ce qui est absurde.

Seulement, toute définition de ce genre n'est pas forcément correcte. Il faut qu'elle soit cohérente avec elle-même ainsi qu'avec celles qu'on veut y associer. Ainsi, si je dis que deux lignes droites enfermant un espace forment une figure, cela ne peut être correct qu'à condition d'entendre par "ligne droite" ce qu'ordinairement on entend plutôt par ligne, pouvant être droite ou courbe, auquel cas il n'y aura pas de contradiction interne. Mais si l'on entend par ligne droite une longueur sans largeur également placée entre ses points, alors la définition de la figure comme pouvant être formée de deux lignes droites est contradictoire.


Notes

  1. Cf. le Traité de la réforme de l'entendement, § 95 et Éthique, proposition 8, scolie II)
  2. Cf. Traité de la réforme de l'entendement, §96
  3. cf E3P13, scolie
  4. Cf. Définitions éthique I#d3 et 6 et propositions 7 et 11
  5. Cf. scolie 2 de la prop. 8.
  6. Cf. scolie de la prop. 11.
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