Court traité/Deuxième partie/chapitre IX

De Spinoza et Nous.
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Baruch Spinoza

Deuxième partie, chapitre IX :

De l'espérance et de la crainte - De la sécurité et du désespoir - De l'intrépidité, de l'audace et de l'émulation - De la consternation et de la pusillanimité et enfin de l'envie



(1) Pour distinguer, parmi ces différentes passions, celles qui sont utiles et celles qui peuvent être funestes, il faut porter notre attention sur les idées que nous nous faisons des choses futures et chercher si elles sont elles-mêmes bonnes ou mauvaises.

(2) Les idées que nous avons des choses se rapportent :
1° Soit aux choses elle-mêmes.
2° Soit à celui qui possède ces idées.

Les idées qui ont rapport aux choses elles-mêmes sont les suivantes :
1° Ou bien les choses nous paraissent comme possibles, c'est-à-dire comme pouvant être ou n’être pas ;
2° Ou bien comme nécessaires. Voilà pour les choses.

Les idées qui ont rapport à celui qui possède les idées sont :
1° ou bien qu'il faut faire telle chose pour que l'événement arrive ;
2° ou bien qu'il faut faire telle autre pour qu'il n'arrive pas.

(3) C'est de ces diverses idées que naissent toutes les passions que nous avons nommées.

Lorsque nous considérons une chose future comme bonne et possible, l’âme acquiert cet état d'esprit que nous appelons espérance, qui n'est autre chose qu'une espèce de joie à laquelle est mêlée un peu de tristesse.

Lorsque nous considérons au contraire comme possible une chose mauvaise, il naît dans notre âme cet état d'esprit que nous appelons la crainte.

Si la chose future apparaît comme bonne et comme nécessaire nous éprouvons une sorte de tranquillité d'âme, qui s'appelle sécurité, espèce de joie â laquelle ne se mêle aucune tristesse, ce qui est le contraire de l'espérance.

Si la chose nous paraît à la fois nécessaire et mauvaise, l’état d'esprit qui en résulte est le désespoir, qui n’est autre chose qu’une certaine espèce de tristesse.

(4) Après avoir parlé de ces passions et donné leur définition sous forme affirmative, nous pouvons maintenant réciproquement les définir d'une manière négative ; ainsi, on dira que l'espérance consiste à croire que tel mal n'arrivera pas ; la crainte, que tel bien n'arrivera pas ; la sécurité consistera dans la certitude que tel mal n'arrivera pas, et le désespoir enfin dans la certitude que tel bien n'arrivera pas.

(5) En voilà assez sur les passions, en tant qu'elles naissent des idées qui ont rapport aux choses elles-mêmes ; parlons de celles qui naissent des idées dans leur rapport à celui qui les possède. Par exemple, lorsqu’il est urgent que nous fassions quelque action et que nous ne pouvons nous y décider, l’état d'esprit qui en résulte s'appelle fluctuation.

Lorsque l'âme se résout virilement à faire une chose qu’elle considère comme possible, c'est ce que nous appelons intrépidité.

Si l'âme a résolu d'accomplir une action difficile, c'est l’audace.

Si elle veut accomplir une chose par la raison qu'un autre homme en a fait autant, c'est l'émulation.

Lorsque l'on sait ce qu'il faut entreprendre, soit pour obtenir un bien, soit pour éloigner un mal, et qu’on ne s'y décide pas, c'est la pusillanimité, qui, poussée à un degré extrême, devient consternation.

L'effort que l'on fait de jouir à soi seul d'un bien acquis et de se le conserver s'appelle envie.

(6) Maintenant que nous savons comment ces passions naissent, il nous est facile de dire quelles sont celles qui sont bonnes et celles qui sont mauvaises.

Quant à l’espérance, la crainte, la sécurité, le désespoir et l'envie, il est évident que toutes ces passions naissent d'une fausse opinion, puisque nous avons démontré que toutes choses ont leurs causes nécessaires et par conséquent qu'elles arrivent comme elles doivent arriver. Il semble que dans cet ordre inviolable, dans cette série de causes et d'effets, il puisse y avoir place pour la sécurité et le désespoir ; il n'en est rien cependant, parce que la sécurité et le désespoir ne seraient pas possibles, s'ils n'avaient été précédés de l'espérance et de la crainte, car c'est lorsque quelqu'un attend une chose qu'il croit bonne, qu'il éprouve ce qu'on appelle l'espoir; et c'est lorsqu'il est assuré de posséder ce bien présumé, qu'il éprouve ce que nous appelons sécurité ; et, ce que nous affirmons de la sécurité nous l'affirmons aussi du désespoir. De ce que nous avons dit de l'amour on doit conclure qu'aucune de ces passions ne peut se trouver dans l’homme parfait. En effet, elles supposent des choses auxquelles, d'après leur nature instable, nous ne devons ni nous attacher (en vertu de notre définition de l'amour), ni nous soustraire (en vertu de notre définition de la haine) : or cet attachement ou aversion se rencontrent nécessairement dans l'homme qui est livré à ces passions.

(7) Pour la fluctuation, la pusillanimité, la consternation, elles révèlent assez, par leur nature propre, leur imperfection : car, si elles peuvent nous être accidentellement utiles, ce n'est pas par elles-mêmes et c’est seulement d'une manière négative ; par exemple, si quelqu'un espère quelque chose qu'il tient pour bon et qui cependant ne l'est pas, et que par pusillanimité et incertitude il manque de courage nécessaire pour acquérir cette chose, ce n'est que négativement et par accident qu’il est délivré du mal qu'il croyait un bien. C'est pourquoi ces passions ne peuvent avoir aucune place dans un homme qui se conduit par la loi de la pure raison.

(8) Enfin, pour ce qui est de l'intrépidité, de l‘audace et de l'émulation, nous n'avons rien de plus à en dire que ce que nous avons dit déjà de l’amour et de la haine.


Première partie
I : Que Dieu existe - II : Qu'est-ce que Dieu ? - III : Dieu cause universelle - IV : De l'action nécessaire de Dieu - V : De la providence de Dieu - VI : De la prédestination divine - VII : Des propriétés qui n'appartiennent pas à Dieu - VIII : De la nature naturante - IX : De la nature naturée - X : Du bien et du mal

Deuxième partie
Préface - I : De l'opinion, de la foi et de la connaissance - II : Ce que c'est que l'opinion, la foi et la vraie science - III : De l'origine des passions dans l'opinion - IV : Des effets de la croyance, et du bien et du mal de l'homme - V : De l'amour - VI : De la haine - VII : Du désir et de la joie - VIII : De l'estime et du mépris - IX : De l'espérance et de la crainte - De la sécurité et du désespoir - De l'intrépidité, de l'audace et de l'émulation - De la consternation et de la pusillanimité et enfin de l'envie - X : Du remords et du repentir - XI : De la raillerie et de la plaisanterie - XII : De l'honneur, de la honte, de la pudeur et de l'impudence - XIII : De la faveur (bienveillance), de la gratitude et de l'ingratitude - XIV : Du regret - XV : Du vrai et du faux - XVI : De la volonté - XVII : De la différence entre la volonté et le désir - XVIII : De l'utilité de la doctrine précédente - XIX : De notre béatitude - XX : confirmation du précédent - XXI : De la raison - XXII : De la vraie connaissance, de la régénération, etc. - XXIII : De l'immortalité de l'âme - XXIV : De l'amour de Dieu pour l'homme - XXV : Des démons - XXVI : De la vraie liberté -

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