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Voici la reprise d'un texte assez polémique de 2002 où il s'agissait de voir, ou plutôt d'apercevoir, comment une philosophie comme celle de Spinoza peut nous apporter quelque éclairage dans le débat politique contemporain. Il ne s'agit donc pas ici de se prononcer sur les positions que ce philosophe aurait pu adopter dans le débat contemporain, comme si cela pouvait avoir un intérêt, mais d'utiliser ses concepts pour penser des notions comme la gauche et la droite qui lui sont pourtant historiquement postérieures.

Spinoza et les partis

Aperçu de l'engagement politique de Spinoza

Les corps des frères de Witt suspendus après leur lynchage, Rijksmuseum d'Amsterdam

L'emploi en politique des termes de gauche et de droite sont postérieurs à Spinoza, et datent de la révolution française. Il paraît donc quelque peu artificiel de se demander quel peut être le "parti" de Spinoza en politique. Toutefois, nous ne nous intéresserons guère ici à la personne même de Baruch Spinoza mais bien plutôt aux implications de sa philosophie éthique et politique.  Il a cependant, de son vivant, pris parti pour la république et la démocratie, contre la monarchie en Hollande, pour les frères de Witt et contre les Orangistes, bien loin de l'image de philosophe contemplatif et désincarné qu'on peut encore donner de lui. S'il ne placarde finalement pas "Ultimi barbarorum" dans Amsterdam, en 1672 à la suite de l'assassinat des frères de Witt, il avait peu avant publié le Traité Théologico-politique où il prend parti pour la liberté de penser contre les mouvements sécuritaires qui prétendent limiter cette liberté au nom de l'ordre. Spinoza a donc pris parti mais quel est ce parti ? ...lire la suite

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L'invité inattendu de Horatio Henry Coudery, 1874.

La philosophie de Spinoza prend tout son sens comme effort pratique de connaître rien moins qu'une joie suprême et éternelle1. Le mode d'existence qu'il s'agit de développer est l'amour intellectuel dont nous entretient l'énigmatique partie V de l’Éthique. Mais cet amour peut-il seulement être vécu par un simple mortel ? Après avoir tant critiqué les préjugés et les superstitions, Spinoza ne développe-t-il pas une nouvelle illusion propre à rassurer les êtres de désir que nous sommes ?

Ferdinand Alquié a posé ce qui me semble la plus grave objection contemporaine au spinozisme dans Le rationalisme de Spinoza. Selon ce commentateur qui a su faire de ses commentaires de véritables moments de philosophie, l'Éthique serait incompréhensible "car, en ayant achevé la lecture, je dois bien constater que je n'éprouve rien qui ressemble à la béatitude dont le texte m'entretient"2. Quelle que soit la cohérence logique du système, pour le comprendre, il faudrait pouvoir faire l'expérience à laquelle il renvoie. Spinoza lui-même a-t-il "atteint" la béatitude ? Rien de conséquent, d'après les biographies émanant d'ennemis comme de disciples, ne permet de l'affirmer. La question qui se pose dès lors à celui qui entreprend de répondre à cette objection est de montrer comment il est possible d'éprouver personnellement la béatitude dont nous parle l'Éthique.

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Dans l'histoire de la philosophie, les philosophes n'ont pas ménagé les femmes. Spinoza échappe-t-il à la règle ?

Femme enseignant la géométrie
Détail d'une enluminure du XIVe siècle, contrepoinçon d'une lettre capitale P, au début des Éléments d'Euclide, dans une traduction attribuée à Adélar de Bath. Au Moyen Âge, la représentation d'une femme dans un rôle d'enseignant est inhabituelle.

Madeleine Francès, avec sa traduction du Traité théologico-politique conclut à partir d'une citation du chapitre 13 à l'antiféminisme de Spinoza (n. 1 de la page 800, Pléïade) : ''Hommes, femmes, enfants ont une égale aptitude à obéir, mais non à pratiquer la sagesse". M. Francès déduit de cette phrase que pour Spinoza, femmes et enfants sont inférieures à l'homme. Alors que le contexte montre bien pourtant que la proposition s'applique indistinctement à tous, hommes comme femmes, comme enfants. Tous les hommes n'ont pas la même capacité à pratiquer la sagesse, les femmes et les enfants de même.

Madeleine Francès lit dans la philosophie de l’Éthique que 'femmes et enfants sont livrés à des instincts aveugles' mais Spinoza en dit de même des hommes. Ensuite elle croit voir que femmes et enfants 'ignorent la vie intellectuelle et morale', je ne sais pas où elle a vu cela. Ce serait contradictoire avec le chapitre XX de l'appendice de la partie IV : "Quant au mariage, il est certain qu'il est d'accord avec la raison, à condition que le désir d'unir les corps ne vienne pas seulement de la forme, mais qu'il soit accompagné du désir d'avoir des enfants et de les élever dans la sagesse. J'ajoute encore cette condition, que l'amour de l'homme et de la femme ait sa cause principale, non dans la forme, mais dans la liberté de l'âme." Comment la femme pourrait-elle participer à l'éducation des enfants dans la ''sagesse'' si elle-même n'avait pas la moindre sagesse ? Comment pourrait-elle apprécier la liberté de l'homme si elle ne participait pas elle-même à cette liberté ? ...lire la suite

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Qui de Bayle ou Novalis a raison, celui qui affirme que Spinoza est un " athée de système " ou celui qui affirme que Spinoza est " ivre de Dieu " ?

Malgré la publication anonyme en 1670 du Traité Théologico-politique, l'auteur fût rapidement identifié et "accusé" d'athéisme. Velthuysen le fit ouvertement : sous le prétexte d'en finir avec les discordes religieuses de l'époque et pour lutter contre le "péché" de superstition, Spinoza aurait rejeté la religion toute entière. Sa philosophie serait en réalité un athéisme travesti (voir Lettre 42 de Velthuyssen à Osten dans les éditions modernes de la correspondance de Spinoza).

Cette idée est revenue en force au XX° siècle parmi certains commentateurs comme Robert Misrahi. Le spinozisme serait bien un athéisme, mais pour des raisons de sécurité, Spinoza aurait dû crypter ses véritables idées en utilisant des termes comme celui de Dieu, afin de ne pas trop choquer ses contemporains. L'argument qu'on trouve le plus souvent en faveur de cette thèse est le "caute", "prend garde - prudence !", devise inscrite sur les cachets de tous ses courriers.

Ce sont ensuite les origines marranes de Spinoza qui sont utilisées pour justifier une tendance de Spinoza à utiliser un langage crypté - les marranes ayant été des juifs persécutés au Portugal, contraints de se convertir au christianisme sous peine de mort en cas de refus, mais ayant conservé secrètement une croyance et un culte judaïque. ...lire la suite